LA BODHICITTA, LE MIROIR
Quand nous parlons de cultiver la Bodhicitta, cela signifie semer quelque chose pour le faire croître. Mais peut-être que certains d'entre vous ne connaissent pas le sens de la Bodhicitta.
Relativement, elle commence par la compassion dont parle les Soutras Bouddhistes, c'est-à-dire la Bodhicitta de l'engagement et de l'application. Pour comprendre cela, on donne l'exemple d'une personne qui à l'intention de faire un voyage, puis qui l'accomplit. Si un maître explique que notre condition est la souffrance commune à tous les êtres, au travers de cette connaissance, il nous vient alors de la compassion pour les autres et on cherche le moyen de résoudre le problème. Par exemple, si on trouve sur notre chemin quelqu'un d'affamé, de malade, ou qui est tombé au milieu de la rue, la compassion surgit en nous parce que c'est un être humain comme nous. Il nous vient alors l'idée de l'aider, d'intervenir, de faire quelque chose, ce qui est une façon d'accomplir un acte de compassion. S'il a faim, on lui donne un peu de nourriture, s'il est malade, on l'amène chez le médecin, s'il est faible, on l'aide à marcher. Mais tout cela est une aide, une intervention très provisoire. Si quelqu'un a une vraie connaissance de la compassion, ça ne s'arrête pas là. Ce qui est plus important, c'est de voir la cause. Je peux me demander pourquoi cet homme n'a rien à manger, je peux peut-être lui donner un peu d'argent ou de nourriture, mais cela ne résoudra pas ses problèmes pour toujours. Si cette personne ne sait pas gagner sa vie, je peux l'y aider, mais ça ne suffit pas.
On remonte ainsi jusqu'à la cause principale. Si l'on va plus profondément, on découvre que la cause n'est autre que ce qui provient de l'attachement et du dualisme. Pour surmonter cela, on doit se retrouver vraiment dans notre État. Mais ce n'est pas facile de le faire comprendre à celui à qui on l'explique; ni d'être prêt à l'aider. Il est donc très important d'acquérir la capacité d'aider. Au lieu de créer des problèmes supplémentaires aux autres, il faut d'abord se construire soi-même. Provisoirement, on peut intervenir pour le bien des autres mais, en même temps, il faut développer la capacité de les aider. La Bodhicitta, dont on parle beaucoup dans les Soutras, est basée sur cela. On parle de Bodhicitta relative et absolue.Celle à laquelle nous pensons beaucoup est la Bodhicitta relative. Nous disons que nous nous engageons pour le bien des autres, pour diriger notre intention
vers la compassion et c'est pour cette raison que l'on accomplit quelques bonnes actions, gouvernées alors par la compassion.
Mais le but final de la Bodhicitta est d'entrer vraiment dans la connaissance de notre propre État. Dans les Soutras Bouddhistes, surtout ceux du Mahayana, on dit que si cette fameuse vacuité, Shounyata, n'est pas gouvernée par la compassion, elle n'est pas si importante. Il existait un maître, un Mahasiddha indien, nommé Saraha, dont peut-être certains d'entre vous ont lu les chants, qui disait que cette fameuse Shounyata n'est rien sans la compassion. Ce qui signifie qu'il faut trouver un moyen d'unir les vérités absolue et relative. Parfois, nous faisons peut-être une confusion. Surtout lorsque l'on considère les Soutra où l'on parle beaucoup de Shounyata qui doit nous amener à la connaissance de l'illusion de toutes les choses relatives, comme si, en réalité, il n'existait rien. D'un autre côté, on parle de la Bodhicitta et on dit que Bodhicitta et Shounyata doivent aller ensemble. Mentalement, on les rassemble, bien que cela ne correspond à rien de concret.
Il ne faut pas faire cette confusion. Quand on parle de Shounyata, le Vide, il s'agit de notre propre condition : quand nous observons, recherchons, on ne trouve rien. Cependant, il y a toujours quelque chose de concret qui continue. Cette continuation, ce mouvement, tout ce qui se manifeste, est un aspect de la compassion. Le comprendre est la vraie compassion.
Il existe un mot tibétain souvent utilisé dans l'Enseignement Dzog-Chen qui est une clé pour comprendre ce que signifie vraiment la compassion : Thoug-Djé. Thoug est l'esprit, Djé, le Seigneur Suprême. L'esprit est le fondement de la condition relative, la Nature de l'esprit est l'Etat absolu. Mais il n'existe rien qui s'appelle Nature de l'esprit en dehors de l'esprit, de même que l'esprit est la Nature de l'esprit.
Prenons l'exemple du miroir. Le miroir a la capacité de refléter toutes les choses relatives. Si nous analysons la nature du miroir, on peut définir qu'elle est claire, pure et limpide. Lorsque des qualités là sont présentes, la capacité de refléter existe. Cependant, tout reflet n'est autre que cette nature car on ne peut dire que ce reflet se trouve en dehors du miroir ni qu'il est le miroir. Telle est la relation entre l'esprit et la Nature de l'esprit, la vérité absolue; ce ne sont pas deux objets qu'on peut analyser ou juger.
