d’après les écrits bouddhistes
Traduit du vietnamien par
Corinne Segers
Le mouvement féministe a aussi touché le domaine religieux, où il s’est allié aux mouvements réformateurs. Il a ainsi ébranlé jusqu’aux fondements des dogmes du Catholicisme, la religion la plus puissante et la plus riche, dans sa tentative de libérer les femmes des contraintes imposées dans leur vie familiale par une Église qui leur interdit le divorce, la contraception, l’avortement, etc. Ces mouvements militent également pour que les religieuses aient accès à toutes les fonctions sacerdotales et jouissent de tous les droits accordés jusqu’ici aux seuls religieux. Sous d’autres cieux, dans les pays musulmans, le clergé s’efforce de contrer les tendances qui voudraient changer la place de la femme dans la vie familiale, religieuse et sociale, en insistant sur l’importance des dogmes fondamentaux de l’Islam fondamentaliste qui ont toujours gouverné la vie des femmes et devraient, selon eux, continuer à limiter ses droits.
Quelle est donc l’attitude du Bouddhisme face à ces événements ? Beaucoup d’observateurs extérieurs considèrent depuis longtemps que la réaction du Bouddhisme par rapport aux sujets brûlants de la vie quotidienne est pessimiste et conservatrice, quand ils ne se montrent pas encore plus durs en la qualifiant d’indifférence ou même d’apathie. Cette opinion est-elle justifiée ? Nous nous interrogerons donc sur la façon dont le Bouddhisme a, dans le passé, considéré le rôle de la femme dans la société et dans la vie religieuse. Si nous parvenons à déterminer cette conception, nous pourrons en déduire la position du Bouddhisme face au mouvement réformateur féministe actuel (1).
Dans cet essai, nous nous efforcerons tout d’abord de comprendre quelle a été la position de la femme au cours de l’histoire, tant en Orient qu’en Occident. De là, nous étudierons la conception traditionnelle de la femme qui est attribuée au Bouddhisme. Nous analyserons ensuite les textes du Canon bouddhiste pour voir si les enseignements du Bouddha sont réellement aussi étroits et fermés vis-à-vis des femmes qu’on le prétend ou s’il s’agit seulement d’une méprise des générations suivantes.
Enfin, pour conclure, nous essaierons de déterminer si le Bouddhisme a plutôt tendance à mettre des bâtons dans les roues du mouvement féministe ou s’il est prêt à lui porter main
forte (2).
Pour guider notre recherche et lui donner un cadre systématique, nous nous référerons au Dictionnaire du Bouddhisme de Thây Minh Châu (Édition des Sciences Sociales, Hanoi, 1991) en ce qui concerne le vocabulaire utilisé. Nous essaierons de garder aux noms propres et aux noms communs leur forme sanskrite (S) ou pâli (P), en indiquant entre parenthèses leur traduction en chinois ou en vietnamien lorsque nous les rencontrerons pour la première fois dans le texte (3), sauf s’il s’agit de termes d’usage courant.
Cette méthode aidera le lecteur à suivre facilement l’exposé et permettra à ceux qui étudient le Bouddhisme d’établir facilement des concordances avec les nombreux ouvrages actuellement publiés sur ce sujet en anglais, en français et en allemand, ouvrages pour la plupart corrects et précis, faciles à lire et à comprendre en comparaison avec les documents en sino-vietnamien qui ne sont plus vraiment accessibles au lecteur d’aujourd’hui et tout particulièrement aux jeunes.
La place de la femme dans l’histoire de l’humanité
En Occident, la condition de la femme fut pétrie dans la pensée grecque et latine ainsi que dans les traditions juives et chrétiennes. Les deux philosophes grecs qui ont posé les bases de la pensée occidentale sont Platon et Aristote. Platon, qui fut un contemporain du Bouddha, défendait une position progressiste qui octroyait à la femme aristocrate (mais seulement elle) l’accès à l’éducation et la formation au pouvoir. Toutefois, dans la réalité, le point de vue d’Aristote, selon lequel la femme devait être " passive, soumise et silencieuse ", était plus répandu. La société romaine à son apogée permettait aux aristocrates de participer aux débats politiques et de gérer leurs biens personnels. Néanmoins, de manière générale, la majorité des femmes vivait sous la contrainte et subissait la même exploitation qu’en Orient.
Sur le plan religieux, le modèle juif limite le rôle de la femme à celui d’épouse et de mère. La religion juive tolère la polygamie et donne à l’homme le droit de répudier sa femme. Au sein de la famille, c’est la mère qui transmet les enseignements religieux à ses enfants et qui les surveille en ce domaine. Toutefois, la femme n’a pas le droit de conduire la cérémonie au temple et il lui est interdit d’y mettre le pied en période de menstruation.
Les deux cultures qui ont dominé l’Orient sont celles de la Chine et de l’Inde. Depuis l’antiquité jusqu’à ce que s’établissent les contacts avec l’Occident, la femme orientale a toujours été totalement dépendante de l’homme sans jamais s’être révoltée. Le Confucianisme, fondement même de l’organisation sociale chinoise, enferme la femme derrière les portes de sa maison grâce au principe des trois assujettissements et des quatre vertus qui prônent la domination de l’homme et l’obéissance de la femme.
