Amour et compassion
Lama Guendune Rinpoché
Cette interview de Rinpoché a été réalisée au Bost en avril 1991 par des membres du KTT de Paris.
- Rinpoché, quelle est la différence entre émanation, et réincarnation ?
- La différence est fondamentale. Dans émanation il y a sagesse, dans réincarnation il y a ignorance. Les êtres ordinaires sont dans l'ignorance; à travers elle, ils accomplissent des actes créant un poids karmique qui, arrivé à maturité, conduit à une renaissance particulière dans l'une des six formes d'existence, par contre, les êtres réalisés, les bodhisattvas libérés de cette ignorance et possédant la sagesse, ont le pouvoir d'agir à leur guise, sciemment, dans le but d'aider les autres. En essence, il n'y a pas de différence entre les êtres et les bouddhas, les uns et les autres ayant cette nature et cet éveil présents depuis le commencement.
La différence réside dans la conscience ou l'ignorance de cela. Les bouddhas, ayant réalisé cette conscience, peuvent développer toutes les qualités qui l'accompagnent. Les êtres ordinaires n'en sont pas conscients, cette vérité leur est voilée et ils subissent le contrecoup de leurs actions motivées par l'ignorance.
- On dit que son Eminence Djamgoeun Kongtrul Rinpoché était la réincarnation du premier Djamgoeun Kongtrul et que Kalou Rinpoché en était l'émanation. Entre ces deux termes, quelle est la différence ?
- "Emanation" et "réincarnation" sont des termes occidentaux. En langue tibétaine, on dit : trul pe ku signifiant "corps illusoire". Il ne faut pas limiter l'action des bodhisattvas à notre perception, celle-ci étant très limitée et ordinaire. En fait le terme trul pe ku, "forme illusoire", peut exprimer l'illusion des êtres qui ne comprennent pas le fondement de la réalité, mais aussi une projection miraculeuse ou une manifestation qui utilise cette irréalité, cette illusion.
Ainsi, lorsque l'on parle du corps d'émanation, il ne s'agit pas seulement pas d'une personne mais, parallèlement à cette personne reconnue par l'institution religieuse, de l'existence de centaines de millions de manifestations similaires qui, sans être forcément "officialisées", oeuvrent dans le même sens que cette manifestation officialisée. Ces corps d'émanation, ces formes illusoires se manifestant pour accomplir le bien des êtres, sont le résultat de souhaits antérieurs de grands maîtres, de bodhisattvas. Au cours d'innombrables vies, ils ont désiré pouvoir aider les êtres de toutes les manières possibles, réaliser tout ce que les êtres peuvent souhaiter, ce dont ils peuvent avoir besoin. Afin que spontanément tout cela arrive, une infinité de formes et d'actions altruistes se manifestent par la force des souhaits antérieurs.
C'est la conjonction du besoin des êtres, de leurs souhaits, et de ceux formulés par les bodhisattvas pour les aider.
- A travers cette question, nous voudrions exprimer le souhait de beaucoup de disciples de Rinpoché, ou de gens qui l'ont simplement rencontré. Ce souhait, c'est avoir quelques indications sur le chemin qu'a suivi Rinpoché qui possède deux transmissions Nyingmapa et Kagyupa.
- Mon lama... c'est Dordjé Tchang! Fondamentalement c'est ma voie. Qui est en fait Dordjé Tchang ? C'est le dharmakaya Kuntou Zangpo.
Il est vrai que j'ai reçu les transmissions de grands maîtres de traditions qui véhiculaient une bénédiction immaculée, sans la moindre faute, sans la moindre interruption. Que ce soit Kagyu, Nyingma, il n'y a pas de différence. II y eut de grands découvreurs de trésors spirituels cachés par Gourou Rinpoché (tradition Nyingmapa) qui étaient en fait des maîtres de la lignée Kagyupa, ces grands maîtres Kagyupa possédant aussi des transmissions Nyingmapa. Pour donner un exemple, on dit que Sa Sainteté Karmapa est l'émanation de Gourou Rinpoché (pour utiliser le terme que vous emploieriez pour désigner une manifestation illusoire). II y a donc une profonde interpénétration entre les deux lignées.
