Le Vénérable Ajahn Nyanadhammo est né en Australie en 1955. Il a commencé à s’intéresser au bouddhisme alors qu’il était étudiant en biologie. En 1978 il fit un séjour au monastère thaï de Sydney, Wat Buddhadhamma, puis partit se faire ordonner moine en Thaïlande. C’est en 1979, à l’âge de 24 ans, qu’il reçut la pleine ordination du Vénérable Ajahn Chah, maître de la Tradition de la Forêt au nord-est de la Thaïlande.
Il passa de nombreuses années en « tudong » (en marchant dans la forêt), méditant dans des monastères reculés et cherchant à rencontrer de grands maîtres pour marcher sur leurs traces..
De 1994 à 2002 il fut l’assistant d’Ajahn Brahmavamso au monastère Bodhinyanarama en Australie occidentale et, en 2002, il prit la suite d’Ajahn Jayasaro en tant qu’abbé de Wat Pah Nanachat, le monastère international créé à la suggestion d’Ajahn Chah et dédié à la formation des moines de langue anglaise.
Il passa de nombreuses années en « tudong » (en marchant dans la forêt), méditant dans des monastères reculés et cherchant à rencontrer de grands maîtres pour marcher sur leurs traces..
De 1994 à 2002 il fut l’assistant d’Ajahn Brahmavamso au monastère Bodhinyanarama en Australie occidentale et, en 2002, il prit la suite d’Ajahn Jayasaro en tant qu’abbé de Wat Pah Nanachat, le monastère international créé à la suggestion d’Ajahn Chah et dédié à la formation des moines de langue anglaise.
La méditation en marchant
Ajahn Nyanadhammo
Traduction française de Phra Asekho
Extrait de "Intuctions de Méditation"
2007 le Shanga, Wat Pah Nanachat
Introduction
Je voudrais présenter ici les détails pratiques de la méditation en marchant. Je vais traiter du comment, quand, où et pourquoi de cette forme de méditation. Mon intention est d’inclure dans cette présentation aussi bien des instructions pratiques sur les aspects techniques de cette forme de méditation que des instructions créant la qualité d’esprit qui mène au développement de la concentration, de révélations et de la sagesse.
Le Bouddha a insisté sur le développement de la présence d’esprit dans les quatre positions principales: debout, assis, couché et en marchant (DN 22, MN 10). Il nous a incité à être attentifs dans toutes ces positions afin de créer une conscience claire et un rappel constant de ce que nous sommes entrain de faire, dans la position dans laquelle nous sommes.
Si vous lisez l’histoire des moines et des nonnes de l’époque du Bouddha, vous constaterez que nombre d’entre eux ont atteint les étapes de l’Eveil sur leur chemin de méditation. La méditation en marchant se dit cankama en pāli. C’est une activité pendant laquelle on peut focaliser et concentrer l’esprit, ou développer la connaissance par le travail d’enquête et la sagesse.
Il y a des gens qui se trouvent naturellement attirés par la méditation en marchant, parce qu’ils la trouvent plus facile et plus naturelle que la méditation assise. Lorsqu’ils sont assis, ils se sentent lourds d’esprit ou tendus, ou sont facilement distraits.
Leur esprit ne se calme pas. Si c’est votre cas, ne persévérez pas ; faites quelque chose de nouveau et essayez de changer de position.
Faites quelque chose d’autre ; jouez avec la méditation debout ou essayez la méditation en marchant. Cette nouvelle position de méditation peut vous donner d’autres moyens de développer votre habileté à vous appliquer. Ces quatre positions de méditation sont simplement des techniques, des méthodes de développement et d’entraînement de l’esprit.
Essayez de développer la méditation en marchant ; vous pourriez commencer à en apprécier les bénéfices. Dans la tradition de méditation de forêt de la Thaïlande du nord-est, on accorde beaucoup d’importance à la méditation en marchant. Nombre de moines passent des heures à marcher pour développer de la concentration, parfois jusqu’a dix ou quinze heures par jour !
Feu Ajahn Singtong pratiquait tant de méditation en marchant que ses pas avaient creusé une ornière dans son chemin. Le chemin sableux qu’il utilisait pour sa méditation était creusé par les nombreuses heures de marche quotidienne, parfois jusqu’à quinze heures ou plus par jour ! Un autre moine, Ajahn Kum Dtun marchait tant en méditation qu’il ne se souciait même pas de retourner dans sa hutte pour la nuit. Quand il était vraiment fatigué d’avoir marché toute la journée jusqu’à tard le soir, il se couchait où il était sur son chemin de méditation, et utilisait son poing en guise coussin. Il s’endormait avec présence d’esprit, après avoir décidé de se lever l’instant où il se réveillerait. Dès qu’il se réveillait, il recommençait à marcher. Autant dire qu’il vivait sur son chemin de méditation ! Ajahn Kum Dtun a obtenu des résultats rapides dans sa pratique.
