Bhikkhu et bodhisattva dans la tradition theravada
Invité : Dominique Trotignon

Extraits de l’émission :
Aurélie Godefroy : Nous vous présentons, aujourd’hui et dimanche prochain, deux émissions consacrées à la voie du bhikkhu et celle du bodhisattva, dans la tradition du theravada. Elles sont intimement liées et souvent méconnues. Nous allons découvrir ce qu’elles représentent, la façon dont elles ont évolué au fil des siècles et ce qui les différencie encore de nos jours. Nous faisons le point avec notre invité, Dominique Trotignon qui est le directeur de l’Université Bouddhique Européenne « U.B.E » une structure à mi-chemin entre l’université proprement dite et les centres de pratique où tous les enseignements sont donnés par des représentants des diverses traditions.
Dominique Trotignon : C’est une des caractéristiques de l’UBE d’avoir essayé de réunir des enseignants qui viennent de toutes les écoles présentes en Europe.
A.G. : Et c’est la seule université bouddhique en Europe. Pour commencer cette émission, est ce qu’on peut revenir sur le terme de bhikkhu, qui a encore aujourd’hui une connotation péjorative en Occident ?
D.T. : Le problème est qu’on le traduit généralement par le mot moine, en allusion à la tradition chrétienne. Et cela donne tout un à priori, on a tout un arrière plan occidental qui fait qu’on voit le moine comme généralement isolé du monde, en retraite, suivant une règle assez austère. On pense aux moines Chartreux ou aux Bénédictins ou à d’autres ordres chrétiens et du coup, on se trouve en décalage avec la réalité de ce qu’est un bhikkhu et on rate l’essentiel.
A.G. : Qu’est ce que c’est l’essentiel ?
D.T. : Il y a différents aspects : on peut voir le vocabulaire, on peut voir ensuite le statut social du bhikkhu et on peut voir le côté spirituel. Au niveau du vocabulaire, c’est un terme qui est intéressant. On le traduit généralement par « celui qui reçoit ». Souvent, on le traduit, en occident, par « moine mendiant », ce qui n’est pas une bonne façon de traduire, parce qu’en fait, il reçoit des offrandes. Ce qui est tout à fait différent. Mais ce qui est intéressant dans le mot qui est à l’origine, c’est qu’en fait, il reçoit parce qu’il ne demande rien. La caractéristique principale du bhikkhu, c’est d’être sans préoccupation de son existence, de son passé, de son avenir, pour vivre dans l’instant présent. Cela, c’est vraiment ce qu’on pourrait donner comme première caractéristique, à partir du mot de bhikkhu. Ensuite, la deuxième chose importante, c’est que le bhikkhu par excellence, c’est le Bouddha tel qu’il apparaît après son Eveil, donc celui qui suit la voie du bhikkhu, c’est celui qui suit un mode de vie qui a été celui du Bouddha, après son Eveil.
A.G. : Donc le Bouddha est le premier bhikkhu ?
D.T. : Le premier bhikkhu de l’histoire du bouddhisme et le premier comme caractère exemplaire de ce que doit être un bhikkhu.
A.G. : Quel est le troisième aspect, lorsqu’on définit ce terme de bhikkhu ?
D.T. : Le troisième aspect, ce serait l’aspect institutionnel, notamment dans l’école du theravada qui est celle que je vais évoquer surtout aujourd’hui. Elle a 23 siècles d’existence, mais évidemment, il y a toute l’histoire de l’institution de la démarche, il y a une évolution effectivement et le bhikkhu est devenu un personnage au sein de la société, des sociétés bouddhistes comme à Ceylan, en Thaïlande, en Birmanie. Et c’est vrai que dans cet aspect précis, il se rapproche peut-être le plus du religieux, au sens où on l’entend dans la tradition chrétienne, parce qu’il a une place, un rôle dans la société, notamment parce qu’il prêche, parce qu’il enseigne par l’exemple, qu’il occupe une position dans la société par rapport au pouvoir etc.. C’est une troisième approche possible de cette voie du bhikkhu.
A.G. : Et lorsque l’on parle de la voie du bodhisattva, que désigne-t-on ?
