Le bouddhisme est-il politique?
Le devoir.com
7 septembre 2013 | Georges Leroux | Livres
. Le bouddhisme engagé
Éric Rommeluère
Éditions du Seuil, Paris,
2013, 181 pages
L’histoire du bouddhisme demeure souvent muette sur les conséquences sociales et politiques de sa doctrine. L’image traditionnelle d’une spiritualité du détachement est en général associée à une indifférence aux affaires du monde et elle a été renforcée par les versions californiennes, concentrées sur le bien-être personnel et l’art de vivre. S’il est vrai que la sérénité demeure l’idéal classique du bouddhisme religieux, cette préséance ne doit pas faire oublier l’importance de la doctrine de la compassion. Dans un essai récent, le grand spécialiste français Éric Rommeluère, lui-même enseignant bouddhiste, propose de redonner à cette vertu de la compassion toute la portée qu’une longue histoire doctrinale a fini par occulter.
Le bouddhisme peut-il apporter une réponse politique satisfaisante au défi de la violence et de la souffrance sociale ? Si le dharma, au coeur de la doctrine, vise d’abord l’élimination de l’angoisse existentielle par l’acceptation de la nudité de l’être, il embrasse aussi la délivrance de tous les membres de la société. Sur le long chemin qui mène à l’éveil, le disciple rencontrera très tôt les idéaux de la non-violence, qui trouvent leur origine dans la sagesse indienne. Quand on les retrouve chez des maîtres contemporains, comme Maha Ghosananda (1929-2007), considéré comme le Ghandi du Cambodge, on voit qu’une interprétation du bouddhisme limitée à la délivrance personnelle évite la doctrine politique de la non-violence. Cet enseignement est pourtant très présent dans les écrits canoniques du bouddhisme, et les exemples modernes, comme celui de ce moine engagé dans les camps de réfugiés cambodgiens après la prise du pouvoir par les Khmers rouges, nous montrent comment l’idéal d’engagement ne contredit en rien la recherche de l’éveil. Au contraire, les fameuses marches du dharma organisées en vue de la paix sont des exemples d’une pratique sociale de la compassion ouverte à tous les défis du présent.
Le bouddhisme engagé
La figure la plus connue de ce bouddhisme engagé est certainement Thich Nhat Hanh, un moine vietnamien contraint à l’exil durant la guerre du Vietnam. On peut lui attribuer la paternité de l’expression « bouddhisme engagé », dont il fit le leitmotiv de son combat pour la paix. Dans son essai, Rommeluère lui consacre des pages inspirées, rappelant la tragédie des réfugiés de la mer. Il passe également en revue d’autres grandes figures de l’engagement, comme le réseau de la Sôka Gakkai et le Buddhist Peace Fellowship, ainsi que des écrivains héritiers des années de la beat generation comme le poète Gary Snyder ou le philosophe David Loy. Ces noms sont connus, mais on oublie souvent que leur réflexion trouve ses bases dans la doctrine traditionnelle de la compassion.
Un des aspects les plus visibles de ce bouddhisme engagé est certainement le lien vital avec la cause de l’écologie : pas seulement parce que la doctrine du monde naturel se trouve au fondement de l’un et l’autre, mais surtout parce que la solidarité nécessaire à la survie peut se nourrir d’un idéal de bienveillance que seul le bouddhisme peut soutenir fortement. Cela explique qu’il soit devenu au cours des dernières années la philosophie implicite de la majorité des penseurs écologistes. David Loy et Robert Aitken, mais aussi le Japonais Yamada Kôun, se présentent comme des critiques de l’avidité capitaliste et leur réflexion croise le bouddhisme sur ses préceptes les plus fondamentaux. Rommeluère insiste justement sur l’importance du livre de Loy, Lack and Transcendence (1996), une méditation sur l’illusion du manque.
On se tromperait cependant si on pensait que ces avancées politiques sont confinées aux représentants occidentaux de la tradition. On retrouve plusieurs figures similaires chez des penseurs orientaux, ignorés en Occident du seul fait qu’ils ne sont pas traduits. L’exemple de Buddhadâsa bhikkhu (1906-1993), un moine thaïlandais auquel Rommeluère consacre un important chapitre, ne cesse d’impressionner : auteur du concept de socialisme dharmique, ce moine entreprend de réactualiser les idéaux des premiers récits bouddhistes, en évoquant notamment la conversion de l’empereur Asoka. D’autres exemples peuvent par ailleurs inquiéter, comme celui des moines du Sri Lanka, ouvertement actifs dans la répression des revendications des Tamouls. On pense ici au célèbre Walpola Rahûla (1907-1997), partisan de cette répression.