En occident, on n’accorde pas une telle importance à la méditation en marchant. Je voudrais donc décrire le processus et vous le recommander comme complément à votre pratique assise. J’espère que ces instructions vous aideront à développer votre répertoire de techniques méditatives, à la fois dans votre méditation formelle et dans votre quotidien. Puisque cette activité qu’est la marche occupe tant de notre vie, si vous savez y appliquer votre attention, alors même les va-et-vient dans la maison peuvent devenir un exercice de méditation.
Les cinq bénéfices de la méditation en marchant
Le Bouddha a décrit cinq bénéfices de la méditation en marchant (AN, III, 29). Les voici dans l’ordre dans lequel il les a donnés dans ce Sutta : ça développe l’endurance ; ça développe l’effort ; c’est sain ; c’est bon pour la digestion, après un repas ; et la concentration qui naît de la méditation en marchant dure longtemps.
Bon pour le développement de l’endurance
Le premier bénéfice de la méditation en marchant est que ça mène à l’endurance pour pouvoir marcher longtemps. C’était particulièrement important à l’époque du Bouddha quant la plupart des gens voyageaient à pied. Le Bouddha lui-même se promenait régulièrement d’un endroit à l’autre, parcourant régulièrement plus d’une quinzaine kilomètres par jour. Il a donc recommandé la méditation en marchant comme moyen de développer la forme physique et l’endurance pour pouvoir marcher longtemps.
De nos jours, les moines de forêt continuent cette pratique de voyager à pied. Ça s’appelle «tudong » (dutanga). Ils prennent leur bol et leurs robes et partent à la recherche d’endroits retirés pour méditer. En guise d’entraînement avant leur départ, ils augmentent progressivement le temps passé à méditer en marchant afin de développer leur forme physique et leur endurance. Ils augmentent le nombre d’heures passées à marcher chaque jour jusqu’au moins cinq ou six. Si vous marchez à environ quatre ou cinq kilomètres à l’heure et que vous passez cinq heures à méditer en marchant chaque jour, le nombre de kilomètres s’accumule.
Bon pour le développement de l’effort
Le développement de l’effort, en particulier pour vaincre la somnolence, est le deuxième bénéfice de la méditation en marchant. Lorsqu’ils pratiquent la méditation assise, les gens peuvent glisser dans des états de tranquillité, mais s’ils sont un peu trop « tranquilles », sans conscience, alors ils risquent de se mettre à piquer du nez, ou même à ronfler. Le temps passe vite, mais ils n’ont aucune clarté ou conscience, malgré le sentiment de paix. Sans présence d’esprit ou conscience, la méditation peut tourner à la lourdeur d’esprit, parce qu’il a été envahi par la paresse et la torpeur. Le développement de la méditation en marchant peut contrer cette tendance.
Ajahn Chah, par exemple, nous recommandait habituellement de rester debout toute la nuit une fois par semaine. On devient très somnolent vers une ou deux heures du matin, alors Ajahn Chah conseillait de méditer en marchant a reculons pour vaincre cette somnolence. On ne s’endort pas en marchant a reculons !
Lorsque je vivais au monastère Bodhinyana, dans l’ouest de l’Australie, je me souviens être sorti tôt un matin, vers cinq heures, pour méditer un peu en marchant. J’ai vu un des laïcs qui passait la retraite des pluies au monastère fournir des efforts considérables pour vaincre la somnolence. Il méditait en marchant au sommet du mur d’enceinte, à deux mètres du sol, devant le portail d’entrée du monastère, et y faisait très consciemment ses allers-retours !
Je craignais qu’il tombe et se fasse du mal. Il faisait pourtant de gros efforts pour être présent à chaque pas, et il était entrain de surmonter la somnolence en développant une vigilance aiguë, de l’effort et du zèle.
Bon pour la santé
Le Bouddha a dit que la méditation en marchant entretenait la santé. C’est là le troisième bénéfice de la méditation en marchant. Nous savons tous que la marche est considérée comme un bon exercice. Ces jours on entend même parler de « power walking ». Ici nous parlons de « power meditation », développer la méditation en marchant comme exercice physique aussi bien que mental. Ainsi la marche peut être employée à la fois comme exercice et comme manière de cultiver l’esprit. Mais pour recevoir ces deux bénéfices nous devons amener de la conscience au processus de la marche, plutˆot que simplement marcher en laissant l’esprit vagabonder et penser `a autre chose.
