LE BOUDDHISME ET L’AMOUR. Entretien avec Fabrice Midal
Question : Fabrice Midal, pourquoi écrire un livre sur l’amour lorsqu’on est, comme vous, enseignant bouddhiste ?
La tradition bouddhique dit quelque chose d’absolument inattendu par rapport à ce qu’on a l’habitude d’entendre en Occident sur ce sujet. Il vaut donc la peine d’en prendre pleinement la mesure. Lorsqu’on se confronte à la profonde méditation bouddhique sur l’amour, un doute salutaire survient : et si de l’amour, on ne savait rien ? De l’amour, on ne cesse de nous rebattre les oreilles, mais pour n’en rien dire, dans des discours désincarnés, qui ne font que nous décevoir toujours davantage. J’enseigne la médiation depuis de nombreuses années et n’ai pourtant cessé de constater que l’une des principales difficultés que rencontrent les pratiquants occidentaux est d’aimer, d’être aimé et, d’avoir un rapport ouvert et clair à l’amour. J’en viens donc à croire qu’il ne peut y avoir de véritable entente de la méditation et du chemin si on élude cette question de fond qu’est l’amour.
Que pointe le bouddhisme sous cette notion, apparemment si familière d’amour ? Nous pensons à « maitri », c'est-à-dire la bienveillance ou la bonté, à « karuna » que l’on a traduit par compassion et qui sont des notions cardinales du dharma ; mais qu’en est-il de l’amour proprement dit au sein du bouddhisme ?
Vous avez raison de relever cette notion de metta ou de maitri parce qu’il nous faut arriver à entendre l’amour dans la tonalité propre au bouddhisme et non à partir de nos idées occidentales. La tradition bouddhique envisage sous ce terme d’« amour » quelque chose de très éloigné de ce que nous comprenons immédiatement en Occident sous ce terme. Les enseignements n’abordent ainsi jamais l’amour comme une question d’ordre subjective, ou même intersubjective, c'est-à-dire comme un phénomène qui se passe exclusivement entre deux personnes. Ce n’est donc pas une question d’ordre sentimental. Elle est tellement plus vaste ! Tout le propos de mon livre est de remettre en question cette identification de l’amour à la sentimentalité — au point d’en faire une question mineure. Si bien que nous nous sentons coupé de l’ampleur de l’amour. Le taux élevé de dépressions dans les pays occidentaux en est un signe évident. Nous nous sentons séparés de notre cœur. Or l’être humain sans amour est un arbre déraciné, privé d’une des sources les plus fondamentales de vie. Sans amour, il n’y a ni espace ni sève pour croître.
Dans la perspective ouverte par le bouddhisme, l’amour est d’abord une expérience qui naît au sein de la pratique de la méditation. C’est une expérience d’ouverture et de présence qui à pour vocation à être équanime, c'est-à-dire à s’adresser à tous sans restriction. Un peu comme le soleil dont les rayons éclairent toutes directions sans en préférer aucune, l’amour ne se limite en aucun cas à quelques êtres et sa mesure n’est pas bornée à la « préférence ». Lorsque nous nous promenons dans la nature, par exemple, survient souvent une impression d’harmonie. On se sent accueilli au sein du monde ; nous y avons notre place. Il y a alors un sens de présence, de détente, d’ouverture, de chaleur. Nous n’avons plus ce sentiment d’isolement, de coupure. Nous touchons ici la vérité de l’amour d’une manière évidente et entière. Nous faisons tous l’erreur de partir de la relation amoureuse pour comprendre l’amour alors qu’il faudrait partir de l’amour pour comprendre la relation amoureuse.
Dès lors, qu’est-ce l’amour en vérité et comment nous y relier ?
Le verbe « aimer » est employé à tort et à travers. Ne dit-on pas que l’alcoolique aime l’alcool, comme le sportif le sport, l’amant son aimée, la mère son enfant… Tout est mélangé. Aussi faut-il rappeler que l’amour est l’aspiration pure et simple que celui que j’aime soit. Vouloir que l’autre soit tel qu’il est. Ainsi, hormis cette qualité de présence animée d’amour que l’on peut découvrir durant la méditation ou en se promenant dans la nature, nous pouvons découvrir que l’aspiration première du cœur humain est d’aimer. Aimer n’est donc pas le fruit d’un effort, ni même d’une résolution qu’il nous faudrait prendre Ce que nous avons à faire n’est donc pas d’aimer mais de cultiver en nous-mêmes ce mouvement naturel du cœur, de le laisser être, de lui donner droit. On peut apprendre à aimer et il existe de nombreuses pratiques bouddhiques permettant d’éveiller cette aspiration native. Je mets de plus en plus l’accent sur cet enseignement dans les séminaires que je dirige, avec des effets surprenants. Le bouddhisme contient de nombreuses pratiques pour faire naître l’amour, à le faire fleurir qui sont si rarement présentées. C’est un fait malheureux. Nous laissons si peu de place à l’amour dans nos vies parce qu’aimer comporte un risque, et demande une certaine nudité – évidemment très inconfortable. Aimer fait peur et nous préférons habituellement la sécurité. Mais c’est cela qui en fait toute la beauté.
