Précisons que Walpola Rahula est une référence en matière de bouddhisme Theravada et d'érudition bouddhique en générale, il a étudié le Mahayana dans les années 1950 à la Sorbonne. Il était aussi engagé sur le plan politique.
On lui doit entre autre le fameux : L'enseignement du Bouddha d'après les textes les plus anciens. Un ouvrage court mais très dense.
Extrait de : Les Joyaux de la Sagesse Bouddhiste, Buddhist Missionnary Society, Kuala Lumpur, Malaisie, 1996.
Nous allons aborder une question qui est souvent posée par de nombreuses personnes : quelle est la différence entre le bouddhisme Mahayana et le bouddhisme Theravada ?
Afin de mettre les choses en perspective, nous allons nous tourner vers l’histoire du bouddhisme et suivre l’émergence et le développement du bouddhisme Theravada et du bouddhisme Mahayana.
Le Bouddha est né au VIe siècle avant J.C. Après avoir atteint l’Eveil à l’âge de trente-cinq ans, et jusqu’à sa mort ou Mahaparinibbana à l’âge de 80 ans, il passa sa vie à prêcher et enseigner. Il fut certainement l’un des hommes les plus énergiques qui aient jamais vécu : pendant quarante-cinq ans, il enseigna et prêcha nuit et jour, ne dormant que deux heures par jour.
Le Bouddha enseigna à toutes sortes de gens : des rois, des princes, des brahmanes, des fermiers et des mendiants, à des gens instruits et à des gens du peuple. Ses enseignements étaient à chaque fois adaptés à l’expérience, au niveau de compréhension et à la capacité intellectuelle de son auditoire. Ce qu’il a enseigné est appelé Bouddha Vacana, c'est-à-dire : « les Dires du Bouddha ». A cette époque, il n’y avait rien qui s’appelât « Mahayana ».
Après la création du Sangha, l’ordre des moines et des nonnes, le Bouddha établit certaines règles de discipline appelées Vinaya, pour un fonctionnement harmonieux du Sangha. Ses enseignements furent appelés Dhamma, : ils incluent ses discours et ses sermons donnés aux moines, aux nonnes et aux laïcs.
Le Premier Concile
Trois mois après le Mahaparinibbina du Bouddha, ses disciples les plus proches décidèrent de tenir un concile à Rajagaha. Maha Kassapa, le plus respecté et le plus âgé des moines, présidait cette assemblée. Deux très importantes personnalités spécialisées chacune dans un domaine différent, le Dhamma et le Vinaya, étaient présentes. L’un d’eux était Ananda, le plus fidèle compagnon du Bouddha et disciple depuis vingt-cinq années. Doté d’une remarquable mémoire, Ananda était capable de réciter tout ce qu’avait dit le Bouddha. L’autre personnalité était Upali qui avait mémorisé toutes les règles du Vinaya.
Seules ces deux sections, le Dhamma et le Vinaya, furent récitées lors de ce premier concile. Là, il n’y eut aucune opinion divergente quant au contenu du Dhamma (il ne fut pas fait mention de l’Abhidhamma). Il y eut simplement quelques discussions concernant les règles du Vinaya.
Avant son Parinibbana, le Bouddha avait dit à Ananda que si le Sangha voulait amender ou modifier certaines règles mineures, cela pouvait être fait. Mais Ananda,submergé par le chagrin d’entendre le Bouddha envisager sa mort prochaine, omit de demander au Maître ce qu’il fallait entendre par « règles mineures ».
Comme les membres du concile furent incapables de se mettre d’accord sur la définition de ces « règles mineures », Maha Kassapa décida finalement qu’aucun changement ne serait apporté aux règles de discipline édictées par le Bouddha, ni qu’aucune règle nouvelle ne serait ajoutée. Aucune raison ne fut donnée à cette décision. Maha Kassapa précisa cependant : « Si nous changeons les règles, certains diront que les disciples du Vénérable Gotama changent les règles alors que les cendres de son bûcher funéraire n’ont pas encore fini de se consumer. »
A ce concile, le Dhamma fut scindé en de nombreuses parties et chaque partie fut confiée à un Ancien et à son disciple direct afin qu’ils le mémorisent. Le Dhamma fut ainsi transmis oralement de maîtres à disciples. Le Dhamma était récité quotidiennement par des groupes qui souvent vérifiaient, par recoupements, qu’il ne se produise ni additions ni omissions. Les historiens s’accordent à penser que la tradition orale est plus fiable que la transcription que ferait une personne seule, à partir de sa mémoire, plusieurs années après l’évènement.