D.T. : C’est un cas un peu particulier dans le cadre du theravada et il faut remonter aux origines du bouddhisme. En fait, lorsque l’on considère les tous débuts de la communauté du bouddhisme - la communauté fondée par le Bouddha lui-même – on n’évoque jamais le bodhisattva. C’est un terme qui va apparaître au cours du Ier siècle peut-être ou du II ième siècle de l’histoire du bouddhisme, mais pas avant. Au départ, il n’y a qu’une seule voie possible, quand on veut parvenir à l’Eveil, c’est « la voie du bhikkhu », enseignée par le Bouddha. Et puis, petit à petit, dans la communauté, on s’est interrogé sur la façon dont le Bouddha lui-même était parvenu à l’Eveil. Dans les textes du Canon ancien, il y a très peu d’allusions à ce parcours qui lui a permis dans ses vies antérieures, de parvenir à l’Eveil dans sa dernière vie. Dans les seules allusions qu’il fait - il y a quatre ou cinq textes, pas plus – il dit toujours qu’il chemine seul et qu’il redécouvre tout par lui-même. D’une certaine manière, ce parcours du bodhisattva est un parcours qui ne peut pas se transmettre, qui ne peut pas être enseigné puisque, par définition, c’est un parcours solitaire. Aussi on ne s’interroge pas sur la façon dont on peut devenir un bodhisattva. Il y a un seul texte où le Bouddha évoque une rencontre qu’il a eue, dans une ville très lointaine, avec un autre Bouddha, avec un de ses prédécesseurs, et celui-ci lui aurait donné un enseignement. Le Canon contient, à peu près, huit mille à dix mille textes. Sur ce seul texte, une école du bouddhisme ancien, une école sur quinze ou vingt - traditionnellement, on dit dix huit – une seule école donc a pris ce texte, l’a mis en exergue et a dit que la voie du bodhisattva pouvait, par conséquent, s’enseigner. Et donc il y a la possibilité de suivre le même parcours que ce que le Bouddha a fait et de parvenir à un Eveil. On a toujours fait une distinction entre l’Eveil du Bouddha et l’Eveil de ses disciples, puisque, lui, y est parvenu avec un parcours tout à fait exceptionnel, donc il avait des qualités exceptionnelles aussi. Et le souhait de cette école est d’offrir aux gens un Eveil aussi exceptionnel que celui du Bouddha lui-même et pas simplement l’Eveil d’un simple auditeur, selon l’expression consacrée.
A.G. : Donc, là, on a, à la fois, la voie du bhikkhu et la voie du bodhisattva, on est d’accord ? Sauf qu’à un moment donné, la façon d’appréhender le chemin vers l’Eveil va être différent, ce qui va devoir amener aussi à choisir entre ces deux voies. Comment ça s’est passé ?
D.T. : Au départ, il n’y avait pas de choix possible et toutes les écoles bouddhistes n’ont pas fait le choix d’enseigner, de penser qu’il y avait une voie qui pouvait être enseignée. Ce qui explique qu’aujourd’hui, dans la voie du theravada par exemple, on n’enseigne pas la voie du bodhisattva. On considère que si quelqu’un souhaite s’engager dans cette voie, qui est considérée comme quelque chose d’extrêmement difficile, parce que, justement, elle est solitaire, on peut très bien s’y engager, mais on ne peut pas l’enseigner. On est donc obligé, d’une certaine manière, de partir, de s’isoler. On a l’exemple du Bouddha, dans un des textes, qui évoque cela, où il rencontre un Bouddha, il admire ce Bouddha et il s’en sépare pour ne pas entendre ses enseignements. Donc, on ne peut pas enseigner cette voie selon le theravada. Aujourd’hui, c’est la seule école qui transmet cette vision des choses. Dans les autres écoles, on va suivre l’autre texte, le texte unique et on va considérer pouvoir suivre un enseignement. En fait, il y a deux points de vue qui sont intéressants, parce que l’exemple, c’est toujours le Bouddha, mais il y a deux façons de considérer le Bouddha : - soit on le considère dans sa façon de vivre, après l’Eveil et donc, en tant que bhikkhu. - soit on le considère avant l’Eveil et dans ce cas là, c’est la voie du bodhisattva.
