Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard
HEP TAXI : Matthieu Ricard
A Katmandou, s’il vous plaît !
Jérôme : Et voilà ! Dites-moi.
Matthieu Ricard : Alors, à Katmandou svp.
Jérôme : A Katmandou ? Très bien, c’est par là.
Matthieu Ricard : Oui, c’est par là.
Jérôme : Oui, je vais reculer, c’est à gauche, il faut que je fasse un U-turn pour aller à Katmandou.
Matthieu Ricard : Eh bien, vous savez, quand on est au Tibet, en plein milieux des Hauts-Plateaux, des fois on voit à un croisement, il est marqué Pékin 4750 kms.
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Jérôme : C’est vrai ?
Matthieu Ricard : Oui, ils n’ont pas peur.
Jérôme : Katmandou.
Matthieu Ricard : L’Himalaya.
Jérôme : C’est pas rien ça.
Matthieu Ricard : Presque ½ siècle maintenant.
Jérôme : Que vous y êtes.
Matthieu Ricard : Ben, entre Darjeeling, le Bhoutan, le Népal, le Tibet, le Nord de l’Inde, c’est une vie.
Jérôme : Quand on est né à Aix-les-Bains c’est sûr, c’est exotique.
Matthieu Ricard : Oui, il y avait un peu de montagnes. Je suis un montagnard d’origine bretonne.
Jérôme : Oui c’est ça, c’est très improbable.
Matthieu Ricard : Parce que culturellement, bon mon père était du Jura, mais toute la famille de ma mère c’était des Bretons bretonnant, le frère de ma mère était Jacques-Yves Le Toumelin, il avait fait un tour du monde en solitaire sur un bateau à voile de 10 mètres de long, sans moteur.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : Pendant 3 ans, entre 1949 et 1952.
Jérôme : Ça va, vous aviez le voyage dans les veines.
Matthieu Ricard : Il a écrit un livre qui s’appelle « Kurun autour du monde », qui racontait ses pérégrinations autour du monde.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : Donc on avait un peu l’esprit d’exploration déjà dans la famille. Mon grand-père commandait un 3 mâts à voiles, le Commandant Le Toumelin. C’était les derniers de la marine à voiles.
Jérôme : Ça va, vous aviez le voyage…
Matthieu Ricard : Je suis passé dans les montagnes.
Jérôme : C’est ça, mais le voyage était dans les veines.
Matthieu Ricard : Le voyage est dans les veines, voilà.
Ça vous a fait quoi la première fois que vous êtes arrivé au Népal ?
Matthieu Ricard : En fait le premier voyage que j’ai fait en 1967, j’avais 20 ans, j’étais comme tout adolescent qui ne savait pas trop ce qu’il voulait dans la vie, je savais ce que je ne voulais pas mais je ne savais pas ce que je voulais, en gros…
Jérôme : Comme tout le monde, hein.
Matthieu Ricard : C’est déjà un bon départ. Donc, j’avais fait des études scientifiques, je m’apprêtais à entrer à l’Institut Pasteur pour faire une thèse en génétique cellulaire, j’avais eu la chance d’être admis dans le laboratoire du Professeur Jacob, un prix Nobel français, donc j’étais bien parti, si on peut dire, et puis voilà j’avais le goût de l’aventure, j’étais ornithologue, j’aimais la nature, et puis je m’intéressais à la spiritualité, enfin comme on s’intéresse à la spiritualité en lisant des livres, mais je n’avais pas eu de contact vivant avec
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une tradition vivante, une transmission, etc… Et j’ai vu, alors à l’époque il y avait une seule chaîne de télévision en France, hein, ça remonte à… ça ne fait pas si longtemps que ça, 1967, l’ORTF, et il y avait un ami de ma famille qui s’appelait Arnaud Desjardins, qui est mort récemment, qui avait fait une série de documentaires, il y avait 4 heures, diffusés à la télévision française, sur tous les grands Maîtres tibétains qui avaient fui l’invasion communiste chinoise du Tibet. Donc, ils s’étaient réfugiés sur tous les versants de l’Himalaya, depuis le Bhoutan jusque presque au Cachemire. Et là, vous aviez un ensemble d’êtres tout à fait hors du combat, des Sages, des hommes, des femmes, un peu comme s’il y avait 20 Socrate, 20 François d’Assise vivants, à l’heure actuelle. Quand j’ai vu ça, je me suis dit « c’est trop bien, je vais aller voir ce qu’il se passe ». Je parlais à peine anglais, mon père avait eu l’intelligente idée de me faire apprendre l’allemand, le grec et le latin, ce qui ne m’a pas beaucoup servi par la suite, j’ai un peu oublié l’allemand, ça m’aurait servi si je l’avais gardé en mémoire, il m’a dit tu apprendras toujours l’anglais plus tard, sauf que quand je suis parti en Inde, mon anglais était vraiment primitif. Maintenant, je le parle couramment. Donc voilà, tant bien que mal je suis arrivé à Darjeeling, une petite ville au Sud de Sikkim, dans le Nord, au Bengale, en Inde, et là il y avait un certain nombre de grands Maîtres tibétains qui avaient atterri là en fuyant le Tibet. Je les ai rencontrés, je suis resté 2, 3 mois, j’ai été profondément inspiré par leur manière d’être, leur qualité d’être. Si vous voulez des fois, et moi j’ai eu de la chance d’entendre, adolescent, j’ai rencontré des gens formidables, d’abord dans le monde de la science, puisque j’étais dans un labo, il y avait 3 Prix Nobel, plein de gens qui venaient les voir, mon père, intellectuel parisien…
Jérôme : Votre père, un très grand philosophe.
Matthieu Ricard : Jean-François Revel. Philosophe, journaliste, etc…
Jérôme : Jean-François Revel.
Matthieu Ricard : Ma mère, Yahne le Toumelin, qui a 91 ans maintenant, peintre, qui était réputée à l’époque, après elle est partie en Himalaya aussi, ça a porté un peu ombrage à sa carrière, mais elle était amie avec tous les grands peintres de l’époque, et maintenant, Pierre Soulages, surréaliste, André Breton, etc… Mon oncle explorateur. Donc, si vous voulez, j’ai rencontré plein de gens formidables, et en même temps, c’était un peu déconcertant pour un jeune homme de 15, 16 ans, ou après 20 ans, parce que si vous voulez, on avait envie de je ne sais pas, de maîtriser la littérature, la poésie, les mathématiques, comme untel ou untel, ou de jouer du piano comme un autre, mais si vous voulez, il y avait quelque chose qui était bizarre c’est qu’il n’y avait pas de corrélation, de correspondance évidente entre un génie particulier, comme de jouer du piano, et être un bon être humain. Vous aviez aussi bien des gens formidables que des gens vraiment difficiles à supporter, et c’était la même distribution… je ne sais pas, si vous prenez 100 jardiniers, 100 professeurs d’université, 100 mathématiciens, vous avez à peu près la même distribution de gens super sympathiques et de personnes qui sont vraiment difficiles à supporter. Donc, c’était un peu déconcertant parce qu’on se dit « bon, est-ce que je veux apprendre ce qu’ils savent ou devenir comme eux ? ».
En général, ça ne vous dit pas toujours de devenir comme eux. Et quand j’ai rencontré ces Sages, encore une fois, hommes et femmes, dans l’Himalaya, là c’était tout le contraire. En fait ce qu’ils savaient, j’en n’avais pas trop d’idées, c’était des grands érudits au nom du bouddhisme, n’importe quoi finalement, c’est pas ça qui m’intéressait, c’était la qualité de la
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personne. Vous voyez, le Dalaï-lama, peut-être avez-vous eu l’opportunité, je ne sais pas, d’être en sa présence, d’assister à une conférence publique…
Jérôme : Jamais !
Matthieu Ricard : Généralement, les gens qui ont été quelques minutes à côté du Dalaï-lama sont impressionnés par ce qu’il est. Ils arrivent souvent un peu fiers d’eux-mêmes et ils ressortent très souvent très émus, ça fait venir le meilleur de vous-même à la surface. On a envie d’être 1 centième ce que cette personne est en sagesse, en bonté, en qualité d’écoute, de présence, oui c’est un bon être humain, si je pouvais être un petit peu comme ça… donc là c’est une autre forme d’inspiration. Et personnellement, c’est ça qui m’a inspiré…
Jérôme : Vous voulez dire je veux être un être humain comme eux ?
Matthieu Ricard : Voilà, je voudrais m’approcher… je ne voudrais pas être comme eux, comme on copie par mimétisme quelqu’un, imiter je ne sais pas comme on imite la mode, une star, qui porte une casquette rouge ou des baskets blanches, mais disons les qualités qu’on découvre au départ et qu’on vérifie ensuite au fil des années, parce qu’après j’ai passé des années et des années auprès de ces Sages, et justement on voit bien au fil du temps, c’est ça qui est formidable, c’est pas une façade, mais qu’ils sont à l’intérieur ce qu’ils montrent à l’extérieur, c’est-à-dire que le messager est vraiment le message.
Ça veut dire quoi « être un bon être humain » ?
Matthieu Ricard : Alors, vous voyez, finalement qu’est-ce que c’est qu’être un mélange d’ombre et de lumière, comme la plupart d’entre nous sont naturellement, et il n’y a pas de mal à ça, c’est ce qui nous fait dans la vie, qu’on a des choses à améliorer, puis des choses à cultiver et des qualités qu’on peut manifester. Pour moi, un bon être humain c’est quelqu’un d’abord qui a une certaine sagesse, c’est-à-dire qui comprend un peu les tenants et les aboutissants des situations humaines, des circonstances de l’existence, qui a un point de vue intelligent, sensible, et surtout quelqu’un qui a une bienveillance. La bienveillance, pour moi, la bonté, c’est… quand le Dalaï-lama dit « ma religion c’est la bonté », eh bien je veux dire qu’il est l’exemple même de cela et c’est vraiment ce qui vous touche le plus dans l’existence. Quand quelqu’un vous dit « c’est une bonne personne, c’est quelqu’un de bon », on a envie d’être auprès de cette personne. On a envie d’être en sa compagnie. On sait que d’abord les rapports seront harmonieux mais qu’on en retirera quelque chose qu’on peut nous-même utiliser dans notre existence, une source d’inspiration, et donc pour moi c’est quelqu’un qui a aussi une force d’âme, qui a du courage, qui a une certaine liberté intérieure, qui n’est pas le jouet de toutes ses pensées, ses émotions, ses caprices. Voilà, c’est une personne dont on se dit tiens…
Jérôme : Oui, mais là vous êtes en train de me dire vous, une bonne personne ce n’est pas moi, ce n’est pas vous, qui conduisez cette voiture, parce que moi je suis… ben oui, je suis le jouet de mes émotions, je suis le jouet de mes envies, de mes désirs, de mes frustrations, je suis un être occidental, donc vous êtes en train de me dire d’une certaine manière vous êtes un être, si pas mauvais, en tout cas inachevé.
Matthieu Ricard : Alors attendez, effectivement vous avez tout à fait raison, je me suis mal exprimé, quand je dis bonne personne je n’entends pas faire une dualité entre bon et mauvais
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comme si on était bon et mauvais intrinsèquement. C’est-à-dire voilà quelqu’un, cette personne-là elle est bonne, elle est mauvaise, c’est gravé dans la pierre, c’est fini. Ce que je voulais dire, en disant quelques instants avant, nous somme sous un mélange d’ombre et de lumière, de qualités et de défauts, c’est qu’on peut se dire voilà, quelqu’un qui vous dit « moi je suis parfait, j’ai rien à changer dans mon existence », vous vous dites bon... on le regarde avec un air absolument médusé, on se dit mais elle n’a jamais réfléchi cette personne ! J’ai entendu quelqu’un me dire ça une fois. Soit il est parfait, soit il est idiot.
Jérôme : C’est ça oui.
