Christophe André : Vivre en pleine conscience
Christophe André pratique la méditation depuis des années. Il l’utilise aussi pour soigner, en proposant à ses patients des groupes de méditation pour leur apprendre à se libérer de leurs souffrances. Dans un monde où tout va toujours plus vite, où l’on est sans cesse sollicité, stimulé, il nous apprend, à ralentir, à nous reconnecter à nous-mêmes. A vivre en pleine conscience. Entretien.
Laurence Ravier : Qu’est-ce que vivre en pleine conscience ?
Christophe André : C’est prendre le temps de s’arrêter de faire, pour être. Nous vivons dans un monde où nous sommes sans cesse en train de courir. Et de faire : notre travail, nos courses, les devoirs avec nos enfants, le ménage, le rangement, écrire nos mails…
Un monde dans lequel nous sommes l’objet d’une très grande pression. Si nous ne prenons pas garde à nous créer des espaces protégés, privilégiés, nous allons nous transformer en machines à faire. La vie en pleine conscience, c’est tout simplement ces moments où l’on s’arrête. Où l’on prend le temps de respirer et de s’apercevoir que l’on est en vie, dans un monde passionnant. Bien sûr qu’il est important d’agir. Mais sans oublier le pourquoi. L’idée de la pleine conscience, c’est tout simplement de se rendre plus présent à sa propre vie.
Comment fait-on ?
Christophe André : C’est tout à la fois très simple et très exigeant. Le principe est d’observer une pause avant d’enchaîner sur une nouvelle action. Un médecin peut, par exemple, prendre le temps de respirer entre deux consultations, de regarder le ciel, de laisser décanter ce qu’il vient de vivre avec son patient, de donner de l’espace à ce qui existe en lui. L’idée est de donner de la place à son ressenti. Si l’on prend l’habitude de faire ces pauses très régulièrement dans la journée, insensiblement, notre rythme va changer
S’arrêter, c’est s’isoler, respirer, fermer les yeux ?
Christophe André : C’est vrai que l’on sait de moins en moins ne rien faire ! Souvent, quand les gens prennent une pause à leur travail, ils n’observent pas de vraies coupures : ils font juste autre chose. Envoient un SMS, passent un coup de téléphone, consultent leurs mails, se baladent sur Facebook… Ils vont donc fatiguer leur cerveau différemment. Mais surtout, ils ne sont pas en lien avec eux-mêmes. Ils sont en lien avec leur réseau social, avec leur image sociale. Mais pas avec leur personne intime.
Alors comment se reconnecter ? Pour celui ou celle qui travaille dans un open space par exemple, ce n’est pas forcément facile de s’arrêter, de respirer, voire de s’allonger ! Mais il n’est pas non plus impossible de lâcher son ordinateur des yeux, de se tourner un peu, de regarder par la fenêtre et de prendre le temps de dix cycles respiratoires. Pour ressentir son souffle.
Dans une salle d’attente, laissez votre téléphone où il est. Profitez de ce moment pour prendre conscience de votre respiration, de votre corps. Observez les pensées qui vous traversent l’esprit. Pareil dans les files d’attente de supermarchés : au lieu de surveiller l’avancée de la queue ou de s’agacer, pourquoi ne pas savourer ce temps qui vous est offert en essayant de l’habiter du mieux possible ?
Il faut donc apprendre à s’arrêter fréquemment dans ce que l’on est en train de faire ?
Christophe André : C’est la première étape. Une fois accoutumé à ces instants de pleine conscience, on peut aussi la pratiquer au sein même d’une activité. Lors d’une tâche un peu répétitive, comme ranger ou faire la vaisselle… Très souvent, dans ces moments, nos pensées n’accompagnent pas cette action : nous rêvons à autre chose, nous nous repassons une discussion de boulot, une dispute avec son conjoint… Pourquoi pas.
Mais il est aussi bénéfique de se rendre présent à son activité. Et là, on n’est plus à s’arrêter de faire, on est dans habiter ce que l’on fait. Si je marche, je marche. Si je mange, je mange. C’est ce qu’enseignent par exemple de nombreuses écoles de bouddhisme. Et mine de rien, cela a un effet positif sur notre cerveau et notre état physiologique : récemment, des chercheurs ont installé des bipers sur les portables de plusieurs milliers de personnes.