A.G. : Est-ce qu’on peut dire que la différence principale réside dans ce que vous venez d’évoquer ?
D.T. : Pour moi, oui. C’est certainement l’essentiel et ça va prendre une tournure très complexe parce que c’est une façon d’envisager l’acte et le résultat de l’acte. Cela aura des prolongements doctrinaux sur la théorie du karma et sur l’appréhension du temps. Soit on se tourne vers le passé pour voir tout ce qu’il a été nécessaire de faire pour parvenir à ce qui se produit aujourd’hui. Et ça, c’est plutôt pour ceux qui s’intéressent à la voie du bodhisattva. Ils cherchent toutes les conditions nécessaires pour qu’un événement se produise. Alors que ceux qui s’intéressent à la voie du bhikkhu, sont plutôt en train de regarder ce qu’il ne faut pas faire, pour que certains événements ne se produisent pas, pour qu’on ne répète pas le samsara. En fait, toute cette voie du bhikku, telle qu’elle va être présentée dans l’enseignement, est une voie d’abstention.
A.G. : Est-ce que c’est quelque chose qui est encore actuel aujourd’hui ?
D.T. : Oui. Je crois que c’est la différence la plus fondamentale entre les voies du theravada et les voies des autres écoles, qui relèvent du mahayana, parce que le mahayana est très tourné vers la voie du bodhisattva. Le theravada reste une voie de l’abstention, de ce qu’il ne faut pas faire. Alors que dans les écoles mahayanistes, on insiste beaucoup sur ce qu’il faut faire. C’est quelque chose qui est très sensible encore, mais on ignore la plupart du temps que l’origine de cette distinction est extrêmement ancienne dans l’histoire du bouddhisme.
A.G. : Revenons au terme de bhikkhu, puisqu’on a assisté à une évolution dans la graduation des valeurs du bhikkhu. Vous pouvez nous en parler un peu ?
D.T. : A l’origine, le bhikkhu est celui qui imite le Bouddha. Finalement, on pourrait penser qu’au départ, l’enseignement du Bouddha était une pédagogie du mimétisme. On vit comme un Bouddha, à la manière d’un Bouddha pour vivre un Eveil. Et les premiers disciples du Bouddha demandent à devenir des bhikkhus, lorsqu’ils ont connu l’Eveil, après avoir entendu un enseignement du Bouddha. Donc, il ne s’agit vraiment pas d’une méthode pour parvenir à l’Eveil, mais plutôt d’une façon de vivre l’Eveil. En même temps, la communauté du Bouddha a tout de suite été très largement ouverte, beaucoup de personnes ont été acceptées très simplement et certaines n’ont pas eu toutes les qualités d’Eveil qu’avaient eu les premiers disciples ou le Bouddha lui-même. Donc on a été obligé de créer un certain nombre de règles pour cadrer ces apprentis, ceux qui n’étaient pas encore totalement éveillés ou ceux qui fautaient de temps à autre. Et c’est là où on a commencé à fonder une institution du bhikkhu.
A.G. : C’est ce qu’on verra la semaine prochaine.
D.T. : Il faut en dire un mot, car c’est ce qui constitue la voie du bhikkhu. Il y a deux façons de l’appréhender :
- soit on la présente dans l’idéal et cette voie du bhikkhu correspond à ce qu’on appelle l’octuple noble sentier.
- soit on la voit de façon plus réaliste, et on aborde à ce moment-là la question du Vinaya, la question de ces règles dites monastiques. Mais dans les deux cas, ce qui est important, c’est que pour la personne qui suit la voie de l’octuple noble sentier ou la voie du vinaya, tout est fait pour qu’elle n’ait pas de préoccupation.
A.G. : Vous venez d’évoquer la voie de l’octuple noble sentier. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ?
