Le XVIIème Gyalwa Karmapa, Urgyen Trinley Dorjé (1)

Le XVIIème Gyalwa Karmapa, Urgyen Trinley Dorjé

Le cadre familial

Les parents du Karmapa, Deundroup et Loga, sont des nomades. Selon l'humeur des saisons, ils mènent leur troupeau de 80 yacks d'une région de pâturages à l'autre. Ils sont les membres respectés d'un groupe de septante familles nomades, qui comptent plus de quatre cent personnes à la peau tannée, aux joues rouges, dont les campements forment des villages mouvants de tentes d'un feutre fait de longs poils de yacks.

Comme c'est la coutume, Deundroup et Loga envoyèrent leur premier fils au monastère local, le monastère Nyingma de Kampagar, l'un des monastères de Khamtroul Rinpoché, pour qu'il s'y consacre à la vie de moine. Les cinq enfants qui suivirent furent toutes des filles. Souhaitant un deuxième fils, ils requirent l'aide d'un yogi renommé de Kampagar, Karma Norzang, considéré comme un second Milarépa. Ils suivirent du mieux qu'ils purent les conseils qu'il leur donna : réciter cent mille prières de refuge, nourrir les mendiants, nourrir les poissons dans la rivière et se rendre en pèlerinage à Lhasa. Toutefois, le destin voulut que les effets de ces actions bénéfiques ne se manifestent pas immédiatement et leur sixième enfant fut à nouveau une fille. Souhaitant toujours un fils et Karma Norzang étant mort entre temps, ils vinrent trouver Amdo Palden, l'abbé et yogi de Kalek, un monastère Karma Kagyu ayant appartenu autrefois au roi de Lhatok. Amdo Palden douta à première vue de pouvoir les aider. Toutefois, après mûre réflexion, il leur dit qu'ils pourraient avoir un fils, mais qu'ils devaient promettre de le lui confier. Ils acceptèrent, et Amdo Palden leur conféra une initiation.


Les signes de bon augure

Au cours de la grossesse qui suivit, Loga rêva de trois grues blanches lui offrant un bol de yoghourt. Une lettre d'or brillante était posée sur le bol, représentant le fils qui allait naître. Les grues dirent à Loga qu'elles étaient envoyées par Gourou Rinpoché mais qu'elle devrait en garder le secret jusqu'au moment approprié. Une autre fois, elle rêva que les huit signes de bon augure émanaient de son coeur sous la forme de lumières d'arc-en-ciel tissées. La nuit qui précéda la naissance, fin juin 1985, Deundroup vit des arcs-en-ciel au-dessus de la tente et en fut surpris, car le soleil avait déjà disparu derrière les montagnes. Le bébé naquit le lendemain sans difficultés ni douleurs, juste avant que les premiers rayons dorés du soleil n'illuminent la tente. A ce moment précis, un coucou s'y posa et se mit à chanter. Deux jours plus tard, le son céleste des conques, prophétisé par le 16ème Karmapa dans sa lettre, se fit entendre pendant près de deux heures. Tous les membres de la communauté nomade l'entendirent. Ceux qui se trouvaient hors de leurs tentes pensèrent que le bruit venait de l'intérieur, ceux qui étaient à l'intérieur pensèrent que le bruit venait de dehors. De fleurs inconnues fleurirent dans la région et quelque temps plus tard, on put contempler trois soleils dans les cieux, un arc-en-ciel encerclant celui du milieu. Ce phénomène put être contemplé dans tous le Tibet oriental et de nombreux témoins en attestent.


L'attente

Lorsque, comme le veut la coutume tibétaine, Deundroup et Loga virent trouver Amdo Palden pour lui demander quel nom bouddhiste donner à l'enfant, il leur dit qu'il s'agissait d'un enfant très spécial et qu'un simple abbé comme lui n'était pas digne de lui donner un nom. Seul un très grand personnage, comme le Tai Sitoupa, serait à même de le faire et il leur conseilla d'attendre jusqu'à ce que ce soit possible. En attendant, ils lui donnèrent le nom provisoire d'Apo Gaga, ce qui signifie "Heureux, heureux frère ", le nom qu'une pie avait suggéré à l'une de ses soeurs au bord de la rivière.

Dès son plus jeune âge, Apo Gaga se révéla comme un être exceptionnel, doué de clairvoyance et d'une autorité naturelle. Il était par exemple capable d'indiquer aux gens où chercher le mouton ou le yack qu'ils avaient perdu. Comme on peut s'y attendre, le monastère de Kampagar voulut qu'on leur confie l'enfant pour lui donner une formation spéciale et qu'il devienne lama. A ce moment, Amdo Palden rappela aux parents leur promesse et il prit l'enfant sous sa responsabilité personnelle au monastère de Kalek. Les parents honorèrent leur promesse, malgré l'éloignement du monastère de Kalek par rapport à leur campement. Consulté au sujet de l'enfant, un oracle local doué d'un pouvoir de divination spécial vit la forme d'une conque blanche dont la spirale s'enroulait dans le sens des aiguilles d'une montre. Il prédit qu'Apo Gaga apporterait de grands bienfaits aux êtres mais que sont destin ne serait fixé qu'à partir de sa huitième année. La façon dont les Tibétains comptent l'âge d'une personne diffère de la nôtre : à sa naissance, un enfant a déjà un an, et il a un an de plus à chaque Nouvel An tibétain.