A différentes époques de ma vie, j'ai rencontré plusieurs maîtres, dont les trois lamas qui supervisaient l'éducation au monastère où je résidais, ainsi qu'un grand ermite qui vivait près de ce monastère et qui m'a donné beaucoup d'enseignements. Ensuite, j'ai rencontré le précédent Sitou Rinpoché, puis le précédent Djamgoeun Kontrul Rinpoché, que j'ai considérés tous deux comme mes maîtres. Enfin ce fut la rencontre avec Sa Sainteté Karmapa qui était leur maître à tous. Je me suis donc mis sous la bénédiction de Sa Sainteté, le considérant comme le maître même de mes maîtres précédents. Sa Sainteté m'a dit : "A partir de maintenant, tu es mon disciple, tu recevras beaucoup d'enseignements et d'instructions. Dans le futur, ce sera ta charge de les transmettre et d'être le détenteur de ma lignée".
J'ai tenté de refuser en disant : "Je n'en suis pas capable, je ne comprends rien, je suis comme un animal".
C'est presque contre ma volonté que Sa Sainteté m'a confié cette direction. Parmi les grands maîtres Nyingmapa les plus connus. Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché m'a donné de nombreux enseignements, et je me suis également appuyé sur Sa Sainteté Dudjom Rinpoché que j'ai pourtant rencontré beaucoup moins fréquemment.
- Au cours de ses pratiques, Rinpoché a-t-il rencontré beaucoup d'obstacles ?
- Comme je n'avais pas de grandes capacités, j'ai laissé les choses se faire naturellement et je n'ai jamais eu d'obstacles.
- Merci, cela enseigne l'humilité et donne beaucoup de confiance.
- Je donne l'enseignement, mais les disciples, par leur confiance, font eux-mêmes leur chemin d'ouverture. C'est à travers leur dévotion qu'ils verront leur progression. Leurs expériences et leur compréhension seront à la mesure de leur ouverture. C'est là leur travail.
- Pourquoi Rinpoché est-il resté trente ans dans une grotte à méditer ?
(En nous répondant, Rinpoché fait le geste très significatif de se recroqueviller sur lui-même, comme un petit moineau devant un aigle fondant sur lui!)
- J'avais très peur de la mort, et surtout de ce qui allait suivre la mort. Je croyais mon potentiel extrêmement négatif et pouvant m'entraîner à renaître dans les mondes inférieurs. Je cherchais un moyen de me libérer. Il ne faut pas croire que je suis insensible à la peur, au contraire; j'ai fait tout ce que je pouvais, et encore maintenant, pour me libérer des conditions qui pourraient faire chuter. Ce fut donc la motivation essentielle de ma pratique, la raison pour laquelle je suis resté si longtemps en retraite.
- A quel moment une personne peut-elle enseigner le dharma ?
- A partir du moment où la personne a accompli toutes les pratiques à faire et où elle a vu la nature de son esprit. Tant que l'on n'a pas réalisé cela, on ne peut enseigner la Voie.
- Dès le début de la pratique, on développe le souhait d'aider les êtres. A quel moment ce souhait devient-il actif ?
- En fait, cet esprit de l'Eveil et ce souhait altruiste pour tous les êtres est déjà présent. Il n'y a pas un moment où on ne l'a pas et un moment où on l'aurait. Par la méditation, il faut simplement s'ouvrir à cette réalité, arriver à voir que depuis les temps sans commencement notre nature primordiale est l'esprit de bouddha qui possède toutes les qualités d'éveil. Si l'on perçoit cela, il est possible aider les êtres, car les qualités inhérentes à cette réalisation opèrent spontanément. La base de l'ignorance est l'attachement à l'identité d'un ego personnel et existant. Dans l'état d'ignorance, nous restons motivés par le bienfait de cet ego. Quand on est concerné uniquement par "soi-même", il est très difficile de se tourner vers le bienfait d'autrui. En fait, cela ne nous intéresse pas. Nous ne pensons qu'à être bien et avoir tout ce qu'il y a de mieux. A partir du moment où nous réalisons la nature de notre esprit comme étant la nature de bouddha, l'ignorance fondamentale est dissipée, l'attachement à l'ego disparaît et, forcément, notre activité devient altruiste. Tant que noue sommes fondamentalement égoïstes, même si nous avons une intention altruiste, si l'on y regarde bien elle reste teintée d'un intérêt personnel ; c'est moi qui ai aidé les êtres, c'est moi qui ai fait tout cela pour les êtres.
