Risquer la Liberté- Fabrice Midal
Santé Yoga : Pourquoi à votre avis tant de gens se plaignent-ils aujourd’hui d’aller mal ?
Fabrice Midal : Parce que la plupart pense que ce malaise vient de problèmes sociaux ou psychologiques et cherche dans cette direction la solution à ce malaise qui les étreint. Et si le problème majeur qui nous rend la vie impossible était la légende du monde mort ? Cette légende nous fait croire que ce monde est mort, qu’un arbre, par exemple, n’est pas ce qui relie le ciel et la terre mais ce qui produit une certaine quantité de CO2, que l’on peut gérer, abattre, replanter à volonté parce qu’il est forcément semblable à un autre. Les êtres humains sont de plus en plus « gérés », organisés, sans que rien de leur être ne soit écouté. Notre monde n’est plus que technique, sans le moindre égard pour la poésie dont tout le monde se moque.
S.Y. : La poésie, qu’entendez-vous par là ?
F.M. : Loin de cette idéologie qui nous conduit à ne considérer que ce qui est utile, la poésie est la sauvegarde de l’inutile. Mais l’amitié, l’amour, la vérité, ce qui donne du sens, est tout à fait aussi inutile dans cette perspective crispée de l’efficacité. La question est simple : l’être humain est-il d’abord un producteur-consommateur ? Ou bien le secret de son être serait plus ample et plus profond ? Ce que nous permet de découvrir le yoga et la méditation.
S.Y. : Est-ce que toutes les formes de yoga et de méditation peuvent fonctionner ?
F.M. : Lorsqu’ils sont utilisés pour nous rendre plus efficaces et nous permettre de nous barricader, ce sont des formes de consumérisme spirituel. Ce sont d’abord et avant tout des produits. Or, ce dont nous avons besoin, c’est d’entrer dans la réalité, d’affronter les dragons.
S.Y. : Selon vous qu’est-ce qu’est et n’est pas la méditation ?
F.M. : J’ai commencé à pratiquer avec Francisco Varela, spécialiste des sciences cognitives et grand ami du Dalaï Lama avec qui il a fondé « Mind and life », dont le propos est de travailler sur la relation entre bouddhisme et science.
Contrairement à ce que l’on croit, la méditation ne consiste pas à faire le vide et à être comme une grenouille la bouche ouverte mais, pour reprendre l’expression d’Artaud à « ameuter la vie ». Le Bouddha a vite compris que toute forme de gymnastique mentale conduisait à une impasse et que seule l’intelligence claire (prajna), l’intuition vive, pouvaient nous libérer. Le chemin a plus à voir avec un mouvement radical de détente, un renoncement, une ouverture, qu’avec une domination supérieure. Il s’agit d’abandonner ses masques, et non d’en fabriquer de plus beaux. L’un des moyens de la méditation consiste à développer une forme d’attention très amplement ouverte qui nous conduit à toucher chaque expérience telle qu’elle est sans la manipuler.
Rester fidèle implique de prendre le risque de la liberté
S.Y. : Pouvez-vous nous dire quelques mots de la posture ?
F.M. : Elle est cruciale puisque le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Le dos est droit, la poitrine ouverte, ce qui est une façon de joindre la solidité du courage et la vulnérabilité assumée.
S.Y. : Comment avez-vous écrit ce livre ?
F.M. : Il est né d’une crise personnelle. Je me sentais enfermé dans un bouddhisme que je trouvais devenu doctrinal. J’avais l’impression que quelque chose était joué et répété. Je perdais l’esprit du débutant, plein d’une extrême urgence et d’un grand enthousiasme. Un soir, en rentrant chez moi, j’ai entendu du Shubert et ce que ce morceau a provoqué chez moi m’a donné la sensation d’avoir trahi. Ce fut un moment très douloureux. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il y a un risque à prendre et qu’inconsciemment, nous tendons toujours à transformer la voie en autoroute.
S.Y. : Comment éviter cet écueil ?
F.M. : Le chemin, nous en sommes tout autant l’arpenteur, que le bâtisseur, et le voyageur. Nous avons chacun à inventer notre propre chemin. Ce livre est le récit de « Comment sauver la tradition ». Rester fidèle implique de prendre le risque de la liberté.
S.Y. : Quel est le grand défi ?