Dans la dernière partie de son essai, Rommeluère revient sur les préceptes originels du bouddhisme et sur les défis actuels de leur interprétation. Le vivre-ensemble, le devoir de coopération, l’éthique du soin, tout cela trouve en effet dans le bouddhisme des fondements adaptés à notre temps. En lisant cet essai, on comprend que le bouddhisme existentialiste de la Californie est loin d’être le seul et que le bouddhisme engagé présente une richesse dont on ne saurait se passer.
Le devoir.com
7 septembre 2013 | Georges Leroux | Livres
. Le bouddhisme engagé
Éric Rommeluère
Éditions du Seuil, Paris,
2013, 181 pages
L’histoire du bouddhisme demeure souvent muette sur les conséquences sociales et politiques de sa doctrine. L’image traditionnelle d’une spiritualité du détachement est en général associée à une indifférence aux affaires du monde et elle a été renforcée par les versions californiennes, concentrées sur le bien-être personnel et l’art de vivre. S’il est vrai que la sérénité demeure l’idéal classique du bouddhisme religieux, cette préséance ne doit pas faire oublier l’importance de la doctrine de la compassion. Dans un essai récent, le grand spécialiste français Éric Rommeluère, lui-même enseignant bouddhiste, propose de redonner à cette vertu de la compassion toute la portée qu’une longue histoire doctrinale a fini par occulter.
Le bouddhisme peut-il apporter une réponse politique satisfaisante au défi de la violence et de la souffrance sociale ? Si le dharma, au coeur de la doctrine, vise d’abord l’élimination de l’angoisse existentielle par l’acceptation de la nudité de l’être, il embrasse aussi la délivrance de tous les membres de la société. Sur le long chemin qui mène à l’éveil, le disciple rencontrera très tôt les idéaux de la non-violence, qui trouvent leur origine dans la sagesse indienne. Quand on les retrouve chez des maîtres contemporains, comme Maha Ghosananda (1929-2007), considéré comme le Ghandi du Cambodge, on voit qu’une interprétation du bouddhisme limitée à la délivrance personnelle évite la doctrine politique de la non-violence. Cet enseignement est pourtant très présent dans les écrits canoniques du bouddhisme, et les exemples modernes, comme celui de ce moine engagé dans les camps de réfugiés cambodgiens après la prise du pouvoir par les Khmers rouges, nous montrent comment l’idéal d’engagement ne contredit en rien la recherche de l’éveil. Au contraire, les fameuses marches du dharma organisées en vue de la paix sont des exemples d’une pratique sociale de la compassion ouverte à tous les défis du présent.
Le bouddhisme engagé
La figure la plus connue de ce bouddhisme engagé est certainement Thich Nhat Hanh, un moine vietnamien contraint à l’exil durant la guerre du Vietnam. On peut lui attribuer la paternité de l’expression « bouddhisme engagé », dont il fit le leitmotiv de son combat pour la paix. Dans son essai, Rommeluère lui consacre des pages inspirées, rappelant la tragédie des réfugiés de la mer. Il passe également en revue d’autres grandes figures de l’engagement, comme le réseau de la Sôka Gakkai et le Buddhist Peace Fellowship, ainsi que des écrivains héritiers des années de la beat generation comme le poète Gary Snyder ou le philosophe David Loy. Ces noms sont connus, mais on oublie souvent que leur réflexion trouve ses bases dans la doctrine traditionnelle de la compassion.
Un des aspects les plus visibles de ce bouddhisme engagé est certainement le lien vital avec la cause de l’écologie : pas seulement parce que la doctrine du monde naturel se trouve au fondement de l’un et l’autre, mais surtout parce que la solidarité nécessaire à la survie peut se nourrir d’un idéal de bienveillance que seul le bouddhisme peut soutenir fortement. Cela explique qu’il soit devenu au cours des dernières années la philosophie implicite de la majorité des penseurs écologistes. David Loy et Robert Aitken, mais aussi le Japonais Yamada Kôun, se présentent comme des critiques de l’avidité capitaliste et leur réflexion croise le bouddhisme sur ses préceptes les plus fondamentaux. Rommeluère insiste justement sur l’importance du livre de Loy, Lack and Transcendence (1996), une méditation sur l’illusion du manque.
On se tromperait cependant si on pensait que ces avancées politiques sont confinées aux représentants occidentaux de la tradition. On retrouve plusieurs figures similaires chez des penseurs orientaux, ignorés en Occident du seul fait qu’ils ne sont pas traduits. L’exemple de Buddhadâsa bhikkhu (1906-1993), un moine thaïlandais auquel Rommeluère consacre un important chapitre, ne cesse d’impressionner : auteur du concept de socialisme dharmique, ce moine entreprend de réactualiser les idéaux des premiers récits bouddhistes, en évoquant notamment la conversion de l’empereur Asoka. D’autres exemples peuvent par ailleurs inquiéter, comme celui des moines du Sri Lanka, ouvertement actifs dans la répression des revendications des Tamouls. On pense ici au célèbre Walpola Rahûla (1907-1997), partisan de cette répression.