Comme nous étudions le rapport entre le Bouddhisme et les droits des femmes, et comme le Bouddhisme est né en Inde, nous étudierons de manière plus détaillée l’histoire des droits de la femme en Inde. La plus ancienne civilisation de l’Inde fut la civilisation dravidienne. Les Dravidiens, une population à la peau foncée comme celle des Africains, occupaient l’Inde avant que les Aryens ne quittent les plaines de l’Oural, à la frontière entre l’Europe et l’Asie, pour envahir l’Inde deux mille ans avant le début de l’ère chrétienne. Ils commencèrent par éliminer les Dravidiens avant d’assimiler ce qui restait de leur peuple, et fondèrent la civilisation védique dont la langue et le système de castes a perduré jusqu’à nos jours. La langue dravidienne n’est plus parlée actuellement que par quelques tribus vivant dans les forêts montagneuses du sud de l’Inde ; partout ailleurs, nous trouvons des langues aryennes (avec plus de mille dialectes régionaux), toutes issues du sanskrit.
Le système de castes repose sur les croyances religieuses et établit une distinction entre les castes sur base de discriminations racistes. Cependant, au sein même de chaque caste, l’homme occupe toujours une position dominante et à la femme une position de dépendance et d’infériorité. Ne citons qu’un exemple pour illustrer cette situation : la tradition de la dot. A la naissance d’une fille, les membres de sa famille doivent peiner durement pour amasser la dot (ou pour en rembourser l’emprunt), un capital sans lequel ils ne peuvent espérer lui trouver un mari lorsqu’elle aura douze ou treize ans. Une fois mariée, si son mari venait à mourir avant elle, la femme devait le suivre dans la mort en se jetant dans le bûcher crématoire au cours d’une cérémonie appelée " sati ". Telle était donc la condition de la femme en Inde au moment où Śākyamuni établit les fondements du Bouddhisme.
Le Mahāparinirvāņasūtra (S) raconte qu’Ānanda, le plus proche disciple du Bouddha, vint trouver ce dernier alors qu’il était sur le point d’entrer en parinirvāņa dans le village de Kusinārā (P) (4), et lui demanda comment les moines devaient se comporter à l’égard des femmes. " En redoublant toujours de vigilance ", répondit-il. Le Sattabhartyasutta (P), qui fait partie de l’Anguttara Nikāya (P), résume les paroles du Bouddha au sujet des femmes et note que celui-ci distinguait sept catégories de femmes : trois catégories de femmes de mauvaise vie, trois catégories de femmes douces et honnêtes, et - celle qu’il préférait – la catégorie des femmes satisfaites de leur sort au foyer.
Le Saddharmapundarīkasūtra (S) nous présente Śariputra, le disciple qui possédait la plus grande sagesse, rappelant l’enseignement du Bouddha selon lequel la femme est limitée par deux types de liens : les trois sujétions et les cinq obstacles. Les trois sujétions sont en général énoncées comme suit : " dans sa famille, la fille doit obéissance à son père ; dans sa belle-famille, elle doit obéissance à son époux ; à la mort de son époux, la mère doit obéissance à son fils. " Ce sont ces mêmes règles que nous trouvons clairement énoncées dans les Cinq Classiques de Confucius, dont le Livre des Rites. Il s’agit donc ici d’un point de rencontre entre la culture chinoise et la culture indienne, puisque toutes deux en font mention. L’Avatamsakasūtra (S) et le Soutra de l’enseignement du Bouddha aux fées (ou aux filles de la famille Jade (5) font aussi état de ces trois obligations incontournables qui fixent le cadre de l’existence des femmes indiennes. L’organisation de la société indienne a depuis toujours été dominée par les Lois de Manu (Manuvadharmaśastra - S), qui sont considérées comme le code de lois le plus ancien et le plus sévère de l’histoire de l’humanité et dans lequel ces trois règles qui délimitent le champ d’action des femmes sont également clairement mentionnées.
Les cinq obstacles, ou cinq interdits, sont les cinq états supérieurs qu’une femme ne peut en aucune façon espérer atteindre, à savoir l’état du dieu Brahma, celui du dieu Indra, celui de protecteur du Dharma, de roi universel (cakravartin - S) et enfin celui de bodhisattva (le modèle vers lequel tendent les efforts du pratiquant qui veut devenir un bouddha).
Les soutras mentionnent aussi explicitement que le Bouddha regretta d’avoir accepté l’entrée des femmes dans la Sangha et qu’il dit à ce propos : " Sans la présence des femmes, la doctrine serait restée florissante pendant 1000 ans, à présent que des nonnes ont rejoint la Sangha, le déclin adviendra 500 ans plus tôt. "
Telles sont les paroles du Bouddha que l’on rapporte en général. Ses actes reflètent aussi une vision négative de la femme. Dans les règles du Vinaya, le Cullavaggasutta (P) relate comment fut fondée la Sangha des nonnes. La belle-mère du Bouddha s’appelait Mahāpajati Gotami. Elle avait épousé le roi Suddhodana, père du Bouddha, pour remplacer la mère de ce dernier, qui était morte peu après sa naissance, et prendre soin de l’enfant. Lorsque le roi mourut, la reine Gotami vint trouver le Bouddha qui résidait alors dans la ville de Kapilavastu, et le pria d’accepter qu’elle et ses cinq cents suivantes renoncent à la vie mondaine, prononcent les vœux et mènent la vie errante de nonnes mendiantes.
Par trois fois, le Bouddha refusa sa requête. Il quitta ensuite Kapilavastu pour se rendre à Vaiśālī.
Gotami ne se découragea pas. Elle se coupa les cheveux, s’habilla d’une simple cotonnade brune et, avec ses suivantes, suivit le Bouddha.