Matthieu Ricard : Donc, si vous voulez, maintenant qu’est-ce que c’est ? On peut se dire voilà c’est comme ça, c’est à prendre ou à laisser. C’est ce qui fait la richesse de ma personnalité, je suis différent des autres, mon individualité… et puis il faut apprendre à aimer ses défauts comme ses qualités, donc allons-y, on continue ! C’est un petit peu comme.. je ne sais pas, de se dire « bon, ben, moi vous voyez la maladie c’est naturel, je suis malade, bon ben je continue »… Ce qu’on peut se dire, c’est que voilà, c’est notre point de départ, je suis né, avec des qualités physiques, je ne suis pas né pour courir le 100 mètres comme Hussein Bolt, et encore moins comme un chat qui court beaucoup plus vite qu’Hussein Bolt, donc j’ai des capacités physiques qui sont les miennes, je sais marcher longtemps dans les montagnes, je n’arrive pas à courir beaucoup, voilà c’est comme ça. Mais par contre je peux décider un jour : ah quand même ce serait bien que je fasse plus de gymnastique, que je fasse du jogging et au bout d’un an peut-être que je pourrai courir 10 kms, ce qu’aujourd’hui je suis incapable de faire. Donc, si vous voulez, j’ai mon état de base, ce qu’on appelle l’état normal, mais j’ai aussi un potentiel pour courir avec un peu plus d’endurance…
Jérôme : Pour m’améliorer.
Matthieu Ricard : Pour jouer du piano… Je dirais même pas fondamentalement m’améliorer, mais exprimer un potentiel qui est en moi mais qui est dormant. C’est-à-dire arriver à un point optimal de mes capacités personnelles. Tout le monde ne courra pas comme Hussein Bolt mais on peut courir plus longtemps, plus vite.
Tous les êtres humains ont un potentiel
Jérôme : Quel potentiel dormant vous avez ?
Matthieu Ricard : Je crois que tous les êtres humains ont pour sûr un potentiel, tout dépend de ce qu’on souhaite cultiver. Si on veut dire qu’on veut devenir un champion d’échecs, peut-être qu’on n’arrivera pas à devenir un grand maître d’échecs mais on pourra jouer décemment aux échecs et probablement battre n’importe quel quidam qui est devant vous. Ou jouer du piano un peu mieux que quelqu’un qui n’en a jamais joué. Moi ce qui m’a inspiré, c’est pour ça d’ailleurs que j’ai décidé après ma thèse d’aller vivre dans l’Himalaya auprès de ces Maîtres, c’était justement voyant l’exemple vivant que quelqu’un pouvait cultiver dans sa vie, de quelqu’un qui était constamment, non pas de façon ostensible en disant regardez comme je suis bon, je vais vous donner tout ce que j’ai, prenez donc, c’est pas ça !
C’est à la fois pas du tout d’ostentatoire, mais dans les faits, on voit que c’est quelqu’un qui est d’une grande ouverture, d’une grande bienveillance, d’une grande sagesse, en même temps très posé, je me suis dit : voilà il y a certainement quelque chose que je pourrais améliorer
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dans le cadre de mon potentiel personnel qui n’est pas le même que le vôtre, et on a chacun des obstacles qui diffèrent. Pour quelqu’un, ça peut être… Moi je me rappelle avoir été invité par quelqu’un qui est un peu un puissant de ce monde, et qui voulait avoir une petite idée de ce que c’est la méditation. J’ai parlé de la méditation comme étant un entrainement de l’esprit qui servait notamment à utiliser des antidotes appropriés pour certaines émotions qui nous troublaient plus que d’autres. Et pour certains, ça peut être le désir, pour certains ça peut être la colère, pour d’autres ça peut être la jalousie. Ou l’envie. Ou l’orgueil. On a passé un peu ça en revue. C’est quelqu’un qui… je ne vous dirai pas qui c’est, mais enfin, qui, à un moment donné on est arrivé à la colère, il me dit non la colère c’est pas la peine, moi je n’ai aucune tendance à me mettre en colère. Je dis c’est intéressant. Par contre, il avait d’autres problèmes dans d’autres domaines. Donc, si vous voulez je crois qu’identifier… Alors ça ne veut pas dire qu’il y a des émotions, prenons le désir, l’orgueil, etc… qui sont mauvaises en soi, rien du point de vue du bouddhisme en tout cas n’est mauvais en soi. Tout dépend de ce que ça fait en termes de bien-être et de souffrance. Si vous dites, moi je suis pour l’ego, il faut avoir un fort ego, etc… et toutes ces histoires ça ne m’intéresse pas, je dis bon très bien on va faire un séminaire pendant 24 heures pour que vous ayez un super ego, vous allez multiplier votre ego par 100 et à la fin du compte voyez comment vous vous sentez. Vous allez être genre Donald Trump, « moi, moi, moi » du matin au soir, personnellement je pense que vous n’allez pas vous sentir particulièrement bien.
Si je vous dis, on va faire un séminaire où vous êtes deux fois plus en colère que d’habitude, ou deux fois plus jaloux ou deux fois plus obsédé, dites donc, ce n’est pas vous rendre service là. Donc, si je vous dis voilà on va faire un séminaire où vous allez augmenter votre ouverture à l’autre, votre capacité d’avoir en vous les ressources utiles pour gérer les hauts et les bas de l’existence, pour ne pas vous laissez emporter par un accès de colère, d’être rongé par la jalousie, vous allez dire : tiens c’est intéressant comme système. Vous voyez c’est un petit peu trouver un meilleur équilibre émotionnel sans nuire à la richesse de votre vie intérieure. Je veux dire quand vous voyez le Dalaï-lama on ne peut pas dire qu’il a l’air d’un légume, c’est un être d’une richesse et d’une spontanéité, d’une joie de vivre et aussi c’est quelqu’un d’incroyablement vivant, réactif, qui s’intéresse à tout le monde,… on ne peut pas dire que le fait d’être libéré sans doute de l’animosité ou de la jalousie, etc. l’ait rendu comme une sorte d’indifférence sans couleur. Ça n’a pas beaucoup de sens.
Un Maître spirituel, ça ne court pas les rues à Paris ou à Bruxelles
Jérôme : J’aimerais bien revenir en arrière. Donc, vous êtes enfant, vous êtes baladé un petit peu, hein Matthieu Ricard ? L’Algérie, le Mexique, l’Italie, votre papa a des postes d’enseignant c’est ça ?
Matthieu Ricard : A un moment donné, il partait tout seul. J’ai fait le Mexique, l’Algérie, la France. L’Italie, c’est lui qui y est allé, il nous a laissés à la campagne. Et en fait, j’ai voyagé un petit peu, et très vite, j’ai voyagé par moi-même aussi.
Jérôme : Et votre maman, bien évidemment, peintre, elle, on a l’impression quand même que le choix, vous êtes docteur… en quoi ?
Matthieu Ricard : Génétique cellulaire.
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Jérôme : Vous êtes docteur en génétique cellulaire, c’est tout de même étonnant que paf, un docteur en génétique cellulaire change de vie à ce point ! Qu’est-ce qui s’est passé pour que ces décisions-là se prennent ? Parce qu’effectivement, je pourrais aller dans l’Himalaya et voir des gens qui me sidèrent, je ne ferais pas le pas pour autant nécessairement.
Matthieu Ricard : Ca dépend, il faudrait faire l’essai.
Jérôme : Non, mais qu’est-ce qui vous fait faire le pas ?
Matthieu Ricard : Si vous voulez d’abord ça n’a jamais été paf ! J’ai entendu dire, des histoires de gens où un matin voilà un père de famille, pas de dispute spéciale, ou même une femme, j’ai entendu l’histoire d’une femme qui m’a dit un jour : ça n’a pas de sens, elle a passé la porte de la maison avec un petit sac et elle n’est pas revenue pendant 5 ans. C’est un peu extrême, hein ! Surtout quand on a des enfants et un mari. Pour elle, ça a été paf ! Moi c’est très différent. D’abord j’ai découvert soudainement ces rencontres avec ces Maîtres spirituels à l’âge de 20 ans, j’étais un peu je dirais… presque trop d’impressions, de choses neuves pour moi, un Maître spirituel ça ne court pas les rues à Paris ou à Bruxelles, je veux dire. Si vous voulez aller chercher un prof de gym ou un prof de piano, vous trouvez mais un Maître spirituel à part quelques gourous de mauvais acabit, vous avez un peu de mal. Là-bas, c’est beaucoup plus dans la culture. Ceci dit, c’est quelque chose d’extrêmement nouveau, donc, c’était très inspirant et très impressionnant mais sur le moment, je pourrais dire je ne sais pourquoi, je ne sais pas ce que ça allait donner, ça n’a certainement pas été : ça y est maintenant j’ai trouvé ma vocation, ma vie est décidée. Non pas du tout, j’ai demandé des conseils un peu, sur mon existence, c’était très enrichissant, quand je suis rentré en France j’ai dit bon, et là je me suis aperçu effectivement que ça avait ouvert dans mon esprit beaucoup de possibilités que je n’avais pas imaginées. Donc, fort de tout ça, j’ai commencé à travailler à l’Institut Pasteur, à faire des travaux de recherche, je pratiquais un petit peu la méditation à ma manière tous les jours, et puis, si vous voulez l’été suivant, je me suis dit : ben voilà, j’ai vraiment envie d’aller revoir ces Maîtres spirituels pour voir d’abord si j’ai toujours les mêmes sentiments, approfondir un peu ce que j’ai commencé, et puis j’étais profondément attiré pour les rencontrer à nouveau, quand vous rencontrez une personne chère, quelqu’un qui vous a beaucoup apporté, vous avez envie de le retrouver. J’y suis retourné. Une fois, deux fois, trois fois, j’ai quand même fait sept fois l’aller et retour, avec mes maigres économies et mon petit salaire du CNRS, mon mois de vacances, pour aller de nouveau à Darjeeling auprès de ce Maître spirituel, l’un d’entre eux m’ayant particulièrement inspiré. Donc, c’est vraiment petit à petit, qu’à un moment donné je me suis dit voilà, quand je suis là-bas, pendant ce mois, l’Institut Pasteur est très, très loin dans mes pensées. Quand je suis à l’Institut Pasteur, je travaille sur mes éprouvettes et mon esprit s’envole vers Darjeeling. Je me dis bon et si par hasard je faisais le contraire ? Alors du coup, je me suis dit voilà, il y a un tournant, au bout de 6 ans, la thèse est passée, François Jacob était très content, il m’a dit maintenant : Matthieu, tu vas aller faire un post-doc, je t’ai trouvé un bon labo aux Etats-Unis. Je dis tiens, tiens.. Alors j’ai bien réfléchi, je lui ai dit : écoutez François, je crois que je vais faire mon post-doc dans l’Himalaya. Ça l’a un peu surpris. Alors lui, bon sa vie ne dépendait pas de ce que j’allais faire, je quittais le labo de toute façon, quitte à y revenir plus tard, mon père par contre était un peu plus catastrophé.
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Le Moine et le Philosophe
Jérôme : Vous avez raconté ça dans un livre.
Matthieu Ricard : Oui, c’est ça. « Le Moine et le philosophe ».
Jérôme : « Le moine et le philosophe » paru en 1999, votre père lui n’accepte pas facilement le fait que son fils soit un bon doctorant en génétique cellulaire et qu’il se barre dans l’Himalaya, ça ne lui plait pas à votre père.