Dans la dernière partie de son essai, Rommeluère revient sur les préceptes originels du bouddhisme et sur les défis actuels de leur interprétation. Le vivre-ensemble, le devoir de coopération, l’éthique du soin, tout cela trouve en effet dans le bouddhisme des fondements adaptés à notre temps. En lisant cet essai, on comprend que le bouddhisme existentialiste de la Californie est loin d’être le seul et que le bouddhisme engagé présente une richesse dont on ne saurait se passer.
Hier à 20:57 par Mila
» Jour de ROUE important dans le calendrier Bouddhiste
Jeu 21 Nov 2024, 09:26 par Pema Gyaltshen
» Trois livres de David Michie
Dim 17 Nov 2024, 16:50 par Mila
» Les différentes approches du Mahamudra
Jeu 31 Oct 2024, 10:04 par Nangpa
» Bonjour à tous les membres et merci de m'accueillir !
Jeu 31 Oct 2024, 06:25 par heyopibe
» Bizarre, apaisant et Respiration assoiffée
Sam 26 Oct 2024, 01:39 par LeLoups
» L'utilisation de l'encens pour les morts
Ven 25 Oct 2024, 11:28 par heyopibe
» Bonjour à tous - Merci pour l'accueil
Ven 25 Oct 2024, 11:19 par heyopibe
» 4 documentaires sur le bouddhisme : Sri Lanka, Tibet, Kalou Rimpoché, Bouthan
Sam 19 Oct 2024, 08:18 par Darvel
» Prise de refuge à Beaumont
Dim 13 Oct 2024, 06:28 par Mila
» Bonjour a tous, sous un grand chêne, en creuse
Sam 05 Oct 2024, 22:24 par Ortho
» Présentation Jonathan Carribo., je devais m'inscrire à l'arbre à refuges
Ven 04 Oct 2024, 17:31 par Aurélien-relax-yoga
» Bonjour à toutes et tous !
Ven 04 Oct 2024, 17:26 par Aurélien-relax-yoga
» Présentation de Djinn, pratiquant en autonomie du dharma
Ven 04 Oct 2024, 17:24 par Aurélien-relax-yoga
» Bonjour à tous de la part de Pieru
Ven 04 Oct 2024, 17:23 par Aurélien-relax-yoga
» Dharma Appliqué: Présentation de la rubrique
Mer 02 Oct 2024, 13:34 par Nidjam
» Le maître né du lotus: THE DAKINI CODE
Dim 22 Sep 2024, 09:12 par Pema Gyaltshen
» Michel Collon – Face à Israël : Que pouvez-vous faire ?
Dim 22 Sep 2024, 09:07 par Pema Gyaltshen
» ESSAI La notion de possession
Dim 08 Sep 2024, 19:29 par Ortho
» Déterminisme: Le Choix est-il une illusion ?
Mer 21 Aoû 2024, 19:07 par Nidjam
» Canon Pali : comment reconnaître une mauvaise personne et une bonne personne au regard de l’orgueil et de l'humilité
Dim 18 Aoû 2024, 14:39 par LeLoups
» Les problèmes de la méditation de pleine conscience
Dim 18 Aoû 2024, 13:13 par LeLoups
» Tukdam : méditer jusqu’à la mort
Mer 07 Aoû 2024, 15:57 par Disciple laïc
» La petite voix ? ...................
Dim 04 Aoû 2024, 08:11 par Algo
» Bouddhisme : la loi du silence
Ven 02 Aoû 2024, 21:05 par dominique0
» On nait mis en boîte ! .....................
Ven 02 Aoû 2024, 05:55 par Algo
» Bouddha n'était pas non violent...
Ven 02 Aoû 2024, 05:38 par Algo
» Le Cercle d'Eveil 2024 Juin
Sam 08 Juin 2024, 07:34 par Pema Gyaltshen
» Amitābha: Le Grand Soutra de la Vie Infinie
Mar 14 Mai 2024, 21:22 par Disciple laïc
» Saga Dawa 2024 ( du 9 mai au 6 juin 2024 )
Ven 10 Mai 2024, 09:09 par Mila
» Bertrand Piccard, son dernier livre ( 2021 )
Lun 06 Mai 2024, 09:41 par Pema Gyaltshen
» Blessé au visage , un orang-outan se soigne avec un pansement végétal
Sam 04 Mai 2024, 20:17 par Mila
» Découvrez les Bienfaits du Bouddhisme Tibétain pour une Vie Équilibrée
Lun 29 Avr 2024, 12:52 par Puntsok Norling
» Drouptcheu de Keuntchok Tchidu
Dim 21 Avr 2024, 12:02 par Mila
» Citation de Richard Gere ( Article du journal : AuFéminin )
Ven 19 Avr 2024, 15:31 par arcane 17
» Cinquantenaire de la fondation de Palden Shangpa La Boulaye
Ven 05 Avr 2024, 19:05 par Nangpa
» Bonne Nouvelle chrétienne et Bonne Nouvelle bouddhiste
Lun 01 Avr 2024, 10:34 par Algo
» Qu’entend-on vraiment par « tout vient de l’esprit » ?