Elles se tinrent dehors, à l’entrée du lieu où résidait le Bouddha, mains jointes en prière, les pieds gonflés et couverts de plaies d’avoir fait cette longue route pieds nus dans la boue et la saleté. Ému à cette vue, Ānanda vint plaider leur cause auprès du Bouddha mais, à nouveau, celui-ci refusa à trois reprises. Ānanda opta alors pour une approche détournée. Il demanda au Bouddha : " Bhagavant, si une femme intelligente renonce à la vie mondaine et pratique assidûment en suivant correctement les méthodes enseignées par le Tathāgata, pourra-t-elle obtenir le fruit ultime ? " Bien sûr, le Bouddha répondit que c’était possible. Ānanda présenta alors les preuves de la conduite irréprochable, de la détermination et de la motivation sincère de Gotami, et le Bouddha ne put plus refuser. Toutefois, il leur imposa des conditions spécifiques, le Garudhamma (P), qui énonce les huit règles que doit respecter toute femme qui entre dans la communauté des nonnes (6) :
2. Une nonne ne peut demeurer que là où des moines ont déjà résidé auparavant.
3. L’assemblée bi-mensuelle des nonnes doit être arbitrée par un moine.
4. A la fin de la retraite d’été, les nonnes doivent procéder à leur examen de conscience en présence d’au moins deux moines et de toute la Sangha des nonnes.
5. Lorsqu’une nonne enfreint les règles, elle doit se repentir publiquement en présence d’au moins deux moines et de toute la Sangha des nonnes.
6. Après deux années d’étude des règles et des soutras, la nonne probationnaire (sikkhamana) doit recevoir les vœux de nonne novice (samaneri) en présence d’au moins deux moines et de toute la Sangha des nonnes.
7. Une nonne ne peut en aucun cas porter d’accusation contre ou avoir de paroles dures envers un moine ;
8. Une nonne n’a pas le droit de faire de reproches à un moine, alors qu’un moine est autorisé à admonester une nonne.
A la lecture de ces règles, comment échapper à l’impression que le Bouddha avait plus d’estime pour les hommes que pour les femmes ? Cette impression se renforce encore lorsque nous examinons le Nāgādattasūtra (S) (un soutra du Mahāyāna qui porte le numéro 558 dans la bibliographie annotée de Taisho Dai, traduit au IIIème siècle par Dharmaraksa). Nāgādatta, la fille du roi des Nāgās, suivait la voie des bodhisattvas et avait fait le vœu d’atteindre l’état de Bouddha. Mara tenta de la détourner de l’objectif qu’elle s’était fixé en lui disant : " Le Bouddha n’a-t-il pas enseigné qu’une femme ne peut devenir une souveraine universelle ? Comment peux-tu dès lors espérer devenir un Bouddha ? A quoi bon perdre ainsi ton temps ! " Nāgādatta ne se découragea pourtant pas et elle persévéra dans sa pratique. Sa détermination et la force de son aspiration émurent le Bouddha qui envoya vers elle des rais de lumière qui la transformèrent en homme, et elle put ainsi atteindre l’éveil. Cette anecdote de la métamorphose de Nāgādatta en homme apporte la preuve décisive que la doctrine bouddhiste conserve à l’homme une position prépondérante quant à la pratique et à la possibilité de réaliser le but ultime puisque, si une femme veut atteindre ce but, elle doit au préalable s’être métamorphosée en homme.
Si nous en croyons les soutras, le Bouddha aurait donc mis la femme à l’écart des êtres sensibles et l’aurait considérée comme un être différent et à part. Comment expliquer cette contradiction entre d’une part le regard profondément généreux et extrêmement ouvert du Bouddha qui embrasse l’infinité des êtres, et d’autre part l’ostracisme et la partialité envers le monde féminin que les soutras lui attribuent tant dans ses paroles que dans ses actes ? L’unique façon de tirer ce problème au clair et de résoudre la contradiction apparente est d’utiliser la logique pour analyser chaque point tant au niveau des paroles que des actes.
1.L’Anguttara-Nikāya, dans le chapitre sur les femmes Sattabhariya (les sept catégories de femmes), dans le Canon pali.
2. L’Ekottarāgamasutta (P) (Āgama), dans le Canon chinois.
3. L’Asokadattavyakaranasutra (S), dans le Canon chinois.
4. Le soutra des enseignements du Bouddha aux fées (ou aux filles de la famille de Jade) (10) , dans le Canon chinois.
5. Le soutra des fées (ou Soutra des filles de la famille Jade ?) (11) , dans le Canon chinois.
6. Le soutra de la famille Jade (12), dans le Canon chinois.
Le premier soutra cité ci-dessus raconte que le Bouddha, alors qu’il séjournait dans la demeure d’Anathapindika, donna des enseignements à Sujata, la belle-fille de ce dernier, qui était très familière des enseignements bouddhistes. Le Bouddha distingua sept catégories de femmes : 1) les femmes malhonnêtes et méchantes, 2) les femmes cupides et voleuses, 3) les femmes qui argumentent sans cesse et veulent toujours avoir le dessus, 4) les femmes douces et morales qui font de bonnes mères, 5) les femmes conciliantes et soucieuses de préserver des relations harmonieuses dans la famille, qui sont d’excellentes sœurs, 6) les femmes douces et patientes qui savent s’effacer et font de bonnes amies, 7) les femmes au foyer qui se satisfont de leur sort et sont heureuses de vivre dans leur famille. Le soutra laisse entendre que cette dernière catégorie recueille la préférence du Bouddha, car il mentionne qu’après avoir entendu cet enseignement, Sujata exprima le souhait de pouvoir vivre la vie des femmes de cette septième catégorie.
Le deuxième soutra cité, l’Ekottarāgama, scinde la gent féminine en quatre catégories plus simples : les femmes qui remplissent la mission sacrée de mères, les femmes qui s’occupent avec grand soin de la subsistance de leur famille et en sont le pilier, les femmes au caractère récalcitrant et sauvage, les femmes qui savent se contenter de leur sort.