Matthieu Ricard : Tout philosophe rêve d’avoir un fils scientifique, donc il s’attendait, il s’imaginait une carrière très brillante. Alors, ce n’est pas qu’il n’a pas accepté, il a eu à mon avis la grandeur d’esprit, il ne l’a pas dit tout de suite, hein ! Mais il l’a dit plus tard quand je suis revenu, qu’on a fait le livre, des émissions de télévision, qu’on l’a interviewé, il a dit : Matthieu avait 26 ans, c’était une personne adulte, c’est à lui de choisir sa vie. Ce qui est remarquable parce que moi j’ai horreur des drames, et un drame terrible de déchirures, de claquer les portes, c’est pas mon genre, donc si vous voulez je lui ai annoncé ça un jour dans une promenade en forêt, il y a eu un silence de mort, il m’a posé trois questions sur comment je comptais survivre dans l’Himalaya, mais ce qu’il ne m’a pas dit, c’est qu’après il a été voir un de ses meilleurs amis, qui était un de ses collègues de l’Express, et qu’en gros, il est tombé en sanglots devant cet ami parce que pour lui c’était dur. Mais il a eu la grande magnanimité de ne pas faire de drame à mon égard. Donc, je me sens très reconnaissant. Et il m’a laissé partir. Alors, au début il devait être un peu inquiet parce que 2, 3 ans plus tard, je ne revenais pas, je ne suis pas revenu pendant 7 ans, puisqu’une fois qu’on est parti, on ne va pas revenir tout de suite, on décide pour de bon, donc il est venu me voir à Darjeeling, parce qu’il allait au Japon, il s’est arrêté en route, il a vu que je ne fumais pas la moquette, que la personne auprès de qui j’étudiais, bon, lui ça ne l’intéressait pas prodigieusement mais il a quand même vu que c’était quelqu’un d’assez remarquable, un grand érudit, très posé, qu’on n’était pas une bande de loufoques, donc il a été relativement rassuré. Il l’a été de plus en plus une fois que j’ai appris le tibétain, j’ai commencé à m’occuper de la préservation de la culture tibétaine, de reproduire des manuscrits anciens, plus tard j’ai commencé des projets humanitaires, je suis devenu l’interprète du Dalaï-lama, donc je crois qu’à la fin de sa vie, il n’était pas fier, mais il était content de voir en tout cas que je m’épanouissais dans l’existence. Parce que quand on voit les drames de parents qui sont tellement, je dirais peinés, ou blessés, ou tristes de voir leurs enfants qui ne trouvent pas leur chemin dans l’existence, qui font des trucs souvent dont on sait que ça va leur faire du mal assez vite et qui se désolent tellement de cette souvent sorte d’impuissance de faire leur vie à la place de ceux qui leur sont chers, alors même si c’est un chemin très différent de l’Institut Pasteur, de voir quelqu’un qui finalement est tellement heureux de faire ce qu’il fait, et puis finalement ça marche à peu près, on peut se dire : voilà ce n’est pas mon chemin mais au moins lui il tient sur ses jambes et il est heureux de vivre ce qu’il vit.
Jérôme : C’est déjà un immense cadeau pour un parent.
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Comme tous les adolescents, j’ai été romantique
Jérôme : Mais à 20 ans, Matthieu Ricard, vous allez voir ces gens, il y a cet attrait incroyable des personnes qu’ils sont, mais à 20 ans, on tente des expériences, on va danser, on drague les filles, ou les hommes, ça dépend de notre orientation sexuelle, on fait ce genre de choses, vous l’avez fait ?
Matthieu Ricard : Très peu.
Jérôme : Peu.
Matthieu Ricard : Peu, je vais vous dire pourquoi. Parce qu’il y a des choses que j’ai faites mais ce n’est pas forcément les mêmes. Ce que j’ai fait, j’étais un passionné de la nature, donc j’ai fait de l’ornithologie.. J’ai fait de la photographie qui est une passion que j’ai exercée avec beaucoup de joie…
Jérôme : On va en parler.
Matthieu Ricard : Dans le reste de mon existence, avec André Fatras qui a été un des premiers, un des pionniers de la photographie animalière en France. J’allais avec lui en Sologne, dans les marais, j’étais vraiment un passionné de nature, je faisais de la voile, du ski… C’est vrai que je n’ai jamais été dans une boum, je ne sais pas comment on appelle ça maintenant…
Jérôme : Pourquoi le gamin de 20 ans n’a pas été tenté par ça alors que à priori…
Matthieu Ricard : J’ai été une fois et j’ai trouvé que ce n’était absolument pas marrant d’être là jusqu’à 4 h du matin, à avoir vraiment envie de dormir, pour gesticuler dans un truc, une espèce de cave où on ne voit rien à part des éclairs et une musique qui pour moi m’assourdissait complètement, je me suis dit mais qu’est-ce que je fabrique là ? Ça ne m’intéressait pas du tout. Vous me mettez au bord d’un lac à regarder…
Jérôme : Et mettre votre langue dans la bouche d’une fille, non plus.
Matthieu Ricard : J’ai eu des petites amies quand même, je ne suis pas…
Jérôme : Parce que c’est ça qui est terrible sur la jeunesse…
Matthieu Ricard : Oui. Attendez, parlons déjà de surprise-party, etc… je me trouvais beaucoup plus heureux au bord d’un étang à regarder des grèbes huppés que dans une boîte à Paris, ça ne m’a absolument jamais apporté la moindre chose. Ceci dit comme tous les adolescents j’ai été romantique, j’ai eu des amoureuses et des chagrins d’amour, et puis voilà…
Jérôme : Mais vous avez trouvé quelque chose de plus vibrant que ça ?
Matthieu Ricard : Eh bien, simplement c’est peu à peu finalement. A un moment donné, mon Maître ne m’a pas dit : attention, tu vas devenir moine. Pas du tout ! Au contraire. Quand je lui ai demandé quelques premiers conseils de vie, parce qu’à l’époque j’avais même songé, à 21 ans, à me marier, etc… Il ne m’a pas dit : ne te marie pas, en plus je n’étais pas sûr, sûr, mais en gros, une sorte de conseil, je dirais de… voilà, un conseil. Pour moi, un Maître spirituel c’était aussi comme des parents, un père et une mère extrêmement bienveillants, à qui je faisais confiance. Il m’a dit : eh bien, écoute, il ne m’a pas dit du tout d’avoir une vie chaste, il m’a dit simplement : attends jusqu’à l’âge de 30 ans pour t’engager pour la vie et tu verras. J’ai dit bon, je vais vivre ma vie… Ça n’a pas été une contrainte, pour moi c’était…
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ok… C’est ce que j’ai fait, et puis effectivement arrivé à l’âge de 30 ans, ça faisait quand même pas mal d’années que je vivais dans des ermitages, auprès de Maîtres spirituels, j’avais toujours des amis, je veux dire, ce n’était pas…mais à un moment donné, je me suis dit, bon, ben maintenant avoir une compagne pour la vie ou choisir la vie monastique ou être complètement libre dans des ermitages, si je pars faire un an de retraite dans la montagne, je ne laisse pas femme et enfants derrière qui se disent : celui-là, qu’est-ce qu’il est ? nous, on est là à bosser, lui tranquillement il médite dans la montagne. Je me suis dit : ben voilà, je peux aider autrement l’humanité, je peux être ami avec les hommes et les femmes sans pour autant avoir ce genre de liens charnels, disons…
La libération
Jérôme : Et le désir, il part comme ça ?
Matthieu Ricard : Et puis voilà, je me suis dit c’est tout simple. Vous voyez, on peut imaginer, alors en Occident, on m’a dit maintenant tu es moine, tu es la moitié d’un homme en gros….
Jérôme : Ridicule.
Matthieu Ricard : C’était généreux dans leur esprit.
Jérôme : C’est ridicule.
Matthieu Ricard : On m’a dit : maintenant ça y est, tu es quasiment…
Jérôme : Ce serait nous réduire à peu de choses quand même.
Matthieu Ricard : … une sorte d’infirme. Moi j’ai eu l’impression d’être plutôt comme un oiseau qui sort de sa cage. Parce qu’il faut dire que certainement, il y a des grandes joies et j’en ai connues, puisque je n’ai pas été célibataire toute ma vie, il y a des grandes joies mais il y a aussi des grands tourments. Donc, l’idée que j’allais pouvoir me consacrer entièrement à la méditation et puis après, à des projets humanitaires, à m’occuper de 25.000 enfants, que je n’ai pas enfantés évidemment, ça aurait un peu long, mais dont je m’occupe…
Jérôme : Fatigant surtout.
Matthieu Ricard : Mais je suis également ami et très proche de beaucoup d’hommes et de beaucoup de femmes mais qu’il n’y a pas cette ambiguïté, est-ce que je vais vouloir la séduire ou pas, eh bien pour moi, c’est une grande liberté et je me suis aperçu que je pouvais avoir des rapports extrêmement riches aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes, et que voilà… Alors dire qu’on n’a pas du tout de désir évidemment, d’abord ça serait un peu louche parce que ça voudrait dire qu’on a un problème physiologique ..
Mais vous savez, le désir c’est très relatif. Il y a une très belle expression dans le bouddhisme, c’est que quand vous avez une forte démangeaison, alors ce qu’on fait généralement, on se gratte, on se gratte, jusqu’au sang, et ça démange encore plus, alors ce soulagement de se gratter… mais c’est encore mieux si ça ne vous démange pas. C’est une parole bouddhiste. Alors ce que je veux dire, ce n’est pas, en aucune façon vouloir supprimer les émotions comme le désir, comme la colère, comme une bombe à retardement, ce n’est pas bon pour la santé, généralement ça ne fonctionne pas. Regardez tous ces drames dans, on le voit bien, dans l’église catholique, ce n’est pas un jugement de valeur, mais c’est pour dire que c’est la reconnaissance d’un des symptômes qui montre là où beaucoup de gens ont une vocation religieuse très profonde pour devenir prêtre, sans pour autant avoir cette liberté vis-
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à-vis du désir, d’où tous ces scandales qu’on voit. Il y en a moins chez les protestants. Moi j’ai pas d’opinion à savoir si les prêtres.. , mais je veux dire, le fait qu’on le fasse pas forcément par choix mais parce qu’on veut être prêtre et il se trouve qu’en plus il faut absolument être célibataire, et ceux qui ne se sentent pas.. du coup, à un moment donné ça ne fonctionne plus et il y a des drames qui se passent.
Jérôme : Oui, mais c’est la même chose pour les moines bouddhistes.
Matthieu Ricard : Non…
Jérôme : Vous voulez devenir moine bouddhiste mais ça implique…
Matthieu Ricard : Attendez, la plupart de mes Maîtres étaient des Maîtres spirituels mariés, avec femme et enfants. Le Dalaï-lama est un moine, mes deux autres principaux Maîtres avaient femme et enfants, et la vie monastique, c’est purement un choix et ça doit être fait exclusivement si pour vous ce n’est non pas une contrainte mais une libération. Dans mon cas, c’était liberté totale mais pas avec le moindre mépris ou rejet, c’était simplement voilà, j’étais un oiseau libre.
De la souffrance
Jérôme : Vous disiez tout à l’heure, la passion amoureuse c’était bien, il y avait plein de plaisir mais c’était aussi le fruit de plein de tourments.
Matthieu Ricard : Regardez, tous les romans, tous les films, tous les drames, séparations… enfin on ne peut pas dire non plus que c’est de tout repos.
Jérôme : Ce n’est pas de tout repos !
Matthieu Ricard : On peut dire que ça fait la richesse de l’existence mais ça fait quand même beaucoup de souffrance aussi. Donc, ce n’est pas un jugement de valeur.
Jérôme : Mais est-ce qu’on est là pour ne pas souffrir ?
Matthieu Ricard : Attendez, la souffrance on peut en faire un usage pour grandir, pour se transformer, pour apprendre. De toute façon, la question ne se pose pas puisque vous allez souffrir. Les gens qui n’ont jamais souffert, ça n’existe pas. Ceci dit, ceux qui vous disent la souffrance est désirable en elle-même, non !
Jérôme : Non.
Matthieu Ricard : La souffrance n’est jamais désirable en elle-même. Comme elle va sûrement survenir dans mon existence. Même si ce n’est pas la séparation amoureuse, ce sera une maladie, une souffrance physique, mentale, tout ce que vous voulez, même la souffrance de voir des massacres d’êtres humains, des massacres d’animaux, tout ce que vous voulez, c’est une souffrance. Donc, une fois que la souffrance est là, qu’est-ce qu’on en fait ? Là, le chemin spirituel vous apporte beaucoup d’outils pour utiliser cette souffrance pour grandir, comme un catalyseur de transformation. Donc, la souffrance est évidemment utilisable. Au lieu de vous écrouler devant la souffrance, d’être dévasté par la souffrance, de s’en servir pour grandir spirituellement et humainement, et sur le plan de la compassion, etc… Mais enfin dire que la souffrance est une fin en elle-même, c’est une ineptie.