Nous essayons, dans toutes les actions, d'en récupérer une petite partie pour nous-mêmes; l'esprit de profit est toujours là. A partir du moment où l'on s'est libéré de cet attachement égoïste, l'activité du corps, de la parole et de l'esprit est uniquement dévouée aux autres, il n'y a plus la moindre trace d'intérêt personnel.
- A quel niveau se situe l'expérience de la claire-lumière ?
- C'est seulement au cours des expériences de la première terre de bodhisattva que l'on commence à appréhender la claire-lumière fondamentale. Si nous prenons la division des quatre phases du mahamoudra (chaque phase ayant trois niveaux; petit, moyen et grand) c'est entre le moyen et le grand niveau de la première phase, tsé tchik, "en un seul point", que l'on commence à avoir les expériences de la claire-lumière. Mais il n'est pas intéressant de le comprendre intellectuellement. Ce sont des sujets d'expériences plus que de réflexion.
- Nous parlions de développer le souhait d'aider les êtres et d'atténuer l'attachement égoïste, mais ce dessaisissement de l'ego ne se fait-il pas de manière progressive ?
- Si. Par la force de la méditation, progressivement, nous arrivons à développer l'esprit de l'éveil et à lâcher cette saisie de l'ego. Nous réalisons totalement ces deux aspects grâce aux accomplissements de la méditation. Et cela ne se passe que si nous méditons. Si nous ne méditons pas, cela ne se fait pas tout seul, et nous continuons à chercher notre intérêt personnel.
- En Occident, nous avons peu de repères. En l'absence de maîtres et sans l'aide de cette connaissance transmise par les monastères et les textes, comment pouvons-nous reconnaître les différents niveaux auxquels nous sommes parvenus ? Comment pouvons-nous savoir exactement où nous en sommes ?
- Le niveau de la méditation, c'est cela (Rinpoché montre le sol) : on est assis sur le sol. Le fruit de la méditation est la réalisation obtenue par cette assise. Même les gens du monde peuvent le comprendre, le niveau fondamental de la méditation, c'est le sol.
- Rinpoché dirige depuis plusieurs années des retraites pour des gens qui ont développé le souhait de poursuivre et d'approfondir leur pratique. Comment perçoit-il cet effort ?
- Je pense qu'ils pourront atteindre l'état de bouddha, en se développant. Par la méditation, ils peuvent voir la nature de leur esprit, s'habituer à cette réalisation et progresser dans cette compréhension. Ainsi, petit à petit, ils arriveront à l'état de bouddha.
- Rinpoché pense-t-il que les gens qui ne font pas de retraites traditionnelles peuvent parvenir à l'éveil dans une vie ordinaire, mais cependant dirigée vers le dharma ?
- Peut-être que petit à petit, ils arriveront à accomplir leurs intérêts personnels. (rires) Si l'on veut progresser sur les dix terres, à travers les cinq chemins, il est bon au début d'avoir une connaissance intellectuelle des différents aspects de la pratique, mais à partir du moment où l'on a acquis ce bagage, il faut l'appliquer. La réalisation, les fruits de la méditation ne viennent que par la méditation et les réflexions ou les discussions sur le dharma sont inutiles. Ce qui fait progresser, c'est la méditation, uniquement. Le lama est essentiel dans cet aspect. Un lama qui est un parfait bouddha peut conduire le disciple à cet état de bouddha. S'il est un bodhisattva, il le conduira à un état de bodhisattva, S'il est un hippie, son disciple atteindra l'état de hippie ! (rires) Si l'on est professeur, le mieux que l'on puisse faire c'est d'aider notre élève à devenir professeur. On ne peut donner plus que ce que l'on a.
- Malgré tout, il y a des gens qui pratiquent dans la vie pas seulement en discutant, mais en méditant réellement...
- On peut pratiquer très bien dans la vie ordinaire. Il est important alors de développer cet aspect altruiste, cette tendance à souhaiter faire le bien des êtres en tout lieu et en toute occasion, à renoncer à toute action négative et à toute nuisance à l'encontre des êtres.
C'est en fait la pratique de l'amour. En développant à l'intérieur de soi la motivation de faire que tous soient heureux, qu'ils aient les causes et les conditions du bonheur, de la joie et de l'absence de souffrance, en le souhaitant profondément, cela devient une éthique de vie.
