Les fruits de la tendresse
Denis Ledogar est prêtre assomptionniste, infirmier anesthésiste de formation, et aumônier à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg. Dans ce texte, il exprime sa révolte, ses doutes face à la réalité de la souffrance. Et il témoigne de la profondeur de la tendresse dans un questionnement intense devant Dieu.
Par Denis Ledogar
Extrait du livre La tendresse pour tout bagage
Mon cœur ne m’appartient pas. Il est à ceux vers qui l’Église m’a envoyé.
Le cœur d’un prêtre, c’est celui de tout humain. Le cœur d’un aumônier d’hôpital, c’est d’être gros comme une montagne pour recevoir et porter la souffrance de l’autre ; c’est en même temps une part de Dieu, car mon cœur ne m’appartient pas. Il est à ceux vers qui l’Église m’a envoyé. Et l’Église m’a nommé à l’hôpital de Hautepierre pour une mission située entre l’affectif et le spirituel. Lorsque je me retire, presque sur la pointe des pieds, que je me glisse vers d’autres malades, peut-être sont-ils quelques-uns à conserver gravée au plus profond de leur cœur l’image d’un prêtre assis à leurs côtés ? Lorsque je me recueille dans la chapelle de l’hôpital ou que je célèbre la messe, je parle au Seigneur : « Nous déposons sur cette patène*, les visages de celles et ceux que nous avons visités... »
Tout marin, tout passager qui monte dans un bateau attend et espère une traversée sans histoire. Ainsi étaient les apôtres... ainsi chacun de nous attend et espère une traversée paisible de la vie. Mais voilà... Il n’y a pas de vie sans tempête, sans orage. Qui n’a pas failli chavirer sous les rafales de la douleur, du désespoir, de la révolte, des questions sans réponse ? Oh ! non, il n’y a pas de vie sans tempête. Mais il y a des barques plus fragiles et des tempêtes plus violentes que d’autres.
Comme cette tempête de douleur qu’est la disparition brutale d’un être cher. Confronté à la plus grande des souffrances, on a envie de hurler, on a envie de cogner, simplement parce qu’on n’a pas pu empêcher ce qui est arrivé, parce qu’on se découvre impuissant face à des forces déchaînées et implacables qui bousculent nos convictions, et qui arrachent sur leur passage nos ultimes certitudes. Alors seulement on fait la tragique expérience de la plus radicale pauvreté, car la mort d’un proche nous dépouille de nos mots, de nos fondements intimes, de notre courage, de nos rêves... Emporté dans la tempête, comme les apôtres, oui, on a peur : on a peur d’aujourd’hui et peur de demain, peur du jour qui se lève, peur de la nuit qui va tomber ; on a peur de la solitude, peur de ne pas pouvoir y arriver seul ; on a peur des autres et de soi-même.
Comment accepter de mourir pour vivre ?
Un jour, il y a eu Julien, un petit garçon de cinq ans. Les parents avaient dû réhospitaliser leur fils, qui souffrait d’un cancer ; ils avaient passé plusieurs nuits à le veiller. Un matin - il devait être six heures -, Julien s’est agité. Sa maman a caressé son visage et l’a regardé tendrement. Un léger rictus a parcouru ses lèvres, peut-être un sourire, puis il s’est éteint, sans un mot, sans une larme. La famille m’a réclamé à son chevet, et je me suis rendu aussitôt à Hautepierre. Oui, Julien est mort. Une fois encore, j’ai eu envie de crier à l’injustice. Trois jours plus tard, dans la chapelle, les siens étaient réunis dans le recueillement. La maman, fatiguée, s’appuyait sur le bras de son mari. Un simple regard, une complicité soudain mise à nue dans la souffrance - ils s’approchèrent du cercueil, la maman à gauche de l’enfant, le papa à sa droite ; elle avait besoin de se sentir plus près de son petit. Ce cercueil les unissait et c’était un lien plus fort que tous les autres, aussi fort que le sacrement du mariage. Il y avait là leur petit. Ils ne s’étaient jamais quittés comme ça, depuis cinq ans. Et, tout à l’heure, la journée sans Julien s’ouvrira comme un abîme sans fond.