Bon pour la digestion
Le quatrième bénéfice de la méditation en marchant est que ça promeut une bonne digestion. Ceci est particulièrement important pour les moines qui mangent un seul repas par jour. Après un repas, le sang afflue vers l’estomac, à distance du cerveau. Il arrive donc qu’on se sente lourd. Les moines de forêt insistent qu’après un repas, il faut passer quelques heures à méditer en marchant, parce que faire des allées et venues aide la digestion. Pour les laïcs qui méditent aussi, si vous avez pris un repas lourd, plutôt que d’aller vous allonger, sortez faire une heure de méditation en marchant. Ça mènera au bien-être physique et sera une occasion de cultiver l’esprit.
Bon pour le maintient de la concentration
Le cinquième bénéfice important de la méditation en marchant est que la concentration qui en naît se maintient longtemps. La position de marche est en fait une position de méditation assez grossière comparée à celle assise. Assis, il est facile de maintenir sa posture. Nous avons les yeux fermés, il n’y a donc pas de stimulus visuel, et nous ne sommes engagés dans aucun mouvement physique. L’assise, donc, comparée à la marche, est une posture plus raffinée en ce qui concerne l’activité physique. Il en va de même pour les positions debout et allongée, parce qu’aucun mouvement n’a lieu.
Lorsque nous marchons, il y a beaucoup de stimuli sensoriels. Nous regardons où nous allons ; il y a donc un stimulus visuel, et également un stimulus qui vient du mouvement du corps. Si nous pouvons concentrer l’esprit pendant que nous marchons et que nous recevons tous ces stimuli sensoriels, lorsque nous quittons cette posture pour aller vers une position plus raffinée, notre concentration devient alors plus facile à maintenir. Ainsi, quand nous nous asseyons, la force de l’esprit et la puissance de cette concentration se transfèrent facilement à cette position plus raffinée.
Par contre, si l’on n’a que développé la concentration dans la position assise, quand on quitte cette position et qu’on commence à faire des mouvements physiques plus grossiers tels que marcher, il est plus difficile de maintenir ce niveau de concentration. C’est parce qu’on va du raffiné au grossier. La méditation en marchant peut donc aider à développer de la force et de la clarté d’esprit ainsi qu’une concentration qui peut se transférer à d’autres positions de méditation moins actives.
Se préparer à méditer en marchant
Trouver un lieu convenable
L’endroit où le Bouddha pratiquait la méditation en marchant à Bodhgaya après son Illumination existe encore aujourd’hui. Son chemin de méditation était long de dix-sept pas. De nos jours les moines de forêt tendent à faire des chemins de méditation beaucoup plus longs. Le débutant risque de trouver trente pas un peu trop long, parce que sa présence d’esprit n’est pas encore développée. Au moment où il arrive au bout du chemin, son esprit a parfois déjà fait le tour du monde. Souvenez-vous, la marche, c’est une position stimulante et, au début, l’esprit tend à vagabonder beaucoup. On conseille d’habitude aux débutants de commencer sur un chemin plus court ; une quinzaine de pas est une bonne longueur.
Si vous voulez méditer en marchant à l’extérieur, trouvez-vous un endroit retiré où vous ne serez pas distrait ou dérangé. Il est bon de trouver un chemin de méditation qui soit légèrement à l’abri. Ça peut être distrayant de marcher dans un espace ouvert où il y a un panorama, puisque vous risquez de trouver que l’esprit est attiré par le spectacle. Un espace protégé est particulièrement convenable aux personnes de nature spéculative, qui aiment penser beaucoup ; ça les aide à calmer l’esprit (Vsm, III, 103). Si le chemin est protégé, ça tend à ramener l’esprit à l’intérieur, en dedans de soi et vers la paix.
Préparer le corps et l’esprit
Une fois que vous avez choisi un chemin adéquat, tenez-vous debout à l’une de ses extrémités. Tenez-vous droit. Placez votre main droite par-dessus la gauche devant vous. Ne marchez pas les mains dans le dos. Je me souviens d’un maître de méditation qui visitait le monastère et, en voyant un visiteur qui faisait ses allers-retours les mains dans le dos, a dit : « Il ne médite pas lui, il se promène ! » Il a fait cette remarque parce qu’il manquait une détermination suffisamment claire pour focaliser l’esprit sur la marche en plaçant les mains devant, et ça ne permettait pas de faire la distinction entre la méditation et la marche normale.
