Une attente vigilante et détachée
Par Stephen Batchelor
Extrait du livre de Stephen Batchelor : « Living with the Devil. A Meditation on Good and Evil ». A paraître en juin chez Riverhead Books, New York. Traduction Catherine Joly - Avril 2004.
1- La méditation basée sur la respiration vous rend intimement conscient du rythme originel de l’existence physique. Au lieu de disséquer imaginativement le corps pour l’examiner de l’extérieur, on découvre sa méthode en soi-même pour l’explorer de l’intérieur. Une fois trouvée une position stable, le dos vertical, portez toute votre attention sur la sensation physique du souffle lorsqu’il pénètre dans les narines, remplit les poumons, marque un temps d’arrêt, contracte les poumons, est exhalé, marque un temps d’arrêt et ainsi de suite. Ne contrôlez pas la respiration ; contentez-vous de vous reposer avec une curiosité paisible, conscient de la respiration du corps. Si la respiration est courte et peu profonde, notez alors qu’elle est courte et peu profonde. Si elle est longue et profonde, notez qu’elle est longue et profonde. Il n’y a pas de façon de respirer qui soit bonne ou mauvaise.
La respiration est une fonction motrice du corps qui se régule d’elle-même.
2- La plupart du temps, nous aspirons l’air et l’exhalons aussi aisément qu’une plante se tourne vers la lumière du soleil. Ce processus naturel apparaît spontanément. Mais, dès qu’on y prête attention, une trop grande conscience de soi a tendance à en entraver le libre déroulement. Le simple fait d’y prêter attention semble impliquer un minimum de contrôle, même si on essaie de l’éviter. L’astuce consiste à apprendre comment rester pleinement conscient de la respiration sans que cela n’en contrarie le flux et reflux naturel.
Un des moyens d’y arriver consiste à attendre que la respiration se produise d’elle-même. Chaque inspiration et chaque expiration est suivie d’une pause de courte durée au cours de laquelle les muscles changent pour ainsi dire de vitesse, avant de relâcher l’air emprisonné ou d’aspirer de l’air frais.
3- Lorsqu’elle se fixe sur la respiration, la conscience de soi est le plus prononcée à ces deux moments : il semble soudain que « je » doive expirer ou inspirer. Pour dissiper le sentiment d’être l’agent de votre respiration, demeurez durant chaque temps d’arrêt un observateur neutre, curieux de remarquer quand et comment les muscles entrent spontanément en action pour initier l’inspiration ou l’expiration suivante. Contentez-vous d’attendre la phase suivante de la respiration pour vous y engager [C4] , sans prévoir le moment où elle devrait commencer, sans vous préparer à ce qu’elle soit profonde ou peu profonde, sans anticiper sa force ou sa douceur.
Dans cet espace ouvert d’attente vigilante mais détachée, on sentira soudain que l’organisme expire ou inspire de sa propre initiative. Avec la pratique, on apprendra à affiner son rôle d’observateur qui se mêle à sa respiration sans interférer pour autant.
4- En prêtant une attention vigilante et soutenue aux sensations rythmiques de la respiration, non seulement l’esprit devient plus tranquille et concentré, mais on devient aussi plus conscient de la subtilité et de la complexité du processus. Toute notion d’une respiration qui se réduirait à l’action quasi mécanique de poumons agissant comme des soufflets est remplacée par la sensation d’une respiration perçue comme le rythme fluctuant du corps, le lien vital qui l’unit au monde au-delà de la peau.
Ce rythme constant, rassurant de la respiration est l’ancre à laquelle on retourne chaque fois que l’esprit est emporté par les rêvasseries ou les souvenirs. Ses fluctuations - qui vont de longues inspirations paisibles à de brefs halètements irréguliers - servent de baromètre de l’humeur.
5- La respiration donne accès à une conscience intensifiée de la vie interne du corps, à ses pulsations, frémissements, affolements, démangeaisons, picotements, tensions, douleurs. En explorant cet amalgame de sensations, nous les reconnaissons comme l’étoffe dont sont tissés nos émotions et nos sentiments. Un spasme d’anxiété ou un accès d’euphorie apparaissent à un endroit précis du corps comme une contraction ou une dilatation. Des états d’esprit plus diffus tels que la tristesse ou le contentement semblent se répandre comme une brume à travers tout l’organisme. Tandis qu’une sensation tenaillante dans le plexus solaire provoque une inquiétude à laquelle on ne trouve pas de nom. Même les pensées les plus fugaces semblent filer et pétiller au cœur de notre chair.
6- Une fois installés dans une conscience paisible, ouverte, il nous reste à élargir lentement le champ de notre attention pour y inclure la texture des vêtements sur notre peau, la polyphonie des sons à l’intérieur et autour de nous, les taches changeantes de lumière, d’ombre et de couleur, les goûts persistants dans la bouche, les odeurs qui flottent sur notre chemin. De même que la flamme d’une bougie éclaire avec plus d’intensité une pièce lorsque son vacillement agité s’apaise, de même l’esprit éclaire avec plus d’intensité ce que nous expérimentons lorsqu’il s’installe dans un repos calme et équanime. La tranquillité de la conscience éveillée n’est pas celle d’une absorption comparable à la transe, dans laquelle l’attention reste fixée sur un objet unique, mais celle d’un apaisement qui se répand partout, dans lequel une clarté radieuse et chatoyante est au service de tout ce qui se présente.