Nous essayons alors d'agir en toute occasion dans le sens du bienfait des autres, et l'activité de l'amour est mise en action. Cette pensée d'amour développée et devenue la base de notre être, de notre motivation intérieure, rejaillit à l'extérieur dans notre comportement et notre activité quotidienne. La pratique, dans ce sens, commence par soi-même. En prenant conscience de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas, nous nous efforçons, tant dans notre conduite extérieure que dans notre pratique, de rejeter tout ce qui est action négative et d'accomplir ce qui est positif pour les êtres. Quand cela devient un mode de vie fondamental, nous pouvons alors l'enseigner aux autres. Au travers de cette pratique de l'amour et de la compassion, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter le bonheur et les causes du bonheur, et devenant un exemple vivant de ce qui est à faire ou pas, nous montrons ce qui est juste et ce qu'il faut abandonner. C'est une affaire de chaque instant... Quand une émotion particulière s'élève, de l'animosité envers les autres ou un esprit de malveillance, il faut en être conscient et le transformer en un esprit altruiste qui souhaite non plus un bonheur égoïste, mais celui de tous. Alors la transformation se fait, d'instant en instant, et nous sommes capables d'aider les êtres. Notre activité, aussi bien au niveau de l'esprit qu'au niveau de la manifestation, devient celle d'un bodhisattva. L'esprit et l'action deviennent purs et, petit à petit, par cette pratique, nous obtenons aussi les réalisations de méditation qui sont inhérentes à ces qualités d'amour et de compassion. Un signe qui montre que quelqu'un a vraiment développé l'esprit de bodhisattva dans le courant de son être, c'est qu'il souhaite aux autres le bien qu'ordinairement nous aurions souhaité à nous-mêmes, et prend sur lui, pour en libérer les êtres, les difficultés qu'il voit chez autrui et que nous aurions souhaité éviter d'habitude. D'une façon ordinaire, nous sommes toujours préoccupés par notre intérêt personnel ; obtenir le meilleur pour nous-mêmes, éviter ou sortir le mieux d'une situation inconfortable, quitte à ce que cela retombe sur les autres, tromper les autres à notre profit. Un bodhisattva a totalement inversé ce mode de pensée. Il cherche à chaque fois comment il pourrait aider les êtres, quitte à prendre sur lui les difficultés, les pertes et les défaites, et à donner aux autres la victoire et le bonheur. Là, on reconnaît vraiment un bodhisattva, on le voit dans sa façon de penser et d'agir.
Si vous habitez une grande ville, vous avez beaucoup d'occasions de pratiquer ce que je viens d'enseigner, de développer l'esprit d'éveil et de nombreux amis vous aideront à le faire ; tous ceux qui vous agressent et vous ennuient sont autant d'amis sur cette voie, à condition d'avoir la patience, car sans patience, vous n'arriverez à rien. Ceux que l'on juge nos ennemis en temps ordinaire dynamisent notre pratique; ils sont en fait des amis spirituels qui enseignent comment développer cette patience, l'esprit d'Eveil. Ils sont très précieux. Dans toutes les grandes villes, nous pouvons souffrir, mais surtout être en contact avec la souffrance des autres. Face à elle, il faut se dire : tous ont été soit mon père, soit ma mère dans une de mes nombreuses existences précédentes et tous veulent le bonheur. Il faut trouver en soi les moyens de les aider, faire que nos pensées ne soient plus égoïstes et tournées vers nous-mêmes, mais au contraire tournées vers leur bienfait, que notre action soit en accord avec le dharma qui enseigne comment libérer les êtres de la souffrance et leur apporter le bonheur et ses causes. L'existence peut nous apporter des conditions de pratique idéales : sur le terrain face à la souffrance des gens, face à notre souffrance, face à l'agression que l'on peut rencontrer. Tout cela doit devenir support de pratique.
- Nous vous remercions Rinpoché de ces enseignements qui feront l'objet d'une réflexion et remettront de nombreuses choses à leur place.
- C'est une bonne chose de mettre cela dans un journal, mais j'espère que chacun le mettra dans sa pratique aussi. Si l'on fait une scission entre ce qui est dit dans le journal et ce que l'on prend pour soi-même, cela présage une pratique erronée! (rires.)
- Au contraire, c'est une très belle occasion de rassembler les choses, de travailler avec tout.