Mourir, c’est, dit-on, le temps de la terre dans laquelle on enfouit le corps d’un enfant, comme on le ferait pour une graine. Ensuite, il ne se passe plus rien, du moins en apparence. Dans nos cœurs et dans la terre, il fait froid comme en hiver. Et nos cœurs crient à l’absurdité. Julien respirait la vie, il portait la vie, il aimait la vie. Comment accepter que soient enfouis dans cette terre son devenir, son avenir d’homme ? Comment accepter ce paradoxe de n’être plus rien, pour devenir tout dans les mains de Dieu ? Comment accepter de mourir pour vivre ? Tout, dans la vie quotidienne de nos campagnes, nous l’indique : on n’enfouit dans la terre que ce qui est porteur de vie, on n’enfouit que les graines, on n’enfouit pas les pierres. La graine dort... sous la neige... et craque, pour libérer le germe d’une vie nouvelle. Et si mourir, c’était tout simplement notre écorce qui craque, pour libérer cet autre soi-même, que personne ne connaît encore, et qui fleurit déjà dans le printemps de Dieu ? Après la mise en terre de Julien, dans le ciel chargé de nuages sombres, un canal d’une vive clarté s’est ouvert : l’espérance.
La vraie paix est une conquête, comme l’espérance
mmédiatement après, je me sens incapable de célébrer la messe. « La Grâce de Jésus Notre-Seigneur, l’amour de Dieu le Père... », non, je ne les vois pas, je ne les sens pas à ce moment-là. Je suis comme happé par un grand vide, sentiment partagé par bien des parents. Comme les apôtres, je crie, nous crions : « Maître, maître, au secours, nous périssons. » Avec eux je me heurte au silence de Dieu. Comme eux, je m’interroge encore : « Dieu dormirait-il, indifférent aux tempêtes qui agitent l’homme ? Comment peut-il dormir ainsi, quand la tempête fait rage dans le monde, quand la souffrance fait chavirer le cœur de l’homme ? » Et d’appeler : « Dieu, réveille-toi ! L’homme a peur ! L’homme a mal ! Dieu, réveille-toi ! Et donne la paix à l’homme... »
La paix, c’est ce que nous désirons, c’est ce que nous attendons. Nous voudrions tant que tout soit « comme avant ». Mais la paix... ce n’est ni le statu quo, ni le retour en arrière... La vraie paix, ce n’est pas l’ignorance des conflits et des tempêtes, c’est l’au-delà du conflit, c’est la tempête apaisée. La vraie paix, ce n’est pas un état originel, naturel, immuable, c’est celle que le Christ nous propose aujourd’hui, par l’apaisement, la pacification. C’est une conquête, comme l’espérance. Et l’espérance n’est pas l’ignorance du désespoir, elle est le désespoir surmonté.
Dans les jours qui ont suivi la disparition du petit Julien, j’ai été confronté à la mort bien plus qu’à l’accoutumée, sans doute la fameuse loi des séries... Elle avait frappé des personnes auxquelles j’étais très attaché. J’avais un trop-plein de décès à gérer et du mal à faire le travail de deuil. Une nuit, alors que j’étais particulièrement angoissé, j’ai ressenti une peur effroyable. Des mains essayaient d’agripper les miennes, comme si elles voulaient m’entraîner. Je découvrais l’angoisse de la mort, mais cette fois-ci je n’étais plus l’accompagnateur, j’étais dans un lit et on allait m’emmener. Oh, toutes ces mains qui me tiraient vers l’au-delà ! Ces mains glaciales couraient sur mon visage, sur mon torse, sur mon corps. J’avais froid et j’avais peur. Les cris se bloquaient dans ma gorge : « Oh, Seigneur, ne me laisse pas tomber ! » Inconsciemment, je m’étais enroulé dans les draps, prenant soin de ne pas laisser la moindre prise à ces mains qui s’acharnaient toujours... Et puis, soudain, tout s’est arrêté.
Quelques nuits plus tard, j’ai fait un autre rêve, qui répondait à mes grandes interrogations : « Moi qui ai accompagné tant de malades en fin de vie, qu’y a-t-il donc de l’autre côté ? » Si Dieu n’est pas une chimère, je dois savoir. Dans ma révolte, j’en arrive quelquefois à essayer de me persuader que Dieu est finalement la plus belle invention de l’homme. Quand je vois tous ces corps aimés en état de décomposition, quand on les dépose à la morgue, dans un cercueil, comment ne pas s’interroger ? Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants, où sont-ils ? que deviennent-ils ?