D.T. : L’octuple noble sentier est présenté dans la quatrième noble vérité. C’est un des enseignements fondamentaux, dans le bouddhisme et généralement, on le regroupe en trois rubriques. Dans le texte même, il est présenté dans l’ordre suivant : On commence par la sagesse, ensuite on passe à la discipline et on finit avec la méditation. En l’occurrence, cela reprend bien ce que je disais à propos de l’engagement sur la voie du bhikkhu : on commence par connaître l’Eveil au départ, dans les textes anciens, avant d’entrer sur la voie du bhikkhu… on commence donc par la sagesse. La sagesse, c’est la compréhension des phénomènes tels qu’ils sont. Et c’est la motivation d’obtenir, de vivre l’Eveil. Ensuite il y a la discipline, c’est essentiellement sur la manière d’agir avec les autres, tout ce qui donne un contact avec les gens : c’est la parole, ce sont les actes, et ce sont les moyens de subsistance. Il y aura différentes interprétations de cette dernière partie selon que l’on est un bhikkhu sans foyer ou un bhikkhu, maître de maison. Pour le maître de maison, ce sera son métier par exemple, qui sera considéré ici, alors que pour le bhikkhu sans foyer, ce sera la manière de se procurer de la nourriture. Et la troisième partie, c’est la discipline, non plus sociale, relationnelle, si je puis dire, mais la discipline intérieure, qu’on appelle la méditation, qui d’abord commence par l’effort, qui est une vertu nécessaire dans le bouddhisme, se poursuit par le recueillement ou la concentration et finit avec l’attention, la vigilance, à chaque instant. Donc, on a ces trois pôles principaux.
A.G. : Pour conclure, quels sont les devoirs du bhikkhu aujourd’hui ?
D.T. : Le premier de tous ses devoirs, c’est l’exemplarité. C’est ce que souhaitait le Bouddha lui-même. On a souvent dans les textes, quand il s’adresse aux moines, une sorte de rappel à l’ordre, qui revient comme un refrain : « Voyez un danger dans le moindre manquement. » Le bouddhisme, c’est la pratique de la vigilance, la pratique de l’attention. On doit être à l’affût de tout ce qui se produit dans son esprit à chaque instant. Et le bhikkhu, étant là un peu comme le représentant du Bouddha, celui qui le représente, comme une image vivante du Bouddha, doit être quelqu’un d’exemplaire. Cela est ce qui reste de plus fondamental encore aujourd’hui et qui est valable aussi bien au niveau spirituel qu’au niveau social.
A.G. : Merci infiniment, Dominique Trotignon
Invité : Dominique Trotignon

Extraits de l’émission :
Aurélie Godefroy : Nous vous présentons, aujourd’hui et dimanche prochain, deux émissions consacrées à la voie du bhikkhu et celle du bodhisattva, dans la tradition du theravada. Elles sont intimement liées et souvent méconnues. Nous allons découvrir ce qu’elles représentent, la façon dont elles ont évolué au fil des siècles et ce qui les différencie encore de nos jours. Nous faisons le point avec notre invité, Dominique Trotignon qui est le directeur de l’Université Bouddhique Européenne « U.B.E » une structure à mi-chemin entre l’université proprement dite et les centres de pratique où tous les enseignements sont donnés par des représentants des diverses traditions.
Dominique Trotignon : C’est une des caractéristiques de l’UBE d’avoir essayé de réunir des enseignants qui viennent de toutes les écoles présentes en Europe.
A.G. : Et c’est la seule université bouddhique en Europe. Pour commencer cette émission, est ce qu’on peut revenir sur le terme de bhikkhu, qui a encore aujourd’hui une connotation péjorative en Occident ?
D.T. : Le problème est qu’on le traduit généralement par le mot moine, en allusion à la tradition chrétienne. Et cela donne tout un à priori, on a tout un arrière plan occidental qui fait qu’on voit le moine comme généralement isolé du monde, en retraite, suivant une règle assez austère. On pense aux moines Chartreux ou aux Bénédictins ou à d’autres ordres chrétiens et du coup, on se trouve en décalage avec la réalité de ce qu’est un bhikkhu et on rate l’essentiel.
A.G. : Qu’est ce que c’est l’essentiel ?