F.M. : Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain mais sauver le bébé. La Tradition œuvre jusqu’au bout dans la transformation, nous permet de toucher à la vraie joie, de se guérir. C’est au nom de cette exigence qu’il faut être honnête sur notre propre expérience, fut-ce dans le rôle du parfait pratiquant. Là où l’expert pointe son nez, l’enseignement n’est plus vivant. Il faut toujours être en rapport avec son expérience, sa fragilité, savoir où l’on en est. Il s’agit de ne pas confondre le savoir que l’on a pu acquérir avec la vérité de notre propre corps. Tout cherche à vous fixer dans un rôle. Si on l’accepte, notre aspiration véritable s’éteint. Se mettre en danger permet de voir les épreuves comme des chances pour aller plus loin.
S.Y. : C’est ce que vous avez appris de la méditation ?
F.M. : Il y a une incertitude au cœur de notre existence. Nous ne savons pas entièrement qui nous sommes, tout peut arriver. Plus nous fuyons et plus nous nous enfermons dans une forteresse d’acier. Il n’y a qu’en nous abandonnant à elle que la vie peut rayonner. Voilà la leçon que j’ai apprise de la méditation.
S.Y. : Quel était votre but lorsque vous avez fondé « Prajna & Philia » ?
F.M. : Etablir un bouddhisme pour l’Occident. Prajna, c’est l’intelligence non conceptuelle, directe, celle qui voit par delà l’accrochement passionnel, l’agression, et l’ignorance ; Philia, c’est l’amitié au sens le plus ample du terme. Ma conviction a été qu’il fallait d’abord transmettre de la manière la plus rigoureuse la pratique de la méditation mais délestée d’un cadre trop religieux ou trop exotique. Il était important que la méditation ne soit pas un élément étranger, oriental, faisant de nous des pseudo tibétains, mais qu’elle nous aide à mieux comprendre la parole vivante des poètes qui, pour les plus grands d’entre eux, ne cesse de nous montrer ce chemin dans la nudité heureuse du cœur.
S.Y. : Que faites-vous concrètement ?
F.M. : Des soirées et des séminaires uniques à Paris et à Genève, chaque fois sur des thèmes différents. La pratique est suivie d’un enseignement sur les grands principes de la Tradition bouddhique et aussi sur des poètes, tels Rilke, Tsvetaieva, et des philosophes comme Simone Weil, Heidegger…
Santé Yoga : Pourquoi à votre avis tant de gens se plaignent-ils aujourd’hui d’aller mal ?
Fabrice Midal : Parce que la plupart pense que ce malaise vient de problèmes sociaux ou psychologiques et cherche dans cette direction la solution à ce malaise qui les étreint. Et si le problème majeur qui nous rend la vie impossible était la légende du monde mort ? Cette légende nous fait croire que ce monde est mort, qu’un arbre, par exemple, n’est pas ce qui relie le ciel et la terre mais ce qui produit une certaine quantité de CO2, que l’on peut gérer, abattre, replanter à volonté parce qu’il est forcément semblable à un autre. Les êtres humains sont de plus en plus « gérés », organisés, sans que rien de leur être ne soit écouté. Notre monde n’est plus que technique, sans le moindre égard pour la poésie dont tout le monde se moque.
S.Y. : La poésie, qu’entendez-vous par là ?
F.M. : Loin de cette idéologie qui nous conduit à ne considérer que ce qui est utile, la poésie est la sauvegarde de l’inutile. Mais l’amitié, l’amour, la vérité, ce qui donne du sens, est tout à fait aussi inutile dans cette perspective crispée de l’efficacité. La question est simple : l’être humain est-il d’abord un producteur-consommateur ? Ou bien le secret de son être serait plus ample et plus profond ? Ce que nous permet de découvrir le yoga et la méditation.
S.Y. : Est-ce que toutes les formes de yoga et de méditation peuvent fonctionner ?
F.M. : Lorsqu’ils sont utilisés pour nous rendre plus efficaces et nous permettre de nous barricader, ce sont des formes de consumérisme spirituel. Ce sont d’abord et avant tout des produits. Or, ce dont nous avons besoin, c’est d’entrer dans la réalité, d’affronter les dragons.
S.Y. : Selon vous qu’est-ce qu’est et n’est pas la méditation ?
F.M. : J’ai commencé à pratiquer avec Francisco Varela, spécialiste des sciences cognitives et grand ami du Dalaï Lama avec qui il a fondé « Mind and life », dont le propos est de travailler sur la relation entre bouddhisme et science.