Ces bipers sonnaient plus d’une dizaine de fois par jour. A chaque fois, les personnes devaient décrire ce qu’elles étaient en train de faire et si elles étaient présentes à ce qu’elles faisaient. Et bien une corrélation entre le niveau de bien-être des gens et la qualité de présence qu’ils apportaient à leurs relations a clairement été démontrée. Comme si cette présence à nos actions, opposée à la dispersion, était un puissant facteur de bien-être intérieur.
Se reconnecter à son intériorité nous fait peut-être peur… Pourquoi ?
Christophe André : Il est vrai que notre mode de vie actuel nous incite plutôt à vivre à l’extérieur de nous-mêmes, à nous identifier aux autres, à nous exprimer aux autres, à être sans cesse en quête de leur approbation. Nos moments de recueillement sont en voie d’extinction. Cela finit par appauvrir le rapport que nous avons à nous-même.
Et puis il est souvent plus facile d’agir que de se poser et de réfléchir à soi. J’ai souvent le sentiment, en recevant mes patients en psychothérapie, que le seul moment de la semaine où ils prennent du temps pour réfléchir sur eux, c’est quand ils viennent me voir. Sinon, ils courent. Sans arrêt. Et quand ils ne courent pas, ils se changent les idées. Du coup, entre action et distraction, les espaces de ressentis sont quasiment absents.
Or, trois nourritures sont indispensables à notre esprit : la lenteur, le calme et la continuité. Trois formes de ressourcements de plus en plus rares. D’où l’engouement actuel pour la méditation qui répond à un vrai besoin. Essayez d’ailleurs, jour après jour, de travailler ce petit exercice : restez au repos pendant 10 ou 15 minutes. Et faites le vide dans votre esprit.
La pleine conscience peut devenir une habitude de vie ?
Christophe André : Pratiquer la pleine conscience, c’est comme pratiquer une activité physique : c’est bon pour l’esprit, le corps et c’est nécessaire dans notre mode de vie. Elle nous permet une forme d’écologie personnelle, une dépollution intérieure. Il est nécessaire de s’exercer régulièrement. Cela prend du temps de tomber sur le vide auquel on aspire, de sortir d’une séance apaisé. C’est un apprentissage, comme le footing ou apprendre à jouer du piano.
Cela peut aussi nous aider dans des temps d’épreuves ?
Christophe André : Oui. Ce que permet la pleine conscience, c’est de désobéir à son pilote automatique et de cultiver une autre façon de réagir. Pour renforcer cela, il faut s’entraîner à vivre l’instant présent, pas uniquement quand les choses sont agréables, mais aussi lors de petites contrariétés.
S’interroger sur l’état dans lequel cette contrariété nous met, sur notre envie de réagir. On donne de l’espace à la souffrance au lieu de la chasser ou la contenir. Plus on le fait, plus on va muscler sa capacité à répondre différemment aux moments de détresse. Et à ce moment-là, la pleine conscience permet de faire un choix. Qui peut être celui de l’acceptation. Je ne parle pas de soumission, mais de la capacité à se dire : OK c’est ainsi. Qu’est-ce que je peux faire avec cela ? Et prendre le temps de décider.
Dans votre livre, vous expliquez que la pleine conscience a bouleversé votre vie. Comment ?
Christophe André : En tant que psychothérapeute, j’ai été transformé par les thérapies comportementales que j’ai pratiquées tout au long de ma vie. J’étais un grand timide qui n’osait pas s’affirmer ! Mais les approches méditatives m’ont appris une autre façon d’entrer en contact avec ma fragilité émotionnelle afin de ne plus être dans le contrôle. J’aspirais à plus de sérénité intérieure, un état plus doux et profond.
Et la méditation a été pour cela une incroyable découverte. Je pouvais progresser en acceptant les choses pour ce qu’elles sont et en m’organisant à partir de ce constat. Cela correspondait à l’époque où je suis devenu père. La parentalité a été pour moi, un événement encore plus transformant que la vie de couple ! Cela m’a fait prendre conscience de deux choses essentielles : la notion d’exemplarité – je ne pouvais pas transmettre à mes filles le goût du bonheur si je n’étais pas moi-même fondamentalement heureux. Et l’importance de profiter du moment présent. La pleine conscience m’a aidé à vivre cette aventure de la parentalité de façon plus heureuse, plus savoureuse, en me disant sans cesse : je fais de mon mieux.
