Les pratiques du moment de la mort
Au moment de la mort, nous ne sommes pas libres car le karma conditionne notre esprit : il détermine le cours du bardo et la renaissance que nous prendrons. Aussi, ce qui importe le plus est-il ce karma et notre expérience intérieure véritable. C’est pourquoi il est essentiel, dès maintenant, de prendre conscience de la nécessité d’un travail spirituel, d’étudier et de se consacrer à la pratique, vivant en accord avec la discipline fondée sur le karma, et cultivant autant que nous le pouvons les pratiques qui nous aideront au moment de la mort.
Les pratiques libératrices dans les différents bardo
Des durées théoriques des bardo sont indiquées : pour celui de la mort, le temps d’un repas, pour celui de la vacuité trois jours et demi, et celui du devenir quarante-neuf jours, mais ce sont des indications très générales. Ces durées varient selon la force des actes positifs et négatifs composant le karma, et dans leurs évaluations il ne s’agit pas que de jours solaires. Aussi la libération peut-elle survenir après un laps de temps variable. Il est même possible qu’il n’y ait pas du tout de bardo.
Sur la base de la pratique générale du dharma, diverses pratiques spécifiques peuvent, si elles ont été maîtrisées durant la vie, amener la libération lors des divers bardo parcourus au moment de la mort et après.
- Si durant notre vie nous avons réalisé mahâmudra, la nature de l’esprit, nous pouvons, à la fin du bardo de la mort, reconnaître la claire lumière et obtenir la libération. A la place de l’état d’inconscience ordinaire, apparaît alors l’essence lumineuse de l’esprit qui, comme un flambeau qu’on allume, dissipe définitivement les ténèbres de l’ignorance.
- Si l’on a pratiqué la sadhana d’un yidam, d’un bouddha de méditation, telle que la sadhana de Tchenrezi, le bouddha de la compassion, récité son mantra et développé une bonne habitude de sa méditation, cette pratique sera particulièrement précieuse au moment de la mort. Il peut alors y avoir rencontre de l’influence spirituelle de Tchenrezi d’une part, et des habitudes de pensée, des empreintes positives déposées en notre esprit par la pratique d’autre part. Les phases de la sadhana ont le pouvoir de nous libérer lors des bardo. Nous pouvons obtenir la libération à l’une ou l’autre de leurs étapes, devenir réellement Tchenrezi, et naître alors en sa présence, en son domaine pur.
- Il existe aussi des méditations et des instructions particulières sur les bardo, telles que celles du Bardo Theudreul, le livre tibétain des morts. Ces méditations et ces instructions permettent également la libération à différentes étapes des bardo, en nous apprenant à reconnaître la nature des bardo et particulièrement le caractère illusoire des apparitions du bardo du devenir. Ces instructions s’appliquent à partir du moment où prend fin la totale inconscience du bardo de la vacuité, quand l’esprit s’éveille aux manifestations fugaces de rayons, de formes lumineuses et de divinité, puis tout le temps que dure le bardo du devenir.
- Si, de notre vivant, nous n’avons ni réalisé l’expérience de la claire lumière ni médité la sadhana d’un yidam ni pratiqué les enseignements du bardo, il est encore possible au moment de la mort de pratiquer le « transfert, éjection de la conscience », - « powa » en tibétain – qui permet de transférer la conscience en un état libre du samsara. S’il est pratiqué avec succès lors du bardo du moment de la mort, la conscience n’est pas entraînée dans le bardo de la vacuité ni dans celui du devenir. Elle est immédiatement projetée vers un état d’existence supérieure. Cela est possible, que ce soit par l’entraînement effectué en cette vie ou par la compassion d’un lama qualifié qui l’effectue pour nous.
Dans la meilleurs éventualité, celle d’une maîtrise complète, cette pratique permet de renaître dans ce qu’on appelle un « champ d’éveil », qui est un état spirituel libéré du samsara et des dispositions du karma. C’est comme si nous étions catapultés de nos sièges dans le « champ pur de Sukhavati » - « Déouatchène » en tibétain – le « domaine de grande félicité » ou encore comme si nous étions un oiseau capable de s’envoler directement au firmament de l’éveil. Powa est une méditation que l’on peut accomplir facilement et qui, pour cette raison, est particulièrement précieuse.
Autrement, si powa n’est que moyennement maîtrisé, la naissance se fera encore dans le samsara, mais en un état céleste et bienheureux, favorable à la libération. Dans l’éventualité la plus défavorable, nous reprendrons existence humaine pourvue des conditions favorables à la pratique spirituelle.