Question : Fabrice Midal, pourquoi écrire un livre sur l’amour lorsqu’on est, comme vous, enseignant bouddhiste ?
La tradition bouddhique dit quelque chose d’absolument inattendu par rapport à ce qu’on a l’habitude d’entendre en Occident sur ce sujet. Il vaut donc la peine d’en prendre pleinement la mesure. Lorsqu’on se confronte à la profonde méditation bouddhique sur l’amour, un doute salutaire survient : et si de l’amour, on ne savait rien ? De l’amour, on ne cesse de nous rebattre les oreilles, mais pour n’en rien dire, dans des discours désincarnés, qui ne font que nous décevoir toujours davantage. J’enseigne la médiation depuis de nombreuses années et n’ai pourtant cessé de constater que l’une des principales difficultés que rencontrent les pratiquants occidentaux est d’aimer, d’être aimé et, d’avoir un rapport ouvert et clair à l’amour. J’en viens donc à croire qu’il ne peut y avoir de véritable entente de la méditation et du chemin si on élude cette question de fond qu’est l’amour.
Que pointe le bouddhisme sous cette notion, apparemment si familière d’amour ? Nous pensons à « maitri », c'est-à-dire la bienveillance ou la bonté, à « karuna » que l’on a traduit par compassion et qui sont des notions cardinales du dharma ; mais qu’en est-il de l’amour proprement dit au sein du bouddhisme ?
Vous avez raison de relever cette notion de metta ou de maitri parce qu’il nous faut arriver à entendre l’amour dans la tonalité propre au bouddhisme et non à partir de nos idées occidentales. La tradition bouddhique envisage sous ce terme d’« amour » quelque chose de très éloigné de ce que nous comprenons immédiatement en Occident sous ce terme. Les enseignements n’abordent ainsi jamais l’amour comme une question d’ordre subjective, ou même intersubjective, c'est-à-dire comme un phénomène qui se passe exclusivement entre deux personnes. Ce n’est donc pas une question d’ordre sentimental. Elle est tellement plus vaste ! Tout le propos de mon livre est de remettre en question cette identification de l’amour à la sentimentalité — au point d’en faire une question mineure. Si bien que nous nous sentons coupé de l’ampleur de l’amour. Le taux élevé de dépressions dans les pays occidentaux en est un signe évident. Nous nous sentons séparés de notre cœur. Or l’être humain sans amour est un arbre déraciné, privé d’une des sources les plus fondamentales de vie. Sans amour, il n’y a ni espace ni sève pour croître.
Dans la perspective ouverte par le bouddhisme, l’amour est d’abord une expérience qui naît au sein de la pratique de la méditation. C’est une expérience d’ouverture et de présence qui à pour vocation à être équanime, c'est-à-dire à s’adresser à tous sans restriction. Un peu comme le soleil dont les rayons éclairent toutes directions sans en préférer aucune, l’amour ne se limite en aucun cas à quelques êtres et sa mesure n’est pas bornée à la « préférence ». Lorsque nous nous promenons dans la nature, par exemple, survient souvent une impression d’harmonie. On se sent accueilli au sein du monde ; nous y avons notre place. Il y a alors un sens de présence, de détente, d’ouverture, de chaleur. Nous n’avons plus ce sentiment d’isolement, de coupure. Nous touchons ici la vérité de l’amour d’une manière évidente et entière. Nous faisons tous l’erreur de partir de la relation amoureuse pour comprendre l’amour alors qu’il faudrait partir de l’amour pour comprendre la relation amoureuse.
Dès lors, qu’est-ce l’amour en vérité et comment nous y relier ?
Le verbe « aimer » est employé à tort et à travers. Ne dit-on pas que l’alcoolique aime l’alcool, comme le sportif le sport, l’amant son aimée, la mère son enfant… Tout est mélangé. Aussi faut-il rappeler que l’amour est l’aspiration pure et simple que celui que j’aime soit. Vouloir que l’autre soit tel qu’il est. Ainsi, hormis cette qualité de présence animée d’amour que l’on peut découvrir durant la méditation ou en se promenant dans la nature, nous pouvons découvrir que l’aspiration première du cœur humain est d’aimer. Aimer n’est donc pas le fruit d’un effort, ni même d’une résolution qu’il nous faudrait prendre Ce que nous avons à faire n’est donc pas d’aimer mais de cultiver en nous-mêmes ce mouvement naturel du cœur, de le laisser être, de lui donner droit. On peut apprendre à aimer et il existe de nombreuses pratiques bouddhiques permettant d’éveiller cette aspiration native. Je mets de plus en plus l’accent sur cet enseignement dans les séminaires que je dirige, avec des effets surprenants. Le bouddhisme contient de nombreuses pratiques pour faire naître l’amour, à le faire fleurir qui sont si rarement présentées. C’est un fait malheureux. Nous laissons si peu de place à l’amour dans nos vies parce qu’aimer comporte un risque, et demande une certaine nudité – évidemment très inconfortable. Aimer fait peur et nous préférons habituellement la sécurité. Mais c’est cela qui en fait toute la beauté.
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