La pratique consiste tout d’abord à développer samādhi, et ça requiert un effort focalisé. Le mot pali samādhi signifie focaliser l’esprit, développer l’esprit vers l’unification par étapes successives de présence d’esprit et de concentration. Pour focaliser l’esprit, il faut être diligent et déterminé. Ça demande un certain degré de calme physique aussi bien que mental. On construit tout d’abord ce calme en ramenant les mains devant soi. Calmer le corps aide à calmer l’esprit. Après avoir calmé le corps, il faut se tenir immobile et amener la conscience et l’attention au corps. Puis levez les mains en anjali, un geste de respect, et, les yeux fermés, rappelez-vous les qualités du Bouddha, du Dhamma et de la Sangha (Buddhanussati, Dhammanussati et Sanghanussati).
Vous pouvez contempler le refuge pris dans le Bouddha, le sage, celui qui sait et voit, l’Éveillé, celui qui est parfaitement illuminé. Pendant quelques minutes, réfléchissez dans votre coeur aux qualités du Bouddha. Ensuite rappelez-vous les qualités du Dhamma, la vérité que vous aspirez à réaliser et à cultiver sur le chemin de méditation. Finalement, pensez aux qualités de la Sangha, surtout `a ceux qui, pleinement illuminés, ont réalisé la vérité en cultivant la méditation. Puis ramenez les mains devant vous et déterminez mentalement le temps que vous allez passer à méditer en marchant, que ce soit une demi-heure, une heure, ou plus. Quelque soit la durée déterminée pour marcher, adhérez-y. De cette manière vous nourrissez l’esprit d’enthousiasme, d’inspiration et de confiance pendant cette étape initiale de la méditation.
Il est important de se souvenir de garder les yeux au sol, à environ un mètre et demi ou deux devant soi. Ne vous laissez pas distraire par ceci et cela autour de vous. Maintenez la conscience sur la sensation de la plante des pieds ; vous développez ainsi une attention plus raffinée, et une connaissance claire de la marche pendant la marche.
Les bases de la méditation en marchant et le choix d’un objet
Le Bouddha a enseigné quarante différents objets de méditation (Vsm, III, 104), nombre desquels peuvent être utilisés sur le chemin de marche. Certains sont toutefois mieux adaptés que d’autres. Je vais présenter un certain nombre de ces objets de méditation ici, en commençant par ceux qui sont employés le plus fréquemment.
Conscience de la position de marche
Dans cette méthode, vous placez toute votre attention sur la plante des pieds, sur les sensations ressenties à mesure qu’elles apparaissent et disparaissent. Il est présumé que vous marchez pieds nus, comme le font la plupart des moines ; vous pouvez porter des chaussures à semelles légères si nécessaire. Lorsque vous commencez à marcher, la sensation change. Quand le pied est levé et redescend au contact du chemin, une nouvelle sensation apparaît. Soyez conscient de cette sensation telle qu’elle est ressentie par la plante du pied. Lorsque le pied est à nouveau levé, notez mentalement la nouvelle sensation tandis qu’elle apparaît. Chaque fois que vous levez le pied et le reposez, connaissez les sensations ressenties. A chaque nouveau pas, de nouvelles sensations sont ressenties et de vieilles sensations cessent. Elles doivent être connues avec présence d’esprit. A chaque pas se fait l’expérience de nouvelles sensations. Une sensation qui apparaît, une sensation qui disparaît. Une sensation qui apparaît, une sensation qui disparaît.
Nous plaçons ici l’attention sur la sensation même de la marche, à chaque pas, sur les vedanā (les sensations agréables, désagréables ou neutres). Nous sommes conscients du type de vedanā qui apparaît à la plante des pieds, quel qu’il soit. Quand nous sommes debout, il y a une sensation ressentie au contact du sol. Ce contact peut produire une douleur, de la chaleur ou d’autres sensations.
Nous plaçons notre attention consciente sur ces sensations, les connaissant pleinement. En levant le pied pour faire un pas, la sensation change dès que le pied quitte le sol. En reposant le pied, une nouvelle sensation apparaît dès qu’il reprend contact avec le sol. En marchant, les sensations changent constamment et se renouvellent. Nous remarquons attentivement l’apparition et la disparition des sensations à mesure que les pieds quittent ou reviennent au sol. Nous gardons ainsi notre pleine attention sur les sensations simples qui apparaissent au cours de la marche.