Christophe André pratique la méditation depuis des années. Il l’utilise aussi pour soigner, en proposant à ses patients des groupes de méditation pour leur apprendre à se libérer de leurs souffrances. Dans un monde où tout va toujours plus vite, où l’on est sans cesse sollicité, stimulé, il nous apprend, à ralentir, à nous reconnecter à nous-mêmes. A vivre en pleine conscience. Entretien.
Laurence Ravier : Qu’est-ce que vivre en pleine conscience ?
Christophe André : C’est prendre le temps de s’arrêter de faire, pour être. Nous vivons dans un monde où nous sommes sans cesse en train de courir. Et de faire : notre travail, nos courses, les devoirs avec nos enfants, le ménage, le rangement, écrire nos mails…
Un monde dans lequel nous sommes l’objet d’une très grande pression. Si nous ne prenons pas garde à nous créer des espaces protégés, privilégiés, nous allons nous transformer en machines à faire. La vie en pleine conscience, c’est tout simplement ces moments où l’on s’arrête. Où l’on prend le temps de respirer et de s’apercevoir que l’on est en vie, dans un monde passionnant. Bien sûr qu’il est important d’agir. Mais sans oublier le pourquoi. L’idée de la pleine conscience, c’est tout simplement de se rendre plus présent à sa propre vie.
Comment fait-on ?
Christophe André : C’est tout à la fois très simple et très exigeant. Le principe est d’observer une pause avant d’enchaîner sur une nouvelle action. Un médecin peut, par exemple, prendre le temps de respirer entre deux consultations, de regarder le ciel, de laisser décanter ce qu’il vient de vivre avec son patient, de donner de l’espace à ce qui existe en lui. L’idée est de donner de la place à son ressenti. Si l’on prend l’habitude de faire ces pauses très régulièrement dans la journée, insensiblement, notre rythme va changer
S’arrêter, c’est s’isoler, respirer, fermer les yeux ?
Christophe André : C’est vrai que l’on sait de moins en moins ne rien faire ! Souvent, quand les gens prennent une pause à leur travail, ils n’observent pas de vraies coupures : ils font juste autre chose. Envoient un SMS, passent un coup de téléphone, consultent leurs mails, se baladent sur Facebook… Ils vont donc fatiguer leur cerveau différemment. Mais surtout, ils ne sont pas en lien avec eux-mêmes. Ils sont en lien avec leur réseau social, avec leur image sociale. Mais pas avec leur personne intime.
Alors comment se reconnecter ? Pour celui ou celle qui travaille dans un open space par exemple, ce n’est pas forcément facile de s’arrêter, de respirer, voire de s’allonger ! Mais il n’est pas non plus impossible de lâcher son ordinateur des yeux, de se tourner un peu, de regarder par la fenêtre et de prendre le temps de dix cycles respiratoires. Pour ressentir son souffle.
Dans une salle d’attente, laissez votre téléphone où il est. Profitez de ce moment pour prendre conscience de votre respiration, de votre corps. Observez les pensées qui vous traversent l’esprit. Pareil dans les files d’attente de supermarchés : au lieu de surveiller l’avancée de la queue ou de s’agacer, pourquoi ne pas savourer ce temps qui vous est offert en essayant de l’habiter du mieux possible ?
Il faut donc apprendre à s’arrêter fréquemment dans ce que l’on est en train de faire ?
Christophe André : C’est la première étape. Une fois accoutumé à ces instants de pleine conscience, on peut aussi la pratiquer au sein même d’une activité. Lors d’une tâche un peu répétitive, comme ranger ou faire la vaisselle… Très souvent, dans ces moments, nos pensées n’accompagnent pas cette action : nous rêvons à autre chose, nous nous repassons une discussion de boulot, une dispute avec son conjoint… Pourquoi pas.
Mais il est aussi bénéfique de se rendre présent à son activité. Et là, on n’est plus à s’arrêter de faire, on est dans habiter ce que l’on fait. Si je marche, je marche. Si je mange, je mange. C’est ce qu’enseignent par exemple de nombreuses écoles de bouddhisme. Et mine de rien, cela a un effet positif sur notre cerveau et notre état physiologique : récemment, des chercheurs ont installé des bipers sur les portables de plusieurs milliers de personnes.