Le Deuxième Concile
Cent ans plus tard, se tint le Deuxième Concile pour débattre de quelques règles du Vinaya. Il n’y avait aucun besoin de changer les règles, trois mois après le Parinibbana du Bouddha parce que peu de changements politiques, économiques ou sociaux étaient intervenus en si peu de temps. Mais cent ans plus tard, certains moines virent la nécessité de changer certaines règles mineures. Les moines les plus orthodoxes continuèrent à soutenir que rien ne pouvait être changé, tandis que d’autres insistèrent pour faire modifier quelques règles.
Finalement, un groupe quitta le concile et forma le Mahasanghika – la Grande Communauté. A ce moment-là, ce groupe était appelé « Mahasanghika » et n’était pas connu comme « Mahayana ». Durant ce deuxième concile, seuls des sujets touchant au Vinaya furent discutés et aucune controverse concernant le Dhamma n’a été rapportée.
Le Troisème Concile
Au IIIe siècle avant J.C., durant le règne du roi Asoka, le Troisième Concile se réunit pour débattre des différentes opinions professées par les moines des différentes sectes. A ce concile, les différends ne concernaient pas seulement le Vinaya, mais étaient aussi liés au Dhamma. A la fin de ce concile, le moine qui le présidait, Maggaliputta Tissa, rédigea un livre où il réfutait les opinions hérétiques, et les vues ou théories fausses soutenues par quelques sectes. L’enseignement approuvé par ce concile est connu sous le terme de « Theravada ». L’Abhidhamma Pitaka (la « Corbeille » des commentaires sur le Dhamma) fut inclus au Dhamma lors de ce concile.
Après ce concile, le fils d’Asoka, le vénérable Mahinda, introduisit le Tripitaka (« les Trois Corbeilles ») au Sri Lanka, accompagné des commentaires récités lors du Troisième Concile. Les textes apportés au Sri Lanka furent conservés jusqu’à aujourd’hui sans qu’une seule page ne soit égarée. Les textes étaient rédigés en langue palie qui est dérivée du Magadhi, la langue parlée par le Bouddha. A cette époque, il n’était toujours pas fait mention du Mahayana.
Introduction du Mahayana
Entre le Ie siècle avant J.C. et le Ie siècle après J.C., les deux termes, Mahayana et Hinayana, apparurent dans le Saddharma Pandarika Sutta ou « Sutta du Lotus de la Loi Juste ».
Aux alentours du IIe siècle après J.C., le Mahayana fut clairement défini. Nagarjuna développa la philosophie mahayaniste de sunyata (la vacuité), qui explique que la nature de l’existence n’était que vacuité, dans un court texte intitulé « Madhyamika-karita ». Vers le Ive siècle, ce furent Asanga et Vasubandha qui rédigèrent de nombreux travaux sur le Mahayana.
Après le Ie siècle après J.C., les Mahayanistes se définirent en tant que tels et alors, les termes « Mahayana » et « Hinayana » furent utilisés.
Nous ne devons pas confondre Hinayana avec Theravada car les termes ne sont pas synonymes. Le bouddhisme Theravada vint du Sri-Lanka au troisième siècle avant JC, à une époque où le Mahayana n’existait pas encore. Les sectes hinayana se sont développées en Inde et n’ont eu aucun contact avec la forme du bouddhisme existant au Sri Lanka.
Aujourd’hui, aucune secte hinayaniste n’existe plus dans le monde.
En conséquence, en 1950, le « World Fellowship of Buddhists » (la Fraternité Bouddhiste Mondiale) rassemblé à Colombo décida à l’unanimité que le terme « Hinayana » devait être abandonné quand on fait référence au bouddhisme existant aujourd’hui au Sri-Lanka, en Thaïlande, en Birmanie, au Cambodge et au Laos, etc.
