LE CALVAIRE DU TIBET
vendredi 12 août 2005 , proposé par LesOgres.Org
Autrefois le Tibet était une nation distincte avec son propre gouvernement, sa religion, sa langue, ses lois et ses coutumes.
A travers les siècles, plusieurs pays parmi lesquels la Chine, l’Angleterre et la Mongolie ont cherché à exercer leur contrôle sur le Tibet avec plus ou moins de succès. Les spécialistes en matière de droit international s’accordent à dire qu’entre 1911 et l’invasion chinoise de 1949, le Tibet était un pays totalement indépendant. Depuis, les Tibétains luttent pour retrouver leur liberté et préserver leur culture.
50 ans d’occupationEn 1950, la Chine annonce la "libération" du Tibet. En 1951, les troupes de l’armée populaire chinoise, dans le pays depuis un an, pénètrent dans Lhassa. L’accord de libération pacifique du Tibet en dix-sept points, est signé sous la contrainte, et le sceau du Dalaï-Lama est falsifié. Cet accord fait croire aux Tibétains que le système déjà existant au Tibet ne sera pas remis en question, mais stipule en fait l’intégration du Tibet à la Chine. Huit ans plus tard Lhassa est mise à feu et à sang et le Dalaï-Lama s’exile en Inde.
Le Tibet est réduit à seulement la moitié de sa superficie. La totalité de l’Amdo et une partie importante du Kham sont intégrées dans les provinces chinoises voisines du Qinghai, du Gansu et du Yunnan. La partie restante du Tibet, composée de l’U-Tsang et d’une petite portion du Kham a été dénommée, en septembre 1965 par les autorités chinoises, "Région autonome du Tibet". Aujourd’hui la Chine ne se réfère qu’à cette région lorsqu’elle parle du Tibet.
Lors de la Révolution culturelle (1966-1976), le Tibet est aussi touché. Des milliers de manuscrits anciens sont brûlés, des milliers de statues détruites et expédiées vers des fonderies en Chine. A Pékin, à elle seule, la fonderie des métaux précieux a fondu 600 tonnes d’objets artisanaux métalliques en provenance du Tibet. Le génocide culturel est en marche...
Violations systématiques des droits de l’homme les plus élémentairesAssassinats, enlèvements, arrestations arbitraires, viols, stérilisations forcées des femmes sont le lot quotidien des Tibétains depuis près de 50 ans.
La torture est également monnaie courante dans les prisons tibétaines. L’objectif est de briser le moral des prisonniers, de les déshumaniser et d’anéantir leur volonté de continuer toute activité politique. Les interrogatoires comprennent entre autres les techniques suivantes : décharges de matraques électriques, coups de barres de fer, coups de crosse de fusil, introduction de baguettes sous les ongles, application de pelles brûlantes sur le corps, eau bouillante déversée sur la tête des prisonniers, exposition à des températures extrêmes, privation de sommeil, de nourriture, d’eau... La liste n’est pas exhaustive.
Des équipes de travail chinoises campent en permanence dans l’enceinte des monastères ou les visitent de temps à autre afin de diriger des sessions de "rééducation politique" (thamzing). Ces sessions cherchent à contraindre les nonnes et les moines à renier le Dalaï Lama, à apprendre l’histoire tibétaine selon la version chinoise et à s’opposer à tout mouvement de libération au Tibet.
Une catastrophe écologique majeureLe Tibet est devenu une zone militaire stratégique pour la Chine qui y a implanté plusieurs ogives nucléaires. Elle y fabrique également ses armes atomiques et y stocke ses déchets nucléaires alors que cinq des plus grands fleuves d’Asie (incluant l’Indus, le Mekong et le Brahmapoutre) prennent leur source dans ces montagnes !
La survie de près de la moitié de la population mondiale dépend directement de ces fleuves.
Les ressources naturelles sont systématiquement pillées sans prendre en compte les graves conséquences écologiques à l’échelle planétaire qui peuvent découler de cette surexploitation.