D.T. : Il y a différents aspects : on peut voir le vocabulaire, on peut voir ensuite le statut social du bhikkhu et on peut voir le côté spirituel. Au niveau du vocabulaire, c’est un terme qui est intéressant. On le traduit généralement par « celui qui reçoit ». Souvent, on le traduit, en occident, par « moine mendiant », ce qui n’est pas une bonne façon de traduire, parce qu’en fait, il reçoit des offrandes. Ce qui est tout à fait différent. Mais ce qui est intéressant dans le mot qui est à l’origine, c’est qu’en fait, il reçoit parce qu’il ne demande rien. La caractéristique principale du bhikkhu, c’est d’être sans préoccupation de son existence, de son passé, de son avenir, pour vivre dans l’instant présent. Cela, c’est vraiment ce qu’on pourrait donner comme première caractéristique, à partir du mot de bhikkhu. Ensuite, la deuxième chose importante, c’est que le bhikkhu par excellence, c’est le Bouddha tel qu’il apparaît après son Eveil, donc celui qui suit la voie du bhikkhu, c’est celui qui suit un mode de vie qui a été celui du Bouddha, après son Eveil.
A.G. : Donc le Bouddha est le premier bhikkhu ?
D.T. : Le premier bhikkhu de l’histoire du bouddhisme et le premier comme caractère exemplaire de ce que doit être un bhikkhu.
A.G. : Quel est le troisième aspect, lorsqu’on définit ce terme de bhikkhu ?
D.T. : Le troisième aspect, ce serait l’aspect institutionnel, notamment dans l’école du theravada qui est celle que je vais évoquer surtout aujourd’hui. Elle a 23 siècles d’existence, mais évidemment, il y a toute l’histoire de l’institution de la démarche, il y a une évolution effectivement et le bhikkhu est devenu un personnage au sein de la société, des sociétés bouddhistes comme à Ceylan, en Thaïlande, en Birmanie. Et c’est vrai que dans cet aspect précis, il se rapproche peut-être le plus du religieux, au sens où on l’entend dans la tradition chrétienne, parce qu’il a une place, un rôle dans la société, notamment parce qu’il prêche, parce qu’il enseigne par l’exemple, qu’il occupe une position dans la société par rapport au pouvoir etc.. C’est une troisième approche possible de cette voie du bhikkhu.
A.G. : Et lorsque l’on parle de la voie du bodhisattva, que désigne-t-on ?
D.T. : C’est un cas un peu particulier dans le cadre du theravada et il faut remonter aux origines du bouddhisme. En fait, lorsque l’on considère les tous débuts de la communauté du bouddhisme - la communauté fondée par le Bouddha lui-même – on n’évoque jamais le bodhisattva. C’est un terme qui va apparaître au cours du Ier siècle peut-être ou du II ième siècle de l’histoire du bouddhisme, mais pas avant. Au départ, il n’y a qu’une seule voie possible, quand on veut parvenir à l’Eveil, c’est « la voie du bhikkhu », enseignée par le Bouddha. Et puis, petit à petit, dans la communauté, on s’est interrogé sur la façon dont le Bouddha lui-même était parvenu à l’Eveil. Dans les textes du Canon ancien, il y a très peu d’allusions à ce parcours qui lui a permis dans ses vies antérieures, de parvenir à l’Eveil dans sa dernière vie. Dans les seules allusions qu’il fait - il y a quatre ou cinq textes, pas plus – il dit toujours qu’il chemine seul et qu’il redécouvre tout par lui-même. D’une certaine manière, ce parcours du bodhisattva est un parcours qui ne peut pas se transmettre, qui ne peut pas être enseigné puisque, par définition, c’est un parcours solitaire. Aussi on ne s’interroge pas sur la façon dont on peut devenir un bodhisattva. Il y a un seul texte où le Bouddha évoque une rencontre qu’il a eue, dans une ville très lointaine, avec un autre Bouddha, avec un de ses prédécesseurs, et celui-ci lui aurait donné un enseignement. Le Canon contient, à peu près, huit mille à dix mille textes. Sur ce seul texte, une école du bouddhisme ancien, une école sur quinze ou vingt - traditionnellement, on dit dix huit – une seule école donc a pris ce texte, l’a mis en exergue et a dit que la voie du bodhisattva pouvait, par conséquent, s’enseigner. Et donc il y a la possibilité de suivre le même parcours que ce que le Bouddha a fait et de parvenir à un Eveil. On a toujours fait une distinction entre l’Eveil du Bouddha et l’Eveil de ses disciples, puisque, lui, y est parvenu avec un parcours tout à fait exceptionnel, donc il avait des qualités exceptionnelles aussi. Et le souhait de cette école est d’offrir aux gens un Eveil aussi exceptionnel que celui du Bouddha lui-même et pas simplement l’Eveil d’un simple auditeur, selon l’expression consacrée.