Jérôme : Je suis entièrement d’accord. Mais vous, vous disiez tout à l’heure, la passion amoureuse c’est plein de plaisirs, c’est aussi plein de tourments. Aujourd’hui, vous Matthieu Ricard, en 2014 vous n’avez pratiquement plus de tourments ? Après tout ce chemin.
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Matthieu Ricard : J’ai, comment dire, j’ai pas vraiment de tourments franchement intérieurs qui me concernent si vous voulez, j’ai pas de ces tourments intérieurs qui tourmentent beaucoup de gens. C’est un fait. Je ne l’attribue non pas à ce que… je ne sais pas, des qualités extraordinaires, mais simplement d’avoir effectivement consacré ma vie, pendant 50 ans, à essayer de transformer ça et grâce, je dois, ma dette de reconnaissance c’est vraiment à ces Maîtres spirituels qui m’ont un peu montré le chemin. Ceci dit, évidemment que je suis indigné devant ces massacres sans fin en Syrie, devant le massacre, de je ne sais pas, 1 milliard ½ d’animaux en France dans les abattoirs, la violence vis-à-vis des enfants, la violence vis-à-vis des femmes, ces terribles discriminations, tout ça, on ne peut pas dire que ça ne vous tourmente pas, mais au fond vous gardez quand même votre force d’âme, votre liberté intérieure, on peut même conserver cette force même dans la tristesse. Si vous perdez un être cher ,vous êtes triste mais vous n’êtes pas désespéré. Donc, si vous voulez, je n’ai pas de tourments existentiels mais il y a des choses qui m’émeuvent évidemment, je ne suis pas devenu une sorte de monstre d’indifférence. Je suis profondément ému par la souffrance des autres. Mais ce n’est pas les tourments je dirais « égocentré »s qui souvent sont le cas de quelqu’un d’orgueilleux qui se fait descendre en flèche, ça le tourmente. Si quelqu’un est obsédé par quelque chose et brusquement cette chose disparaît, ça le tourmente. Si vous êtes confronté à quelqu’un que vous ne pouvez pas voir en peinture, vous êtes tourmenté.
De l’importance relative de certaines choses
Jérôme : Est-ce que vous avez de la peine, pour un garçon - je suis le plus proche de vous là maintenant - comme moi, qui se fait :@ en se disant : oh, est-ce que je vais savoir payer mes factures, comment je vais faire avec mes enfants, est-ce que j’aime bien ma femme, est-ce qu’elle m’aime bien, est-ce que je suis un bon fils, est-ce que je suis un bon père, et je dois courir pour faire ci et je dois courir pour faire ça, et je suis victime de mes frustrations, et je suis victime de mes envies… Est-ce que vous avez de la peine de voir ça de là où vous êtes ? De la façon dont nous vivons, nous..
Matthieu Ricard : On pourrait d’une part évidemment imaginer qu’on voit ça d’une certaine… qu’on voit ça avec condescendance…
Jérôme : Non, non, c’est pas de ce que je parle.
Matthieu Ricard : Si, si, si vous voulez, vous faites un portrait de ce que le bouddhisme appel le cycle de l’existence conditionnée par certaines formes de souffrances. La souffrance d’être confronté avec ce qu’on ne souhaite pas, d’être séparé de ce qu’on veut conserver, etc… Donc, il y a des moyens, et c’est ça auquel un chemin spirituel s’attache, de remédier à un certain nombre, on ne peut pas remédier à la tristesse de voir disparaître un être cher, etc… Mais déjà, le bouddhisme en tout cas, et beaucoup d’autres chemins spirituels vous diront : si vos préoccupations principales sont d’éviter toute sensation déplaisante, de ne rechercher que des sensations plaisantes, déjà ça ne va pas marcher, donc vous êtes mal parti. Si vous êtes étroitement préoccupé par le gain et la perte, avoir une grande avidité pour l’argent ou pour, je ne sais pas, des biens matériels, et que la perte vous coûte énormément, vous allez souffrir. Si vous êtes très préoccupé par l’image que vous avez de vous, l’opinion d’autrui, la célébrité, et très préoccupé de la même façon si votre image est ternie ou si vous êtes complètement
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inconnu et que vous voulez absolument être célèbre, vous allez souffrir, n’est-ce pas ! Si à chaque fois qu’on vous critique, soit vous vous mettez en colère, soit vous tombez dans la dépression, et que quand on vous fait des louanges, vous vous gonflez de vanité comme un ballon de baudruche, vous êtes mal parti pour être heureux. Donc, ce qu’on appelle ces préoccupations vaines finalement, du gain, de la perte, de la louange et de la critique, etc… c’est sûr que si c’est ça qui domine, vous êtes… c’est du roller-coster à longueur de journée ! Donc, ce que le bouddhisme apprend, c’est finalement que ces choses ont une importance extrêmement relative, je dirais minime, et avoir une certaine équanimité comme un vieil homme qui voit des enfants jouer, vous savez il y a le camp des bleus, il y a le camp des rouges, il s’en fiche si c’est les bleus ou les rouges qui gagnent, donc une certaine distance, c’est un jeu, c’est un drame, il n’y a pas de quoi prendre ça au sérieux. Donc, vous êtes beaucoup… vous n’êtes pas idiot, vous n’êtes pas indifférent, mais vous êtes léger, l’insouciance…
Jérôme : Mais l’âge nous apprend ça. Moi aujourd’hui je vais avoir 40 ans, l’âge m’a appris à ne pas prendre ça au sérieux. Après…
Matthieu Ricard : On sait que les gens à mesure qu’ils prennent de l’âge ont plus d’équanimité. Alors ce qu’on fait dans une voie spirituelle, c’est qu’on fait ça plus tôt, plus en profondeur, et peut-être un petit peu mieux parce qu’on est spécialiste, disons. Quand moi ça m’arrive d’être un jour dans une belle voiture à Bruxelles, dans votre magnifique taxi, un autre jour je suis derrière un camion au Bhoutan, au Tibet, sous la pluie, eh bien, on peut chanter dans les deux cas.
Jérôme : C’est sûr.
Un arrêt aux Musées Royaux des Beaux-Arts
Jérôme : Je vous emmène au musée si ça ne vous dérange pas.
Matthieu Ricard : Ah ! D’accord. Quel musée ?
Jérôme : J’ai envie de vous présenter un artiste belge qui est né en 1830…
Matthieu Ricard : Il n’est plus là.
Jérôme : Et décédé en 1905. Non il n’a pas fait l’exploit. Il s’appelle Constantin Meunier.
Matthieu Ricard : Ah, d’accord, découvrons…
Jérôme : C’est un artiste peintre et sculpteur de la Révolution industrielle de la classe ouvrière.
Matthieu Ricard : Ah d’accord, avec plaisir.
Jérôme : Van Gogh est venu habiter en Belgique un moment, dans le Borinage, et il a écrit une lettre à son frère pour dire à son frère : Constantin Meunier est l’artiste belge qui m’a sidéré. Et on lui rend hommage en ce moment aux Musées Royaux des Beaux-Arts.
Les projets humanitaires
Matthieu Ricard : Donc, les projets humanitaires, eh bien maintenant à force, d’abord, c’était un groupe d’amis, j’ai commencé avec 2, 3 amis, on partait au Tibet ou ailleurs avec des valises pleines de sous, on construisait des écoles et des cliniques. Après on s’est organisé un
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peu mieux, et maintenant on a quand même accompli 140 projets, ça s’appelle Karuna, ça veut dire « compassion », Shechen, c’est le nom du monastère, Karuna-Shechen, et donc on a maintenant près de 100.000 patients par an, en Inde, dans les campagnes du Bihar, qui est la province la plus pauvre de l’Inde, dans tout le Népal et dans certaines régions de l’Est du Tibet. Et en gros, on a construit 25 écoles qui abritent environ 25.000 enfants maintenant. On ne s’en occupe plus, on les a laissées à ceux qui s’en occupent. Certaines, on continue à les administrer si vous voulez, mais la plupart on les a données aux populations locales. Donc, voilà on est très content d’avoir fait ça. Ça implique tout le monde, les bienfaiteurs ici en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs, nous-mêmes qui sommes entre les deux, et puis les bénéficiaires sur place et ceux qui gèrent les projets sur place.
Jérôme : Bien sûr.
Le petit questionnaire ou le bouddhisme en 15 secondes
Jérôme : Je dois vous faire petit questionnaire…
Matthieu Ricard : Alors allons-y.
Jérôme : Vous avez chaque fois 15 secondes pour me répondre et je vous jure les questions sont compliquées.
Matthieu Ricard : Bon, et je peux répondre tout de suite ?
Jérôme : Oui. Du tac au tac.
Matthieu Ricard : Bon. Ah, 15 secondes de temps de réponse ?
Jérôme : Oui.
Matthieu Ricard : Pas pour réfléchir ?
Jérôme : Ça doit aller très vite.
Matthieu Ricard : Ok.
Jérôme : Expliquez-nous le bouddhisme ? En 15 secondes.
Matthieu Ricard : Alors, le bouddhisme c’est essentiellement l’alliance de la sagesse et de la compassion, comme les deux ailes d’un oiseau. On ne vole pas d’une seule aile, il faut les deux, il faut sagesse et amour.
Jérôme : Quelle est l’idée principale du bouddhisme ?
Matthieu Ricard : C’est que la nature de la réalité est interdépendante et impermanente et pas aussi solide qu’on le pense, et que la nature de la conscience aussi ça peut être le pur éveil et on peut atteindre une liberté par rapport à l’ignorance et à toutes les émotions négatives.
Jérôme : Bouddha est-il un Dieu ?
Matthieu Ricard : Non, c’est un Sage, c’est un Eveillé, ce n’est ni un saint ni un prophète, ni un Dieu.
Jérôme : Qui est-ce qui a créé le monde et l’univers ?
Matthieu Ricard : Alors, selon le bouddhisme, l’univers est sans début ni fin alors il n’y a pas de problème, on n’a pas le problème du grand début, et on n’a pas le problème de la création ex nihilo parce que le néant qui devient quelque chose du point de vue logique, ce n’est pas facile à expliquer.
Jérôme : Qui est-ce qui a créé l’homme ?
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard
Matthieu Ricard : Le bouddhisme, vous savez, est très proche de la science, donc si la science vous dit que c’est un phénomène d’évolution, on est tout à fait confortable avec ça.
Jérôme : Est-ce que si je suis méchant j’irai en Enfer ?
Matthieu Ricard : Je ne pense pas non. Si vous êtes méchant, l’Enfer vous le créez tout de suite ici et maintenant, pour vous et pour les autres.
Jérôme : Vous avez été très bon.
Matthieu Ricard : Merci.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : J’ai passé l’exam ?
Jérôme : Vous avez été très bon.
Le bouddhisme est une science de la réalité, en gros..
Jérôme : C’est marrant cette… alors vous allez détester ça je pense, pratiquement cette tendance, cette mode hein, on sait qu’il y a une mode aux philosophies orientales…
Matthieu Ricard : Au bout de 30 ans, ce n’est plus une mode.
Jérôme : Justement.
Matthieu Ricard : La mode, ça dure rarement plus de 3 ans.
Jérôme : Oui.
Matthieu Ricard : Donc, il y a un intérêt qui peut être considéré comme une mode au départ, si cet intérêt se maintient, s’approfondit et s’élargit ce n’est plus une mode, c’est une tendance culturelle, n’est-ce pas ?
Jérôme : Elle est due à quoi ?
Matthieu Ricard : Alors, est-ce que c’est le fait justement q
HEP TAXI : Matthieu Ricard
A Katmandou, s’il vous plaît !
