Le Bouddhisme et la vie quotidienne
Par Chépa Dorjé Rinpoché
Conférence de Chépa Dorjé Rinpoché à Paris le 27 avril 2003
Au départ, il est important de comprendre ce qu’est le Bouddhisme. Le Bouddha Shakyamouni a dit que quand certaines personnes pensaient au Bouddha, elles se le représentaient comme un son ; que d’autres personnes quand elles pensaient au Bouddha, elles se le représentaient comme une image, une statue. Pour certaines personnes, il prenait donc une forme visuelle, pour d’autres, une forme auditive. Le Bouddha a dit que ces personnes n’étaient pas dans une vue correcte des choses mais sur un chemin contraire. En pensant ainsi elles n’avaient pas la possibilité de voir ce qu’était véritablement le Bouddha. Nous pouvons comprendre pourquoi : si le Bouddha n’était qu’une représentation visuelle, qu’une statue, nous ne pourrions pas entrer en contact avec lui dans notre vie quotidienne, de même, s’il n’était qu’un son.
Le sens véritable du mot bouddha est le suivant : c’est un état dans lequel il n’y a plus la moindre émotion perturbatrice, mais un accroissement total de la sagesse primordiale et de l’intelligence éveillée : c’est cela, la signification profonde du mot bouddha.
En fait, il y a toujours celui qui pense, c’est lui qui peut nous apporter une aide. Dans nos activités quotidiennes, boire, manger et avoir un toit ne nous suffit pas ; il y a autre chose, d’autres difficultés qui surgissent en plus de ces besoins matériels. Nous devons comprendre ce qu’est cette vie quotidienne. Tout ce que nous effectuons pendant cette vie, nous le faisons afin de vivre, afin de ne pas mourir. C’est le sens de nos activités. D’où les multiples difficultés qui surviennent dans notre esprit : tout ce que nous faisons pour continuer à vivre nous apporte toutes sortes de problèmes.
Le chemin spirituel
Dans les temps anciens, les gens se rendaient compte, ils avaient conscience que tout chemin spirituel était présent pour apporter une aide à notre esprit, pour lui donner les méthodes qui l’aident. Tandis qu’à notre époque, dès notre jeune âge, nous développons l’aspect matériel, lequel connaît un grand accroissement dans notre monde. Mais l’aspect spirituel fait défaut et par cette absence de chemin spirituel, nous pouvons rencontrer des difficultés dans notre esprit, parfois même au point de ne trouver aucun sens à la vie et de vouloir se suicider. Nous voulons, à cause de ce « non-sens », mettre un terme à cette vie, même si effectivement, du côté matériel, nous connaissons un grand développement, tant au niveau des vêtements que de la nourriture, que de notre lieu de vie, que des moyens de transports… même s’il y a tout cela, ce développement matériel et le chemin spirituel ne vont pas ensemble. À cause de cela, nous rencontrons des difficultés dans notre esprit, nous connaissons une souffrance que nous n’arrivons pas à gérer, pas plus que nous n’arrivons à effectuer nos activités correctement. Nous ne pouvons pas non plus comprendre les premières phrases que j’ai dites (que le Bouddha n’était ni une représentation visuelle ni un son), même cela, nous n’arrivons pas à l’utiliser.
Les bodhisattvas
C’est pourquoi des bodhisattvas comme le Christ, comme Tchenrézi ou Tara Verte sont venus pour aider les êtres à unir leur vie quotidienne à un chemin spirituel. Nous n’avons pas besoin d’aide pour savoir gérer l’aspect matériel, nos activités, cela nous avons la capacité de le faire. Mais pour le chemin spirituel, il faut quelqu’un qui ait l’expérience de toutes les difficultés que peut rencontrer l’esprit pour pouvoir l’aider. Car si personne n’est là pour nous guider, pour nous aider à dissiper ces difficultés, même si de manière temporaire nous pouvons les dissiper, tôt ou tard ces difficultés reviendront. Et il ne suffit pas que ces bodhisattvas soient là simplement, il faut aussi qu’ils transmettent les méthodes qui vont nous aider à développer cette sagesse que nous avons en nous, ces qualités que nous pouvons avoir pour dissiper l’ignorance et intégrer ce chemin spirituel dans la vie quotidienne. Puis c’est une question de confiance, de confiance en ces êtres qui peuvent nous guider. Si nous reconnaissons qu’ils sont passés par les mêmes étapes que nous, que par cette expérience ils sont en mesure de nous donner des méthodes, nous pourrons suivre ces méthodes et accomplir ces étapes. A l’inverse, sans confiance de notre part, quoi qu’ils nous transmettent, nous ne pourrons rien accomplir. Si nous avons confiance, nous pouvons suivre le chemin qui nous permet de dissiper les émotions perturbatrices. En tibétain cela se dit « nyeunmongpa » et cela désigne un état à la fois d’hébétude, d’obscurité, d’ignorance, de non-reconnaissance. Par les méthodes données par ces êtres, cet état pourra être dissipé.
