V-M: Le testament de Milarépa à Rétchungpa

Milarépa naquit dans la province du Goungthang, dans le Tibet occidental. Son père mourut quand Milarépa avait sept ans et la propriété de la famille fut laissée aux soins de quelques parents qui le maltraitèrent ainsi que sa famille. Sa mère en conçut une grande amertume et envoya son fils apprendre la magie afin de venger cette injustice.

Milarépa apprit très rapidement à utiliser ces forces obscures de destruction et causa la mort de plusieurs personnes. Cependant il en vint à regretter ses méfaits et partit en quête d’un maître qui pourrait l’aider à neutraliser le karma négatif qu’il avait accumulé. Il devint le disciple d’un Nyingmapa appelé Lama Rongtön qui, en voyant que Milarépa avait une affinité avec Marpa l’envoya auprès du traducteur à Lhodrag.

Marpa le mit à l’épreuve pendant des années de tribulations afin de le préparer pour les instructions et enseignements postérieurs.
Pendant cette période Milarépa bâtit tout seul une tour à neuf étages selon les spécifications de Marpa. A la fin de ces épreuves, Marpa lui transmit tous les enseignements qu’il avait reçus de Naropa et d’autres maîtres.

Milarépa pratiqua pendant plusieurs années les transmissions reçues. Il atteint l’Eveil en une seule vie, commença à enseigner et devint très connu pour ses chants poétiques. Il eut plusieurs disciples renommés. Parmi eux, Gampopa devint le prochain détenteur de la lignée.
Milarépa mourut à l’âge de 84 ans.

Le testament de Milarépa à Rétchungpa

Dans l'océan de la transmission des trois mondes,
Le corps irréel est le grand pécheur.
Tant qu'on s'inquiète pour la nourriture et le vêtement,
On n'a pas renoncé au monde.

RENONCE AU MONDE !

Dans la cité des corps irréels,
Soumise à la chair et au sang du corps,
L'esprit irréelle est la grande pécheresse.
Elle n'a aucune notion de sa propre nature.

DISCERNE LA NATURE DE L’esprit !

Aux confins de l'esprit et de la matière,
La connaissance auto générée est la grande coupable.
Passant subitement d'une impression à l'autre,
Elle n'a même pas le temps de se rendre compte
Que ces impressions n'ont aucune origine propre.

RESTE SUR LE SOL FERME DE LA NON-OBJECTIVITÉ DES CHOSES !

Dans la dépendance réciproque de cette vie et de l'autre,
La mémoire des enfers est la grande coupable.
Privée de corps, elle cherche l'association d'un corps,
Sans arriver à découvrir la non réalité du monde sensible.

CONCLUS AU VIDE !

Dans la cité décevante des six classes d'êtres,
L'aveuglement du péché est immense.
L'esprit suit l'impulsion de l'amour et de la haine.
Il est incapable de voir l'égale inanité des choses.

REJETTE AMOUR ET HAINE !...

Accoutume-toi à ne faire qu'une chose
De cette vie, de la prochaine et des limbes...
Après, il n'y a plus rien...

Bonjour,

Parcourant, dans le cadre de mes travaux de recherches et synthèse spirituelle, diverses informations à disposition sur le Web entre autres choses, j’ai “atterris” incidemment sur ce “lien” qui m’a laissé bien perplexe... !

http://www.a-nous-dieu-toccoli.com/

http://www.a-nous-dieu-toccoli.com/publication/2004/anthologiezen/anthologiezen4.html


Ne pouvant, dans un souci d’authenticité, laisser les choses en l’état, je me permets donc d’offrir aux lecteur(trice)s, un aperçus plus fidèle et plus fiable, afin d’en étendre toute sa compréhension et profondeur dans l’intégralité et les références disponibles pour une étude plus approfondie éventuellement !
« Milarépa » traduc. Jacques Bacot, Editions Fayard 1976, collect. "Documents spirituels" :
— Et le Maître apparaissant avec son corps mystique, se leva de son bûcher, un genou replié, écrasant la flamme avec sa main droite et soulevant sa joue avec la gauche.
Avec une voix sortie du fond de sa poitrine, il chanta ces six stances essentielles et suprêmes :

« Rétchungpa semblable à mon cœur,
Ecoute ce chant de préceptes et de dernière volonté.