Jérôme : Et voilà ! Dites-moi.
Matthieu Ricard : Alors, à Katmandou svp.
Jérôme : A Katmandou ? Très bien, c’est par là.
Matthieu Ricard : Oui, c’est par là.
Jérôme : Oui, je vais reculer, c’est à gauche, il faut que je fasse un U-turn pour aller à Katmandou.
Matthieu Ricard : Eh bien, vous savez, quand on est au Tibet, en plein milieux des Hauts-Plateaux, des fois on voit à un croisement, il est marqué Pékin 4750 kms.
Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard
Jérôme : C’est vrai ?
Matthieu Ricard : Oui, ils n’ont pas peur.
Jérôme : Katmandou.
Matthieu Ricard : L’Himalaya.
Jérôme : C’est pas rien ça.
Matthieu Ricard : Presque ½ siècle maintenant.
Jérôme : Que vous y êtes.
Matthieu Ricard : Ben, entre Darjeeling, le Bhoutan, le Népal, le Tibet, le Nord de l’Inde, c’est une vie.
Jérôme : Quand on est né à Aix-les-Bains c’est sûr, c’est exotique.
Matthieu Ricard : Oui, il y avait un peu de montagnes. Je suis un montagnard d’origine bretonne.
Jérôme : Oui c’est ça, c’est très improbable.
Matthieu Ricard : Parce que culturellement, bon mon père était du Jura, mais toute la famille de ma mère c’était des Bretons bretonnant, le frère de ma mère était Jacques-Yves Le Toumelin, il avait fait un tour du monde en solitaire sur un bateau à voile de 10 mètres de long, sans moteur.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : Pendant 3 ans, entre 1949 et 1952.
Jérôme : Ça va, vous aviez le voyage dans les veines.
Matthieu Ricard : Il a écrit un livre qui s’appelle « Kurun autour du monde », qui racontait ses pérégrinations autour du monde.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : Donc on avait un peu l’esprit d’exploration déjà dans la famille. Mon grand-père commandait un 3 mâts à voiles, le Commandant Le Toumelin. C’était les derniers de la marine à voiles.
Jérôme : Ça va, vous aviez le voyage…
Matthieu Ricard : Je suis passé dans les montagnes.
Jérôme : C’est ça, mais le voyage était dans les veines.
Matthieu Ricard : Le voyage est dans les veines, voilà.
Ça vous a fait quoi la première fois que vous êtes arrivé au Népal ?
Matthieu Ricard : En fait le premier voyage que j’ai fait en 1967, j’avais 20 ans, j’étais comme tout adolescent qui ne savait pas trop ce qu’il voulait dans la vie, je savais ce que je ne voulais pas mais je ne savais pas ce que je voulais, en gros…
Jérôme : Comme tout le monde, hein.
Matthieu Ricard : C’est déjà un bon départ. Donc, j’avais fait des études scientifiques, je m’apprêtais à entrer à l’Institut Pasteur pour faire une thèse en génétique cellulaire, j’avais eu la chance d’être admis dans le laboratoire du Professeur Jacob, un prix Nobel français, donc j’étais bien parti, si on peut dire, et puis voilà j’avais le goût de l’aventure, j’étais ornithologue, j’aimais la nature, et puis je m’intéressais à la spiritualité, enfin comme on s’intéresse à la spiritualité en lisant des livres, mais je n’avais pas eu de contact vivant avec
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une tradition vivante, une transmission, etc… Et j’ai vu, alors à l’époque il y avait une seule chaîne de télévision en France, hein, ça remonte à… ça ne fait pas si longtemps que ça, 1967, l’ORTF, et il y avait un ami de ma famille qui s’appelait Arnaud Desjardins, qui est mort récemment, qui avait fait une série de documentaires, il y avait 4 heures, diffusés à la télévision française, sur tous les grands Maîtres tibétains qui avaient fui l’invasion communiste chinoise du Tibet. Donc, ils s’étaient réfugiés sur tous les versants de l’Himalaya, depuis le Bhoutan jusque presque au Cachemire. Et là, vous aviez un ensemble d’êtres tout à fait hors du combat, des Sages, des hommes, des femmes, un peu comme s’il y avait 20 Socrate, 20 François d’Assise vivants, à l’heure actuelle. Quand j’ai vu ça, je me suis dit « c’est trop bien, je vais aller voir ce qu’il se passe ». Je parlais à peine anglais, mon père avait eu l’intelligente idée de me faire apprendre l’allemand, le grec et le latin, ce qui ne m’a pas beaucoup servi par la suite, j’ai un peu oublié l’allemand, ça m’aurait servi si je l’avais gardé en mémoire, il m’a dit tu apprendras toujours l’anglais plus tard, sauf que quand je suis parti en Inde, mon anglais était vraiment primitif. Maintenant, je le parle couramment. Donc voilà, tant bien que mal je suis arrivé à Darjeeling, une petite ville au Sud de Sikkim, dans le Nord, au Bengale, en Inde, et là il y avait un certain nombre de grands Maîtres tibétains qui avaient atterri là en fuyant le Tibet. Je les ai rencontrés, je suis resté 2, 3 mois, j’ai été profondément inspiré par leur manière d’être, leur qualité d’être. Si vous voulez des fois, et moi j’ai eu de la chance d’entendre, adolescent, j’ai rencontré des gens formidables, d’abord dans le monde de la science, puisque j’étais dans un labo, il y avait 3 Prix Nobel, plein de gens qui venaient les voir, mon père, intellectuel parisien…
Jérôme : Votre père, un très grand philosophe.
Matthieu Ricard : Jean-François Revel. Philosophe, journaliste, etc…
Jérôme : Jean-François Revel.
Matthieu Ricard : Ma mère, Yahne le Toumelin, qui a 91 ans maintenant, peintre, qui était réputée à l’époque, après elle est partie en Himalaya aussi, ça a porté un peu ombrage à sa carrière, mais elle était amie avec tous les grands peintres de l’époque, et maintenant, Pierre Soulages, surréaliste, André Breton, etc… Mon oncle explorateur. Donc, si vous voulez, j’ai rencontré plein de gens formidables, et en même temps, c’était un peu déconcertant pour un jeune homme de 15, 16 ans, ou après 20 ans, parce que si vous voulez, on avait envie de je ne sais pas, de maîtriser la littérature, la poésie, les mathématiques, comme untel ou untel, ou de jouer du piano comme un autre, mais si vous voulez, il y avait quelque chose qui était bizarre c’est qu’il n’y avait pas de corrélation, de correspondance évidente entre un génie particulier, comme de jouer du piano, et être un bon être humain. Vous aviez aussi bien des gens formidables que des gens vraiment difficiles à supporter, et c’était la même distribution… je ne sais pas, si vous prenez 100 jardiniers, 100 professeurs d’université, 100 mathématiciens, vous avez à peu près la même distribution de gens super sympathiques et de personnes qui sont vraiment difficiles à supporter. Donc, c’était un peu déconcertant parce qu’on se dit « bon, est-ce que je veux apprendre ce qu’ils savent ou devenir comme eux ? ».
En général, ça ne vous dit pas toujours de devenir comme eux. Et quand j’ai rencontré ces Sages, encore une fois, hommes et femmes, dans l’Himalaya, là c’était tout le contraire. En fait ce qu’ils savaient, j’en n’avais pas trop d’idées, c’était des grands érudits au nom du bouddhisme, n’importe quoi finalement, c’est pas ça qui m’intéressait, c’était la qualité de la
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personne. Vous voyez, le Dalaï-lama, peut-être avez-vous eu l’opportunité, je ne sais pas, d’être en sa présence, d’assister à une conférence publique…
Jérôme : Jamais !
Matthieu Ricard : Généralement, les gens qui ont été quelques minutes à côté du Dalaï-lama sont impressionnés par ce qu’il est. Ils arrivent souvent un peu fiers d’eux-mêmes et ils ressortent très souvent très émus, ça fait venir le meilleur de vous-même à la surface. On a envie d’être 1 centième ce que cette personne est en sagesse, en bonté, en qualité d’écoute, de présence, oui c’est un bon être humain, si je pouvais être un petit peu comme ça… donc là c’est une autre forme d’inspiration. Et personnellement, c’est ça qui m’a inspiré…
Jérôme : Vous voulez dire je veux être un être humain comme eux ?
Matthieu Ricard : Voilà, je voudrais m’approcher… je ne voudrais pas être comme eux, comme on copie par mimétisme quelqu’un, imiter je ne sais pas comme on imite la mode, une star, qui porte une casquette rouge ou des baskets blanches, mais disons les qualités qu’on découvre au départ et qu’on vérifie ensuite au fil des années, parce qu’après j’ai passé des années et des années auprès de ces Sages, et justement on voit bien au fil du temps, c’est ça qui est formidable, c’est pas une façade, mais qu’ils sont à l’intérieur ce qu’ils montrent à l’extérieur, c’est-à-dire que le messager est vraiment le message.
Ça veut dire quoi « être un bon être humain » ?
Matthieu Ricard : Alors, vous voyez, finalement qu’est-ce que c’est qu’être un mélange d’ombre et de lumière, comme la plupart d’entre nous sont naturellement, et il n’y a pas de mal à ça, c’est ce qui nous fait dans la vie, qu’on a des choses à améliorer, puis des choses à cultiver et des qualités qu’on peut manifester. Pour moi, un bon être humain c’est quelqu’un d’abord qui a une certaine sagesse, c’est-à-dire qui comprend un peu les tenants et les aboutissants des situations humaines, des circonstances de l’existence, qui a un point de vue intelligent, sensible, et surtout quelqu’un qui a une bienveillance. La bienveillance, pour moi, la bonté, c’est… quand le Dalaï-lama dit « ma religion c’est la bonté », eh bien je veux dire qu’il est l’exemple même de cela et c’est vraiment ce qui vous touche le plus dans l’existence. Quand quelqu’un vous dit « c’est une bonne personne, c’est quelqu’un de bon », on a envie d’être auprès de cette personne. On a envie d’être en sa compagnie. On sait que d’abord les rapports seront harmonieux mais qu’on en retirera quelque chose qu’on peut nous-même utiliser dans notre existence, une source d’inspiration, et donc pour moi c’est quelqu’un qui a aussi une force d’âme, qui a du courage, qui a une certaine liberté intérieure, qui n’est pas le jouet de toutes ses pensées, ses émotions, ses caprices. Voilà, c’est une personne dont on se dit tiens…
Jérôme : Oui, mais là vous êtes en train de me dire vous, une bonne personne ce n’est pas moi, ce n’est pas vous, qui conduisez cette voiture, parce que moi je suis… ben oui, je suis le jouet de mes émotions, je suis le jouet de mes envies, de mes désirs, de mes frustrations, je suis un être occidental, donc vous êtes en train de me dire d’une certaine manière vous êtes un être, si pas mauvais, en tout cas inachevé.
Matthieu Ricard : Alors attendez, effectivement vous avez tout à fait raison, je me suis mal exprimé, quand je dis bonne personne je n’entends pas faire une dualité entre bon et mauvais
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comme si on était bon et mauvais intrinsèquement. C’est-à-dire voilà quelqu’un, cette personne-là elle est bonne, elle est mauvaise, c’est gravé dans la pierre, c’est fini. Ce que je voulais dire, en disant quelques instants avant, nous somme sous un mélange d’ombre et de lumière, de qualités et de défauts, c’est qu’on peut se dire voilà, quelqu’un qui vous dit « moi je suis parfait, j’ai rien à changer dans mon existence », vous vous dites bon... on le regarde avec un air absolument médusé, on se dit mais elle n’a jamais réfléchi cette personne ! J’ai entendu quelqu’un me dire ça une fois. Soit il est parfait, soit il est idiot.
Jérôme : C’est ça oui.
