Alexandre Jollien : « Si on attend demain pour être heureux, on ne le sera jamais »
vendredi 3 juin 2011, par Brice buddhachannel
Langues :
09.08.2010
ll est des livres qui réconcilient un peu avec la vie qui fâche. Ainsi en va-t-il du nouvel opus du philosophe suisse Alexandre Jollien, « Le philosophe nu », à paraître dans une dizaine de jours. L’intellectuel laisse ici de côté son personnage de lettré pour regarder en face les passions qui le tiraillent : les excès de colère, l’amitié obsédante et possessive ou encore la jalousie pour ces hommes au corps « normal » qui ne cessent de le renvoyer à son handicap physique.
Alexandre Jollien se met à nu avec un courage qui frappe, et qui rassemble, généreusement, sous le poids, identique à tous les hommes, des passions qui les tourmentent. Un essai intimiste, sous la forme d’un journal intime, teinté d’une belle audace et d’une pétillante dose d’humour. Un livre à offrir à tous ceux que l’on aime, et qui méritent de s’aimer un peu plus. Rencontre avec un philosophe emprunt d’une belle humilité.
Au coeur de ce nouvel ouvrage, « Le philosophe nu », il y a un aveu, lié à un sentiment d’imposture : le philosophe Jollien ne connaît pas plus la paix que les autres...
C’est peut-être une souffrance pour moi que les gens croient que j’ai des recettes et que je suis sorti de la souffrance. Alors que, comme on le voit dans le livre, je suis à certains moments en plein dedans : le doute, la peur, la colère... Oui, j’ai peur de l’imposture, d’où la volonté de dire vraiment ce que je suis pour inviter d’autres à être authentiques. Et montrer que l’authenticité n’est pas forcément un danger, mais plutôt une manière d’assumer sa vulnérabilité et d’en faire quelque chose.
En tant que philosophe, forcément, on vous prend souvent pour un maître à penser. Cela provoque-t-il un malaise chez vous ?
Si on croit que je suis mieux que les autres ou que j’ai plus de sérénité, oui. Le philosophe, pour moi, c’est celui qui cherche la sagesse, comme le dit l’étymologie. Si on aspire à la sagesse, c’est qu’on ne l’a, par définition, pas...
Vous définissez les passions par « ce qui est en moi plus fort que moi ». C’est un aveu d’impuissance ?
Absolument. Avant je pensais qu’avec la volonté, on pouvait se sortir de toutes les épreuves de la vie. A bout de volonté et de persévérance, on pouvait atteindre un équilibre, toujours incertain, mais quand même... Dans « Le philosophe nu », je parle de cet acte d’abandon : comme disait Nietzsche, il faut « encore porter en soi du chaos pour accoucher d’une étoile dansante ». J’ai un chaos immense, tonitruant parfois, mais je peux le contenir sans résister et sans me crisper. Je peux m’accepter comme je suis tout en voulant progresser, et sans envoyer tout péter, en m’imposant tel que je suis, et sans être non plus dans la tyrannie du changement.
Vous décidez de céder face aux passions, est-ce à dire que le philosophe que vous êtes ne croit plus au pouvoir de la raison ?
C’est un instrument de vie parmi d’autres, comme la confiance, mais je ne crois plus aux pleins pouvoirs de la raison. Longtemps j’ai cru qu’avec la force de réflexion, on pouvait se délivrer de tout ce qui nous empêche d’être dans la joie. Je croyais qu’il fallait lutter pour déraciner toutes sortes de colères et de peurs en moi, maintenant je commence à comprendre qu’il faut laisser passer la vague.
Vous parlez, dans ce livre, de ce désir de normalité qui vous hante et vous tourmente. La philosophie ne vous a pas aidé ?
Elle m’a aidé peut-être en me donnant un but, la sagesse. La sagesse, c’est de pouvoir vivre les hauts et les bas de l’existence. La philosophie m’a aussi converti à l’intériorité, c’est-à-dire à ne pas chercher au dehors de soi un bonheur ou notre bien-être, mais de revenir à soi. C’est l’adage socratique : « Connais-toi toi-même ». Je dois explorer tout ce qui me constitue, et précisément mes passions, mes forces, mes fragilités et mes blessures.
Vous écrivez que la joie vient de l’adhésion au réel. Est-ce à dire qu’il faut revoir ses espérances à la baisse ?
Aujourd’hui on a tendance à blâmer l’espérance, il y a beaucoup de philosophes athées. Moi, personnellement, j’ai quand même un fond chrétien et je pense que l’espérance peut nous mobiliser. C’est une direction plutôt qu’un but. Si on attend demain pour être heureux, on ne sera jamais heureux. Il y a des espérances qui nous nourrissent, qui nous font vivre, qui nous aident à nous lever le matin et il y a des illusions, des attentes qui sont tyranniques et qui nous arrachent au présent. Peut-être faut-il faire la distinction entre ces qualités de l’espérance.