Cette nuit-là, Dieu m’aurait-il entendu ?
Cette nuit-là, Dieu m’aurait-il entendu ? Dans mon rêve, je l’ai rencontré et j’ai pu lui confier toutes mes interrogations, toutes mes incertitudes :
- Seigneur, il faut que je sache ce qu’il y a dans l’au-delà, pour continuer l’accompagnement quotidien de ceux qui souffrent et meurent. J’ai trop peur, je suis trop angoissé...
Et Dieu m’a répondu :
- C’est de l’ordre du mystère et il n’appartient à aucun être humain de connaître les mystères de Dieu.
Bien sûr trottait dans ma tête cette phrase de l’Évangile : « Nul ne connaît ni le jour ni l’heure, pas même le Fils, mais uniquement le Père et celui à qui le Père veut bien le révéler. » Donc, moi, petit dernier des humains, tout petit curé d’hôpital, je n’avais pas à savoir. M’armant de tout mon courage, j’ai osé réitérer ma demande :
- Je veux savoir, sinon je ne pourrai plus continuer mon boulot...
- Alors tu seras le seul à qui je vais le révéler, m’a-t-il répondu.
Nous avons marché, longtemps, et puis nous sommes arrivés devant une grande porte.
- Réfléchis bien, puis ouvre-la.
Je me suis retourné vers Dieu, hésitant, tremblant de tous mes membres. « Impertinent, Denis, tu ne changeras donc jamais ! » me suis-je dit. Et puis, d’une voix à peine contenue :
- Je veux savoir, Seigneur.
Alors, j’ai ouvert la porte, lentement, très lentement, et je suis tombé, tombé, tombé... dans le néant total, dans le vide absolu.
Et puis je me suis réveillé, terriblement angoissé, tout en sueur, mais tellement heureux d’être en vie.
*patène : pour les catholiques, vase sacré en forme de petite assiette qui sert à couvrir le calice et à recevoir l’hostie.
Denis Ledogar
Source: http://www.buddhaline.net/spip.php?article843
Denis Ledogar est prêtre assomptionniste, infirmier anesthésiste de formation, et aumônier à l’hôpital de Hautepierre, à Strasbourg. Dans ce texte, il exprime sa révolte, ses doutes face à la réalité de la souffrance. Et il témoigne de la profondeur de la tendresse dans un questionnement intense devant Dieu.
Par Denis Ledogar
Extrait du livre La tendresse pour tout bagage
Mon cœur ne m’appartient pas. Il est à ceux vers qui l’Église m’a envoyé.
Le cœur d’un prêtre, c’est celui de tout humain. Le cœur d’un aumônier d’hôpital, c’est d’être gros comme une montagne pour recevoir et porter la souffrance de l’autre ; c’est en même temps une part de Dieu, car mon cœur ne m’appartient pas. Il est à ceux vers qui l’Église m’a envoyé. Et l’Église m’a nommé à l’hôpital de Hautepierre pour une mission située entre l’affectif et le spirituel. Lorsque je me retire, presque sur la pointe des pieds, que je me glisse vers d’autres malades, peut-être sont-ils quelques-uns à conserver gravée au plus profond de leur cœur l’image d’un prêtre assis à leurs côtés ? Lorsque je me recueille dans la chapelle de l’hôpital ou que je célèbre la messe, je parle au Seigneur : « Nous déposons sur cette patène*, les visages de celles et ceux que nous avons visités... »
Tout marin, tout passager qui monte dans un bateau attend et espère une traversée sans histoire. Ainsi étaient les apôtres... ainsi chacun de nous attend et espère une traversée paisible de la vie. Mais voilà... Il n’y a pas de vie sans tempête, sans orage. Qui n’a pas failli chavirer sous les rafales de la douleur, du désespoir, de la révolte, des questions sans réponse ? Oh ! non, il n’y a pas de vie sans tempête. Mais il y a des barques plus fragiles et des tempêtes plus violentes que d’autres.