Les zones forestières représentaient 221 000 km2 avant l’invasion chinoise, elles n’en couvrent plus que 130 000 aujourd’hui.
Des centaines d’espèces animales et végétales rares ont définitivement disparu. L’hémione, le chevrotain porte musc, la grue à col noir, le takin du Tibet, le léopard des neiges, le singe des neiges, le yak sauvage, le singe doré, le petit panda, le panda géant sont en voie de disparition. A l’instar de la forêt d’Amazonie, la déforestation anarchique pratiquée sur le Toit du Monde met en péril le système écologique de notre planète toute entière.
La solution finale à la chinoiseDepuis près de 40 ans les Tibétains sont victimes d’une intensive colonisation par les Chinois. Il s’agit d’une politique officielle systématique destinée à noyer le peuple tibétain dans une mer de colons chinois pour trouver ainsi une "solution finale" au problème tibétain. Ces transferts massifs de population menacent la survie même de la nation et du peuple tibétain sur son propre sol. Actuellement, il y a plus de 7,5 millions de Chinois au Tibet contre 5,8 millions de Tibétains. A Lhassa, plus des trois quarts de la population sont chinois.
Le mandarin est devenu la langue officielle. Les jeunes enfants tibétains n’ont plus accès à l’éducation traditionnelle et l’écriture tibétaine, l’une des 30 écritures dans le monde, est menacée de disparition. L’architecture traditionnelle a fait place au bétonnage intensif. Après avoir détruit 6 000 monastères, les autorités de Pékin ont décidé d’en rénover certains, transformés en ”musée de la spiritualité”, ceci dans l’unique but d’attirer les touristes et de faire croire que tout se passe pour le mieux au Pays des neiges.
Des centaines de restaurants et de commerces ont été ouverts à Lhassa et dans les grandes villes tibétaines.Maisons de passe, casinos et bars karaokés fleurissent à tous les coins de rue. Les autorités chinoises espèrent ainsi dévoyer les jeunes Tibétains et ruiner les liens familiaux, sociaux et culturels. De plus en plus associée à des valeurs passéistes, la spiritualité est remplacée par le culte du capitalisme à outrance. Enfin, des dispositifs de surveillance (vidéo, policiers en civil et collaborateurs) empêchent toute tentative de manifestation ou tout acte de dissidence organisée.
En 1999, on dénombrait plus de 615 prisonniers politiques au Tibet, dont 62 ayant passé plusieurs années en prison. Leurs crimes : détenir une photo du Dalaï-lama, agiter le drapeau national tibétain, crier "Tibet libre" lors de manifestations pacifiques, coller quelques affiches sur les murs, traduire en tibétain le texte de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ou simplement parler de la situation des droits de l’homme au Tibet à des touristes ou des journalistes étrangers.
Les négociations dans l’impasseLe Dalaï-lama a reconstitué le gouvernement tibétain en exil à Dharamsala, au nord de l’Inde. Celui-ci cherche à trouver une solution pacifique pour résoudre les problèmes du Tibet grâce à des négociations directes avec les autorités chinoises.
Le Dalaï-lama a même été jusqu’à renoncer à sa revendication d’indépendance totale et a fait savoir qu’il était prêt à accepter une authentique autonomie du Tibet au sein de la République Populaire de Chine. De plus, il a officiellement déclaré à plusieurs reprises qu’il ne souhaite pas avoir de responsabilité politique dans le futur gouvernement autonome du Tibet et qu’il est favorable à la séparation des institutions religieuses et politiques.
Malheureusement, le gouvernement chinois persiste à refuser toutes ces initiatives, exigeant avant tout du Dalaï-Lama qu’il renonce à l’affirmation de l’indépendance historique de son pays.
Plan de paix en cinq points, proposé par le Dalaï-lama, le 21 septembre 1987, devant le Comité des Droits de l’Homme au Congrès Américain à Washington :
1. Transformation de l’ensemble du Tibet (incluant les provinces de l’Amdo et du Kham), en zone de paix .
2. Abandon par la Chine de sa politique de transfert de population, qui menace l’existence même des Tibétains en tant que peuple .