Vous dites que l’on s’obstine à chercher la joie là où on la veut au lieu de l’accepter là où elle est...
Exactement. On s’évertue à se demander « qu’est-ce qu’il me faut pour être heureux ? », alors que peut-être le chemin de la joie demande de s’interroger sur « comment est-ce que je pourrais faire pour être bien ici et maintenant ? ».
La joie est-elle accessible à tous ? N’est-ce finalement qu’une question de volonté ?
Je crois qu’il ne faut pas caricaturer. Il y a des situations qui sont tellement cruelles et sans espoir que la joie paraît impossible. Le postulat est cependant qu’au fond du fond, en soi, il y a toujours cette joie. C’est ce que nous dit le bouddhisme. On a tous en soi la nature de Bouddha, rien ne sert de chercher à l’extérieur de nous-mêmes le bonheur. Maintenant il y a parfois des conditions de vie tellement misérables que j’hésite à dire que la joie peut se trouver en chacun. J’espère que oui, je n’en suis pas sûr.
Vous vous tournez tour à tour vers la philosophie, le bouddhisme et les Évangiles. Ces pratiques sont-elles conciliables ?
Il y a un sacré risque de tout mélanger en se disant « le soir je fais un peu de méditation zen, à midi je lis l’Évangile et à trois heures j’essaie de pratiquer la philosophie ». Pour moi, c’est toujours une conversion à l’intériorité. Cette intériorité qui est au-delà des mots.
Vous parlez dans le livre de cette difficulté à assumer cette part de spiritualité. Un philosophe ne doit pas être spirituel ?
J’ai une étiquette que je traîne partout, quand les journaux martèlent « le philosophe handicapé », ça me fait souffrir un peu. Alors c’est pour cela que j’ai de la réticence à parler de ma foi chrétienne. Pour ne pas en rajouter (rires). Mais le « philosophe nu » se devait de tout dire, et la foi chrétienne me nourrit et m’a éveillé à la joie.
Est-ce que ce livre, cette réelle mise à nu, a été l’occasion de faire un peu la paix avec vous-même ?
Bien sûr. A la fin du livre, j’avais moins de conflits intérieurs, mais tout est à renouveler chaque jour. Rien n’est jamais acquis.
« Le philosophe nu » d’Alexandre Jollien
Ed. du Seuil, 198 p.
En librairies le 19 août
Source : LeMatin.ch
vendredi 3 juin 2011, par Brice buddhachannel
Langues :
09.08.2010
ll est des livres qui réconcilient un peu avec la vie qui fâche. Ainsi en va-t-il du nouvel opus du philosophe suisse Alexandre Jollien, « Le philosophe nu », à paraître dans une dizaine de jours. L’intellectuel laisse ici de côté son personnage de lettré pour regarder en face les passions qui le tiraillent : les excès de colère, l’amitié obsédante et possessive ou encore la jalousie pour ces hommes au corps « normal » qui ne cessent de le renvoyer à son handicap physique.
Alexandre Jollien se met à nu avec un courage qui frappe, et qui rassemble, généreusement, sous le poids, identique à tous les hommes, des passions qui les tourmentent. Un essai intimiste, sous la forme d’un journal intime, teinté d’une belle audace et d’une pétillante dose d’humour. Un livre à offrir à tous ceux que l’on aime, et qui méritent de s’aimer un peu plus. Rencontre avec un philosophe emprunt d’une belle humilité.
Au coeur de ce nouvel ouvrage, « Le philosophe nu », il y a un aveu, lié à un sentiment d’imposture : le philosophe Jollien ne connaît pas plus la paix que les autres...
C’est peut-être une souffrance pour moi que les gens croient que j’ai des recettes et que je suis sorti de la souffrance. Alors que, comme on le voit dans le livre, je suis à certains moments en plein dedans : le doute, la peur, la colère... Oui, j’ai peur de l’imposture, d’où la volonté de dire vraiment ce que je suis pour inviter d’autres à être authentiques. Et montrer que l’authenticité n’est pas forcément un danger, mais plutôt une manière d’assumer sa vulnérabilité et d’en faire quelque chose.
En tant que philosophe, forcément, on vous prend souvent pour un maître à penser. Cela provoque-t-il un malaise chez vous ?
Si on croit que je suis mieux que les autres ou que j’ai plus de sérénité, oui. Le philosophe, pour moi, c’est celui qui cherche la sagesse, comme le dit l’étymologie. Si on aspire à la sagesse, c’est qu’on ne l’a, par définition, pas...
Vous définissez les passions par « ce qui est en moi plus fort que moi ». C’est un aveu d’impuissance ?