Aviez-vous franchement déjà remarqué les sensations dans les pieds au cours de la marche ? Elles sont présentes chaque fois que nous marchons, mais nous tendons à ne pas remarquer ces choses subtiles dans la vie. Lorsque nous marchons, notre esprit a tendance à être ailleurs. La méditation en marchant est une façon de simplifier ce que nous faisons, pendant que nous le faisons. Nous ramenons l’esprit « ici et maintenant », à l’unisson avec la marche pendant la marche. Nous simplifions tout, calmant l’esprit en connaissant simplement les sensations tandis qu’elles apparaissent et disparaissent.
A quelle vitesse faut-il marcher ? Ajahn Chah conseillait de marcher à un rythme naturel, ni trop vite ni trop lentement. Si vous marchez vite, vous pourriez trouver très difficile de vous concentrer pour ressentir les sensations qui apparaissent et disparaissent. Il vous faut peut-être ralentir un peu. Pour d’autres personnes, au contraire, il est nécessaire d’aller un peu plus rapidement. Ça dépend de la personne. Il vous faut trouver votre propre rythme, celui qui fonctionne pour vous. Vous pouvez commencer doucement et progressivement arriver à votre rythme de marche normal.
Si votre présence d’esprit est faible (c’est-à-dire si votre esprit vagabonde beaucoup), marchez très lentement, jusqu’à ce que vous puissiez rester dans le moment présent à chaque pas. Commencez par établir la présence d’esprit au début du chemin. Quand vous passez le milieu du chemin, demandez-vous : « Où est mon esprit ? Est-il sur les sensations de la plante des pieds ? Suis-je entrain de connaître le contact ici et maintenant, dans ce moment présent ? »
Si l’esprit est parti se promener, ramenez-le à nouveau aux sensations de la plante des pieds et continuez à marcher. Quand vous arrivez au bout du chemin, retournez-vous lentement et rétablissez la présence d’esprit. Où est l’esprit ? Connaît-il les sensations au niveau de la plante des pieds ? Ou est-il parti se promener ? L’esprit a tendance à partir se promener ailleurs, à courir après des pensées d’angoisse, de peur, de bonheur, de chagrin, de soucis, de doutes, de plaisirs, de frustrations et une myriade de pensées susceptibles d’apparaître. Si la conscience de l’objet de méditation n’est pas présente, rétablissez-la d’abord, puis reprenez la marche. Rétablissez l’esprit sur la simple action de marcher et commencez à marcher vers l’autre extrémité du chemin. En passant par le milieu du chemin, remarquez : « Je suis maintenant au milieu du chemin » et vérifiez si l’esprit est avec l’objet de méditation. Puis, en arrivant au bout du chemin, prenez note : « Où est l’esprit ? » Vous marchez ainsi, faisant des allers-retours en ressentant consciemment les sensations qui apparaissent et disparaissent. En marchant, rétablissez constamment votre présence d’esprit, ramenez et attirez l’esprit en dedans, devenez conscient, connaissez la sensation à chaque moment tandis qu’elle apparaît et disparaît.
En maintenant l’esprit présent sur le ressenti au niveau de la plante des pieds, nous remarquons que l’esprit se distrait moins. L’esprit est moins enclin à sortir explorer les choses qui se passent autour de nous. Nous nous calmons. L’esprit va se calmer à mesure qu’il se pose. Une fois que l’esprit est calme et tranquille, il est possible que vous trouviez la position en marchant trop grossière pour cette qualité d’esprit. Vous aurez simplement envie d’ˆêtre immobile. Alors arrêtez-vous et restez debout pour permettre à l’esprit de goûter à ce calme et cette tranquillité. On appelle ça passaddhi ; c’est un des facteurs d’Eveil.
Si en marchant l’esprit devient très raffiné, vous pourriez trouver qu’il est impossible de continuer. La marche implique la volition de se déplacer, et votre esprit pourrait être trop focalisé sur l’objet de méditation pour cela. A ce moment, arrêtez-vous sur le chemin de méditation, et poursuivez la pratique dans la position debout. La méditation concerne le travail de l’esprit, et non une position particulière. La position physique est simplement un moyen pratique de rehausser le travail de l’esprit.