Ces bipers sonnaient plus d’une dizaine de fois par jour. A chaque fois, les personnes devaient décrire ce qu’elles étaient en train de faire et si elles étaient présentes à ce qu’elles faisaient. Et bien une corrélation entre le niveau de bien-être des gens et la qualité de présence qu’ils apportaient à leurs relations a clairement été démontrée. Comme si cette présence à nos actions, opposée à la dispersion, était un puissant facteur de bien-être intérieur.
Se reconnecter à son intériorité nous fait peut-être peur… Pourquoi ?
Christophe André : Il est vrai que notre mode de vie actuel nous incite plutôt à vivre à l’extérieur de nous-mêmes, à nous identifier aux autres, à nous exprimer aux autres, à être sans cesse en quête de leur approbation. Nos moments de recueillement sont en voie d’extinction. Cela finit par appauvrir le rapport que nous avons à nous-même.
Et puis il est souvent plus facile d’agir que de se poser et de réfléchir à soi. J’ai souvent le sentiment, en recevant mes patients en psychothérapie, que le seul moment de la semaine où ils prennent du temps pour réfléchir sur eux, c’est quand ils viennent me voir. Sinon, ils courent. Sans arrêt. Et quand ils ne courent pas, ils se changent les idées. Du coup, entre action et distraction, les espaces de ressentis sont quasiment absents.
Or, trois nourritures sont indispensables à notre esprit : la lenteur, le calme et la continuité. Trois formes de ressourcements de plus en plus rares. D’où l’engouement actuel pour la méditation qui répond à un vrai besoin. Essayez d’ailleurs, jour après jour, de travailler ce petit exercice : restez au repos pendant 10 ou 15 minutes. Et faites le vide dans votre esprit.
La pleine conscience peut devenir une habitude de vie ?
Christophe André : Pratiquer la pleine conscience, c’est comme pratiquer une activité physique : c’est bon pour l’esprit, le corps et c’est nécessaire dans notre mode de vie. Elle nous permet une forme d’écologie personnelle, une dépollution intérieure. Il est nécessaire de s’exercer régulièrement. Cela prend du temps de tomber sur le vide auquel on aspire, de sortir d’une séance apaisé. C’est un apprentissage, comme le footing ou apprendre à jouer du piano.
Cela peut aussi nous aider dans des temps d’épreuves ?
Christophe André : Oui. Ce que permet la pleine conscience, c’est de désobéir à son pilote automatique et de cultiver une autre façon de réagir. Pour renforcer cela, il faut s’entraîner à vivre l’instant présent, pas uniquement quand les choses sont agréables, mais aussi lors de petites contrariétés.
S’interroger sur l’état dans lequel cette contrariété nous met, sur notre envie de réagir. On donne de l’espace à la souffrance au lieu de la chasser ou la contenir. Plus on le fait, plus on va muscler sa capacité à répondre différemment aux moments de détresse. Et à ce moment-là, la pleine conscience permet de faire un choix. Qui peut être celui de l’acceptation. Je ne parle pas de soumission, mais de la capacité à se dire : OK c’est ainsi. Qu’est-ce que je peux faire avec cela ? Et prendre le temps de décider.
Dans votre livre, vous expliquez que la pleine conscience a bouleversé votre vie. Comment ?
Christophe André : En tant que psychothérapeute, j’ai été transformé par les thérapies comportementales que j’ai pratiquées tout au long de ma vie. J’étais un grand timide qui n’osait pas s’affirmer ! Mais les approches méditatives m’ont appris une autre façon d’entrer en contact avec ma fragilité émotionnelle afin de ne plus être dans le contrôle. J’aspirais à plus de sérénité intérieure, un état plus doux et profond.
Et la méditation a été pour cela une incroyable découverte. Je pouvais progresser en acceptant les choses pour ce qu’elles sont et en m’organisant à partir de ce constat. Cela correspondait à l’époque où je suis devenu père. La parentalité a été pour moi, un événement encore plus transformant que la vie de couple ! Cela m’a fait prendre conscience de deux choses essentielles : la notion d’exemplarité – je ne pouvais pas transmettre à mes filles le goût du bonheur si je n’étais pas moi-même fondamentalement heureux. Et l’importance de profiter du moment présent. La pleine conscience m’a aidé à vivre cette aventure de la parentalité de façon plus heureuse, plus savoureuse, en me disant sans cesse : je fais de mon mieux.
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