Voici pour ce bref rappel historique sur le Theravada, le Mahayana, et l’Hinayana.
Mahayana et Theravada
Maintenant, voyons quelle est la différence entre le Mahayana et le Theravada.
J’ai étudié le Mahayana pendant de nombreuses années et plus je l’étudie plus je trouve qu’il n’y a presque aucune différence entre le Theravada et le Mahayana pour ce qui concerne les enseignements fondamentaux.
· Les deux écoles acceptent le Bouddha Sakyamuni comme étant le Maître.
· Les Quatre Nobles Vérités sont exactement les mêmes dans les deux écoles.
· Le Noble Octuple Sentier est exactement le même dans les deux écoles.
· Le Paticcasamuppada ou processus de la coproduction conditionnée est le même dans les deux écoles.
· Les deux écoles rejettent l’idée d’un être suprême créateur du monde.
· Les deux écoles acceptent anicca, dukkha, anatta, sila, samathi, pañña sans aucune différence (l’impermanence, l’insatisfaction, le non-soi, la vertu, la concentration et la sagesse).
Ce sont là les enseignements les plus importants du Bouddha et ils sont tous acceptés par les deux écoles sans réserve.
Il y a aussi quelques points de divergence. Le plus évident est l’idéal de Boddhisattva (celui qui renonce au nirvana et revient sur terre par compassion pour sauver tous les êtres). Certains disent que le Mahayana considère que c’est la nature de Boddhisattva qui conduit à la bouddhéité alors que le Theravada considère que c’est la nature de l’Arahant ( le noble être éveillé). Je dois insister sur le fait que le Bouddha était aussi un Arahant. Bouddha Paceka est aussi un Arahant. Un disciple peut être aussi un Arahant. Les textes du Mahayana n’utilisent jamais le terme de « Arahant-yana » (véhicule de l’Arahant). Ils utilisent trois termes : Bodhisattvayana, Prateka Bouddhayana et Sravakayana. Dans la tradition Theravada, ces trois notions sont nommées « bodhi ».
Certains pensent que le Theravada est égoïste parce qu’il enseigne que chacun doit œuvrer par soi-même pour son salut. Mais comment quelqu’un d’égoïste pourrait atteindre l’Eveil ?
Les deux écoles acceptent les trois « yana » ou « bhodi » mais considèrent que l’idéal du Bodhisattva est le plus élevé. Le Mahayana a créé de nombreuses figures de Bodhisattva tandis que le Theravada considère qu’un Bodhisattva est un homme vivant parmi nous et qui consacre toute son existence à atteindre la perfection et devenir finalement un Bouddha pleinement éveillé pour le bien du monde, pour le bonheur du monde.
Trois types de bouddhéité
Il y a trois types de bouddhéité : le Samma Sambouddha qui obtient la pleine illumination par son propre effort, le Pacceka Bouddha qui a des qualités moindres que le Samma Sambouddha et le Savaka Bouddha qui est le disciple d’un Arahant.
L’accomplissement du nirvana pour ces trois natures de Bouddha est la même. La seule différence réside dans le fait que le Samma Sambouddha possède plus de qualités et de capacités que les deux autres.
Certains pensent que la vacuité (ou sunyata) explicitée par Nagarjuna est une doctrine propre à l’enseignement Mahayana. Cette notion est basée sur l’idée de non-soi (anatta), sur paticcamappada ou processus de la coproduction conditionnée, qui se trouve dans les textes originaux en langue palie du Theravada. Une fois, Ananda demanda au Bouddha : « Certains disent que le monde n’est que vacuité. Qu’est-ce que la vacuité ? » Et le Bouddha répondit : « Ananda, il n’y a pas de soi, ni rien qui dépende de soi dans le monde. En conséquence, le monde est vide. »
Cette idée a été reprise par Nagarjuna lorsqu’il écrit son ouvrage remarquable, le « Madhyamika Karita ».
A côté de la notion de vacuité, il y a le concept de « conscience fondamentale » (alayavijnava) dans le bouddhisme mahayana qui trouve ses racines dans les textes théravadins. Les Mahayanistes ont développé ceci dans une philosophie et une psychologie approfondies.
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