La concentration et la tranquillité travaillent de concert avec la présence d’esprit. Combinées aux facteurs d’énergie, d’investigation du Dhamma, de joie et d’égalité d’humeur, ce sont les « sept facteurs d’éveil ». Quand, dans la méditation, l’esprit est tranquille, cette tranquillité va provoquer l’apparition de sentiments de joie, de ravissement et de béatitude. Le Bouddha a dit que la béatitude de la paix est le plus grand des bonheurs (MN, I, 454), et un esprit concentré goûte à cette paix. Il nous est possible trouver cette paix dans nos vies.
Une fois que nous avons développé la pratique de la méditation en marchant dans un contexte formel, nous pouvons alors utiliser cette activité comme méditation lorsque nous allons ici et là dans notre vie quotidienne, aux magasins, d’une pièce à l’autre ou même à la salle de bains. Nous pouvons alors être simplement conscients de la marche, être juste avec ce processus. Notre esprit peut être calme et paisible. C’est une fa¸con de développer la concentration et la tranquillité dans notre vie quotidienne.
De la méditation assise au chemin de marche
Si, lors de la méditation assise, l’esprit devient tranquille en utilisant un certain objet de méditation, employez alors le même objet en marchant. Avec certains objets de méditation subtils, toutefois, tels que la respiration, l’esprit doit d’abord atteindre un certain degré de stabilité dans cette tranquillité. Si l’esprit n’est pas encore tranquille et que vous entamez la méditation en marchant en focalisant l’attention sur la respiration, ce sera très difficile, parce que la respiration est un objet très subtil. Il est généralement préférable de commencer avec un objet de méditation plus grossier, comme les sensations dans les pieds.
Il existe de nombreux objets de méditation qui se transfèrent très bien de la position assise à la marche, comme par exemple les quatre demeures divines : la bienveillance, la compassion, la joie sympathique et l’égalité d’âme. Au cours de vos allers-retours, développez des pensées expansives basées sur la bienveillance : « Puissent tous les êtres être heureux, puissent tous les êtres trouver la paix, puissent tous les êtres connaître la liberté de toute souffrance ». On peut utiliser la position de la marche en complément à l’assise, en développant la méditation sur le même objet mais dans une position différente.
Le choix d’un mantra
Au cours de la méditation en marchant, si vous vous retrouvez à somnoler, alors activez l’esprit plutôt que de le calmer, en employant un mantra pour le focaliser et l’éveiller d’avantage. Utilisez un mantra comme Bouddho, en répétant le mot silencieusement fois après fois. Si l’esprit vadrouille toujours, commencez alors à dire Bouddho très rapidement et à marcher à plus vive allure. En marchant, récitez Bouddho, Bouddho, Bouddho. L’esprit peut ainsi devenir très rapidement focalisé.
Lorsque Tan Ajahn Mun, le célèbre maître de méditation de forêt, vivait parmi les tribus dans les collines du nord de la Thaïlande, ceux-ci ne connaissaient rien à la méditation, ni aux moines qui méditaient. Ce sont toutefois des gens très curieux. En le voyant faire ses allers-retours sur son chemin, ils se mirent à le suivre à la queue leu leu. Quand il s’est retourné au bout de son chemin, tout le village était là !
Ils l’avaient aperçu faisant ses allers-retours les yeux baissés et avaient présumé qu’il cherchait quelque chose. Ils l’ont interrogé : « Cherchez-vous quelque chose, Vénérable ? Pourrions-nous vous aider à le retrouver ? » Il a astucieusement répondu : « Je cherche Bouddho, le Bouddha dans le coeur. Vous pouvez m’aider à le trouver en faisant des allers-retours sur vos propre chemins ». C’est avec cette instruction simple et belle que de nombreux villageois se sont mis à méditer, et Tan Ajahn Mun a dit qu’ils ont obtenu de très bons résultats.
La contemplation des choses telles qu’elles sont
L’investigation du Dhamma (Dhammavicaya) est un des Facteurs de l’Eveil. C’est une façon de contempler les enseignements Bouddha et les lois de la nature qui peut être utilisée pendant les va-et-vient sur le chemin de méditation. Cela ne signifie pas que l’on se met à cogiter ou qu’on spécule au sujet de tout et de rien. Plutôt, c’est une réflexion et une contemplation constante de la vérité (Dhamma).
L’examen de l’impermanence
On peut par exemple contempler l’impermanence en observant le processus de changement, voyant comment toute chose est sujette `a changement. On développe une perception claire de l’apparition et la disparition de toute expérience. La « vie » est un processus constant d’apparition et de disparition, et toute expérience conditionnée est sujette à cette loi de la nature. Par la contemplation de cette vérité, on remarque les caractéristiques de l’existence. On voit que tout est sujet `a changement. Toute chose est insatisfaisante. Toute chose est sans identité intrinsèque. On peut examiner ces caractéristiques fondamentales de la nature sur le chemin de méditation.