- Et ensuite, il faut le redonner aux êtres ! (rires) Cette vie est très courte. Depuis que je suis né, les choses vont en empirant physiquement. J'ai été très jeune, maintenant j'ai les cheveux blancs, je suis vieux, ma vie arrive presque à son terme; mais j'ai toujours été conscient de la brièveté de cette existence humaine, de son côté éphémère et dé l'importance d'utiliser au maximum la potentialité que contiennent les enseignements. On peut penser que l'on vit très longtemps, mais il y a peu de temps en fait pour faire ce qu'il y a à faire. Il est important d'oeuvrer dans le sens de la pratique, d'arrêter de penser de façon égoïste, car au moment de la mort, on se rendra compte de l'inutilité de toutes les activités mondaines. A cet instant, les seules choses utiles seront le bien accompli, ce que l'on aura appris, la manière dont on aura trouvé un refuge auprès d'un lama, des enseignements, des Trois Joyaux. Même si l'on s'en rend compte au moment de la mort, il ne sera plus temps de le pratiquer. Il faut profiter de cette existence humaine, de chaque instant, pour mettre le dharma à profit. Dans votre pays, on a la chance de rencontrer le dharma, de pouvoir l'étudier et le comprendre. A partir du moment où l'on a un très bon bagage intellectuel, il ne faut pas se borner à cela mais l'expérimenter en soi-même. C'est à cette condition qu'il deviendra utile, sinon cela restera une forme de curiosité intellectuelle, d'érudition qui n'apportera pas les fruits que font mûrir la pratique et la méditation. Il y a une citation qui dit : "Si l'on veut savoir quelles ont été nos actions dans les vies antérieures, regardons notre condition présente, Si l'on veut savoir les conditions de notre vie future, bonheur ou souffrance, observons nos actes maintenant. Ils présagent notre vie future".
http://www.dhagpo-kagyu.org/france/enseignements/chemin/nature_mind/amour-compass-guen.htm
Lama Guendune Rinpoché
Cette interview de Rinpoché a été réalisée au Bost en avril 1991 par des membres du KTT de Paris.
- Rinpoché, quelle est la différence entre émanation, et réincarnation ?
- La différence est fondamentale. Dans émanation il y a sagesse, dans réincarnation il y a ignorance. Les êtres ordinaires sont dans l'ignorance; à travers elle, ils accomplissent des actes créant un poids karmique qui, arrivé à maturité, conduit à une renaissance particulière dans l'une des six formes d'existence, par contre, les êtres réalisés, les bodhisattvas libérés de cette ignorance et possédant la sagesse, ont le pouvoir d'agir à leur guise, sciemment, dans le but d'aider les autres. En essence, il n'y a pas de différence entre les êtres et les bouddhas, les uns et les autres ayant cette nature et cet éveil présents depuis le commencement.
La différence réside dans la conscience ou l'ignorance de cela. Les bouddhas, ayant réalisé cette conscience, peuvent développer toutes les qualités qui l'accompagnent. Les êtres ordinaires n'en sont pas conscients, cette vérité leur est voilée et ils subissent le contrecoup de leurs actions motivées par l'ignorance.
- On dit que son Eminence Djamgoeun Kongtrul Rinpoché était la réincarnation du premier Djamgoeun Kongtrul et que Kalou Rinpoché en était l'émanation. Entre ces deux termes, quelle est la différence ?
- "Emanation" et "réincarnation" sont des termes occidentaux. En langue tibétaine, on dit : trul pe ku signifiant "corps illusoire". Il ne faut pas limiter l'action des bodhisattvas à notre perception, celle-ci étant très limitée et ordinaire. En fait le terme trul pe ku, "forme illusoire", peut exprimer l'illusion des êtres qui ne comprennent pas le fondement de la réalité, mais aussi une projection miraculeuse ou une manifestation qui utilise cette irréalité, cette illusion.
Ainsi, lorsque l'on parle du corps d'émanation, il ne s'agit pas seulement pas d'une personne mais, parallèlement à cette personne reconnue par l'institution religieuse, de l'existence de centaines de millions de manifestations similaires qui, sans être forcément "officialisées", oeuvrent dans le même sens que cette manifestation officialisée. Ces corps d'émanation, ces formes illusoires se manifestant pour accomplir le bien des êtres, sont le résultat de souhaits antérieurs de grands maîtres, de bodhisattvas. Au cours d'innombrables vies, ils ont désiré pouvoir aider les êtres de toutes les manières possibles, réaliser tout ce que les êtres peuvent souhaiter, ce dont ils peuvent avoir besoin. Afin que spontanément tout cela arrive, une infinité de formes et d'actions altruistes se manifestent par la force des souhaits antérieurs.