Pourquoi faut-il le dissiper les émotions perturbatrices ?
Car dans cet état d’ignorance nous ne pouvons effectuer correctement les activités que nous avons à effectuer même si elles sont simples. De par cette ignorance que nous avons dans notre esprit, nous ne pouvons pas voir clairement comment les accomplir. Une fois que nous aurons dissipé cette obscurité mentale, nous pourrons accomplir nos tâches de manière facile et correcte. Pour cela, il existe toutes sortes de méthodes mais en résumé, elles permettent toutes d’obtenir un esprit stable et une détente. Quand nous effectuons une activité, nous ne l’effectuons pas d’une manière stable, car nous avons tellement d’activités et tellement de pensées discursives que nous ne pouvons les accomplir correctement. Il faut donc nous entraîner.
Comment nous entraîner ?
– Par exemple, si l’on boit du thé, l’esprit doit être dans cette action de boire le thé, de même pour toute autre activité. Si l’on parle, l’esprit doit demeurer dans ces paroles. Si nous parlons mais que nous pensons à autre chose, nous allons voir s’accroître, se déployer des pensées discursives et nous ne serons pas dans cette action. Quand le corps a une activité et que l’esprit est ailleurs, on accumule des pensées. Il y a une grande prolifération de pensées, les canaux et souffles sont mal irrigués d’où une grande fatigue du corps et du même coup, une grande fatigue de l’esprit. Finalement, c’est notre esprit qui ressent cette fatigue. Voilà pourquoi nous devons allier l’utilisation de ce chemin spirituel à notre vie quotidienne. Par exemple quand nous marchons, nous devrions être détendu et le faire tranquillement, en présence de notre esprit. Autrement dit nous ne devrions pas être deux : la marche d’un côté et notre esprit de l’autre avec toutes ses pensées discursives. Nous devrions avoir notre esprit présent tranquillement dans cette marche. Si nous sommes deux, la marche et l’esprit, l’esprit se trouve en dehors de cet acte, il n’y a pas égalité entre le corps et l’esprit et une grande fatigue du corps en résulte puisqu’il n’est pas utilisé correctement. Il y a alors comme un endommagement, une fatigue du corps et conséquemment une fatigue de l’esprit. De cette manière il n’est pas possible que le corps et l’esprit soient naturellement détendus. Par cette prolifération de pensées discursives, il ne peut y avoir d’égalité entre notre esprit et nos activités quotidiennes.
– Autre exemple : nous arrivons dans un endroit splendide, un endroit magnifique. Nous ne pouvons pas en jouir, l’utiliser pleinement. Et pourquoi cela ? Car notre esprit n’y demeure pas. De par le souvenir de pensées passées, notre esprit va partir de ce lieu vers des pensées discursives et de ce fait, il ne sera pas dans ce lieu, il ne jouira pas tranquillement de ce lieu. Normalement quand on est dans un endroit magnifique, naturellement, nous devons éprouver une joie, une détente car l’endroit en question est beau. Si nous avons la possibilité d’utiliser cet endroit naturellement, s’il peut nous apporter joie, légèreté et détente alors ce que l’on vit est en accord avec le lieu, nous l’utilisons naturellement. A l’inverse, si notre esprit est pris par des pensées passées, nous sommes dans ces pensées discursives et nous ne pouvons pas profiter du lieu d’une manière naturelle.
– De même s’il s’agit d’un repas. Quand nous mangeons un repas, nous avons la sensation de la nourriture. Si nous avions la capacité de demeurer avec notre esprit dans cette nourriture, nous pourrions en absorber l’énergie et le bienfait. Mais quand nous mangeons, notre esprit ne demeure pas dans cette nourriture, au contraire il vagabonde, parle, est occupé par toutes sortes de pensées passées. Nous réfléchissons à nos tendances habituelles, à nos activités passées et de ce fait, nous ne pouvons pas bénéficier de la nourriture, de ce qu’elle pourrait nous apporter et nous n’en recevons qu’un infime bénéfice. Car le bénéfice de l’esprit, nous ne pouvons pas l’obtenir. Et si nous mangeons dans cette attitude où l’esprit ne demeure pas dans la nourriture, elle peut même nous nuire, se transformer en poison. L’esprit, comme nous l’avons vu, a une forte capacité. Dans ce moment là, il y a un travail des souffles qui, comme chaque fois que nous absorbons de la nourriture, amène cette nourriture vers le bas. Les souffles font des allées et venues, mais comme l’esprit ne peut demeurer dans cette activité, les souffles sont comme perturbés, voire inversés, et nous ne pouvons pas bénéficier de la nourriture ou alors, de manière infime ou même, en recevoir une nuisance.