Dans l’océan de la transmigration des trois mondes,
Le “corps irréel” est le grand pécheur.
Tant qu’on s’inquiète de la nourriture et du vêtement,
Il n’y a pas de renoncement au monde.
Renonce au “monde”, Rétchungpa.

Dans la cité des “corps irréels”
“L’âme irréelle” est la grande pécheresse.
Soumise à la chair et au sang du corps,
Elle n’a jamais notion de sa propre nature.
Discerne la nature de “l’âme”,ô Rétchungpa.

Aux confins de l’esprit et de la matière*
La connaissance créée par soi-même est la grande coupable.
Passant subitement d’une impression à une autre,
Elle n’a pas le temps de se rendre compte
Que ces impressions n’ont aucune origine propre.
Tiens-toi au sol ferme de la “non-objectivité” des choses.

Dans la dépendance réciproque de cette vie et de l’autre,
La mémoire aux enfers est la grande coupable.
Privée de corps, elle cherche l’association d’un corps**.
Elle n’a pas le temps de découvrir la non-réalité du monde sensible.
Conclus au vide, ô Rétchungpa.

Dans la cité décevante des six classes d’êtres,
L’aveuglement du “péché” est immense.
L’esprit suit l’impulsion de l’amour et de la haine
Il n’a pas le temps de percevoir l’égale inanité des choses.
Rejette amour et haine,ô Rétchungpa.

Au sein de l’espace immatériel
Le Buddha accompli suscite des images trompeuses,
Il a enseigné par la séduction du monde apparent.
L’esprit n’a pas le temps de concevoir le “monde réel”.
Néglige cet enseignement indirect, ô Rétchungpa***.

Prie ensemble comme trinité unique,
Lamas, Ydam et “dieux”,
Réunis en un seul tout
Contemplation, méditation et consomption.
Accoutume-toi à ne faire qu’une chose
De cette vie, de la prochaine et des limbes.
Ceci est mon dernier enseignement.

Ceci est la fin de mon testament :
Après il n’y a plus rien, ô Rétchungpa. »


* nous dirions le monde “extérieur”
** la matrice d’une mère
*** Le Buddha a indiqué la méthode négative qui fut la doctrine vulgaire ; Milà-Djé conseille à son disciple la méthode directe de l’ésotérisme, enseignement positif.
p. 357-58-59

« Milarépa — Les Cent Mille Chants » tome 3, traduct. Marie-José Lamothe, Editions Fayard 1993, collect. "L'Espace Intérieur"

Départ pour le monde de vérité

Milà-djé chante à Rétchungpa son fils spirituel de cœur, de “l’intérieur du bûcher”, les Six Points Essentiels :

« Ô Rétchungpa, fils de mon cœur,
Ecoute ce chant d’instructions dernières !

Dans l’océan tourbillonnant des trois mondes,
“Le corps d’illusion”, voilà le fautif.
Avec son désir pour les habits et la “bonne chère”,
Il ne trouve pas le temps de renoncer.
Laisse les œuvres mondaines, Rétchungpa !

Dans la cité du corps d’illusion,
L’esprit immatériel, voilà le fautif.
Après avoir suivi les formes de chair et de sang,
Il ne trouve pas le temps de réaliser l’absolue vérité.
Examine la nature de ton esprit, Rétchungpa !

A la frontière du matériel et du spirituel,
La sagesse qui s’engendre d’elle-même, voilà la fautive.
Après avoir trop exploré les soudaines influences,
Elle ne trouve pas le temps de réaliser leur absence d’origine.
Tiens-toi fermement à l’incréé, Rétchungpa !