C'est la conjonction du besoin des êtres, de leurs souhaits, et de ceux formulés par les bodhisattvas pour les aider.
- A travers cette question, nous voudrions exprimer le souhait de beaucoup de disciples de Rinpoché, ou de gens qui l'ont simplement rencontré. Ce souhait, c'est avoir quelques indications sur le chemin qu'a suivi Rinpoché qui possède deux transmissions Nyingmapa et Kagyupa.
- Mon lama... c'est Dordjé Tchang! Fondamentalement c'est ma voie. Qui est en fait Dordjé Tchang ? C'est le dharmakaya Kuntou Zangpo.
Il est vrai que j'ai reçu les transmissions de grands maîtres de traditions qui véhiculaient une bénédiction immaculée, sans la moindre faute, sans la moindre interruption. Que ce soit Kagyu, Nyingma, il n'y a pas de différence. II y eut de grands découvreurs de trésors spirituels cachés par Gourou Rinpoché (tradition Nyingmapa) qui étaient en fait des maîtres de la lignée Kagyupa, ces grands maîtres Kagyupa possédant aussi des transmissions Nyingmapa. Pour donner un exemple, on dit que Sa Sainteté Karmapa est l'émanation de Gourou Rinpoché (pour utiliser le terme que vous emploieriez pour désigner une manifestation illusoire). II y a donc une profonde interpénétration entre les deux lignées.
A différentes époques de ma vie, j'ai rencontré plusieurs maîtres, dont les trois lamas qui supervisaient l'éducation au monastère où je résidais, ainsi qu'un grand ermite qui vivait près de ce monastère et qui m'a donné beaucoup d'enseignements. Ensuite, j'ai rencontré le précédent Sitou Rinpoché, puis le précédent Djamgoeun Kontrul Rinpoché, que j'ai considérés tous deux comme mes maîtres. Enfin ce fut la rencontre avec Sa Sainteté Karmapa qui était leur maître à tous. Je me suis donc mis sous la bénédiction de Sa Sainteté, le considérant comme le maître même de mes maîtres précédents. Sa Sainteté m'a dit : "A partir de maintenant, tu es mon disciple, tu recevras beaucoup d'enseignements et d'instructions. Dans le futur, ce sera ta charge de les transmettre et d'être le détenteur de ma lignée".
J'ai tenté de refuser en disant : "Je n'en suis pas capable, je ne comprends rien, je suis comme un animal".
C'est presque contre ma volonté que Sa Sainteté m'a confié cette direction. Parmi les grands maîtres Nyingmapa les plus connus. Sa Sainteté Dilgo Khyentsé Rinpoché m'a donné de nombreux enseignements, et je me suis également appuyé sur Sa Sainteté Dudjom Rinpoché que j'ai pourtant rencontré beaucoup moins fréquemment.
- Au cours de ses pratiques, Rinpoché a-t-il rencontré beaucoup d'obstacles ?
- Comme je n'avais pas de grandes capacités, j'ai laissé les choses se faire naturellement et je n'ai jamais eu d'obstacles.
- Merci, cela enseigne l'humilité et donne beaucoup de confiance.
- Je donne l'enseignement, mais les disciples, par leur confiance, font eux-mêmes leur chemin d'ouverture. C'est à travers leur dévotion qu'ils verront leur progression. Leurs expériences et leur compréhension seront à la mesure de leur ouverture. C'est là leur travail.
- Pourquoi Rinpoché est-il resté trente ans dans une grotte à méditer ?
(En nous répondant, Rinpoché fait le geste très significatif de se recroqueviller sur lui-même, comme un petit moineau devant un aigle fondant sur lui!)
- J'avais très peur de la mort, et surtout de ce qui allait suivre la mort. Je croyais mon potentiel extrêmement négatif et pouvant m'entraîner à renaître dans les mondes inférieurs. Je cherchais un moyen de me libérer. Il ne faut pas croire que je suis insensible à la peur, au contraire; j'ai fait tout ce que je pouvais, et encore maintenant, pour me libérer des conditions qui pourraient faire chuter. Ce fut donc la motivation essentielle de ma pratique, la raison pour laquelle je suis resté si longtemps en retraite.