Par la réalisation de powa, la libération a lieu sans passage par les bardo. L’absence de bardo peut aussi arriver, à l’extrême inverse, dans le cas de personnes responsables d’actes négatifs extrêmement graves : la force de ceux-ci est tellement intense qu’au moment où elles expirent, elles reprennent naissance immédiatement dans des états infernaux, sans l’intermédiaire des autres bardo.
- D’une façon générale, si durant notre existence nous avons pris l’habitude d’adresser des prières à notre lama, aux Trois Joyaux, ou à un aspect particulier du bouddha, dans le bardo du devenir, ces habitudes imprimées en notre esprit établissent une connexion nous mettant en contact avec leur influence spirituelle qui nous protège et nous conduit à la libération.
Souhaits pour renaître en un champ d’éveil
Même si nous n’avons pas fait les pratiques spécifiques dont nous venons de parler ni reçu leurs instructions, étant donné que les imprégnations de l’esprit sont déterminantes à la mort et dans le bardo, les prières et les souhaits que nous avons faits de notre vivant et dont notre conscience est imprégnée peuvent diriger spontanément notre esprit vers un champ d’éveil libre des conditionnements du samsara.
Parmi les divers aspects du bouddha vers lesquels il est possible de diriger notre esprit, Amitabha, Tchenrezi et leur champ d’éveil Sukhavati sont particulièrement importants.
Si, de notre vivant, nous faisons des souhaits pour renaître en Sukhavati, à notre mort, sans qui nous nous y rendions comme un lieu physique ordinaire, nous y naîtrons vraiment, par la seule pensée des souhaits de Sukhavati. En effet, notre corps de cette vie, « corps de karma à pleine maturité », est composé d’éléments substanciels auxquels nous nous identifions, ce qui empêche l’esprit de se rendre librement où il le souhaiterait. Par contre, dans le bardo du devenir, ce corps matériel n’étant plus, le corps mental à le pouvoir de se déplacer comme la pensée. C’est alors que, par le pouvoir des souhaits formulés par le Bouddha Amitabha, par Tchenrezi et par nous-mêmes, peut s’établir une connexion qui dirige l’esprit vers Sukhavati et l’y fait vraiment naître. Cela est particulièrement possible durant la première semaine de l’existence dans le bardo du devenir ; lorsque nous prenons de nombreuses fois conscience que nous sommes morts, alors par la force des habitudes installées de notre vivant, nous adressons à Amitabha et Tchenrezi nos prières pour renaître en Sukhavati et, par le pouvoir de celles-ci, en un seul instant nous pouvons y reprendre naissance effectivement.
Ainsi, si pendant notre vie nous récitons régulièrement et sincèrement les souhaits de Sukhavati, nous porterons en nous, à notre mort, l’aspiration à y aller. Cette aspiration agira sur notre esprit et deviendra le moyen d’y renaître et d’y obtenir la libération plus rapidement que si nous voyagions en avion ou en fusée !
Cependant peuvent se présenter des obstacles à cette naissance en Sukhavati. Si, par exemple, notre famille ou notre conjoint nous pleurent ou nous demandent de revenir à la vie, si l’attitude de nos proches provoque en nous tristesse, attachement ou colère, notre esprit ne pourra pas alors se diriger vers Sukhavati, partagé qu’il sera alors entre deux pensées : l’aspiration à se rendre à Sukhavati, et le souvenir de ceux qui lui sont chers. Les liens de l’attachement peuvent être alors suffisamment contraignants pour rendre vain l’élan de la pensée vers Sukhavati. Il en sera de même si nous demeurons attachés au monde que nous venons de laisser, à nos possessions ou à notre position sociale. Ces liens dirigeront notre esprit de nouveau vers ce qu’il vient de quitter et le détourneront de Sukhavati. Fort heureusement, il existe un moyen pour parer ce danger : s’habituer dès maintenant à considérer tous ceux qui nous sont chers, ainsi ce que nous possédons, comme une offrande définitive à Amithaba et à Tchenrezi. La pensée que les êtres et les choses ne nous appartiennent plus neutralise le mouvement affectif qui, autrement, nous lierait. D’une façon générale, nous offrons ainsi à Amithaba et à Tchenrezi tout ce à quoi nous pourrions être attachés et, leur ayant fait ainsi cette dédicace pleine et complète, nous ne conservons aucun attachement.
Les personnes âgées dont l’engagement dans le dharma est récent peuvent penser, à bon droit, qu’elles n’auront pas le temps d’aborder beaucoup de pratiques profondes, comme celle de mahamudra et d’autres, qui permettent d’atteindre l’éveil en cette vie ; elles peuvent se dire qu’elles n’ont plus les capacités ni le temps de se consacrer à des pratiques longues et difficiles.