Aux marges du présent et de l’avenir,
La conscience désincarnée du bardö, voilà la fautive.
Restée trop longtemps associée à un corps
Elle ne voit pas le moment de vivre les choses telles qu’elles sont.
Reste dans l’état naturel des choses, Rétchungpa !

Dans les villes illusoires des six classes d’êtres,
Les actions viles, les souillures sont légion.
Après avoir suivi ses attachements passionnés,
Il n’est plus temps de réaliser la sérénité.
Abandonne colère et passion, Rétchungpa !

Dans la sphère de l’espace invisible,
Le visage du bouddha est trompeur.
Après avoir enseigné les artifices de la réalité relative,
Il n’est plus temps de réaliser la vérité ultime.
Renonce aux théories conventionnelles, Rétchungpa !

Le Lama, la déité tutélaire, les messagères,
Prie-les tel un sujet unique.
La vue, la méditation, le comportement,
Pratique-les tel un objet unique.
Cette vie, la suivante, l’intervalle entre elles deux,
Admets-les intimement comme une unité.
Voici mes dernières instructions,
Mes volontés ultimes, mon testament.
Il n’existe rien d’autre que ces vérités,
Mets-les en pratique, ô Rétchungpa, mon fils !
p. 303-304



« L’Héritage du Tibet », (Nature et signification de l’art bouddhique au Tibet), Detlef Ingo Lauf, Editions Géographiques de Berne (Suisse), 1973 Kümmerly & Frey

La biographie de Milarépa souligne la prédilection du maître pour son disciple Ras-chungpa qu’il initia jusqu’à son dernier souffle à tous les préceptes occultes de la tradition orale.
Quelque temps après, Ras-chungpa visita le Tibet central et les provinces méridionales où “il conquit” de nombreux adeptes, dont Dus-gsum mKhyen-pa qui devint le premier abbé de la lignée Karmapa, une des branches principales de la Kagyü-pa. A sa mort, en 1161, Ras-chungpa laissait à ses successeurs un vaste héritage de préceptes. « La Lignée de la tradition orale de Rhas-chungpa »
Noblesse et profondeur imprègnent les dernières instructions spirituelles que le grand Yogi Milarépa confia à son disciple favori, à l’heure où Milarépa apparu encore une fois dans une vision céleste après sa mort :

« Ô Ras-chungpa, mon fils pareil à mon propre cœur,
Prête l’oreille à cet hymne, mon testament, mes ultimes directives :
Dans l’océan des trois mondes du samsâra,
Se débat le corps terrestre, un grand “pécheur”.
Dans sa quête constante de nourriture et de vêtement,
Il ne lui reste plus le temps de se détacher des biens de ce “monde”.
Renonce aux actes de la terre, ô Ras-chungpa !

Dans la ville du corps terrestre trompeur,
Erre le savoir illusoire, un grand “pécheur”.
Il est toujours à la poursuite de la forme charnelle.
Il ne lui reste plus le temps de saisir le sens de la réalité.
Discerne bien l’essence de l’esprit, ô Ras-chungpa !

A la frontière du corps physique et de l’esprit,
Stagne le savoir spontané, un grand “pécheur”.
Se défendant sans cesse d’un malheur soudain pouvant le frapper,
Il ne lui resta pas le temps de connaître l’essence du non-né
Protège le puissant royaume du non-né, ô Ras-chungpa !

A la frontière de ce royaume et de la prochaine vie,
Se tient la conscience de l’état intermédiaire, un grand “pécheur”.
Cherchant à s’unir à la forme qu’il n’a pas,
Il ne lui reste pas le temps de reconnaître le sens véritable des choses.
Recherche l’essence réelle des choses, ô Ras-chungpa !

Dans l’illusion des six mondes,
Règne le vice et l’aveuglement du mauvais karma, un grand mal.
On ne fait que s’y adonner à la convoitise et à la haine,
Et il ne reste pas le temps de goûter l’égalité [des valeurs].
Détache-toi de l’envie et de la haine, ô Ras-chungpa !

