Développer l’altruisme pour lutter contre la pauvreté
Matthieu Ricard
Moine bouddhiste, Docteur en génétique cellulaire
Association Karuna-Shechen
09/01/2014 | 10:28
The Path to Altruism
SHECHEN, NEPAL – Le désir d’aider les autres sans considération pour soi-même n’est pas qu’un noble idéal. Le dévouement améliore la qualité et élève le sens de l’existence, pour nous-mêmes ainsi que pour nos descendants ; en fait, il se peut même que notre survie en dépende. Nous devons l’admettre, et avoir le courage de le dire.
L’humanité est confrontée à trois défis monumentaux : assurer à chacun des conditions de vie décentes, améliorer le degré de satisfaction tirée de l’existence, et protéger notre planète. Le bon vieux principe de rentabilité ne parvient pas à réconcilier ces exigences parce que chacune a son propre rythme d’action. Année après année, nous nous inquiétons de l’état de l’économie ; nous n’envisageons cependant notre bonheur qu’à l’échelle d’une vie, tandis que les considérations environnementales bénéficieront principalement aux générations futures.
Mais une approche altruiste ne nécessite que quelques compromis. Un investisseur délicat ne spéculera jamais de manière imprudente sur l’épargne de ses clients, en dépit des bénéfices potentiels qu’il pourrait en tirer à titre personnel. Un citoyen prévenant se préoccupera avant tout de l’effet de son comportement sur la communauté. Une génération désintéressée prendra soin de la planète, précisément pour transmettre un monde vivable à ses enfants. Nous avons tout à gagner par un comportement altruiste.
Cette vision du monde peut sembler idéaliste, tant il est vrai que la psychologie, les sciences économiques, et la biologie évolutionnaire ont souvent invoqué la nature essentiellement égoïste des hommes. Mais les recherches effectuées ces trente dernières années montrent qu’il existe bien un véritable altruisme et que cette nature altruiste peut dépasser le cercle des proches et de la communauté pour englober plus généralement le bien-être de tous les hommes – et celui d’autres espèces. En outre, l’altruiste n’a pas à souffrir de ses bonnes actions ; bien au contraire, il en bénéficie souvent indirectement, tandis que l’acteur égoïste ne crée généralement que misère pour lui-même et les autres.
Des études ont aussi montré qu’un individu peut apprendre à devenir altruiste. Les chercheurs en neurosciences ont identifié trois composantes de l’altruisme que chacun peut apprendre à développer : l’empathie (ou comprendre et partager les sentiments de l’autre), la tendresse bienveillante (ou désir de dispenser du bonheur), et la compassion (ou désir de soulager la souffrance de l’autre).
Les sociétés peuvent elles aussi devenir altruistes (et pourraient même en tirer un avantage évolutionnaire sur leurs homologues plus égoïstes). Les recherches sur l’évolution des cultures montrent que les valeurs humaines peuvent évoluer plus rapidement que nos gênes. Donc, si nous voulons développer un monde plus humain, nous devons d’abord reconnaître l’importance de l’altruisme – puis le cultiver parmi les nôtres et encourager un changement culturel dans nos sociétés.
La nécessité de cultiver cette reconnaissance n’est jamais aussi visible que dans notre système économique. La poursuite irréaliste d’une croissance quantitative infinie fait subir des pressions intolérables à notre planète et creuse les inégalités. Mais inverser cette croissance entrainerait d’autres problèmes ; obliger les individus à rivaliser pour des avoirs et des ressources en diminution ne génèrerait que du chômage, de la pauvreté, et même de la violence.
Il faut donc trouver un équilibre : la communauté internationale doit sortir un milliard et demi d’individus de la pauvreté, tandis que les excès des consommateurs les plus riches – à l’origine de la majeure partie des dégradations écologiques de la planète – doivent être limités. Il n’est pas nécessaire d’imposer plus de taxes pour cela ; mais nous pouvons convaincre les riches que l’éternelle poursuite de gains matériels est à la fois insoutenable et inutile pour leur propre qualité de vie.
Ce concept « d’harmonie durable » peut être encouragé par la publication d’indices de bien-être personnel et de préservation de l’environnement, en plus des données standard du PIB. Le gouvernement du Bhoutan, par exemple, évalue déjà la « richesse sociale » et la « richesse naturelle » de son peuple en supplément des données chiffrées de son PIB.
Nous pourrions aussi établir un marché boursier, comparable aux marchés boursiers traditionnels, dans lequel seraient cotées les organisations dites éthiques, comme les entreprises sociales, les banques coopératives, les agences de microcrédit, et les groupements de commerce équitable. Plusieurs initiatives – au Brésil, en Afrique du Sud ou en Grande Bretagne, par exemple – vont déjà timidement dans ce sens.