Sam 23 Mar 2024, 11:38 par Nidjam
» Bouddhisme vajrayāna : Instructions sur le Mahāmudrā
Ven 22 Mar 2024, 15:02 par Nidjam
» Méditation : Qu'est ce que l'esprit sans réfèrence ?
Ven 22 Mar 2024, 14:11 par Nidjam
» Des arbres , pour l'Arbre .
Dim 17 Mar 2024, 11:35 par Mila
» Lankavatara Sutra ----------------------------------------------------
Lun 11 Mar 2024, 13:52 par heyopibe
» Mauvaise compréhension - besoin d'explication
Ven 08 Mar 2024, 18:51 par Nidjam
» Le Discours entre un Roi et un Moine : Les Questions de Milinda
Ven 01 Mar 2024, 13:23 par Nidjam
» Le Bonheur est déjà là , par Gyalwang Drukpa Rimpoché
Jeu 29 Fév 2024, 18:39 par Nidjam
» Une pratique toute simple : visualisez que tout le monde est guéri ....
Jeu 29 Fév 2024, 18:06 par Nidjam
» Drapeaux de prière - l'aspiration à un bien-être universel
Jeu 29 Fév 2024, 17:30 par Puntsok Norling
» Initiations par H.E. Ling Rimpoché
Ven 23 Fév 2024, 08:54 par Mila
» Bonne année Dragon de Bois à toutes et à tous
Sam 10 Fév 2024, 23:02 par Karma Trindal
» Bouddhisme/-Science de l'esprit : Identité et non-identité
Ven 09 Fév 2024, 12:56 par heyopibe
» Déclaration commune concernant la réincarnation de Kunzig Shamar Rinpoché
Lun 05 Fév 2024, 12:16 par Nangpa
» Les souhaits de Maitreya , par le 12e Kenting Taï Situ Rimpoché
Lun 05 Fév 2024, 09:28 par heyopibe
» L'Interdépendance selon les enseignements du Lamrim
Lun 05 Fév 2024, 09:27 par heyopibe
» Qu'est-ce que l'essence de la voie du Dharma ?
Mar 09 Jan 2024, 19:52 par Puntsok Norling
» Quelles sont les règles respectées dans les temples bouddhistes tibétain
Ven 05 Jan 2024, 10:48 par Nangpa
» Toute l'équipe de L'Arbre des Refuges vous souhaite ses Meilleurs Voeux pour 2024!
Mer 03 Jan 2024, 12:14 par Nutts
» Le Singe
Sam 30 Déc 2023, 21:38 par Karma Trindal
» Le Buffle
Ven 29 Déc 2023, 23:24 par petit_caillou
» Le Tigre
Ven 29 Déc 2023, 23:21 par petit_caillou
» Le Lapin (ou Chat)
Ven 29 Déc 2023, 23:18 par petit_caillou
» Le Coq
Ven 29 Déc 2023, 23:15 par petit_caillou
» La Chèvre (ou Mouton)
Ven 29 Déc 2023, 23:12 par petit_caillou
» Le Dragon
Lun 25 Déc 2023, 14:14 par petit_caillou
» Le Serpent
Lun 25 Déc 2023, 14:09 par petit_caillou
» Le Cochon
Lun 25 Déc 2023, 13:59 par petit_caillou
» L'année du Dragon de bois 2024
Sam 23 Déc 2023, 00:04 par petit_caillou
» Le Cheval
Ven 22 Déc 2023, 23:59 par petit_caillou
» Le Chien
Ven 22 Déc 2023, 23:54 par petit_caillou
» Le Rat
Ven 22 Déc 2023, 23:48 par petit_caillou
» L'Eco Dharma .................................................
Lun 27 Nov 2023, 15:28 par heyopibe
» Shantideva: Bodhicaryâvatâra
Sam 11 Nov 2023, 16:25 par Admin
» J'irai dormir chez vous (émission TV)
Ven 10 Nov 2023, 19:35 par Disciple laïc
» Le Bonheur National Brut
Jeu 09 Nov 2023, 11:34 par heyopibe
» Le champ d'application ...................................
Jeu 09 Nov 2023, 11:02 par heyopibe
» Les Quatre Nobles Vérités -------------------------------------
Mer 08 Nov 2023, 11:40 par heyopibe