Se rappeler la générosité et la vertu
Le Bouddha revenait sans cesse sur l’importance de la générosité (It, 26) et de la vertu (SN, V, 354). Quand on est sur le chemin de marche, on peut se rappeler sa vertu ou les actes de générosité. En faisant vos allers-retours, demandez-vous : « Quelles actes de bien ai-je fait aujourd’hui ? ».
Un maître de méditation auprès duquel je suis resté expliquait souvent qu’une des raisons pour lesquelles les gens qui méditent ne parviennent pas à s’apaiser, c’est qu’ils n’ont pas fait suffisamment de bien pendant la journée. Le bien est un coussin pour la tranquillité, une base pour la paix. Si nous avons fait des actes de gentillesse pendant la journée, un mot gentil, une bonne action, si on a été généreux ou compatissant, alors l’esprit va goûter à de la joie et de la félicité. Le pouvoir du bien et de la générosité mène au bonheur, et c’est ce bonheur sain qui sert de fondation pour la concentration et la sagesse.
Le rappel de nos bonnes actions est un sujet de méditation très approprié lorsque l’esprit est agité, turbulent, en colère ou frustré. Si l’esprit manque de paix, rappelez-vous alors vos bonnes actions passées. Le but n’est pas de gonfler son ego, mais une reconnaissance du pouvoir du bien et de ce qui est sain. Les actes de gentillesse, la vertu et la générosité amènent de la joie `a l’esprit, et la joie est un facteur d’éveil (SN, V, 68).
Se rappeler ses actes de générosité. Réfléchir aux bénéfices du don. Se rappeler sa propre vertu. Contempler la pureté de l’innocence, la pureté de l’honnêteté, la pureté de l’attitude correcte dans les relations sexuelles, la pureté de la véracité la pureté de l’absence de confusion mentale quand on évite les substances intoxicantes. Tous ces rappels peuvent servir d’objet de méditation sur le chemin de marche.
Se rappeler la nature du corps
On peut aussi méditer sur la mort, ou sur cette nature répugnante du corps, sur les contemplations asubha, sur les différentes étapes de décomposition d’un cadavre. On peut mettre le corps en pièces par le biais de la visualisation, exactement comme un étudiant en médecine dissèquerait un corps. On « pèle » la peau et on « voit » ce qu’il y a dessous, les couches de chair, les tendons, les os, les organes. Mentalement, on peut ôter chaque organe du corps pour l’examiner et le comprendre. De quoi le corps est-il fait ? Quelles sont ses composantes ? Est-ce moi ? Est-ce permanent ? Est-ce digne d’être appelé « soi » ?
Le corps n’est qu’un aspect de la nature, tout comme un arbre ou un nuage : il n’y a aucune différence. Le problème fondamental, c’est l’attachement au corps ; c’est là où l’esprit s’accroche à l’idée que ce corps, c’est mon corps, il s’enchante de « mon » corps, s’enchante du corps des autres. Ceci, c’est « moi ». Ceci, c’est « soi ». Je possède ceci.
On peut défier cet attachement au corps par la contemplation et l’investigation. On peut prendre comme objet les os du corps. Visualisons un os et méditons en marchant, le voyant blanchir, se briser et retourner à l’élément terre. Un os, c’est du calcium qui est absorbé par le corps lors de la consommation de matières végétales et animales ; ça vient de la terre. Des composés chimiques s’assemblent pour former un os, et au bout du compte cet os retournera à la terre.
Le calcium, ce n’est que du calcium ; il ne possède pas la propriété d’être « mon » calcium ou celui de quelqu’un d’autre. Ce n’est que de la terre qui retourne à la terre, tout comme chaque élément retourne à sa forme naturelle. Cet os, ce n’est pas moi ; ce n’est pas le mien ; il ne mérite pas d’être appelé un « soi ». Nous méditons sur un os et le réduisons aux éléments qui le composent, et le rendons `a la terre. Nous le rétablissons, puis le démontons à nouveau, et nous poursuivons ce processus continuellement jusqu’à ce qu’un aperçu spirituel tranché et clair émerge.