Absolument. Avant je pensais qu’avec la volonté, on pouvait se sortir de toutes les épreuves de la vie. A bout de volonté et de persévérance, on pouvait atteindre un équilibre, toujours incertain, mais quand même... Dans « Le philosophe nu », je parle de cet acte d’abandon : comme disait Nietzsche, il faut « encore porter en soi du chaos pour accoucher d’une étoile dansante ». J’ai un chaos immense, tonitruant parfois, mais je peux le contenir sans résister et sans me crisper. Je peux m’accepter comme je suis tout en voulant progresser, et sans envoyer tout péter, en m’imposant tel que je suis, et sans être non plus dans la tyrannie du changement.
Vous décidez de céder face aux passions, est-ce à dire que le philosophe que vous êtes ne croit plus au pouvoir de la raison ?
C’est un instrument de vie parmi d’autres, comme la confiance, mais je ne crois plus aux pleins pouvoirs de la raison. Longtemps j’ai cru qu’avec la force de réflexion, on pouvait se délivrer de tout ce qui nous empêche d’être dans la joie. Je croyais qu’il fallait lutter pour déraciner toutes sortes de colères et de peurs en moi, maintenant je commence à comprendre qu’il faut laisser passer la vague.
Vous parlez, dans ce livre, de ce désir de normalité qui vous hante et vous tourmente. La philosophie ne vous a pas aidé ?
Elle m’a aidé peut-être en me donnant un but, la sagesse. La sagesse, c’est de pouvoir vivre les hauts et les bas de l’existence. La philosophie m’a aussi converti à l’intériorité, c’est-à-dire à ne pas chercher au dehors de soi un bonheur ou notre bien-être, mais de revenir à soi. C’est l’adage socratique : « Connais-toi toi-même ». Je dois explorer tout ce qui me constitue, et précisément mes passions, mes forces, mes fragilités et mes blessures.
Vous écrivez que la joie vient de l’adhésion au réel. Est-ce à dire qu’il faut revoir ses espérances à la baisse ?
Aujourd’hui on a tendance à blâmer l’espérance, il y a beaucoup de philosophes athées. Moi, personnellement, j’ai quand même un fond chrétien et je pense que l’espérance peut nous mobiliser. C’est une direction plutôt qu’un but. Si on attend demain pour être heureux, on ne sera jamais heureux. Il y a des espérances qui nous nourrissent, qui nous font vivre, qui nous aident à nous lever le matin et il y a des illusions, des attentes qui sont tyranniques et qui nous arrachent au présent. Peut-être faut-il faire la distinction entre ces qualités de l’espérance.
Vous dites que l’on s’obstine à chercher la joie là où on la veut au lieu de l’accepter là où elle est...
Exactement. On s’évertue à se demander « qu’est-ce qu’il me faut pour être heureux ? », alors que peut-être le chemin de la joie demande de s’interroger sur « comment est-ce que je pourrais faire pour être bien ici et maintenant ? ».
La joie est-elle accessible à tous ? N’est-ce finalement qu’une question de volonté ?
Je crois qu’il ne faut pas caricaturer. Il y a des situations qui sont tellement cruelles et sans espoir que la joie paraît impossible. Le postulat est cependant qu’au fond du fond, en soi, il y a toujours cette joie. C’est ce que nous dit le bouddhisme. On a tous en soi la nature de Bouddha, rien ne sert de chercher à l’extérieur de nous-mêmes le bonheur. Maintenant il y a parfois des conditions de vie tellement misérables que j’hésite à dire que la joie peut se trouver en chacun. J’espère que oui, je n’en suis pas sûr.
Vous vous tournez tour à tour vers la philosophie, le bouddhisme et les Évangiles. Ces pratiques sont-elles conciliables ?
Il y a un sacré risque de tout mélanger en se disant « le soir je fais un peu de méditation zen, à midi je lis l’Évangile et à trois heures j’essaie de pratiquer la philosophie ». Pour moi, c’est toujours une conversion à l’intériorité. Cette intériorité qui est au-delà des mots.
Vous parlez dans le livre de cette difficulté à assumer cette part de spiritualité. Un philosophe ne doit pas être spirituel ?
J’ai une étiquette que je traîne partout, quand les journaux martèlent « le philosophe handicapé », ça me fait souffrir un peu. Alors c’est pour cela que j’ai de la réticence à parler de ma foi chrétienne. Pour ne pas en rajouter (rires). Mais le « philosophe nu » se devait de tout dire, et la foi chrétienne me nourrit et m’a éveillé à la joie.
Est-ce que ce livre, cette réelle mise à nu, a été l’occasion de faire un peu la paix avec vous-même ?
Bien sûr. A la fin du livre, j’avais moins de conflits intérieurs, mais tout est à renouveler chaque jour. Rien n’est jamais acquis.
« Le philosophe nu » d’Alexandre Jollien
Ed. du Seuil, 198 p.
En librairies le 19 août
Source : LeMatin.ch
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