Matthieu Ricard : Donc, si vous voulez, maintenant qu’est-ce que c’est ? On peut se dire voilà c’est comme ça, c’est à prendre ou à laisser. C’est ce qui fait la richesse de ma personnalité, je suis différent des autres, mon individualité… et puis il faut apprendre à aimer ses défauts comme ses qualités, donc allons-y, on continue ! C’est un petit peu comme.. je ne sais pas, de se dire « bon, ben, moi vous voyez la maladie c’est naturel, je suis malade, bon ben je continue »… Ce qu’on peut se dire, c’est que voilà, c’est notre point de départ, je suis né, avec des qualités physiques, je ne suis pas né pour courir le 100 mètres comme Hussein Bolt, et encore moins comme un chat qui court beaucoup plus vite qu’Hussein Bolt, donc j’ai des capacités physiques qui sont les miennes, je sais marcher longtemps dans les montagnes, je n’arrive pas à courir beaucoup, voilà c’est comme ça. Mais par contre je peux décider un jour : ah quand même ce serait bien que je fasse plus de gymnastique, que je fasse du jogging et au bout d’un an peut-être que je pourrai courir 10 kms, ce qu’aujourd’hui je suis incapable de faire. Donc, si vous voulez, j’ai mon état de base, ce qu’on appelle l’état normal, mais j’ai aussi un potentiel pour courir avec un peu plus d’endurance…
Jérôme : Pour m’améliorer.
Matthieu Ricard : Pour jouer du piano… Je dirais même pas fondamentalement m’améliorer, mais exprimer un potentiel qui est en moi mais qui est dormant. C’est-à-dire arriver à un point optimal de mes capacités personnelles. Tout le monde ne courra pas comme Hussein Bolt mais on peut courir plus longtemps, plus vite.
Tous les êtres humains ont un potentiel
Jérôme : Quel potentiel dormant vous avez ?
Matthieu Ricard : Je crois que tous les êtres humains ont pour sûr un potentiel, tout dépend de ce qu’on souhaite cultiver. Si on veut dire qu’on veut devenir un champion d’échecs, peut-être qu’on n’arrivera pas à devenir un grand maître d’échecs mais on pourra jouer décemment aux échecs et probablement battre n’importe quel quidam qui est devant vous. Ou jouer du piano un peu mieux que quelqu’un qui n’en a jamais joué. Moi ce qui m’a inspiré, c’est pour ça d’ailleurs que j’ai décidé après ma thèse d’aller vivre dans l’Himalaya auprès de ces Maîtres, c’était justement voyant l’exemple vivant que quelqu’un pouvait cultiver dans sa vie, de quelqu’un qui était constamment, non pas de façon ostensible en disant regardez comme je suis bon, je vais vous donner tout ce que j’ai, prenez donc, c’est pas ça !
C’est à la fois pas du tout d’ostentatoire, mais dans les faits, on voit que c’est quelqu’un qui est d’une grande ouverture, d’une grande bienveillance, d’une grande sagesse, en même temps très posé, je me suis dit : voilà il y a certainement quelque chose que je pourrais améliorer
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dans le cadre de mon potentiel personnel qui n’est pas le même que le vôtre, et on a chacun des obstacles qui diffèrent. Pour quelqu’un, ça peut être… Moi je me rappelle avoir été invité par quelqu’un qui est un peu un puissant de ce monde, et qui voulait avoir une petite idée de ce que c’est la méditation. J’ai parlé de la méditation comme étant un entrainement de l’esprit qui servait notamment à utiliser des antidotes appropriés pour certaines émotions qui nous troublaient plus que d’autres. Et pour certains, ça peut être le désir, pour certains ça peut être la colère, pour d’autres ça peut être la jalousie. Ou l’envie. Ou l’orgueil. On a passé un peu ça en revue. C’est quelqu’un qui… je ne vous dirai pas qui c’est, mais enfin, qui, à un moment donné on est arrivé à la colère, il me dit non la colère c’est pas la peine, moi je n’ai aucune tendance à me mettre en colère. Je dis c’est intéressant. Par contre, il avait d’autres problèmes dans d’autres domaines. Donc, si vous voulez je crois qu’identifier… Alors ça ne veut pas dire qu’il y a des émotions, prenons le désir, l’orgueil, etc… qui sont mauvaises en soi, rien du point de vue du bouddhisme en tout cas n’est mauvais en soi. Tout dépend de ce que ça fait en termes de bien-être et de souffrance. Si vous dites, moi je suis pour l’ego, il faut avoir un fort ego, etc… et toutes ces histoires ça ne m’intéresse pas, je dis bon très bien on va faire un séminaire pendant 24 heures pour que vous ayez un super ego, vous allez multiplier votre ego par 100 et à la fin du compte voyez comment vous vous sentez. Vous allez être genre Donald Trump, « moi, moi, moi » du matin au soir, personnellement je pense que vous n’allez pas vous sentir particulièrement bien.
Si je vous dis, on va faire un séminaire où vous êtes deux fois plus en colère que d’habitude, ou deux fois plus jaloux ou deux fois plus obsédé, dites donc, ce n’est pas vous rendre service là. Donc, si je vous dis voilà on va faire un séminaire où vous allez augmenter votre ouverture à l’autre, votre capacité d’avoir en vous les ressources utiles pour gérer les hauts et les bas de l’existence, pour ne pas vous laissez emporter par un accès de colère, d’être rongé par la jalousie, vous allez dire : tiens c’est intéressant comme système. Vous voyez c’est un petit peu trouver un meilleur équilibre émotionnel sans nuire à la richesse de votre vie intérieure. Je veux dire quand vous voyez le Dalaï-lama on ne peut pas dire qu’il a l’air d’un légume, c’est un être d’une richesse et d’une spontanéité, d’une joie de vivre et aussi c’est quelqu’un d’incroyablement vivant, réactif, qui s’intéresse à tout le monde,… on ne peut pas dire que le fait d’être libéré sans doute de l’animosité ou de la jalousie, etc. l’ait rendu comme une sorte d’indifférence sans couleur. Ça n’a pas beaucoup de sens.
Un Maître spirituel, ça ne court pas les rues à Paris ou à Bruxelles
Jérôme : J’aimerais bien revenir en arrière. Donc, vous êtes enfant, vous êtes baladé un petit peu, hein Matthieu Ricard ? L’Algérie, le Mexique, l’Italie, votre papa a des postes d’enseignant c’est ça ?
Matthieu Ricard : A un moment donné, il partait tout seul. J’ai fait le Mexique, l’Algérie, la France. L’Italie, c’est lui qui y est allé, il nous a laissés à la campagne. Et en fait, j’ai voyagé un petit peu, et très vite, j’ai voyagé par moi-même aussi.
Jérôme : Et votre maman, bien évidemment, peintre, elle, on a l’impression quand même que le choix, vous êtes docteur… en quoi ?
Matthieu Ricard : Génétique cellulaire.
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Jérôme : Vous êtes docteur en génétique cellulaire, c’est tout de même étonnant que paf, un docteur en génétique cellulaire change de vie à ce point ! Qu’est-ce qui s’est passé pour que ces décisions-là se prennent ? Parce qu’effectivement, je pourrais aller dans l’Himalaya et voir des gens qui me sidèrent, je ne ferais pas le pas pour autant nécessairement.
Matthieu Ricard : Ca dépend, il faudrait faire l’essai.
Jérôme : Non, mais qu’est-ce qui vous fait faire le pas ?
Matthieu Ricard : Si vous voulez d’abord ça n’a jamais été paf ! J’ai entendu dire, des histoires de gens où un matin voilà un père de famille, pas de dispute spéciale, ou même une femme, j’ai entendu l’histoire d’une femme qui m’a dit un jour : ça n’a pas de sens, elle a passé la porte de la maison avec un petit sac et elle n’est pas revenue pendant 5 ans. C’est un peu extrême, hein ! Surtout quand on a des enfants et un mari. Pour elle, ça a été paf ! Moi c’est très différent. D’abord j’ai découvert soudainement ces rencontres avec ces Maîtres spirituels à l’âge de 20 ans, j’étais un peu je dirais… presque trop d’impressions, de choses neuves pour moi, un Maître spirituel ça ne court pas les rues à Paris ou à Bruxelles, je veux dire. Si vous voulez aller chercher un prof de gym ou un prof de piano, vous trouvez mais un Maître spirituel à part quelques gourous de mauvais acabit, vous avez un peu de mal. Là-bas, c’est beaucoup plus dans la culture. Ceci dit, c’est quelque chose d’extrêmement nouveau, donc, c’était très inspirant et très impressionnant mais sur le moment, je pourrais dire je ne sais pourquoi, je ne sais pas ce que ça allait donner, ça n’a certainement pas été : ça y est maintenant j’ai trouvé ma vocation, ma vie est décidée. Non pas du tout, j’ai demandé des conseils un peu, sur mon existence, c’était très enrichissant, quand je suis rentré en France j’ai dit bon, et là je me suis aperçu effectivement que ça avait ouvert dans mon esprit beaucoup de possibilités que je n’avais pas imaginées. Donc, fort de tout ça, j’ai commencé à travailler à l’Institut Pasteur, à faire des travaux de recherche, je pratiquais un petit peu la méditation à ma manière tous les jours, et puis, si vous voulez l’été suivant, je me suis dit : ben voilà, j’ai vraiment envie d’aller revoir ces Maîtres spirituels pour voir d’abord si j’ai toujours les mêmes sentiments, approfondir un peu ce que j’ai commencé, et puis j’étais profondément attiré pour les rencontrer à nouveau, quand vous rencontrez une personne chère, quelqu’un qui vous a beaucoup apporté, vous avez envie de le retrouver. J’y suis retourné. Une fois, deux fois, trois fois, j’ai quand même fait sept fois l’aller et retour, avec mes maigres économies et mon petit salaire du CNRS, mon mois de vacances, pour aller de nouveau à Darjeeling auprès de ce Maître spirituel, l’un d’entre eux m’ayant particulièrement inspiré. Donc, c’est vraiment petit à petit, qu’à un moment donné je me suis dit voilà, quand je suis là-bas, pendant ce mois, l’Institut Pasteur est très, très loin dans mes pensées. Quand je suis à l’Institut Pasteur, je travaille sur mes éprouvettes et mon esprit s’envole vers Darjeeling. Je me dis bon et si par hasard je faisais le contraire ? Alors du coup, je me suis dit voilà, il y a un tournant, au bout de 6 ans, la thèse est passée, François Jacob était très content, il m’a dit maintenant : Matthieu, tu vas aller faire un post-doc, je t’ai trouvé un bon labo aux Etats-Unis. Je dis tiens, tiens.. Alors j’ai bien réfléchi, je lui ai dit : écoutez François, je crois que je vais faire mon post-doc dans l’Himalaya. Ça l’a un peu surpris. Alors lui, bon sa vie ne dépendait pas de ce que j’allais faire, je quittais le labo de toute façon, quitte à y revenir plus tard, mon père par contre était un peu plus catastrophé.
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Le Moine et le Philosophe
Jérôme : Vous avez raconté ça dans un livre.
Matthieu Ricard : Oui, c’est ça. « Le Moine et le philosophe ».
Jérôme : « Le moine et le philosophe » paru en 1999, votre père lui n’accepte pas facilement le fait que son fils soit un bon doctorant en génétique cellulaire et qu’il se barre dans l’Himalaya, ça ne lui plait pas à votre père.