Ce ne doit pourtant pas être une cause de découragement ; avoir grande confiance en Amitabha et Tchenrezi, faire des souhaits sincères pour renaître dans le champ pur de Sukhavati et réciter le mantra de Tchenrezi ont pour résultat infaillible d’y naître après la mort.
La naissance en Sukhavati est apparitionnelle, c’est-à-dire que l’être qui renaît apparaît immédiatement en la présence d’Amitabha et Tchenrezi. La vision directe que nous en avons est telle qu’elle fait atteindre immédiatement la première terre de boddhisattva, nommée « joie exrême ». Cet état correspond à l’éveil initial, à partir duquel il n’est plus de retour dans les chaînes du samsara ; c’est la libération initiale. Le nom de ce champ pur d’Amitabha, « Sukhavati », signifie « grande félicité », car l’esprit, libéré de toutes les souffrances et douleurs du samsara, n’y connaît que bonheur et joie. Renaître en cet état spirituel met un terme au cycle des renaissances ; l’esprit y est libéré du voile du karma, ses qualités éveillées commencent à se révéler et à œuvrer pour le bien des êtres. Mais si l’esprit est bien alors purifié du voile du karma et de la plus grande part du voile des passions, il lui reste encore des impuretés subtiles. C’est néanmoins un état qui jouit de qualités éveillées importantes à partir desquelles il est possible d’aider les autres êtres, tous ceux qui sont restés dans le samsara. Il est possible de mettre en œuvre divers moyens pour leur venir en aide et les conduire vers la libération.
D’une façon générale, il existe de nombreux domaines d’éveil : au niveau du corps informel du bouddha, le dharmakaya ; au niveau du corps d’expérience parfaite, le sambhogakaya ; et au niveau du corps d’émanation, le nirmanakaya. Sukhavati est un domaine d’éveil avec des formes, au niveau du nirmanakaya, le corps d’émanation. De ce fait, il est encore soumis à certaines limitations. Pour donner un exemple, en Sukhavati demeure une sorte de changement, une forme d’impermanence. Ce ne sont certes pas l’impermanence et le changement grossiers que nous connaissons dans le plan d’existence qui est le nôtre, mais c’est cependant une forme subtile de changement.
Il y a quatre facteurs déterminants pour renaître en Sukhavati :
- Le premier est de se représenter clairement la présence de Sukhavati, d’Amitabha et de Tchenrezi, de développer intensément le sentiment de leur présence réelle, leur magnificence et leur domaine où toutes les apparences sont brillantes et lumineuses comme si elles étaient faites de joyaux.
- Le deuxième est notre pratique du dévoilement-développement, la purification des voiles de l’esprit et le double développement de bienfaits et d’intelligence immédiate.
- Le troisième est cette motivation altruiste de bodhicitta, l’esprit d’éveil.
- Fondé sur la bodhicitta, le quatrième facteur est l’aspiration qui provient de souhaits puissants et sincères pour renaître en Sukhavati.
De ces quatre facteurs, c’est l’aspiration qui est le plus important et le plus déterminant.
Ces instructions sur Sukhavati ne sont pas seulement une promesse pour l’avenir : être convaincu de leur validité et les appliquer dissipent de nombreuses souffrances en cette vie même. La vieillesse est habituellement accompagnée d’une cortège d’afflictions : manger beaucoup crée des troubles, manger peu en crée d’autres ; nous ne sommes pas à l’aise dans des vêtements épais et chauds, mais des vêtements légers ne garantissent pas du froid… Plus encore que ces incommodités physique, pèse la souffrance mentale de l’approche de la mort. Par contre, si nous faisons des souhaits dès maintenant pour renaître en Sukhavati et si nous avons la conviction que ces souhaits se réaliseront, la vieillesse, loin d’être cause de tourments, devient source de joie, par l’espérance de quitter rapidement ce monde pour un autre meilleur.
Si vous ne pouvez faire ces diverses pratiques ni même des souhaits pour renaître en Sukhavati, vous pouvez au moins vous informer de ce que sont les dix actes positifs et les dix actes négatifs, vous exercer à adopter les premiers et à abandonner les seconds ; cela vous conduira, ultérieurement, à obtenir une existence humaine heureuse, dans laquelle nous pourrez rencontrer le dharma et avancer progressivement sur la voie de l’éveil.
Source : Extrait de « La Voie du Bouddha » par Kalou Rinpoché
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