Comme cette tempête de douleur qu’est la disparition brutale d’un être cher. Confronté à la plus grande des souffrances, on a envie de hurler, on a envie de cogner, simplement parce qu’on n’a pas pu empêcher ce qui est arrivé, parce qu’on se découvre impuissant face à des forces déchaînées et implacables qui bousculent nos convictions, et qui arrachent sur leur passage nos ultimes certitudes. Alors seulement on fait la tragique expérience de la plus radicale pauvreté, car la mort d’un proche nous dépouille de nos mots, de nos fondements intimes, de notre courage, de nos rêves... Emporté dans la tempête, comme les apôtres, oui, on a peur : on a peur d’aujourd’hui et peur de demain, peur du jour qui se lève, peur de la nuit qui va tomber ; on a peur de la solitude, peur de ne pas pouvoir y arriver seul ; on a peur des autres et de soi-même.
Comment accepter de mourir pour vivre ?
Un jour, il y a eu Julien, un petit garçon de cinq ans. Les parents avaient dû réhospitaliser leur fils, qui souffrait d’un cancer ; ils avaient passé plusieurs nuits à le veiller. Un matin - il devait être six heures -, Julien s’est agité. Sa maman a caressé son visage et l’a regardé tendrement. Un léger rictus a parcouru ses lèvres, peut-être un sourire, puis il s’est éteint, sans un mot, sans une larme. La famille m’a réclamé à son chevet, et je me suis rendu aussitôt à Hautepierre. Oui, Julien est mort. Une fois encore, j’ai eu envie de crier à l’injustice. Trois jours plus tard, dans la chapelle, les siens étaient réunis dans le recueillement. La maman, fatiguée, s’appuyait sur le bras de son mari. Un simple regard, une complicité soudain mise à nue dans la souffrance - ils s’approchèrent du cercueil, la maman à gauche de l’enfant, le papa à sa droite ; elle avait besoin de se sentir plus près de son petit. Ce cercueil les unissait et c’était un lien plus fort que tous les autres, aussi fort que le sacrement du mariage. Il y avait là leur petit. Ils ne s’étaient jamais quittés comme ça, depuis cinq ans. Et, tout à l’heure, la journée sans Julien s’ouvrira comme un abîme sans fond.
Mourir, c’est, dit-on, le temps de la terre dans laquelle on enfouit le corps d’un enfant, comme on le ferait pour une graine. Ensuite, il ne se passe plus rien, du moins en apparence. Dans nos cœurs et dans la terre, il fait froid comme en hiver. Et nos cœurs crient à l’absurdité. Julien respirait la vie, il portait la vie, il aimait la vie. Comment accepter que soient enfouis dans cette terre son devenir, son avenir d’homme ? Comment accepter ce paradoxe de n’être plus rien, pour devenir tout dans les mains de Dieu ? Comment accepter de mourir pour vivre ? Tout, dans la vie quotidienne de nos campagnes, nous l’indique : on n’enfouit dans la terre que ce qui est porteur de vie, on n’enfouit que les graines, on n’enfouit pas les pierres. La graine dort... sous la neige... et craque, pour libérer le germe d’une vie nouvelle. Et si mourir, c’était tout simplement notre écorce qui craque, pour libérer cet autre soi-même, que personne ne connaît encore, et qui fleurit déjà dans le printemps de Dieu ? Après la mise en terre de Julien, dans le ciel chargé de nuages sombres, un canal d’une vive clarté s’est ouvert : l’espérance.
La vraie paix est une conquête, comme l’espérance
mmédiatement après, je me sens incapable de célébrer la messe. « La Grâce de Jésus Notre-Seigneur, l’amour de Dieu le Père... », non, je ne les vois pas, je ne les sens pas à ce moment-là. Je suis comme happé par un grand vide, sentiment partagé par bien des parents. Comme les apôtres, je crie, nous crions : « Maître, maître, au secours, nous périssons. » Avec eux je me heurte au silence de Dieu. Comme eux, je m’interroge encore : « Dieu dormirait-il, indifférent aux tempêtes qui agitent l’homme ? Comment peut-il dormir ainsi, quand la tempête fait rage dans le monde, quand la souffrance fait chavirer le cœur de l’homme ? » Et d’appeler : « Dieu, réveille-toi ! L’homme a peur ! L’homme a mal ! Dieu, réveille-toi ! Et donne la paix à l’homme... »
La paix, c’est ce que nous désirons, c’est ce que nous attendons. Nous voudrions tant que tout soit « comme avant ». Mais la paix... ce n’est ni le statu quo, ni le retour en arrière... La vraie paix, ce n’est pas l’ignorance des conflits et des tempêtes, c’est l’au-delà du conflit, c’est la tempête apaisée. La vraie paix, ce n’est pas un état originel, naturel, immuable, c’est celle que le Christ nous propose aujourd’hui, par l’apaisement, la pacification. C’est une conquête, comme l’espérance. Et l’espérance n’est pas l’ignorance du désespoir, elle est le désespoir surmonté.