3. Respect des libertés démocratiques et des droits de l’homme pour le peuple tibétain .
4. Restauration et protection de l’environnement naturel du Tibet, et abandon par la Chine de son emploi du Tibet pour la production d’armes et les dépôts de déchets nucléaires .
5. Ouverture de négociations sincères concernant le futur statut du Tibet et les relations entre les peuples tibétains et chinois.
Le tigre de papier" La plupart des dirigeants occidentaux éprouvent une très grande sympathie pour le Dalaï-Lama et la cause du Tibet. Cette attitude justifie l’énergie incroyable que déploie le Dalaï-lama, qui ne cesse de voyager, afin de plaider la cause du Tibet. Mais, malheureusement, cette sympathie reste lettre morte dès qu’il s’agit de vendre des Airbus, d’importer des produits manufacturés dans les camps de travail et les prisons, ou d’obtenir de nouveaux marchés en Chine. Bon... Le Dalaï-Lama [...] comprend fort bien que ces nations doivent ménager leur avenir économique, et qu’aucune nation ne puisse faire passer les intérêts du Tibet avant les siens. Mais on pourrait espérer voir le respect des valeurs démocratiques conduire les gouvernements occidentaux à une action plus concrète ! Le gouvernement chinois, qui est très cynique, se réjouit de leur mollesse. Les Chinois profèrent des menaces disproportionnées, qu’ils seraient incapables de mettre à exécution, mais ces menaces suffisent à paralyser les Occidentaux, qui se laissent piteusement bluffer. Quoi que les Chinois prétendent, ils ont bien plus besoin des investissements occidentaux que l’Occident n’a besoin des marchés chinois. Il y aurait donc bien moyen d’exercer une pression, si telle était la volonté des démocraties occidentales. Les Chinois traitaient autrefois l’Amérique de "tigre de papier", mais actuellement ce sont eux, les tigres de papier, car dès qu’on ignore leurs menaces, ils ne les mettent pas à exécution."
Matthieu RicardMatthieu Ricard et Jean-François Revel, Le moine et le philosophe, Le bouddhisme aujourd’hui, Paris, © Nil Éditions, 1997.
Le Tibet en exil« Le Dalaï-Lama et une centaine de milliers d’hommes et de femmes se sont exilés en Inde, en 1959. Totalement démunis au début de leur exil, ils ont réussi à rebâtir peu à peu leur monde, à maintenir leur culture et à restructurer leur société qu’ils font revivre, malgré des conditions d’extrême difficulté. Ils ont créé un gouvernement, reconstruit des monastères où les maîtres perpétuent leurs enseignements aux jeunes moines. Ils ont bâti des écoles où ils éduquent dignement plus de 10 000 enfants que soutiennent des parrains du monde entier. Ces écoles sont cotées parmi les meilleures de l’Himalaya. Les parents, au Tibet, n’hésitent pas à franchir clandestinement des cols à plus de 5 000 mètres avec leurs jeunes enfants pour les confier aux TCV, Village des Enfants Tibétains. Par amour, ils s’en séparent pour des années ou même à jamais. Une trentaine d’enfants s’échappent ainsi chaque mois en franchissant les remparts de l’Himalaya. »
Olivier Föllmi
QUELQUES CHIFFRES:
135 000 réfugiés tibétains dans le monde dont :
- 100 000 en Inde
- 15 000 au Népal
- 1 500 au Bhoutan
- 2 300 en Suisse
- 2 000 aux USA et au Canada
- 100 en Grande Bretagne
- 80 en France
La lutte pacifique des TibétainsMalgré toutes ses souffrances, le peuple tibétain résiste depuis 50 ans, de manière non-violente à la répression chinoise. Le temps passe et joue contre eux. Ils n’ont qu’un maigre espoir face au rouleau compresseur chinois. Le Dalaï-Lama l’a répété à plusieurs reprises, ils comptent sur le soutien et la solidarité des hommes et des femmes de bonne volonté du monde entier, ce que l’on appelle la communauté internationale.