Le jeune Apo Gaga reçut pendant quatre année une éducation spéciale à Kalek où, bien qu'il ne fut pas reconnu comme tel, il fut l'objet de l'attention que l'on réserve à un lama réincarné. Un petit trône lui était réservé sur un côté du temple, un assistant était chargé de l'aider et il ne lui était pas permis de se joindre aux jeux des autres jeunes novices, qui devaient lui témoigner beaucoup de respect. Au cours de ces années, il revint régulièrement passer de longs moments avec sa famille, se joignant à leurs déplacements de nomades. Ses parents racontent qu'il construisait souvent des monastères miniatures en terre et en pierre, ou qu'il se fabriquait un petit trône, s'y installait et récitait des prières. Il partait souvent dans les collines sur le dos de chèvres ou d'animaux sauvages et pleurait chaque fois qu'il voyait un animal maltraité ou tué. Il s'intéressait tout particulièrement aux arbres. Il en plantait et la vue d'un arbre ou d'une vie végétale détruite le perturbait beaucoup. On raconte que souvent des sources jaillissaient entre les pousses d'arbres qu'il avait plantés.


La découverte

En 1992, il insista sans autres explications pour que ses parents se rendent un mois plus tôt qu'ils ne le prévoyaient sur leur pâturage d'été. Selon le calendrier tibétain, l'été correspond à une période de 72 jours qui commence trois mois lunaires après le Nouvel An tibétain, c'est à dire plus ou moins à la mi-mai. Lui faisant confiance, ils déplacèrent leur campement et c'est ainsi qu'ils se trouvèrent à l'endroit prédit dans la lettre du 16ème Karmapa, le jour où l'expédition de recherche y passa. Apo Gaga se réveilla tôt ce jour là et il prépara un petit ballot de vêtement qu'il plaça sur le dos de sa chèvre, une chèvre un peu spéciale qui n'avait pas de cornes. Il annonça à sa mère que ses moines arrivaient, qu'il était maintenant prêt à partir pour son monastère et qu'il serait approprié d'emporter quelques uns des cadeaux reçus du monastère de Kalek. Son frère aîné, Yeshé Rabsal, lui annonça que des moines de Tsourphou se trouvaient à Katok, en route pour Barkor, et qu'ils semblaient à la recherche de la réincarnation d'un lama particulier. A cette nouvelle, le jeune Karmapa manifesta une grande allégresse et se mit à rire et à danser. Ses parents montèrent une tente spéciale pour recevoir les visiteurs. Après les échanges traditionnels de politesses et d'écharpes blanches (katta), les moines interrogèrent Loga au sujet de la naissance de ses enfants, des rêves qu'elle ou d'autres membres de la famille avaient eus, et des signes particuliers qui s'étaient produits. Les parents leur parlèrent de la naissance, des rêves, du coucou, de son céleste, des trois soleils, etc. En fait, les moines avaient auparavant enquêté discrètement auprès des nomades de la région, et ils étaient déjà au courant de la plupart des ces éléments.

Le représentant de Tsourphou dans le groupe, Lama Domo, montra alors une copie de la lettre de prédiction du 16ème Karmapa à Deundroup, qui réalisa alors la véritable identité de son fils. La famille du Karmapa était abasourdie et après avoir passé ensemble un moment de grande joie, les moines escortèrent le jeune Karmapa jusqu'au monastère de Kalek pour y attendre Akong Tulkou Rinpoché et Shérab Tartchin (représentant Tai Sitoupa et Goshir Gyaltsabpa) dont l'arrivée était prévue pour les jours suivants. Ils arrivèrent bientôt et l'annonce de la précieuse découverte fut envoyée au Tai Sitoupa et à Goshir Gyaltsabpa en Inde, qui à leur tour en informèrent SS le Dalai Lama. Lorsqu'ils reçurent l'heureuse confirmation de l'identité du nouveau Karmapa au monastère de Kalek, Akong Rinpoché et Shérab Tartchin offrirent à Apo Gaga, considéré maintenant comme SS le 17ème Karmapa, les robes spéciales et les bénédictions sacrées du trou sol que Tai Sitoupa et Goshir Gyaltsabpa avaient préparées spécialement et leur avaient confiées au départ de leur expédition.

Comme de coutume à l'occasion de la découverte d'un tulkou, des offrandes furent offertes aux parents du Karmapa, pour les remercier des soins qu'ils avaient prodigués à l'enfant jusqu'au moment de sa découverte. Au cours des préparatifs du voyage de retour vers Tsourphou, Akong Rinpoché fit plus ample connaissance avec le Karmapa et sa famille. Rejoints par un nouveau groupe de représentants de Tsourphou, ils escortèrent le Karmapa au cours de son voyage historique de retour à Tsourphou, le siège que son incarnation précédente avait quitté 33 ans plus tôt. Avant qu'ils ne quittent le monastère de Kalek, trois soleils apparurent dans le ciel brumeux. Celui du centre, le plus grand, était auréolé d'arc-en-ciel et les deux plus petits apparaissaient nichés dans les nuages. Bien qu'on puisse sans doute donner une explication météorologique à ce phénomène dont des centaines de personnes furent témoins dans la région, il n'en reste pas moins qu'il s'agit de ce que les Tibétains appellent une " coïncidence de bon augure ".