A.G. : Donc, là, on a, à la fois, la voie du bhikkhu et la voie du bodhisattva, on est d’accord ? Sauf qu’à un moment donné, la façon d’appréhender le chemin vers l’Eveil va être différent, ce qui va devoir amener aussi à choisir entre ces deux voies. Comment ça s’est passé ?
D.T. : Au départ, il n’y avait pas de choix possible et toutes les écoles bouddhistes n’ont pas fait le choix d’enseigner, de penser qu’il y avait une voie qui pouvait être enseignée. Ce qui explique qu’aujourd’hui, dans la voie du theravada par exemple, on n’enseigne pas la voie du bodhisattva. On considère que si quelqu’un souhaite s’engager dans cette voie, qui est considérée comme quelque chose d’extrêmement difficile, parce que, justement, elle est solitaire, on peut très bien s’y engager, mais on ne peut pas l’enseigner. On est donc obligé, d’une certaine manière, de partir, de s’isoler. On a l’exemple du Bouddha, dans un des textes, qui évoque cela, où il rencontre un Bouddha, il admire ce Bouddha et il s’en sépare pour ne pas entendre ses enseignements. Donc, on ne peut pas enseigner cette voie selon le theravada. Aujourd’hui, c’est la seule école qui transmet cette vision des choses. Dans les autres écoles, on va suivre l’autre texte, le texte unique et on va considérer pouvoir suivre un enseignement. En fait, il y a deux points de vue qui sont intéressants, parce que l’exemple, c’est toujours le Bouddha, mais il y a deux façons de considérer le Bouddha : - soit on le considère dans sa façon de vivre, après l’Eveil et donc, en tant que bhikkhu. - soit on le considère avant l’Eveil et dans ce cas là, c’est la voie du bodhisattva.
A.G. : Est-ce qu’on peut dire que la différence principale réside dans ce que vous venez d’évoquer ?
D.T. : Pour moi, oui. C’est certainement l’essentiel et ça va prendre une tournure très complexe parce que c’est une façon d’envisager l’acte et le résultat de l’acte. Cela aura des prolongements doctrinaux sur la théorie du karma et sur l’appréhension du temps. Soit on se tourne vers le passé pour voir tout ce qu’il a été nécessaire de faire pour parvenir à ce qui se produit aujourd’hui. Et ça, c’est plutôt pour ceux qui s’intéressent à la voie du bodhisattva. Ils cherchent toutes les conditions nécessaires pour qu’un événement se produise. Alors que ceux qui s’intéressent à la voie du bhikkhu, sont plutôt en train de regarder ce qu’il ne faut pas faire, pour que certains événements ne se produisent pas, pour qu’on ne répète pas le samsara. En fait, toute cette voie du bhikku, telle qu’elle va être présentée dans l’enseignement, est une voie d’abstention.
A.G. : Est-ce que c’est quelque chose qui est encore actuel aujourd’hui ?
D.T. : Oui. Je crois que c’est la différence la plus fondamentale entre les voies du theravada et les voies des autres écoles, qui relèvent du mahayana, parce que le mahayana est très tourné vers la voie du bodhisattva. Le theravada reste une voie de l’abstention, de ce qu’il ne faut pas faire. Alors que dans les écoles mahayanistes, on insiste beaucoup sur ce qu’il faut faire. C’est quelque chose qui est très sensible encore, mais on ignore la plupart du temps que l’origine de cette distinction est extrêmement ancienne dans l’histoire du bouddhisme.
A.G. : Revenons au terme de bhikkhu, puisqu’on a assisté à une évolution dans la graduation des valeurs du bhikkhu. Vous pouvez nous en parler un peu ?