De petits pas entrainent de grands changements. Plus la valeur de l’altruisme s’affirmera, plus cette nouvelle approche se répandra à travers l’ensemble de l’économie, et profitera donc à toute la société, aux générations futures, ainsi qu’à la planète.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
Matthieu Ricard
Moine bouddhiste, Docteur en génétique cellulaire
Association Karuna-Shechen
09/01/2014 | 10:28
The Path to Altruism
SHECHEN, NEPAL – Le désir d’aider les autres sans considération pour soi-même n’est pas qu’un noble idéal. Le dévouement améliore la qualité et élève le sens de l’existence, pour nous-mêmes ainsi que pour nos descendants ; en fait, il se peut même que notre survie en dépende. Nous devons l’admettre, et avoir le courage de le dire.
L’humanité est confrontée à trois défis monumentaux : assurer à chacun des conditions de vie décentes, améliorer le degré de satisfaction tirée de l’existence, et protéger notre planète. Le bon vieux principe de rentabilité ne parvient pas à réconcilier ces exigences parce que chacune a son propre rythme d’action. Année après année, nous nous inquiétons de l’état de l’économie ; nous n’envisageons cependant notre bonheur qu’à l’échelle d’une vie, tandis que les considérations environnementales bénéficieront principalement aux générations futures.
Mais une approche altruiste ne nécessite que quelques compromis. Un investisseur délicat ne spéculera jamais de manière imprudente sur l’épargne de ses clients, en dépit des bénéfices potentiels qu’il pourrait en tirer à titre personnel. Un citoyen prévenant se préoccupera avant tout de l’effet de son comportement sur la communauté. Une génération désintéressée prendra soin de la planète, précisément pour transmettre un monde vivable à ses enfants. Nous avons tout à gagner par un comportement altruiste.
Cette vision du monde peut sembler idéaliste, tant il est vrai que la psychologie, les sciences économiques, et la biologie évolutionnaire ont souvent invoqué la nature essentiellement égoïste des hommes. Mais les recherches effectuées ces trente dernières années montrent qu’il existe bien un véritable altruisme et que cette nature altruiste peut dépasser le cercle des proches et de la communauté pour englober plus généralement le bien-être de tous les hommes – et celui d’autres espèces. En outre, l’altruiste n’a pas à souffrir de ses bonnes actions ; bien au contraire, il en bénéficie souvent indirectement, tandis que l’acteur égoïste ne crée généralement que misère pour lui-même et les autres.
Des études ont aussi montré qu’un individu peut apprendre à devenir altruiste. Les chercheurs en neurosciences ont identifié trois composantes de l’altruisme que chacun peut apprendre à développer : l’empathie (ou comprendre et partager les sentiments de l’autre), la tendresse bienveillante (ou désir de dispenser du bonheur), et la compassion (ou désir de soulager la souffrance de l’autre).
Les sociétés peuvent elles aussi devenir altruistes (et pourraient même en tirer un avantage évolutionnaire sur leurs homologues plus égoïstes). Les recherches sur l’évolution des cultures montrent que les valeurs humaines peuvent évoluer plus rapidement que nos gênes. Donc, si nous voulons développer un monde plus humain, nous devons d’abord reconnaître l’importance de l’altruisme – puis le cultiver parmi les nôtres et encourager un changement culturel dans nos sociétés.
La nécessité de cultiver cette reconnaissance n’est jamais aussi visible que dans notre système économique. La poursuite irréaliste d’une croissance quantitative infinie fait subir des pressions intolérables à notre planète et creuse les inégalités. Mais inverser cette croissance entrainerait d’autres problèmes ; obliger les individus à rivaliser pour des avoirs et des ressources en diminution ne génèrerait que du chômage, de la pauvreté, et même de la violence.
Il faut donc trouver un équilibre : la communauté internationale doit sortir un milliard et demi d’individus de la pauvreté, tandis que les excès des consommateurs les plus riches – à l’origine de la majeure partie des dégradations écologiques de la planète – doivent être limités. Il n’est pas nécessaire d’imposer plus de taxes pour cela ; mais nous pouvons convaincre les riches que l’éternelle poursuite de gains matériels est à la fois insoutenable et inutile pour leur propre qualité de vie.
Ce concept « d’harmonie durable » peut être encouragé par la publication d’indices de bien-être personnel et de préservation de l’environnement, en plus des données standard du PIB. Le gouvernement du Bhoutan, par exemple, évalue déjà la « richesse sociale » et la « richesse naturelle » de son peuple en supplément des données chiffrées de son PIB.
Nous pourrions aussi établir un marché boursier, comparable aux marchés boursiers traditionnels, dans lequel seraient cotées les organisations dites éthiques, comme les entreprises sociales, les banques coopératives, les agences de microcrédit, et les groupements de commerce équitable. Plusieurs initiatives – au Brésil, en Afrique du Sud ou en Grande Bretagne, par exemple – vont déjà timidement dans ce sens.
De petits pas entrainent de grands changements. Plus la valeur de l’altruisme s’affirmera, plus cette nouvelle approche se répandra à travers l’ensemble de l’économie, et profitera donc à toute la société, aux générations futures, ainsi qu’à la planète.
Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats
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