- A quel moment une personne peut-elle enseigner le dharma ?
- A partir du moment où la personne a accompli toutes les pratiques à faire et où elle a vu la nature de son esprit. Tant que l'on n'a pas réalisé cela, on ne peut enseigner la Voie.
- Dès le début de la pratique, on développe le souhait d'aider les êtres. A quel moment ce souhait devient-il actif ?
- En fait, cet esprit de l'Eveil et ce souhait altruiste pour tous les êtres est déjà présent. Il n'y a pas un moment où on ne l'a pas et un moment où on l'aurait. Par la méditation, il faut simplement s'ouvrir à cette réalité, arriver à voir que depuis les temps sans commencement notre nature primordiale est l'esprit de bouddha qui possède toutes les qualités d'éveil. Si l'on perçoit cela, il est possible aider les êtres, car les qualités inhérentes à cette réalisation opèrent spontanément. La base de l'ignorance est l'attachement à l'identité d'un ego personnel et existant. Dans l'état d'ignorance, nous restons motivés par le bienfait de cet ego. Quand on est concerné uniquement par "soi-même", il est très difficile de se tourner vers le bienfait d'autrui. En fait, cela ne nous intéresse pas. Nous ne pensons qu'à être bien et avoir tout ce qu'il y a de mieux. A partir du moment où nous réalisons la nature de notre esprit comme étant la nature de bouddha, l'ignorance fondamentale est dissipée, l'attachement à l'ego disparaît et, forcément, notre activité devient altruiste. Tant que noue sommes fondamentalement égoïstes, même si nous avons une intention altruiste, si l'on y regarde bien elle reste teintée d'un intérêt personnel ; c'est moi qui ai aidé les êtres, c'est moi qui ai fait tout cela pour les êtres.
Nous essayons, dans toutes les actions, d'en récupérer une petite partie pour nous-mêmes; l'esprit de profit est toujours là. A partir du moment où l'on s'est libéré de cet attachement égoïste, l'activité du corps, de la parole et de l'esprit est uniquement dévouée aux autres, il n'y a plus la moindre trace d'intérêt personnel.
- A quel niveau se situe l'expérience de la claire-lumière ?
- C'est seulement au cours des expériences de la première terre de bodhisattva que l'on commence à appréhender la claire-lumière fondamentale. Si nous prenons la division des quatre phases du mahamoudra (chaque phase ayant trois niveaux; petit, moyen et grand) c'est entre le moyen et le grand niveau de la première phase, tsé tchik, "en un seul point", que l'on commence à avoir les expériences de la claire-lumière. Mais il n'est pas intéressant de le comprendre intellectuellement. Ce sont des sujets d'expériences plus que de réflexion.
- Nous parlions de développer le souhait d'aider les êtres et d'atténuer l'attachement égoïste, mais ce dessaisissement de l'ego ne se fait-il pas de manière progressive ?
- Si. Par la force de la méditation, progressivement, nous arrivons à développer l'esprit de l'éveil et à lâcher cette saisie de l'ego. Nous réalisons totalement ces deux aspects grâce aux accomplissements de la méditation. Et cela ne se passe que si nous méditons. Si nous ne méditons pas, cela ne se fait pas tout seul, et nous continuons à chercher notre intérêt personnel.
- En Occident, nous avons peu de repères. En l'absence de maîtres et sans l'aide de cette connaissance transmise par les monastères et les textes, comment pouvons-nous reconnaître les différents niveaux auxquels nous sommes parvenus ? Comment pouvons-nous savoir exactement où nous en sommes ?
- Le niveau de la méditation, c'est cela (Rinpoché montre le sol) : on est assis sur le sol. Le fruit de la méditation est la réalisation obtenue par cette assise. Même les gens du monde peuvent le comprendre, le niveau fondamental de la méditation, c'est le sol.
- Rinpoché dirige depuis plusieurs années des retraites pour des gens qui ont développé le souhait de poursuivre et d'approfondir leur pratique. Comment perçoit-il cet effort ?