Dans une sphère céleste invisible,
Séjourne le Bouddha accompli,
Rompu à l’apparence et à l’illusion.
Dans la tentation constante de prendre fait et cause pour la signification ordinaire,
Personne n’a le temps de connaître le savoir absolu de la vérité.
Fuis la conception de la vérité relative, ô Ras-chungpa !

Guru, Yidam et Dâkini,
Unis-les pour les honorer,
Vision mystique, méditation et recherche de la perfection,
Unis-les pour les servir.
Cette vie, la prochaine et l’état intermédiaire,
Unis-les et familiarise-toi avec eux.
C’est là mon ultime directive.
De tout mon testament, c’est la fin.
Il n’y a plus de vérité en dehors d’elle, ô Ras-chungpa !
Comprends-le bien, éprouves-en le sens,
Ô mon fils !
p. 200 et 206

A Dhagpo Lharjè lors de son départ après seulement treize mois passés auprès de lui, Milà-Djè, lui déclare :

« Ô toi, mon fils, le propagateur de la doctrine,
Vas-tu partir pour le “Ü” ?
Ô Lama, si tu te rends en “Ü”,
Il se pourrait que des mets précieux t’apparaissent
Aussi longtemps qu’ils se manifesteraient,
Nourris-toi de l’inépuisable samâdhi.
Toutes “les douceurs” ne sont qu’illusion,
Sois-en conscient.
Saisis ainsi le phénomène dans l’esprit du Dharmakâya.

Il se pourrait que des habits somptueux t’apparaissent.
Aussi longtemps qu’ils se manifesteraient,
Revêt la chaleur bienheureuse du “feu mystique”.
Toute mollesse et tout agrément ne sont qu’illusion,
Sois-en conscient.
Saisis ainsi le phénomène dans l’esprit du Dharmakâya.

Il se pourrait que des patries t’apparaissent.
Aussi longtemps qu’une patrie se manifesterait,
Adopte pour patrie la nature stable du vide.
Toutes les patries ne sont qu’illusion,
Sois-en conscient.
Place le phénomène sur le plan du Dharmakâya.

Il se pourrait qu’une immense richesse t’apparaisse.
Aussi longtemps que cette richesse se manifesterait,
Prends pour richesse les “sept nobles joyaux” des saints.
Toute richesse n’est qu’illusion,
Sois-en conscient.
Place le phénomène sur le plant du Dharmakâya.

Il se pourrait que des “amis” t’apparaissent.
Aussi longtemps qu’ils se manifesteraient,
Ne te confie qu’en la sagesse née d’elle même.
Tous les “amis” ne sont qu’illusion,
Sois-en conscient.
Place le phénomène sur le plan du Dharmakâya.

Il se pourrait que ton Guru t’apparaisse.
Aussi longtemps qu’il se manifesterait,
Sur la tête, inséparable de toi, appelles-en la bénédiction.
Médite l’indicible dans le Mandala du cœur.
Le Guru est illusion et songe,
“Toute chose est illusion” et songe,
Sois-en conscient.

La montagne de Gampo-dar
Est à l’est, telle un roi sur son trône.
A l’horizon, les monts ressemblent
A un châle blanc qui flotte.
Au premier plan, la montagne
Ressemble à un monceau de bijoux
Et son sommet une couronne précieuse.
Autour d’elle se regroupe sept montagnes,
S’inclinant comme des ministres,
Et des hampes de bois sont pareilles à un Mandala doré.
Et sur les épaulements de cette montagne sont assemblés les disciples.
Va là-bas pour le bien des créatures,
Afin que par toi, mon fils,
Elles accèdent à la “perfection”.
p. 208

Puis s’en suivit l’ultime recommandation de Milà-Djé à Dhagpo Lharjé, le célèbre épisode où il lui présenta son postérieur, robe relevée, histoire de lui rappeler l’importance de la méditation assise au-delà de son état de “teunpa” !

Bonne journée.