Le troisième soutra, l’Asokadattavyakarana, répète la classification en sept catégories du soutra cité en premier.
Le quatrième soutra mentionné, " Les enseignements du Bouddha aux fées / aux filles de la famille Jade", parle tout particulièrement de la femme mariée et en définit cinq types : 1) la femme qui aime et protège son mari comme un fils, 2) la femme qui respecte et craint son mari comme le maître de la maison, 3) la femme qui témoigne le même égard pour son mari que pour un frère aîné, 4) la femme qui sert son mari comme une servante, 5) la femme qui aime tendrement son mari comme s’il était l’autre moitié d’elle-même.
Ce quatrième soutra mentionne également les obligations liées aux trois assujettissements de la femme déjà expliqués précédemment.
Les titres des deux derniers soutras cités est très proche de celui du quatrième, mais la classification correspond à celle du premier.
Les soutras cités en 4, 5 et 6 énumèrent aussi les dix infortunes liées à la condition féminine dans la société indienne de l’époque : 1) la naissance d’une fille est un malheur pour ses parents, 2) si ses parents l’élèvent, c’est à contre cœur, 3) lorsqu’elle grandit, il faut se soucier de lui trouver un mari, 4) une fois mariée, elle ne peut faire un pas sans en demander la permission, 5) lorsqu’elle se marie, elle doit couper tout lien avec ses parents et sa famille, 6) elle doit désormais vivre au dépens de sa belle-famille, 7) la grossesse est une période pénible, 8 ) mettre au monde un enfant est très dangereux, 9) la femme vit en permanence dans l’angoisse d’être abandonnée par son mari, 10) accaparée tout au long de son existence par ses occupations d’épouse et de mère, la femme n’a pas la moindre marge de liberté.
Le professeur Iwamoto explique en détail cette classification des femmes dans les soûtras énumérés ci-dessus et présente le contexte dans lequel ces soûtras mentionnent chaque catégorie. Iwamoto analyse aussi les sections dans lesquelles les soûtras font référence au sort tragique des femmes et il démontre que les écrits bouddhistes sont les premiers à faire état des situations affligeantes qui s’accumulent sur le dos des femmes depuis des générations du fait même qu’elles sont considérées comme inférieures. De cette analyse, Iwamoto conclut qu’en général, une lecture attentive des passages des soûtras concernant les femmes permet de comprendre clairement que le Bouddha enseignait pour changer cette conception antique et traditionnelle de la femme ancrée dans l’esprit de ses contemporains. Il n’acceptait pas la situation de souffrance imposée aux femmes et souhaitait au contraire que ses contemporains prennent conscience de tout ce que la position et le caractère de la femme ont d’admirable, de digne et de positif, à mille lieues de l’image négative et nuisible que la civilisation traditionnelle indienne lui avait fait endosser. Les lecteurs des générations suivantes ont négligé cet aspect progressif, constamment défendu par le bouddha, et n’ont mis en avant que ce qu’ils voulaient eux-mêmes voir dans les soûtras, à savoir une confirmation de la position inférieure de la femme.
Extraire ainsi des citations de leur contexte général revient à, inconsciemment ou délibérément, trahir la pensée et l’intention du Bouddha, et à ainsi induire les générations futures en erreur.
Nous devons mentionner dans ce contexte le nom de deux chercheuses qui se sont intéressées à cette affirmation du Bouddha, I.B. Horner, auteur du livre " Women in Primitive Buddhism " (Routledge and Kegan, London, 1930) et Diana Mary Paul, auteur de l’ouvrage " Women in Buddhism " (Lancaster Miller, Berkeley, 1980), qui a continué, cinquante ans plus tard, les recherches de la précédente. Dans l’école Mahāyāna japonaise, le professeur Kajiyama Yuichi a publié un essai intitulé " Women in Buddhism " (Eastern Buddhism Review, vol. XV, #2), qui analyse le travail de recherche de Mesdames Horner et Mary Paul, en apportant quelques éléments neufs sur base de données scientifiques. Ces auteurs font tous trois appel à une méthode qui permet d’estimer la date et l’origine d’un soûtra lorsqu’il est introduit dans le Canon des écritures, de sorte que l’on puisse déterminer pour chaque détail ou événement s’il est crédible ou douteux.
Pour bien comprendre la méthode que ces auteurs ont utilisée, nous devons aborder de manière sommaire la séparation des différentes écoles bouddhistes qui ont donné naissance à une quantité impressionnante d’écrits. L’empereur Aśoka a conduit le Bouddhisme à son apogée. Après sa mort (14), la Sangha se sépara en deux écoles, l’école Sthaviravāda (S) (15) , minoritaire, qui regroupait les moines les plus traditionalistes et conservateurs, et l’école Mahāsāmghika (S) (16) qui comprenait la majorité des moines, des nonnes et des fidèles. De ces deux courants naquirent un grand nombre d’écoles nouvelles au cours des siècles suivants.
Chaque école basait ses enseignements sur certains soûtras qu’elle considérait comme essentiels et appliquait certaines règles de pratique en harmonie avec le cadre particulier dans lequel elle se développait. L’unité initiale fut donc progressivement perdue. Sous le règne d’Aśoka, le prince héritier Mahinda introduisit le Bouddhisme au Sri Lanka, y apportant les soûtras et les règles de discipline de l’école Sthaviravāda, qui prit ensuite le nom de Theravāda (P), la doctrine des Anciens, c’est-à-dire le Bouddhisme originel tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’école Mahāsāmghika qui demeurait en Inde s’étendit vers le Nord, gagna l’Asie centrale et arriva en Chine par la route de la soie. Les écritures bouddhistes qui furent transmises en Chine ont été compilées en quatre grandes collections, appelées Āgama et rédigées en sanskrit. Traduits en chinois, ils constituèrent la base de la doctrine des écoles du Nord. Les écrits bouddhistes transmis au Sri Lanka furent transcrits en pâli et comprennent cinq grandes collections qui forment la base de la doctrine de l’école du Sud.