Matthieu Ricard : Tout philosophe rêve d’avoir un fils scientifique, donc il s’attendait, il s’imaginait une carrière très brillante. Alors, ce n’est pas qu’il n’a pas accepté, il a eu à mon avis la grandeur d’esprit, il ne l’a pas dit tout de suite, hein ! Mais il l’a dit plus tard quand je suis revenu, qu’on a fait le livre, des émissions de télévision, qu’on l’a interviewé, il a dit : Matthieu avait 26 ans, c’était une personne adulte, c’est à lui de choisir sa vie. Ce qui est remarquable parce que moi j’ai horreur des drames, et un drame terrible de déchirures, de claquer les portes, c’est pas mon genre, donc si vous voulez je lui ai annoncé ça un jour dans une promenade en forêt, il y a eu un silence de mort, il m’a posé trois questions sur comment je comptais survivre dans l’Himalaya, mais ce qu’il ne m’a pas dit, c’est qu’après il a été voir un de ses meilleurs amis, qui était un de ses collègues de l’Express, et qu’en gros, il est tombé en sanglots devant cet ami parce que pour lui c’était dur. Mais il a eu la grande magnanimité de ne pas faire de drame à mon égard. Donc, je me sens très reconnaissant. Et il m’a laissé partir. Alors, au début il devait être un peu inquiet parce que 2, 3 ans plus tard, je ne revenais pas, je ne suis pas revenu pendant 7 ans, puisqu’une fois qu’on est parti, on ne va pas revenir tout de suite, on décide pour de bon, donc il est venu me voir à Darjeeling, parce qu’il allait au Japon, il s’est arrêté en route, il a vu que je ne fumais pas la moquette, que la personne auprès de qui j’étudiais, bon, lui ça ne l’intéressait pas prodigieusement mais il a quand même vu que c’était quelqu’un d’assez remarquable, un grand érudit, très posé, qu’on n’était pas une bande de loufoques, donc il a été relativement rassuré. Il l’a été de plus en plus une fois que j’ai appris le tibétain, j’ai commencé à m’occuper de la préservation de la culture tibétaine, de reproduire des manuscrits anciens, plus tard j’ai commencé des projets humanitaires, je suis devenu l’interprète du Dalaï-lama, donc je crois qu’à la fin de sa vie, il n’était pas fier, mais il était content de voir en tout cas que je m’épanouissais dans l’existence. Parce que quand on voit les drames de parents qui sont tellement, je dirais peinés, ou blessés, ou tristes de voir leurs enfants qui ne trouvent pas leur chemin dans l’existence, qui font des trucs souvent dont on sait que ça va leur faire du mal assez vite et qui se désolent tellement de cette souvent sorte d’impuissance de faire leur vie à la place de ceux qui leur sont chers, alors même si c’est un chemin très différent de l’Institut Pasteur, de voir quelqu’un qui finalement est tellement heureux de faire ce qu’il fait, et puis finalement ça marche à peu près, on peut se dire : voilà ce n’est pas mon chemin mais au moins lui il tient sur ses jambes et il est heureux de vivre ce qu’il vit.
Jérôme : C’est déjà un immense cadeau pour un parent.
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Comme tous les adolescents, j’ai été romantique
Jérôme : Mais à 20 ans, Matthieu Ricard, vous allez voir ces gens, il y a cet attrait incroyable des personnes qu’ils sont, mais à 20 ans, on tente des expériences, on va danser, on drague les filles, ou les hommes, ça dépend de notre orientation sexuelle, on fait ce genre de choses, vous l’avez fait ?
Matthieu Ricard : Très peu.
Jérôme : Peu.
Matthieu Ricard : Peu, je vais vous dire pourquoi. Parce qu’il y a des choses que j’ai faites mais ce n’est pas forcément les mêmes. Ce que j’ai fait, j’étais un passionné de la nature, donc j’ai fait de l’ornithologie.. J’ai fait de la photographie qui est une passion que j’ai exercée avec beaucoup de joie…
Jérôme : On va en parler.
Matthieu Ricard : Dans le reste de mon existence, avec André Fatras qui a été un des premiers, un des pionniers de la photographie animalière en France. J’allais avec lui en Sologne, dans les marais, j’étais vraiment un passionné de nature, je faisais de la voile, du ski… C’est vrai que je n’ai jamais été dans une boum, je ne sais pas comment on appelle ça maintenant…
Jérôme : Pourquoi le gamin de 20 ans n’a pas été tenté par ça alors que à priori…
Matthieu Ricard : J’ai été une fois et j’ai trouvé que ce n’était absolument pas marrant d’être là jusqu’à 4 h du matin, à avoir vraiment envie de dormir, pour gesticuler dans un truc, une espèce de cave où on ne voit rien à part des éclairs et une musique qui pour moi m’assourdissait complètement, je me suis dit mais qu’est-ce que je fabrique là ? Ça ne m’intéressait pas du tout. Vous me mettez au bord d’un lac à regarder…
Jérôme : Et mettre votre langue dans la bouche d’une fille, non plus.
Matthieu Ricard : J’ai eu des petites amies quand même, je ne suis pas…
Jérôme : Parce que c’est ça qui est terrible sur la jeunesse…
Matthieu Ricard : Oui. Attendez, parlons déjà de surprise-party, etc… je me trouvais beaucoup plus heureux au bord d’un étang à regarder des grèbes huppés que dans une boîte à Paris, ça ne m’a absolument jamais apporté la moindre chose. Ceci dit comme tous les adolescents j’ai été romantique, j’ai eu des amoureuses et des chagrins d’amour, et puis voilà…
Jérôme : Mais vous avez trouvé quelque chose de plus vibrant que ça ?
Matthieu Ricard : Eh bien, simplement c’est peu à peu finalement. A un moment donné, mon Maître ne m’a pas dit : attention, tu vas devenir moine. Pas du tout ! Au contraire. Quand je lui ai demandé quelques premiers conseils de vie, parce qu’à l’époque j’avais même songé, à 21 ans, à me marier, etc… Il ne m’a pas dit : ne te marie pas, en plus je n’étais pas sûr, sûr, mais en gros, une sorte de conseil, je dirais de… voilà, un conseil. Pour moi, un Maître spirituel c’était aussi comme des parents, un père et une mère extrêmement bienveillants, à qui je faisais confiance. Il m’a dit : eh bien, écoute, il ne m’a pas dit du tout d’avoir une vie chaste, il m’a dit simplement : attends jusqu’à l’âge de 30 ans pour t’engager pour la vie et tu verras. J’ai dit bon, je vais vivre ma vie… Ça n’a pas été une contrainte, pour moi c’était…
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ok… C’est ce que j’ai fait, et puis effectivement arrivé à l’âge de 30 ans, ça faisait quand même pas mal d’années que je vivais dans des ermitages, auprès de Maîtres spirituels, j’avais toujours des amis, je veux dire, ce n’était pas…mais à un moment donné, je me suis dit, bon, ben maintenant avoir une compagne pour la vie ou choisir la vie monastique ou être complètement libre dans des ermitages, si je pars faire un an de retraite dans la montagne, je ne laisse pas femme et enfants derrière qui se disent : celui-là, qu’est-ce qu’il est ? nous, on est là à bosser, lui tranquillement il médite dans la montagne. Je me suis dit : ben voilà, je peux aider autrement l’humanité, je peux être ami avec les hommes et les femmes sans pour autant avoir ce genre de liens charnels, disons…
La libération
Jérôme : Et le désir, il part comme ça ?
Matthieu Ricard : Et puis voilà, je me suis dit c’est tout simple. Vous voyez, on peut imaginer, alors en Occident, on m’a dit maintenant tu es moine, tu es la moitié d’un homme en gros….
Jérôme : Ridicule.
Matthieu Ricard : C’était généreux dans leur esprit.
Jérôme : C’est ridicule.
Matthieu Ricard : On m’a dit : maintenant ça y est, tu es quasiment…
Jérôme : Ce serait nous réduire à peu de choses quand même.
Matthieu Ricard : … une sorte d’infirme. Moi j’ai eu l’impression d’être plutôt comme un oiseau qui sort de sa cage. Parce qu’il faut dire que certainement, il y a des grandes joies et j’en ai connues, puisque je n’ai pas été célibataire toute ma vie, il y a des grandes joies mais il y a aussi des grands tourments. Donc, l’idée que j’allais pouvoir me consacrer entièrement à la méditation et puis après, à des projets humanitaires, à m’occuper de 25.000 enfants, que je n’ai pas enfantés évidemment, ça aurait un peu long, mais dont je m’occupe…
Jérôme : Fatigant surtout.
Matthieu Ricard : Mais je suis également ami et très proche de beaucoup d’hommes et de beaucoup de femmes mais qu’il n’y a pas cette ambiguïté, est-ce que je vais vouloir la séduire ou pas, eh bien pour moi, c’est une grande liberté et je me suis aperçu que je pouvais avoir des rapports extrêmement riches aussi bien avec les hommes qu’avec les femmes, et que voilà… Alors dire qu’on n’a pas du tout de désir évidemment, d’abord ça serait un peu louche parce que ça voudrait dire qu’on a un problème physiologique ..
Mais vous savez, le désir c’est très relatif. Il y a une très belle expression dans le bouddhisme, c’est que quand vous avez une forte démangeaison, alors ce qu’on fait généralement, on se gratte, on se gratte, jusqu’au sang, et ça démange encore plus, alors ce soulagement de se gratter… mais c’est encore mieux si ça ne vous démange pas. C’est une parole bouddhiste. Alors ce que je veux dire, ce n’est pas, en aucune façon vouloir supprimer les émotions comme le désir, comme la colère, comme une bombe à retardement, ce n’est pas bon pour la santé, généralement ça ne fonctionne pas. Regardez tous ces drames dans, on le voit bien, dans l’église catholique, ce n’est pas un jugement de valeur, mais c’est pour dire que c’est la reconnaissance d’un des symptômes qui montre là où beaucoup de gens ont une vocation religieuse très profonde pour devenir prêtre, sans pour autant avoir cette liberté vis-
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à-vis du désir, d’où tous ces scandales qu’on voit. Il y en a moins chez les protestants. Moi j’ai pas d’opinion à savoir si les prêtres.. , mais je veux dire, le fait qu’on le fasse pas forcément par choix mais parce qu’on veut être prêtre et il se trouve qu’en plus il faut absolument être célibataire, et ceux qui ne se sentent pas.. du coup, à un moment donné ça ne fonctionne plus et il y a des drames qui se passent.
Jérôme : Oui, mais c’est la même chose pour les moines bouddhistes.
Matthieu Ricard : Non…
Jérôme : Vous voulez devenir moine bouddhiste mais ça implique…
Matthieu Ricard : Attendez, la plupart de mes Maîtres étaient des Maîtres spirituels mariés, avec femme et enfants. Le Dalaï-lama est un moine, mes deux autres principaux Maîtres avaient femme et enfants, et la vie monastique, c’est purement un choix et ça doit être fait exclusivement si pour vous ce n’est non pas une contrainte mais une libération. Dans mon cas, c’était liberté totale mais pas avec le moindre mépris ou rejet, c’était simplement voilà, j’étais un oiseau libre.
De la souffrance
Jérôme : Vous disiez tout à l’heure, la passion amoureuse c’était bien, il y avait plein de plaisir mais c’était aussi le fruit de plein de tourments.
Matthieu Ricard : Regardez, tous les romans, tous les films, tous les drames, séparations… enfin on ne peut pas dire non plus que c’est de tout repos.
Jérôme : Ce n’est pas de tout repos !
Matthieu Ricard : On peut dire que ça fait la richesse de l’existence mais ça fait quand même beaucoup de souffrance aussi. Donc, ce n’est pas un jugement de valeur.
Jérôme : Mais est-ce qu’on est là pour ne pas souffrir ?
Matthieu Ricard : Attendez, la souffrance on peut en faire un usage pour grandir, pour se transformer, pour apprendre. De toute façon, la question ne se pose pas puisque vous allez souffrir. Les gens qui n’ont jamais souffert, ça n’existe pas. Ceci dit, ceux qui vous disent la souffrance est désirable en elle-même, non !
Jérôme : Non.
Matthieu Ricard : La souffrance n’est jamais désirable en elle-même. Comme elle va sûrement survenir dans mon existence. Même si ce n’est pas la séparation amoureuse, ce sera une maladie, une souffrance physique, mentale, tout ce que vous voulez, même la souffrance de voir des massacres d’êtres humains, des massacres d’animaux, tout ce que vous voulez, c’est une souffrance. Donc, une fois que la souffrance est là, qu’est-ce qu’on en fait ? Là, le chemin spirituel vous apporte beaucoup d’outils pour utiliser cette souffrance pour grandir, comme un catalyseur de transformation. Donc, la souffrance est évidemment utilisable. Au lieu de vous écrouler devant la souffrance, d’être dévasté par la souffrance, de s’en servir pour grandir spirituellement et humainement, et sur le plan de la compassion, etc… Mais enfin dire que la souffrance est une fin en elle-même, c’est une ineptie.