– Prenons encore l’exemple des vêtements : les vêtements possèdent des qualités de chaleur, douceur, beauté. Quand nous portons un vêtement pour la première fois, nous sommes contents, nous reconnaissons ses qualités. Puis, avec le temps, comme nous ne demeurons pas dans l’acte de porter le vêtement, mais que l’esprit vagabonde dans ses activités à venir, les qualités du vêtement que nous portons ne sont plus présentes. Notre corps et ces vêtements sont comme séparés, nous ne pouvons jouir de la qualité du vêtement que nous portons. Pourquoi n’arrivons-nous pas à utiliser la capacité du vêtement ? Parce que ces vêtements, nous les portons non pour nous-mêmes mais pour autrui. Par exemple, une femme va bien se vêtir dans le but de plaire à son ami ou nous allons faire de même quand nous allons au restaurant. Nous ne portons donc pas ces vêtements pour nous-mêmes.
Indifférenciation de l’esprit avec toute activité quelle qu’elle soit
Quand l’esprit peut demeurer dans toute activité, quelle que soit cette activité, elle se passe dans la joie et nous avons du bonheur, de l’exaltation à l’effectuer. Nous nous disons alors que le fait d’être dans ce monde, d’être composé de ces agrégats, a un sens. A l’inverse, si l’esprit est séparé de l’activité quotidienne que nous effectuons, nous ne sommes pas dans cette joie naturelle et avons la sensation que ce que nous faisons n’a absolument aucun sens.
Ainsi, si l’on veut résumer ce que dit le Bouddhisme en la matière : si dans ce monde, vous êtes dans le contentement, alors toutes vos activités seront bonnes.
Par exemple, même dans une petite activité, si nous pouvons en développer joie et contentement, nous pouvons dire qu’il y a un sens à être dans ce monde, nous sommes contents de ce que nous sommes en train de vivre.
Parmi les êtres humains, on trouve toutes sortes d’êtres différents et chacun a sa propre beauté. Ordinairement, nous pouvons penser que tel être est beau ou n’est pas beau ; mais en réalité tout être est beau, oui vraiment, tout être est beau, chaque être a sa propre beauté, sa propre capacité, sa propre énergie. Si nous éprouvons du contentement par rapport à nous-mêmes, il n’y aura plus cette pensée : « telle personne possède telle qualité et pas moi ». Car si nous sommes dans ce contentement, nous reconnaissons les qualités, la beauté intérieure de chacun. Ainsi, au printemps, on peut voir s’épanouir toutes sortes de fleurs : certaines sont petites et sont belles en elles-mêmes, d’autres sont grandes et sont belles en elles-mêmes, d’autres sont jaunes et sont belles en elles-mêmes, d’autres encore, bleues, sont belles en elles-mêmes.
Chaque être possède sa propre beauté. La vieillesse possède sa propre beauté, tout autant que la jeunesse. Par exemple, de bons dessinateurs vont peindre une fleur fanée, sans pétale. Cette fleur recèlera une certaine beauté, autant qu’une fleur épanouie avec toutes ses feuilles et tous ses pétales ou qu’une fleur dont on aura juste dessiné la pousse ; et chaque aspect différent de cette fleur sera beau.
C’est d’un grand bienfait de penser ainsi.
Au matin, quand nous nous réveillons, jusqu’au soir quand nous nous couchons, puis pendant le sommeil. Donc pendant les 24 heures qui composent une journée, si nous avons cette joie et cette détente dans l’esprit et de la stabilité, tout ce que nous traversons dans la vie quotidienne se passera sans problème. Grâce à cette stabilité, nous n’aurons pas trop de saisie sur ce que nous vivons, nous le vivrons donc sans trop de difficultés. Nous pouvons le comprendre : quand arrive le soir nous souhaitons dormir. Nous avons cette pensée, mais si les pensées discursives, les difficultés sont présentes dans l’esprit, nous ne pourrons pas dormir du fait de ces trop nombreuses pensées. À cause de leur prolifération, l’esprit ne laissera pas le corps se reposer, car il n’y aura pas indifférenciation entre l’esprit et le corps et nous ne pourrons dormir. Le défaut, à ce moment, est de n’avoir pas de détente dans l’esprit. Nous finirons par tomber malade, nous deviendrons insomniaque et les médecins ne pourront pas véritablement nous aider car le mal-être provient de l’esprit ; cela sera, littéralement, un défaut de l’esprit. Certains médecins donnent des remèdes pour dormir mais ce n’en sont pas puisque le meilleur remède serait de dormir, de laisser le corps se reposer ! Les médicaments donnés vont au contraire fermer certains canaux dans le corps, cela ne va pas véritablement reposer ce corps qui a besoin de sommeil.
Il faut donc une détente dans notre esprit. Pour acquérir cette détente, il doit y avoir indifférenciation de l’esprit avec la vie quotidienne. Dans chaque activité, il faut faire en sorte que l’esprit demeure dans cette activité. On développe ainsi l’intelligence éveillée dans chaque activité et ainsi, on obtient une détente véritable de l’esprit et du corps.
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