D.T. : A l’origine, le bhikkhu est celui qui imite le Bouddha. Finalement, on pourrait penser qu’au départ, l’enseignement du Bouddha était une pédagogie du mimétisme. On vit comme un Bouddha, à la manière d’un Bouddha pour vivre un Eveil. Et les premiers disciples du Bouddha demandent à devenir des bhikkhus, lorsqu’ils ont connu l’Eveil, après avoir entendu un enseignement du Bouddha. Donc, il ne s’agit vraiment pas d’une méthode pour parvenir à l’Eveil, mais plutôt d’une façon de vivre l’Eveil. En même temps, la communauté du Bouddha a tout de suite été très largement ouverte, beaucoup de personnes ont été acceptées très simplement et certaines n’ont pas eu toutes les qualités d’Eveil qu’avaient eu les premiers disciples ou le Bouddha lui-même. Donc on a été obligé de créer un certain nombre de règles pour cadrer ces apprentis, ceux qui n’étaient pas encore totalement éveillés ou ceux qui fautaient de temps à autre. Et c’est là où on a commencé à fonder une institution du bhikkhu.
A.G. : C’est ce qu’on verra la semaine prochaine.
D.T. : Il faut en dire un mot, car c’est ce qui constitue la voie du bhikkhu. Il y a deux façons de l’appréhender :
- soit on la présente dans l’idéal et cette voie du bhikkhu correspond à ce qu’on appelle l’octuple noble sentier.
- soit on la voit de façon plus réaliste, et on aborde à ce moment-là la question du Vinaya, la question de ces règles dites monastiques. Mais dans les deux cas, ce qui est important, c’est que pour la personne qui suit la voie de l’octuple noble sentier ou la voie du vinaya, tout est fait pour qu’elle n’ait pas de préoccupation.
A.G. : Vous venez d’évoquer la voie de l’octuple noble sentier. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ?
D.T. : L’octuple noble sentier est présenté dans la quatrième noble vérité. C’est un des enseignements fondamentaux, dans le bouddhisme et généralement, on le regroupe en trois rubriques. Dans le texte même, il est présenté dans l’ordre suivant : On commence par la sagesse, ensuite on passe à la discipline et on finit avec la méditation. En l’occurrence, cela reprend bien ce que je disais à propos de l’engagement sur la voie du bhikkhu : on commence par connaître l’Eveil au départ, dans les textes anciens, avant d’entrer sur la voie du bhikkhu… on commence donc par la sagesse. La sagesse, c’est la compréhension des phénomènes tels qu’ils sont. Et c’est la motivation d’obtenir, de vivre l’Eveil. Ensuite il y a la discipline, c’est essentiellement sur la manière d’agir avec les autres, tout ce qui donne un contact avec les gens : c’est la parole, ce sont les actes, et ce sont les moyens de subsistance. Il y aura différentes interprétations de cette dernière partie selon que l’on est un bhikkhu sans foyer ou un bhikkhu, maître de maison. Pour le maître de maison, ce sera son métier par exemple, qui sera considéré ici, alors que pour le bhikkhu sans foyer, ce sera la manière de se procurer de la nourriture. Et la troisième partie, c’est la discipline, non plus sociale, relationnelle, si je puis dire, mais la discipline intérieure, qu’on appelle la méditation, qui d’abord commence par l’effort, qui est une vertu nécessaire dans le bouddhisme, se poursuit par le recueillement ou la concentration et finit avec l’attention, la vigilance, à chaque instant. Donc, on a ces trois pôles principaux.
A.G. : Pour conclure, quels sont les devoirs du bhikkhu aujourd’hui ?
D.T. : Le premier de tous ses devoirs, c’est l’exemplarité. C’est ce que souhaitait le Bouddha lui-même. On a souvent dans les textes, quand il s’adresse aux moines, une sorte de rappel à l’ordre, qui revient comme un refrain : « Voyez un danger dans le moindre manquement. » Le bouddhisme, c’est la pratique de la vigilance, la pratique de l’attention. On doit être à l’affût de tout ce qui se produit dans son esprit à chaque instant. Et le bhikkhu, étant là un peu comme le représentant du Bouddha, celui qui le représente, comme une image vivante du Bouddha, doit être quelqu’un d’exemplaire. Cela est ce qui reste de plus fondamental encore aujourd’hui et qui est valable aussi bien au niveau spirituel qu’au niveau social.
A.G. : Merci infiniment, Dominique Trotignon
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