Jérôme : Je suis entièrement d’accord. Mais vous, vous disiez tout à l’heure, la passion amoureuse c’est plein de plaisirs, c’est aussi plein de tourments. Aujourd’hui, vous Matthieu Ricard, en 2014 vous n’avez pratiquement plus de tourments ? Après tout ce chemin.
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Matthieu Ricard : J’ai, comment dire, j’ai pas vraiment de tourments franchement intérieurs qui me concernent si vous voulez, j’ai pas de ces tourments intérieurs qui tourmentent beaucoup de gens. C’est un fait. Je ne l’attribue non pas à ce que… je ne sais pas, des qualités extraordinaires, mais simplement d’avoir effectivement consacré ma vie, pendant 50 ans, à essayer de transformer ça et grâce, je dois, ma dette de reconnaissance c’est vraiment à ces Maîtres spirituels qui m’ont un peu montré le chemin. Ceci dit, évidemment que je suis indigné devant ces massacres sans fin en Syrie, devant le massacre, de je ne sais pas, 1 milliard ½ d’animaux en France dans les abattoirs, la violence vis-à-vis des enfants, la violence vis-à-vis des femmes, ces terribles discriminations, tout ça, on ne peut pas dire que ça ne vous tourmente pas, mais au fond vous gardez quand même votre force d’âme, votre liberté intérieure, on peut même conserver cette force même dans la tristesse. Si vous perdez un être cher ,vous êtes triste mais vous n’êtes pas désespéré. Donc, si vous voulez, je n’ai pas de tourments existentiels mais il y a des choses qui m’émeuvent évidemment, je ne suis pas devenu une sorte de monstre d’indifférence. Je suis profondément ému par la souffrance des autres. Mais ce n’est pas les tourments je dirais « égocentré »s qui souvent sont le cas de quelqu’un d’orgueilleux qui se fait descendre en flèche, ça le tourmente. Si quelqu’un est obsédé par quelque chose et brusquement cette chose disparaît, ça le tourmente. Si vous êtes confronté à quelqu’un que vous ne pouvez pas voir en peinture, vous êtes tourmenté.
De l’importance relative de certaines choses
Jérôme : Est-ce que vous avez de la peine, pour un garçon - je suis le plus proche de vous là maintenant - comme moi, qui se fait :@ en se disant : oh, est-ce que je vais savoir payer mes factures, comment je vais faire avec mes enfants, est-ce que j’aime bien ma femme, est-ce qu’elle m’aime bien, est-ce que je suis un bon fils, est-ce que je suis un bon père, et je dois courir pour faire ci et je dois courir pour faire ça, et je suis victime de mes frustrations, et je suis victime de mes envies… Est-ce que vous avez de la peine de voir ça de là où vous êtes ? De la façon dont nous vivons, nous..
Matthieu Ricard : On pourrait d’une part évidemment imaginer qu’on voit ça d’une certaine… qu’on voit ça avec condescendance…
Jérôme : Non, non, c’est pas de ce que je parle.
Matthieu Ricard : Si, si, si vous voulez, vous faites un portrait de ce que le bouddhisme appel le cycle de l’existence conditionnée par certaines formes de souffrances. La souffrance d’être confronté avec ce qu’on ne souhaite pas, d’être séparé de ce qu’on veut conserver, etc… Donc, il y a des moyens, et c’est ça auquel un chemin spirituel s’attache, de remédier à un certain nombre, on ne peut pas remédier à la tristesse de voir disparaître un être cher, etc… Mais déjà, le bouddhisme en tout cas, et beaucoup d’autres chemins spirituels vous diront : si vos préoccupations principales sont d’éviter toute sensation déplaisante, de ne rechercher que des sensations plaisantes, déjà ça ne va pas marcher, donc vous êtes mal parti. Si vous êtes étroitement préoccupé par le gain et la perte, avoir une grande avidité pour l’argent ou pour, je ne sais pas, des biens matériels, et que la perte vous coûte énormément, vous allez souffrir. Si vous êtes très préoccupé par l’image que vous avez de vous, l’opinion d’autrui, la célébrité, et très préoccupé de la même façon si votre image est ternie ou si vous êtes complètement
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inconnu et que vous voulez absolument être célèbre, vous allez souffrir, n’est-ce pas ! Si à chaque fois qu’on vous critique, soit vous vous mettez en colère, soit vous tombez dans la dépression, et que quand on vous fait des louanges, vous vous gonflez de vanité comme un ballon de baudruche, vous êtes mal parti pour être heureux. Donc, ce qu’on appelle ces préoccupations vaines finalement, du gain, de la perte, de la louange et de la critique, etc… c’est sûr que si c’est ça qui domine, vous êtes… c’est du roller-coster à longueur de journée ! Donc, ce que le bouddhisme apprend, c’est finalement que ces choses ont une importance extrêmement relative, je dirais minime, et avoir une certaine équanimité comme un vieil homme qui voit des enfants jouer, vous savez il y a le camp des bleus, il y a le camp des rouges, il s’en fiche si c’est les bleus ou les rouges qui gagnent, donc une certaine distance, c’est un jeu, c’est un drame, il n’y a pas de quoi prendre ça au sérieux. Donc, vous êtes beaucoup… vous n’êtes pas idiot, vous n’êtes pas indifférent, mais vous êtes léger, l’insouciance…
Jérôme : Mais l’âge nous apprend ça. Moi aujourd’hui je vais avoir 40 ans, l’âge m’a appris à ne pas prendre ça au sérieux. Après…
Matthieu Ricard : On sait que les gens à mesure qu’ils prennent de l’âge ont plus d’équanimité. Alors ce qu’on fait dans une voie spirituelle, c’est qu’on fait ça plus tôt, plus en profondeur, et peut-être un petit peu mieux parce qu’on est spécialiste, disons. Quand moi ça m’arrive d’être un jour dans une belle voiture à Bruxelles, dans votre magnifique taxi, un autre jour je suis derrière un camion au Bhoutan, au Tibet, sous la pluie, eh bien, on peut chanter dans les deux cas.
Jérôme : C’est sûr.
Un arrêt aux Musées Royaux des Beaux-Arts
Jérôme : Je vous emmène au musée si ça ne vous dérange pas.
Matthieu Ricard : Ah ! D’accord. Quel musée ?
Jérôme : J’ai envie de vous présenter un artiste belge qui est né en 1830…
Matthieu Ricard : Il n’est plus là.
Jérôme : Et décédé en 1905. Non il n’a pas fait l’exploit. Il s’appelle Constantin Meunier.
Matthieu Ricard : Ah, d’accord, découvrons…
Jérôme : C’est un artiste peintre et sculpteur de la Révolution industrielle de la classe ouvrière.
Matthieu Ricard : Ah d’accord, avec plaisir.
Jérôme : Van Gogh est venu habiter en Belgique un moment, dans le Borinage, et il a écrit une lettre à son frère pour dire à son frère : Constantin Meunier est l’artiste belge qui m’a sidéré. Et on lui rend hommage en ce moment aux Musées Royaux des Beaux-Arts.
Les projets humanitaires
Matthieu Ricard : Donc, les projets humanitaires, eh bien maintenant à force, d’abord, c’était un groupe d’amis, j’ai commencé avec 2, 3 amis, on partait au Tibet ou ailleurs avec des valises pleines de sous, on construisait des écoles et des cliniques. Après on s’est organisé un
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peu mieux, et maintenant on a quand même accompli 140 projets, ça s’appelle Karuna, ça veut dire « compassion », Shechen, c’est le nom du monastère, Karuna-Shechen, et donc on a maintenant près de 100.000 patients par an, en Inde, dans les campagnes du Bihar, qui est la province la plus pauvre de l’Inde, dans tout le Népal et dans certaines régions de l’Est du Tibet. Et en gros, on a construit 25 écoles qui abritent environ 25.000 enfants maintenant. On ne s’en occupe plus, on les a laissées à ceux qui s’en occupent. Certaines, on continue à les administrer si vous voulez, mais la plupart on les a données aux populations locales. Donc, voilà on est très content d’avoir fait ça. Ça implique tout le monde, les bienfaiteurs ici en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs, nous-mêmes qui sommes entre les deux, et puis les bénéficiaires sur place et ceux qui gèrent les projets sur place.
Jérôme : Bien sûr.
Le petit questionnaire ou le bouddhisme en 15 secondes
Jérôme : Je dois vous faire petit questionnaire…
Matthieu Ricard : Alors allons-y.
Jérôme : Vous avez chaque fois 15 secondes pour me répondre et je vous jure les questions sont compliquées.
Matthieu Ricard : Bon, et je peux répondre tout de suite ?
Jérôme : Oui. Du tac au tac.
Matthieu Ricard : Bon. Ah, 15 secondes de temps de réponse ?
Jérôme : Oui.
Matthieu Ricard : Pas pour réfléchir ?
Jérôme : Ça doit aller très vite.
Matthieu Ricard : Ok.
Jérôme : Expliquez-nous le bouddhisme ? En 15 secondes.
Matthieu Ricard : Alors, le bouddhisme c’est essentiellement l’alliance de la sagesse et de la compassion, comme les deux ailes d’un oiseau. On ne vole pas d’une seule aile, il faut les deux, il faut sagesse et amour.
Jérôme : Quelle est l’idée principale du bouddhisme ?
Matthieu Ricard : C’est que la nature de la réalité est interdépendante et impermanente et pas aussi solide qu’on le pense, et que la nature de la conscience aussi ça peut être le pur éveil et on peut atteindre une liberté par rapport à l’ignorance et à toutes les émotions négatives.
Jérôme : Bouddha est-il un Dieu ?
Matthieu Ricard : Non, c’est un Sage, c’est un Eveillé, ce n’est ni un saint ni un prophète, ni un Dieu.
Jérôme : Qui est-ce qui a créé le monde et l’univers ?
Matthieu Ricard : Alors, selon le bouddhisme, l’univers est sans début ni fin alors il n’y a pas de problème, on n’a pas le problème du grand début, et on n’a pas le problème de la création ex nihilo parce que le néant qui devient quelque chose du point de vue logique, ce n’est pas facile à expliquer.
Jérôme : Qui est-ce qui a créé l’homme ?
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Matthieu Ricard : Le bouddhisme, vous savez, est très proche de la science, donc si la science vous dit que c’est un phénomène d’évolution, on est tout à fait confortable avec ça.
Jérôme : Est-ce que si je suis méchant j’irai en Enfer ?
Matthieu Ricard : Je ne pense pas non. Si vous êtes méchant, l’Enfer vous le créez tout de suite ici et maintenant, pour vous et pour les autres.
Jérôme : Vous avez été très bon.
Matthieu Ricard : Merci.
Jérôme : Ah oui !
Matthieu Ricard : J’ai passé l’exam ?
Jérôme : Vous avez été très bon.
Le bouddhisme est une science de la réalité, en gros..
Jérôme : C’est marrant cette… alors vous allez détester ça je pense, pratiquement cette tendance, cette mode hein, on sait qu’il y a une mode aux philosophies orientales…
Matthieu Ricard : Au bout de 30 ans, ce n’est plus une mode.
Jérôme : Justement.
Matthieu Ricard : La mode, ça dure rarement plus de 3 ans.
Jérôme : Oui.
Matthieu Ricard : Donc, il y a un intérêt qui peut être considéré comme une mode au départ, si cet intérêt se maintient, s’approfondit et s’élargit ce n’est plus une mode, c’est une tendance culturelle, n’est-ce pas ?
Jérôme : Elle est due à quoi ?
Matthieu Ricard : Alors, est-ce que c’est le fait justement q
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