Les spécialistes des écritures bouddhistes s’accordent en général sur le point de base suivant : si une section de soûtra, tout un soûtra, une collection de soûtra ou un détail dans un soûtra décrit un événement particulier et qu’on retrouve celui-ci dans les deux systèmes, c’est qu’il s’est réellement produit ou a été noté dans les écritures à une période antérieure à la séparation des deux écoles. Au contraire, un détail ou un soûtra qu’on trouve dans le Canon pâli mais pas dans le Canon chinois des Āgamas, ou qu’on trouve dans le Canon chinois des Āgamas mais pas dans le système pâli doit être considéré comme ajouté aux écritures après la séparation des deux écoles. Grâce à ce détail technique, les spécialistes du Bouddhisme ont pu dater l’apparition et déterminer l’âge de certains soûtras pour distinguer ce qui est authentique de ce qui est sujet à caution.
A présent que nous comprenons clairement la méthode d’analyse expliquée ci-dessus, revenons aux paroles du Bouddha, qui aurait affirmé qu’une femme ne peut pas réaliser l’éveil parce qu’elle en est entravée par les cinq obstacles. Cette affirmation repose sur trois collections de soûtras. La première comprend trois volumes : le volume des Lois en Cinq Parties (Mahisakasa), le Gotamisutra, et le soutra des recueils de rétributions de Gotama (17) . La seconde collection comprend les extraits de l’Ekottarāgama qui relatent l’histoire de la princesse Muni. La troisième collection comprend le Bahudhatukasutta et le soûtra de la Porte du Dharma en Cinq Sections (18).
Tous les textes de la première collection relatent comment la reine Gotami (tante et belle-mère du Bouddha) fonda la communauté des nonnes et, à la fin de chaque soûtra, sont ajoutées les paroles du Bouddha énumérant les cinq obstacles qui limitent la condition féminine. La position finale de cette section indique qu’elle ne se trouvait pas dans le texte initial. Les auteurs en apportent la preuve en citant trois autres soûtras, l’Anguttara Nikāya, le Cullavagga et le Dharmaguptaka (faisant partie du Vinaya) qui relatent également l’établissement de la Sangha des femmes par la reine Gotami et rapportent en détail exactement les mêmes faits, mais sans la moindre mention des cinq obstacles qui entravent les femmes.
Les textes de la deuxième collection illustrent également la question des " cinq obstacles " à partir d’une section de l’Ekottarāgama, dans le Canon chinois. Cette section de texte relate l’histoire de la princesse Muni. Cette histoire est également reprise avec exactement les mêmes détails, sans la moindre divergence, dans le " Soûtra du Sage et du Sot " (traduction de Max Muller), mais cette fois sans aucune référence aux " cinq obstacles ".
La troisième collection comprend le Bahudhatukasutta (P) et la " Porte du Dharma en Cinq Sections " (Canon chinois). Le soûtra en pâli compare les avantages et les inconvénients propres respectivement à la condition masculine et à la condition féminine, et mentionne les cinq obstacles parmi les inconvénients qui caractérisent la condition féminine. Deux volumes correspondent au Bahudhatukasutta dans le Canon chinois : le Madhyāmāgama (S) et la " Porte du Dharma en Quatre Sections " (19), traduits par le maître Faxian (20) 1500 ans après le nirvāna du Bouddha. Le premier texte ne mentionne nullement les cinq obstacles, par contre ils apparaissent dans la traduction de Faxian. Après délibération, les chercheurs ont conclu que la section mentionnant les cinq obstacles avait été rajoutée ultérieurement.
Outre les trois collections énumérées ci-dessus, le professeur Kajiyama Yuichi cite également un soûtra appartenant à l’Anguttara Nikāya, dans le système pâli, qui mentionne les cinq obstacles. Toutefois ce soûtra n’a pas d’équivalent dans le Canon chinois et nous n’avons donc pas suffisamment d’éléments comparatifs.
En résumé, grâce à la méthode d’analyse comparative, nos auteurs ont découvert que lorsque la notion de " cinq obstacles " apparaît dans les soûtras du Canon pâli, elle n’apparaît pas dans les soûtras correspondants du Canon chinois et vice versa. Ils sont donc arrivés à la conclusion que le Bouddha n’a pas parlé des cinq obstacles dans ses enseignements originels, mais qu’il s’agit d’une notion rajoutée au texte des soûtras au cours de périodes ultérieures.
Le Bouddha accepta que Gotami fonde la communauté des nonnes à condition que les nonnes (bikkhuni) se conforment aux huit règles particulières du Garudhamma (cf. ci-dessus), en plus de toutes les règles observées par les moines dans la Sangha. Depuis 1930 - l’année qui vit la publication de l’ouvrage de la nonne I.B. Horner (elle devint plus tard présidente de la Pali Text Society de Londres), le premier ouvrage d’avant garde à aborder le sujet du droit des femmes dans le Bouddhisme - jusque dans les années ‘80, de nombreux travaux de recherches sont venus étayer la position de I.B. Horner et leurs résultats ont été publiés. Nous pouvons résumer ces travaux de recherches en les regroupant en trois groupes : Inde/Ceylan , Japon et Occident.