De même, Thoug, en tibétain, veut dire l'esprit, Djé est le Suprême, car au travers de lui se manifestent toutes les visions pures et impures. Toutes ces visions sont des aspects de l'énergie et cette compréhension est la vraie compassion. D'habitude le mot Thoug Djé est traduit par compassion dans les Soutras et les Tantras. Par contre, dans l'Enseignement Dzog-Chen, il est traduit par Énergie et nous savons ce qui signifient énergie et compassion. On doit bien comprendre cela si on veut appliquer la compassion pour aider le autres.
Il faut connaître la condition des autres êtres, êtres conscient de la souffrance et de la transmigration. Tout cela est une sorte de manifestation relative à l'esprit. Lorsqu'on est vraiment conscients de cela, comment est-il possible de ne pas avoir une grande compassion? c'est-à-dire une vraie compassion non construite mentalement. C'est pourquoi vous devez comprendre que lorsqu'on prend ce vœu de Bodhicitta, cet engagement, on construit quelque chose. Cette Bodhicitta ne fonctionne qu'au niveau relatif mais ne doit pas s'arrêter là, on doit se diriger vers la Bodhicitta absolue et ainsi cela devient plus simple pour nous amener à la connaissance. Dans les temps anciens, ce terme de Bodhicitta était toujours utilisé, dans l'Enseignement Dzog-Chen, pour désigner l'État de l'individu. Dans les textes anciens et originaux du Dzog-Chen, on utilise les termes Yé-Shi, c'est-à-dire la Base ou État primordial et Nying-Po, l'Essence; Djang choub kyi sem , est le terme tibétain pour le mot sanskrit Bodhicitta.
Ce terme a un sens précis : Djang veut dire : propre depuis l'origine, qui n'a jamais été sali. Nous avons l'impression qu'il faut nettoyer quelque chose mais c'est une chose propre depuis l'origine. Choub signifie : obtenir, posséder la connaissance et ses qualités, etc., c'est un verbe au passé qui indique que, depuis l'origine, on a obtenu cela et que tout est parfait. Sem signifie l'esprit, aussi bien dans son sens relatif que dans sa Nature, car on ne peut comprendre d'aucune autre façon qu'au travers des choses relatives. Donc, ces mots décrivent l'État de tout individu. Pour traduire cette longue périphrase, on utilise simplement le terme État Primordial. Et chaque individu possède cette qualification qui lui est propre.
Lorsqu'on utilise l'exemple du miroir qui a la capacité de refléter, cela même est considéré comme la Bodhicitta. Il y a correspondance entre les Enseignements du Dzog-Chen et des Soutra, car dans les Soutra, il est dit que l'on ne peut définir la Bodhicitta absolue tant que l'on est pas entré dans la connaissance de Shounyata. Vous voyez donc bien, en ce cas, que la Bodhicitta n'est pas seulement un vœu, ni un moyen pour transformer le mode de pensée, ce qui est l'aspect relatif de la Bodhicitta. Nous pouvons comprendre que Bodhicitta est très importante, non seulement au début, mais jusqu'à la fin.
Beaucoup de gens disent généralement : "Comment se fait-il que Norbou ne parle pas beaucoup de la Bodhicitta?" Ils disent que je ne parle pas de la compassion parce qu'ils voient d'autres maîtres tibétains commencer les Enseignements par le Refuge et la Bodhicitta. Dans le Mahayana Soutra, l'un des concepts les plus développés est la Bodhicitta, au sens relatif , c'est-à-dire la compassion. Il y a dans ces textes, beaucoup d'exemples et d'explications sur la façon dont les maîtres ont fait comprendre cela aux gens concrètement. Peut-être qu'en ce qui me concerne, je ne développe pas beaucoup cet aspect, car dans le Dzog-Chen, les caractéristiques des Enseignements étant différents, il faut aller au niveau de la pratique, de la connaissance.
C'est pourquoi on a pu dire qu'il manque un peu de compassion dans l'Enseignement de Norbou, mais ce n'est pas vrai, je suis très conscient de la nécessité de la compassion car je sais que la véritable compassion ne peut venir si on n'est pas entré dans la connaissance. Il ne suffit pas d'avoir de la compassion en paroles et de construire un compassion relative. Ce genre de construction peut tout aussi bien être fausse, de toute façon, elle est limitée.
Bouddha a dit : "En prenant l'exemple de soi-même, on ne dérange pas les autres", c'est simple à comprendre et cela concerne toutes les choses relatives. Bouddha a expliqué , dès le début, la souffrance, les causes de la souffrance et la façon de faire cesser cette souffrance. Tout cela est ma propre condition et celle des autres.
Quand je suis conscient de ma propre condition, je connais vraiment celle des autres. Telle est l'explication de la vraie Bodhicitta.