Contrairement à ce que l’on croit, la méditation ne consiste pas à faire le vide et à être comme une grenouille la bouche ouverte mais, pour reprendre l’expression d’Artaud à « ameuter la vie ». Le Bouddha a vite compris que toute forme de gymnastique mentale conduisait à une impasse et que seule l’intelligence claire (prajna), l’intuition vive, pouvaient nous libérer. Le chemin a plus à voir avec un mouvement radical de détente, un renoncement, une ouverture, qu’avec une domination supérieure. Il s’agit d’abandonner ses masques, et non d’en fabriquer de plus beaux. L’un des moyens de la méditation consiste à développer une forme d’attention très amplement ouverte qui nous conduit à toucher chaque expérience telle qu’elle est sans la manipuler.
Rester fidèle implique de prendre le risque de la liberté
S.Y. : Pouvez-vous nous dire quelques mots de la posture ?
F.M. : Elle est cruciale puisque le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Le dos est droit, la poitrine ouverte, ce qui est une façon de joindre la solidité du courage et la vulnérabilité assumée.
S.Y. : Comment avez-vous écrit ce livre ?
F.M. : Il est né d’une crise personnelle. Je me sentais enfermé dans un bouddhisme que je trouvais devenu doctrinal. J’avais l’impression que quelque chose était joué et répété. Je perdais l’esprit du débutant, plein d’une extrême urgence et d’un grand enthousiasme. Un soir, en rentrant chez moi, j’ai entendu du Shubert et ce que ce morceau a provoqué chez moi m’a donné la sensation d’avoir trahi. Ce fut un moment très douloureux. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il y a un risque à prendre et qu’inconsciemment, nous tendons toujours à transformer la voie en autoroute.
S.Y. : Comment éviter cet écueil ?
F.M. : Le chemin, nous en sommes tout autant l’arpenteur, que le bâtisseur, et le voyageur. Nous avons chacun à inventer notre propre chemin. Ce livre est le récit de « Comment sauver la tradition ». Rester fidèle implique de prendre le risque de la liberté.
S.Y. : Quel est le grand défi ?
F.M. : Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain mais sauver le bébé. La Tradition œuvre jusqu’au bout dans la transformation, nous permet de toucher à la vraie joie, de se guérir. C’est au nom de cette exigence qu’il faut être honnête sur notre propre expérience, fut-ce dans le rôle du parfait pratiquant. Là où l’expert pointe son nez, l’enseignement n’est plus vivant. Il faut toujours être en rapport avec son expérience, sa fragilité, savoir où l’on en est. Il s’agit de ne pas confondre le savoir que l’on a pu acquérir avec la vérité de notre propre corps. Tout cherche à vous fixer dans un rôle. Si on l’accepte, notre aspiration véritable s’éteint. Se mettre en danger permet de voir les épreuves comme des chances pour aller plus loin.
S.Y. : C’est ce que vous avez appris de la méditation ?
F.M. : Il y a une incertitude au cœur de notre existence. Nous ne savons pas entièrement qui nous sommes, tout peut arriver. Plus nous fuyons et plus nous nous enfermons dans une forteresse d’acier. Il n’y a qu’en nous abandonnant à elle que la vie peut rayonner. Voilà la leçon que j’ai apprise de la méditation.
S.Y. : Quel était votre but lorsque vous avez fondé « Prajna & Philia » ?
F.M. : Etablir un bouddhisme pour l’Occident. Prajna, c’est l’intelligence non conceptuelle, directe, celle qui voit par delà l’accrochement passionnel, l’agression, et l’ignorance ; Philia, c’est l’amitié au sens le plus ample du terme. Ma conviction a été qu’il fallait d’abord transmettre de la manière la plus rigoureuse la pratique de la méditation mais délestée d’un cadre trop religieux ou trop exotique. Il était important que la méditation ne soit pas un élément étranger, oriental, faisant de nous des pseudo tibétains, mais qu’elle nous aide à mieux comprendre la parole vivante des poètes qui, pour les plus grands d’entre eux, ne cesse de nous montrer ce chemin dans la nudité heureuse du cœur.
S.Y. : Que faites-vous concrètement ?
F.M. : Des soirées et des séminaires uniques à Paris et à Genève, chaque fois sur des thèmes différents. La pratique est suivie d’un enseignement sur les grands principes de la Tradition bouddhique et aussi sur des poètes, tels Rilke, Tsvetaieva, et des philosophes comme Simone Weil, Heidegger…
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