La position des auteurs asiatiques est résumée dans ces deux ouvrages qui, bien que très rigoureux, n’en restent pas moins teintés de conservatisme. Ces auteurs présentent la société indienne à l’époque du Bouddha comme semi-civilisée, et le pays comme peu sûr et infesté de brigands. Ceux qui optaient pour la vie religieuse devaient quitter leur famille pour vivre sans foyer ni abri dans les forêts et les lieux sauvages. Un moine pouvait peut-être se défendre contre les voleurs, les bêtes féroces et les serpents venimeux, mais certainement pas une nonne. De plus, au sein même de la Sangha des moines, la discipline était très lâche, car comment assurer une stricte discipline au sein d’une communauté comptant des dizaines ou des centaines de milliers de personnes ayant quitté de leur plein gré la vie mondaine pour vivre une existence errante ? Ils dépendaient entièrement de la générosité de leurs bienfaiteurs et étaient réduits à manger des herbes sauvages et à errer nus en situation de disette. C’est, d’après eux, la raison pour laquelle le Bouddha a édicté les règles du Garudhamma, sans doute à contre cœur, mais avec l’intention de protéger les nonnes. Les auteurs en concluent que les femmes qui entrent dans la vie religieuse doivent comprendre que ces règles ont en fait été établies pour leur plus grand bien et celui de tous, et qu’elles ne sont nullement des mesures discriminatoires. Mais dans la réalité des faits, si l’on regarde la situation d’un peu plus près et de manière objective, il est sans doute aisé d’instiguer les femmes - sous prétexte de vertu - à transcender ces mesures et à éviter de prendre les principes au pied de la lettre, mais il est autrement difficile de réfuter la réalité d’une discrimination par trop évidente.
Malgré sa vaste et profonde érudition, le professeur Ocho a lui aussi adhéré à la position conservatrice du groupe Indo-ceylanais citée plus haut. Les deux arguments qu’il avance ont été mis en doute par ses condisciples pour leur manque de fondement solide. Premièrement, le Bouddhisme de l’époque était comparable en ampleur et en importance au Jaïnisme. Or, dans le Jaïnisme, les communautés de moines et de nonnes ont été fondées simultanément et la communauté des nonnes a connu un développement double de celui des moines. Leur chef spirituel et fondateur, Mahavira, n’a jamais édicté de règles rabaissant les femmes et pourtant, dans les faits, la communauté des nonnes était assujettie à celle des moines et était moins bien considérée. Ce n’est donc pas parce que la Sangha des moines a vu le jour avant la Sangha des nonnes que les moines jouissaient d’un statut plus élevé que celui de leurs condisciples féminines. Deuxièmement, les penchants innés de la femme ne la portent pas davantage que l’homme vers le péché. Si nous lisons attentivement les soûtras du Mahāyāna, nous y trouverons de nombreux échos des fautes commises par des moines sans moralité qui souillaient la réputation de la Sangha. Au contraire, du côté des nonnes, on ne relate quasiment nulle part de cas de nonnes ayant commis des fautes. La conception conservatrice du professeur Ocho a d’ailleurs été immédiatement réfutée par un grand maître et érudit indien, Dharmananda Kosambi.
Ayant étudié le sujet en profondeur, ce dernier émet un jugement sans appel : les huit règles du Garudhamma n’ont pas été édictées par le Bouddha, mais ce sont les moines des générations suivantes qui, pour préserver leurs privilèges en tant qu’individus ou en tant que collectivité masculine, ou en raison de nécessités particulières nées des circonstances, les ont inventées, ajoutées aux soûtras et présentées comme l’enseignement même du Bouddha. Il étaye sa prise de position par de nombreuses preuves. Considérons l’une d’elles pour nous laisser convaincre. Les soûtras mentionnent clairement que le Bouddha avait une manière de procéder immuable pour fixer les règles qui constitueraient les préceptes du Vinaya. Il laissait toujours la vie de la communauté y conduire naturellement. Lorsque survenait un incident nécessitant une intervention, le problème était abordé lors des réunions de la Sangha qui avaient lieu les jours d’observance (uposatha - P) au début et au-milieu de chaque mois. La question était débattue pour arriver à un accord collectif qui était ensuite soumis à la décision finale du Bouddha qui l’érigeait alors en règle de conduite. Les soûtras racontent que Śariputra vint trouver le Bouddha à plusieurs reprises après l’établissement de la Sangha pour lui demander d’édicter de manière formelle un code exhaustif de l’ensemble des règles à observer par tous, pour faciliter une organisation harmonieuse de la vie communautaire. Le Bouddha répondit : " Śariputra, sois patient. Le Tathāgata sait quand il doit édicter une règle. Tant qu’aucun moine ne commet de nouvelle faute, il ne peut pas édicter une règle pour éviter un mal qui n’est pas encore survenu. ".
Le cas du Garudhamma se situe donc tout à fait en dehors de la procédure habituellement suivie par le Bouddha pour énoncer des règles de conduite. La Sangha des nonnes venait d’être fondée, personne n’avait encore commis de faute, pourquoi fallait-il déjà établir des règles restrictives ? De là la certitude que le Garudhamma n’a pas été édicté par le Bouddha à l’époque originelle. Du fait du développement de la Sangha, la vie en son sein devint de plus en plus complexe. Ceux qui en assumèrent la responsabilité après le Bouddha n’avaient ni son prestige ni sa vision tolérante et profondément compatissante, ce qui explique pourquoi ils inclurent parfois dans les règles de discipline certaines obligations qui manquaient de lucidité, le garudhamma en étant un exemple typique.