Source: http://www.buddhaline.net/spip.php?article885
Par Stephen Batchelor
Extrait du livre de Stephen Batchelor : « Living with the Devil. A Meditation on Good and Evil ». A paraître en juin chez Riverhead Books, New York. Traduction Catherine Joly - Avril 2004.
1- La méditation basée sur la respiration vous rend intimement conscient du rythme originel de l’existence physique. Au lieu de disséquer imaginativement le corps pour l’examiner de l’extérieur, on découvre sa méthode en soi-même pour l’explorer de l’intérieur. Une fois trouvée une position stable, le dos vertical, portez toute votre attention sur la sensation physique du souffle lorsqu’il pénètre dans les narines, remplit les poumons, marque un temps d’arrêt, contracte les poumons, est exhalé, marque un temps d’arrêt et ainsi de suite. Ne contrôlez pas la respiration ; contentez-vous de vous reposer avec une curiosité paisible, conscient de la respiration du corps. Si la respiration est courte et peu profonde, notez alors qu’elle est courte et peu profonde. Si elle est longue et profonde, notez qu’elle est longue et profonde. Il n’y a pas de façon de respirer qui soit bonne ou mauvaise.
La respiration est une fonction motrice du corps qui se régule d’elle-même.
2- La plupart du temps, nous aspirons l’air et l’exhalons aussi aisément qu’une plante se tourne vers la lumière du soleil. Ce processus naturel apparaît spontanément. Mais, dès qu’on y prête attention, une trop grande conscience de soi a tendance à en entraver le libre déroulement. Le simple fait d’y prêter attention semble impliquer un minimum de contrôle, même si on essaie de l’éviter. L’astuce consiste à apprendre comment rester pleinement conscient de la respiration sans que cela n’en contrarie le flux et reflux naturel.
Un des moyens d’y arriver consiste à attendre que la respiration se produise d’elle-même. Chaque inspiration et chaque expiration est suivie d’une pause de courte durée au cours de laquelle les muscles changent pour ainsi dire de vitesse, avant de relâcher l’air emprisonné ou d’aspirer de l’air frais.
3- Lorsqu’elle se fixe sur la respiration, la conscience de soi est le plus prononcée à ces deux moments : il semble soudain que « je » doive expirer ou inspirer. Pour dissiper le sentiment d’être l’agent de votre respiration, demeurez durant chaque temps d’arrêt un observateur neutre, curieux de remarquer quand et comment les muscles entrent spontanément en action pour initier l’inspiration ou l’expiration suivante. Contentez-vous d’attendre la phase suivante de la respiration pour vous y engager [C4] , sans prévoir le moment où elle devrait commencer, sans vous préparer à ce qu’elle soit profonde ou peu profonde, sans anticiper sa force ou sa douceur.
Dans cet espace ouvert d’attente vigilante mais détachée, on sentira soudain que l’organisme expire ou inspire de sa propre initiative. Avec la pratique, on apprendra à affiner son rôle d’observateur qui se mêle à sa respiration sans interférer pour autant.
4- En prêtant une attention vigilante et soutenue aux sensations rythmiques de la respiration, non seulement l’esprit devient plus tranquille et concentré, mais on devient aussi plus conscient de la subtilité et de la complexité du processus. Toute notion d’une respiration qui se réduirait à l’action quasi mécanique de poumons agissant comme des soufflets est remplacée par la sensation d’une respiration perçue comme le rythme fluctuant du corps, le lien vital qui l’unit au monde au-delà de la peau.
Ce rythme constant, rassurant de la respiration est l’ancre à laquelle on retourne chaque fois que l’esprit est emporté par les rêvasseries ou les souvenirs. Ses fluctuations - qui vont de longues inspirations paisibles à de brefs halètements irréguliers - servent de baromètre de l’humeur.
5- La respiration donne accès à une conscience intensifiée de la vie interne du corps, à ses pulsations, frémissements, affolements, démangeaisons, picotements, tensions, douleurs. En explorant cet amalgame de sensations, nous les reconnaissons comme l’étoffe dont sont tissés nos émotions et nos sentiments. Un spasme d’anxiété ou un accès d’euphorie apparaissent à un endroit précis du corps comme une contraction ou une dilatation. Des états d’esprit plus diffus tels que la tristesse ou le contentement semblent se répandre comme une brume à travers tout l’organisme. Tandis qu’une sensation tenaillante dans le plexus solaire provoque une inquiétude à laquelle on ne trouve pas de nom. Même les pensées les plus fugaces semblent filer et pétiller au cœur de notre chair.
6- Une fois installés dans une conscience paisible, ouverte, il nous reste à élargir lentement le champ de notre attention pour y inclure la texture des vêtements sur notre peau, la polyphonie des sons à l’intérieur et autour de nous, les taches changeantes de lumière, d’ombre et de couleur, les goûts persistants dans la bouche, les odeurs qui flottent sur notre chemin. De même que la flamme d’une bougie éclaire avec plus d’intensité une pièce lorsque son vacillement agité s’apaise, de même l’esprit éclaire avec plus d’intensité ce que nous expérimentons lorsqu’il s’installe dans un repos calme et équanime. La tranquillité de la conscience éveillée n’est pas celle d’une absorption comparable à la transe, dans laquelle l’attention reste fixée sur un objet unique, mais celle d’un apaisement qui se répand partout, dans lequel une clarté radieuse et chatoyante est au service de tout ce qui se présente.
Source: http://www.buddhaline.net/spip.php?article885
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