Si vous méditez sur le corps et n’avez pas encore complètement réduit l’objet de votre enquête aux quatre éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - puis reconstitué, le travail de la méditation n’est pas encore terminé. L’exercice mental n’a pas encore été complété ; le travail n’est pas accompli. Persévérez. Continuez à marcher. Faites vos allers-retours et examinez jusqu’`a ce que vous soyez capable d’établir dans l’esprit la perception d’asubha dans le subha : de voir ce qui n’est pas beau, ce qui n’est pas ravissant et ce qui n’est pas attirant dans ce qui est pris pour beau, ravissant et attirant. Nous réduisons ce corps aux éléments qui le constituent et le restituons à la nature, pour le voir tel qu’il est vraiment.
Entraîner l’esprit en examinant la nature mène à la sagesse. en répétant ces exercices de réduction du corps à ces quatre éléments - la terre, l’eau, l’air et le feu - l’esprit voit et comprend que ce n’est pas moi, ce n’est pas le mien, ce n’est pas « soi ». Il voit que les quatre éléments constituant le corps sont simplement des aspects de la nature. C’est l’esprit qui s’attache à cette croyance que le corps, c’est « soi ». Par conséquent nous défions cet attachement. Nous refusons de l’accepter aveuglement, parce que c’est précisément cet attachement qui est la cause toutes nos souffrances.
D’autres contemplations
Une autre contemplation qui a été recommandée par le Bouddha est la réflexion sur la paix et sur la nature de la paix (Vsm, 197). Une autre encore est de considérer les qualités de l’illumination. Pour changer un peu, on peut faire ses allers-retours en réfléchissant aux qualités du Bouddha, du Dhamma, ou de la Sangha. On peut encore se rappeler les êtres célestes, les devas, et les qualités requises pour devenir un être divin (Vsm, III, 105).
Une utilisation sage de la contemplation
Il existe beaucoup d’objets de méditation dans le répertoire bouddhiste de méditation. Votre objet de méditation doit être choisi avec soin. Sélectionnez un objet de méditation qui stimule l’esprit quand il a besoin d’être stimulé, ou un objet qui le calme quand il a besoin d’être calmé. Quelques mots de mise en garde sont toutefois nécessaires quand on utilise ces contemplations sur le chemin de marche, pour éviter que l’esprit se perde en spéculations ou se mette à errer. Ça peut arriver très facilement. Il nous faut être très attentifs, et prendre note au début du chemin, à son milieu et à la fin : « Suis-je vraiment avec mon objet de méditation ou suis-je entrain de penser à autre chose ? » Si vous marchez sur votre chemin de méditation pendant quatre heures, mais que votre attention n’est présente que pendant une seule minute de ces quatre heures, vous n’aurez médité qu’une minute.
Souvenez-vous : ce n’est pas combien de méditation nous pratiquons qui compte, mais la qualité de la méditation. Si vous marchez et que l’esprit se promène ailleurs, alors vous n’êtes pas entrain de méditer. Vous n’êtes pas entrain de méditer, dans le sens du terme tel que l’employait le Bouddha, ce sens de bhāvana ou de développement mental (AN, III, 125-127). C’est la qualité d’esprit qui est importante, plutôt que la quantité de méditation qu’on pratique.
Conclusion
Dans l’histoire du bouddhisme, nombre de moines et de nonnes ont eu des révélations, développé de la sagesse et atteint l’éveil pendant qu’ils étaient sur leur chemin de méditation, par l’investigation de la vérité. Dans la tradition monastique de forêt, chaque aspect de notre vie est traité comme une occasion de pratiquer la méditation. La méditation n’est pas simplement réservée pour la position assise. Tous les processus de la vie sont pour nous des occasions d’examiner la réalité. Nous nous battons pour comprendre les choses telles qu’elles sont, telles qu’elles apparaissent et disparaissent, pour comprendre la réalité telle qu’elle est vraiment.
Dans cette discussion de la méditation en marchant, j’espère vous avoir donné de quoi vous permettre d’étendre votre répertoire de techniques méditatives. La méditation en marchant peut être utilisée dans votre quotidien lors de vos activités, aussi bien que lors des périodes formelles de méditation. Elle peut être un autre mode de développement mental. Elle donne du travail à faire à l’esprit. Si vous avez des problèmes de la somnolence, ne restez pas là à piquer du nez ; levez-vous et mettez l’esprit au travail. C’est ça la voie de kammatthāna : le travail fondamental de l’esprit.
Dans la tradition de forêt, chaque fois qu’un maître de méditation rend visite à un monastère, les chemins de méditation des moines sont un des premiers endroits qu’il va inspecter , pour voir s’ils portent des traces de pas. Et si ces chemins de méditation sont bien usés, c’est considéré comme une des marques d’un bon monastère.
Puisse votre chemin de marche être bien usé.
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