"Il a souvent été dit que ce mot de non-violence était mal choisi et que, par lui-même, précisément du fait de sa forme négative, il entretenait de nombreuses ambiguïtés. Il a pourtant l’avantage décisif de nous obliger à regarder en face les nombreuses ambiguïtés de la violence, alors même que nous sommes toujours tentés de les occulter pour mieux nous en accommoder. La non-violence n’exprime pas un moindre réalisme, mais au contraire, un plus grand réalisme envers la violence. Il s’agit précisément de prendre toute la mesure de celle-ci, d’en traverser toute l’épaisseur, d’en peser toute la lourdeur. Toute violence est un viol : le viol de l’humanité de l’homme, à la fois de celui qui la subit et de celui qui l’exerce. C’est précisément en prenant conscience que la violence est la négation de l’humanité que l’homme est amené à lui opposer un non catégorique et à lui refuser toute légitimité. C’est ce refus qui fonde le concept de non-violence et lui donne sa cohérence et sa pertinence."
Jean-Marie Muller,
Gandhi, La sagesse de la non-violence, Paris, © Epi-Desclée de Brouwer, 1994
"La non-violence n’est pas la passivité, mais une action militante qui exige souvent l’héroïsme. Avec la bombe atomique, elle est la découverte capitale du XXème siècle, l’une répondant à l’autre et obligeant l’humanité à choisir entre la mort et la vie."
Michel Random,
préface du livre de Lanza Del Vasto, Technique de la non-violence, Paris, © Denoël, 1971.
Témoignage de Päldèn GyatsoÂgé de vingt-huit ans lors de son arrestation, Palden Gyatso ne fut libéré qu’en 1992, alors qu’il avait presque soixante ans. ll vit désormais à Dharamsala, dans le Nord de l’Inde.
Depuis qu’il a fui le territoire occupé du Tibet, en 1992, il a voyagé en Europe et aux Etats-Unis avec Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits de l’homme. En 1995, il témoigna devant la Commission des droits de l’Homme des Nations unies.
”Il s’était rapproché du râtelier à matraques. Il en sélectionna une, plus courte, d’une trentaine de centimètres de long, et la brancha afin de la recharger. Il y eu des étincelles accompagnées de crépitements. "Pourquoi es-tu ici ?" poursuivit-il. "Parce que j’ai placardé des affiches à Lhassa réclamant l’indépendance du Tibet." "Alors tu veux toujours Rang-tsèn* ?" demanda-t-il d’un ton plein de défi. Il n’attendit pas ma réponse. Il débrancha la matraque électrique et commença à me titiller ici et là avec son nouveau joujou. A chaque décharge, je tressaillais des pieds à la tête. Puis tout en criant des obscénités, il m’enfonça la pointe dans la bouche, la sortit, l’enfonça de nouveau. Il retourna ensuite près du mur et en choisit une plus longue. J’avais l’impression que mon corps se désintégrait. Je me rappelle vaguement qu’un des gardes fourra ses doigts dans ma bouche pour me tirer sur la langue afin de m’empêcher d’étouffer. Il me semble aussi qu’un des Chinois présents, écœuré, sortit précipitamment de la pièce.
Je me souviens comme si c’était hier des vibrations qui me secouaient tout entier sous l’effet des décharges : le choc vous tenait sous son emprise, pareil à un violent frisson. Je sombrai dans l’inconscience et en me réveillant, je découvris que je gisais dans une mare de vomissures et d’urine. Depuis combien de temps étais-je là ? Je n’en avais pas la moindre idée. J’avais la bouche enflée, je pouvais à peine bouger la mâchoire. Au prix d’une souffrance indicible, je crachai quelque chose : trois dents. Plusieurs semaines s’écouleraient avant que je puisse à nouveau manger des aliments solides. En définitive, je perdis toutes mes dents.”
* Böd Rang-tsen : la liberté pour le Tibet.
Päldèn Gyatso,
Le feu sous la neige, mémoires d’un moine tibétain, Version française, Paris, © Actes sud, 1997.
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