Dans les jours qui ont suivi la disparition du petit Julien, j’ai été confronté à la mort bien plus qu’à l’accoutumée, sans doute la fameuse loi des séries... Elle avait frappé des personnes auxquelles j’étais très attaché. J’avais un trop-plein de décès à gérer et du mal à faire le travail de deuil. Une nuit, alors que j’étais particulièrement angoissé, j’ai ressenti une peur effroyable. Des mains essayaient d’agripper les miennes, comme si elles voulaient m’entraîner. Je découvrais l’angoisse de la mort, mais cette fois-ci je n’étais plus l’accompagnateur, j’étais dans un lit et on allait m’emmener. Oh, toutes ces mains qui me tiraient vers l’au-delà ! Ces mains glaciales couraient sur mon visage, sur mon torse, sur mon corps. J’avais froid et j’avais peur. Les cris se bloquaient dans ma gorge : « Oh, Seigneur, ne me laisse pas tomber ! » Inconsciemment, je m’étais enroulé dans les draps, prenant soin de ne pas laisser la moindre prise à ces mains qui s’acharnaient toujours... Et puis, soudain, tout s’est arrêté.
Quelques nuits plus tard, j’ai fait un autre rêve, qui répondait à mes grandes interrogations : « Moi qui ai accompagné tant de malades en fin de vie, qu’y a-t-il donc de l’autre côté ? » Si Dieu n’est pas une chimère, je dois savoir. Dans ma révolte, j’en arrive quelquefois à essayer de me persuader que Dieu est finalement la plus belle invention de l’homme. Quand je vois tous ces corps aimés en état de décomposition, quand on les dépose à la morgue, dans un cercueil, comment ne pas s’interroger ? Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants, où sont-ils ? que deviennent-ils ?
Cette nuit-là, Dieu m’aurait-il entendu ?
Cette nuit-là, Dieu m’aurait-il entendu ? Dans mon rêve, je l’ai rencontré et j’ai pu lui confier toutes mes interrogations, toutes mes incertitudes :
- Seigneur, il faut que je sache ce qu’il y a dans l’au-delà, pour continuer l’accompagnement quotidien de ceux qui souffrent et meurent. J’ai trop peur, je suis trop angoissé...
Et Dieu m’a répondu :
- C’est de l’ordre du mystère et il n’appartient à aucun être humain de connaître les mystères de Dieu.
Bien sûr trottait dans ma tête cette phrase de l’Évangile : « Nul ne connaît ni le jour ni l’heure, pas même le Fils, mais uniquement le Père et celui à qui le Père veut bien le révéler. » Donc, moi, petit dernier des humains, tout petit curé d’hôpital, je n’avais pas à savoir. M’armant de tout mon courage, j’ai osé réitérer ma demande :
- Je veux savoir, sinon je ne pourrai plus continuer mon boulot...
- Alors tu seras le seul à qui je vais le révéler, m’a-t-il répondu.
Nous avons marché, longtemps, et puis nous sommes arrivés devant une grande porte.
- Réfléchis bien, puis ouvre-la.
Je me suis retourné vers Dieu, hésitant, tremblant de tous mes membres. « Impertinent, Denis, tu ne changeras donc jamais ! » me suis-je dit. Et puis, d’une voix à peine contenue :
- Je veux savoir, Seigneur.
Alors, j’ai ouvert la porte, lentement, très lentement, et je suis tombé, tombé, tombé... dans le néant total, dans le vide absolu.
Et puis je me suis réveillé, terriblement angoissé, tout en sueur, mais tellement heureux d’être en vie.
*patène : pour les catholiques, vase sacré en forme de petite assiette qui sert à couvrir le calice et à recevoir l’hostie.
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