La nonne I.B. Horner démontre quant à elle par la méthode analytique que, du vivant du Bouddha, aucune distinction entre moines et nonnes n’était établie et que les femmes, tout autant que les hommes, pouvaient devenir des Arhats. Après le parinirvāna du Bouddha, le Bouddhisme se scinda en de nombreuses écoles. Ce fut le début de la période correspondant au Hīnayāna, au cours de laquelle apparut la croyance en l’incapacité de la femme d’atteindre la réalisation. Au début de notre ère, l’école Mahāyāna était en pleine expansion et la conviction de l’égalité de l’homme et de la femme sur le plan de la pratique se répandit, basée l’idée de la " vacuité " des constituants tant de l’homme que de la femme (selon la philosophie de la prajñā). L’école Mahāyāna vit aussi se développer une foi enthousiaste dans le Bouddha Amitābha, qui manifestait une compassion toute particulière pour la faiblesse des femmes, assurant celles-ci d’une renaissance dans la grande félicité de sa Terre Pure de l’Ouest si elles récitaient simplement son nom. La position de la femme s’en trouva réhabilitée et être une femme en vint ainsi à être considéré comme un état extrêmement privilégié.
Cette argumentation percutante, reposant sur des faits établis, nous force à croire que les chapitres qui énoncent des règles sévères rabaissant les nonnes ne sont pas l’œuvre du Bouddha à l’époque des débuts du Bouddhisme.
Un autre élément qui alimente les reproches adressés au Bouddha par les générations suivantes quant à son traitement injuste des femmes est le fait qu’une pratiquante d’un haut niveau de réalisation doive se changer en homme si elle veut atteindre l’état de Bouddha.
Nous avons déjà cité précédemment le cas de la princesse Nagadatta dans le Nagadattasutra. D’après le professeur Naresh Mantri dans son article " On Women attaining Buddhahood " (Les femmes ayant atteint la Bouddhéité), Young East Review, 1962, les cas de femmes ayant dû changer de sexe pour réaliser l’éveil sont cités dans de nombreux autres soûtras en dehors du Nagadatta. Le Saddharmapundarīka sutra relate ainsi l’histoire de la princesse Nara qui dut prendre une forme masculine pour réaliser l’éveil. L’Astasāhasrikāprajñāpāramitāsūtra raconte aussi que le Bouddha transforma Gandadeva en homme pour qu’elle puisse devenir un bouddha. De nombreuses histoires similaires apparaissent également dans le Canon chinois. Le professeur Mantri résume également, dans l’article déjà cité, les différents arguments que les érudits bouddhistes ont avancés, tant autrefois que de nos jours, pour légitimer l’égalité des hommes et des femmes telle qu’elle apparaît dans les soûtras, et nous pouvons en citer quelques exemples.
Dans le courant du premier siècle (de l’ère chrétienne), le Mahāyāna s’était fortement développé et un grand nombre de femmes choisirent la vie monastique. A cette époque, la religion fleurissait sous le régime monarchique et elle imprégnait toute l’atmosphère de la vie des princes, des princesses et de la Cour. De ce fait, les chefs spirituels s’efforçaient d’aplanir les contradictions doctrinales. Ils devaient d’une part laisser entendre aux pratiquantes qu’elles pouvaient atteindre la libération, mais ils ne pouvaient pas non plus ignorer ou modifier la notion des " cinq obstacles " (mentionnant notamment qu’une femme ne pouvait devenir ni un souverain universel ni un bodhisattva) qui avait été introduite auparavant dans les soûtras et qui constituait la base du système monarchique patriarcal. Il ne leur restait donc plus qu’à inventer l’idée d’un changement de sexe de dernière minute, la femme se transformant en homme juste avant d’atteindre le but ultime de la bouddhéité.
C’est aussi dans le courant de ce premier siècle, soit 500 ans après le nirvāna, que se développa dans l’école Mahāyāna une foi profonde dans le pouvoir libérateur du Bouddha Amitābha, ainsi que le mentionne Mme Horner. Or, la terre de grande félicité de l’Ouest où enseigne le Bouddha Amitābha est décrite par le Bouddha Śākyamuni comme un lieu où ne résident que des hommes. On n’y trouve pas la moindre femme. Pourquoi ? La cause principale de la souffrance n’est autre que le désir sensuel (passion, désir sexuel). Si l’on veut réaliser la grande félicité du paradis occidental, il faut avoir totalement éliminé tout désir sensuel et, dès lors, la notion même de distinction entre les sexes disparaît complètement.
L’idée d’élimination du désir apparaît explicitement dans les soûtras de la prajñā (forme, vacuité). Le professeur Mantri cite un passage du Vajracchedikāprajñāpāramitāsūtra, qui enseigne que : " …quand bien même aurait-on les trente-deux marques(21), on n’en devient pas pour autant un Bouddha. Le Bouddha est sans forme, il n’a ni forme masculine, ni forme féminine. "
Comprendre parfaitement ce passage du soutra, c’est comprendre la réhabilitation de la femme dans le Bouddhisme. Elle n’a plus à dépendre (et ne l’a jamais dû) d’un artifice magique ou d’un miracle pour pouvoir atteindre la libération, mais c’est par elle-même qu’elle peut actualiser son droit d’être un être humain à part entière et de devenir un bouddha.
Si même Maudgalyāyana a pu se tromper, à plus forte raison des êtres ordinaires comme nous. Les gens des générations suivantes lurent les soûtras sans chercher à les comprendre et attribuèrent ainsi au Bouddha des paroles qu’il n’avait jamais prononcées et des actes qu’il n’avait jamais posés.