En général, dans notre vie quotidienne, notre attitude est liée au corps, à l'énergie et à l'esprit. Si l'on comprend bien la compassion et la Bodhicitta, on doit l'intégrer. Le plus important n'est pas de réciter les vœux de Bodhicitta ou de transformer l'esprit pour quelques minutes, mais plutôt de tenter d'en comprendre le sens et de se trouver dans cette condition tout le temps.
Il y a une parole très importante d'un des maîtres les plus célèbres du Dzog-Chen Sem-Dè, appellé Yong-Tön Dordjé Pal. Un autre érudit lui rendit visite et lui demanda : "Vous êtes bien un pratiquant du Dzog-Chen, n'est-ce pas?" Yong-Tön Dordjé Pal a répondu "oui". L'autre a alors demandé :"Vous les pratiquants du Dzog-Chen, vous méditez toujours, n'est-ce pas?" Et Yong-Tön Dordjé Pal lui a demandé à son tour : "Que suis-je en train de méditer?" L'autre a demandé encore "Alors, vous ne méditez pas?", et le maître a répondu par une question : "Quand suis-je jamais distrait?".
Tout est là, c'est une clé de l'Enseignement Dzog-Chen. Si quelqu'un connaît toutes sortes de pratiques, il peut en faire autant qu'il veut, mais en conclusion, il doit bien comprendre ce qui est enseigné et transmis, puis l'appliquer dans la vie quotidienne, c'est-à-dire être présent, ne pas être distrait. Lorsqu'on parle de Bodhicitta, c'est de cela qu'il s'agit.
Dans la tradition tibétaine, pour le Refuge et la Bodhicitta, nous utilisons des tas de mots et nous chantons, mais tout cela ne sert qu'à diriger l'esprit vers l'essentiel. Si je doit entrer dans la Bodhiccita absolue, il me faut partir de ma condition relative. A partir de cette Bodhiccita relative, je me dirige vers l'Etat de la Bodhicitta absolue. Aussi, si je prononce des mots, je dois les dire en y pensant et non comme un perroquet. Ceci est valable pour toutes les pratiques de la tradition Bouddhiste tibétaine : chants, rituels, liturgies, etc. Beaucoup de gens disent que ces Bouddhistes tibétains sont très ritualistes, en sachant très bien que l'illumination se réalise par la contemplation et non par les rites. ils trouvent cela un peu étrange, surtout en occident où des aspects du Bouddhisme Mahayana, le Zen, a été introduit en premier et dans lequel il y a beaucoup moins de rituels que dans le Bouddhisme tibétain. Lorsqu'on connaît le véritable principe des rituels, on voit qu'ils ont un sens très précis : on peut découvrir que ne pas pratiquer cela est un défaut. Mais si on ne comprend pas, cela peut paraître très étrange.
Prenons un exemple pour mieux comprendre. Lorsque nous pratiquons la méditation, nous devons partir de notre condition telle qu'elle est. Dans la vie quotidienne, nous sommes en pleine confusion : notre corps, notre énergie, notre esprit sont agités, nous ne sommes pas dans l'Etat de la Présence. En regardant à l'extérieur, nous acceptons ou nous refusons ce qui se manifeste au travers de la dualité. En même temps, nous créons de l'attachement et tout cela devient de plus en plus lourd, de plus en plus important.
Nous avons parlé de l'exemple du miroir qui a la capacité de refléter, ce qui correspond à la Nature de l'esprit ; mais nous ne nous trouvons pas dans cette connaissance, nous vivons dans la dualité, comme si le miroir était un objet pour nous. Nous regardons dans le miroir et y voyons apparaître quelques reflets. Nous ne savons pas que ces reflets sont des manifestations de l'énergie du miroir. Nous considérons ce qui se reflète comme beau ou laid et pensons que cela existe concrètement. Si nous avons ce concept concret et que quelque chose que nous trouvons beau apparaît, cela nous plaît; si c'est quelque chose que nous trouvons de laid, nous le refusons.
Ainsi naît une manière d'acceptation ou de refus. Et cela devient de plus en plus lourd, car nous ne nous trouvons pas dans la connaissance de la Nature du miroir.
Si nous nous trouvons vraiment dans cette Nature, le reflet est vu comme une qualification du miroir et non comme quelque chose créant le bien et le mal. Pour le miroir, cela ne change rien, c'est toujours une manifestation de sa capacité de refléter.
Donc, quand nous ne comprenons pas, nous sommes dérangés par ces reflets, ne sachant pas que ce sont des reflets.Toute notre vie, il en a été ainsi et nous sommes hyper agité. La première chose à faire est de se calmer, c'est pourquoi, dès le début de tous les Enseignements, on enseigne Shi-Nè, l'état de calme. Quand on l'a trouvé, il ne faut pas s'arrêter à cela. Il n'existe pas d'individu dont la nature soit seulement cet état de calme. Il existe toujours une onde, qui est son mouvement et qu'on appelle Djou-Wa dans la pratique, qui est comme une vague se déplaçant dans l'océan.
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