(Traduit du vietnamien par Corinne Segers)
(*b)Du Shun ou Fa Shun (557-640) : Patriarche de l’école Huayan. Il fut d’abord simple soldat puis se fit moine alors qu’il n’avait que 18 ans. Il se consacra entièrement à l’étude de l’Avatamsakasūtra. Surnommé le ‘Bodhisattva de Dunhuang’, il accomplit de nombreux miracles et s’attira la sympathie de l’Empereur Wen des Sui. Il fonda l’école Huayan en établissant la classification des écritures en cinq types d’enseignements et écrivit deux commentaires, le "Śamatha – Vipaśyana des Cinq Enseignements" (Wujing zhiguan) et la "Porte de la Vision Profonde du Dharmadatū" (Fajie guanmen). (Ndt : d’après le Dictionnaire Encyclopédique du Bouddhisme, Philippe Cornu, Seuil, 2002)
(*c)Cette histoire reflète le dialogue entre Shāriputra et une déesse, qui apparaît dans le chapitre 7 du Vimalakīrtinirdeśasūtra Soutra : "Vision des Êtres":
- Pourquoi, demanda Shāriputra à la déesse, ne changez-vous pas de corps, vous qui êtes une femme?
- Voilà douze ans que je cherche les attributs de la femme mais je ne les ai pas encore clairement trouvés. Que pourrais-je donc changer ? Lorsqu’un maître magicien, par exemple, a créé une femme illusoire, celui qui demande à cette créature pourquoi elle ne change pas de sexe pose-t-il une question correcte ?
- Non, dit Shāriputra. Les créatures magiques ne possèdent pas d’attributs déterminés leur permettant de se transformer réellement.
- De même en est-il pour tous les phénomènes, dit l’être divin : ils n’ont pas d’attributs déterminés. Alors, comment pouvez-vous me demander pourquoi je ne change pas de corps ?
En un instant, la déesse recourut à ses divins pouvoirs pour donner sa propre apparence à Shāriputra en se transformant elle-même en Shāriputra.
- Pourquoi donc ne changez-vous pas de sexe ? lui demanda-t-elle alors au débotté .
Aux prises avec sa dégaine de jeune déesse, Shāriputra s’écria :
- Je ne sais pas ce qui a changé en moi, mais me voilà transformé en femme !
- Shāriputra, dit la déesse, si vous pouviez changer de sexe, à présent que vous êtes une femme, toutes les femmes le pourraient aussi. Si vous, Shāriputra, n’êtes pas une femme mais en avez l’apparence, il en sera de même pour toutes les femmes. Bien qu’ayant apparence de femme, ce ne sont pas des femmes. C’est pour cela que le Bouddha dit que tous les phénomènes ne sont ni mâles ni femelles. Soudainement encore, la déesse ramena ses divins pouvoirs et Shāriputra redevint comme il avait toujours été.
-Où sont passés vos charmes féminins ? lui demanda-t-elle aussitôt.
- Mes charmes féminins ? Ils ne se trouvent où que ce soit et pas davantage nulle part.
- De même en est-il pour tous les phénomènes : ils ne se trouvent où que ce soit et pas davantage nulle part. Voilà ce que déclarent les Bouddhas.
- Quand vous quitterez cette vie, dit Shāriputra à la déesse, où renaîtrez-vous ?
- Je serai une production magique des bouddhas ... Les productions magiques ne meurent point ni ne renaissent.
(Soutra de la Liberté inconcevable, les enseignements de Vimalakirti, traduit du chinois par Patrick Carré, Fayard, Collection Trésors du Bouddhisme, Paris, 2000
(2). Même remarque qu’en 1. (Ndt)
(3). Dans cette traduction française, nous mentionnerons seulement, si nécessaire, la traduction française du terme sanscrit ou pali (NdT)
(4). Kuśinagara (S)
(5). Phât thuyêt Ngoc nu gia kinh (un soutra traduit en chinois à partir du sanscrit - traduction provisoire proposée à partir du vietnamien, le titre chinois ou l’équivalent sanscrit n’étant pas cité par l’auteur de cet essai. NdT))
(6). Encyclopedia of Buddhism QIII, p. 43
(7). Trí Khải en vietnamien (voir note en fin de texte)
(. Đỗ Thuận en vietnamien (voir note en fin de texte)
(9). Traduction libre à partir du vietnamien, la traductrice n’ayant pas le texte dont la référence est ici donnée par l’auteur.
(10). Kinh Phật thuyết Ngọc gia nữ (Vietnamien) – (Traduction provisoire proposée à partir du vietnamien, le titre chinois ou l’équivalent sanscrit n’étant pas cité par l’auteur de cet essai. NdT)
(11). Kinh Ngọc gia nữ (Vietnamien – voir note n°
(12). Kinh Ngọc gia (Vietnamien– voir note n°
(13). Kinh Tứ Phẩm Pháp Môn (Traduction provisoire proposée à partir du vietnamien, le titre chinois ou l’équivalent sanscrit n’étant pas cité par l’auteur de cet essai. NdT)
(14). En fait après le Troisième Concile, parfois appelé Concile de Pātaliputra (NdT)
(15). Sthaviravāda : la Doctrine des Anciens
(16). Mahāsāmghika : la Grande Assemblée
(17). Cồ đàm di ký quả kinh (Traduction provisoire proposée à partir du vietnamien, le titre chinois ou l’équivalent sanscrit n’étant pas cité par l’auteur de cet essai. NdT)
(18). Ngũ Phẩm Pháp Môn Kinh (vietnamien – même remarque que pour la note 15)
(19). Tứ phẩm Pháp Môn (vietnamien – même remarque que pour la note 15)
(20). Pháp Hiên (vietnamien) : un des principaux pélerins chinois en Inde (deuxième moitié du 4ème siècle). Il en ramena de nombreux textes dont il entreprit la traduction.
(21). Ces trente-deux marques sont les caractéristiques physiques d’un bouddha. (NdT)
(22). Vô cấu thi bồ tát ứng biền (vietnamien – même remarque que pour la note 15)
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