- Je pense qu'ils pourront atteindre l'état de bouddha, en se développant. Par la méditation, ils peuvent voir la nature de leur esprit, s'habituer à cette réalisation et progresser dans cette compréhension. Ainsi, petit à petit, ils arriveront à l'état de bouddha.
- Rinpoché pense-t-il que les gens qui ne font pas de retraites traditionnelles peuvent parvenir à l'éveil dans une vie ordinaire, mais cependant dirigée vers le dharma ?
- Peut-être que petit à petit, ils arriveront à accomplir leurs intérêts personnels. (rires) Si l'on veut progresser sur les dix terres, à travers les cinq chemins, il est bon au début d'avoir une connaissance intellectuelle des différents aspects de la pratique, mais à partir du moment où l'on a acquis ce bagage, il faut l'appliquer. La réalisation, les fruits de la méditation ne viennent que par la méditation et les réflexions ou les discussions sur le dharma sont inutiles. Ce qui fait progresser, c'est la méditation, uniquement. Le lama est essentiel dans cet aspect. Un lama qui est un parfait bouddha peut conduire le disciple à cet état de bouddha. S'il est un bodhisattva, il le conduira à un état de bodhisattva, S'il est un hippie, son disciple atteindra l'état de hippie ! (rires) Si l'on est professeur, le mieux que l'on puisse faire c'est d'aider notre élève à devenir professeur. On ne peut donner plus que ce que l'on a.
- Malgré tout, il y a des gens qui pratiquent dans la vie pas seulement en discutant, mais en méditant réellement...
- On peut pratiquer très bien dans la vie ordinaire. Il est important alors de développer cet aspect altruiste, cette tendance à souhaiter faire le bien des êtres en tout lieu et en toute occasion, à renoncer à toute action négative et à toute nuisance à l'encontre des êtres.
C'est en fait la pratique de l'amour. En développant à l'intérieur de soi la motivation de faire que tous soient heureux, qu'ils aient les causes et les conditions du bonheur, de la joie et de l'absence de souffrance, en le souhaitant profondément, cela devient une éthique de vie.
Nous essayons alors d'agir en toute occasion dans le sens du bienfait des autres, et l'activité de l'amour est mise en action. Cette pensée d'amour développée et devenue la base de notre être, de notre motivation intérieure, rejaillit à l'extérieur dans notre comportement et notre activité quotidienne. La pratique, dans ce sens, commence par soi-même. En prenant conscience de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas, nous nous efforçons, tant dans notre conduite extérieure que dans notre pratique, de rejeter tout ce qui est action négative et d'accomplir ce qui est positif pour les êtres. Quand cela devient un mode de vie fondamental, nous pouvons alors l'enseigner aux autres. Au travers de cette pratique de l'amour et de la compassion, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter le bonheur et les causes du bonheur, et devenant un exemple vivant de ce qui est à faire ou pas, nous montrons ce qui est juste et ce qu'il faut abandonner. C'est une affaire de chaque instant... Quand une émotion particulière s'élève, de l'animosité envers les autres ou un esprit de malveillance, il faut en être conscient et le transformer en un esprit altruiste qui souhaite non plus un bonheur égoïste, mais celui de tous. Alors la transformation se fait, d'instant en instant, et nous sommes capables d'aider les êtres. Notre activité, aussi bien au niveau de l'esprit qu'au niveau de la manifestation, devient celle d'un bodhisattva. L'esprit et l'action deviennent purs et, petit à petit, par cette pratique, nous obtenons aussi les réalisations de méditation qui sont inhérentes à ces qualités d'amour et de compassion. Un signe qui montre que quelqu'un a vraiment développé l'esprit de bodhisattva dans le courant de son être, c'est qu'il souhaite aux autres le bien qu'ordinairement nous aurions souhaité à nous-mêmes, et prend sur lui, pour en libérer les êtres, les difficultés qu'il voit chez autrui et que nous aurions souhaité éviter d'habitude. D'une façon ordinaire, nous sommes toujours préoccupés par notre intérêt personnel ; obtenir le meilleur pour nous-mêmes, éviter ou sortir le mieux d'une situation inconfortable, quitte à ce que cela retombe sur les autres, tromper les autres à notre profit. Un bodhisattva a totalement inversé ce mode de pensée. Il cherche à chaque fois comment il pourrait aider les êtres, quitte à prendre sur lui les difficultés, les pertes et les défaites, et à donner aux autres la victoire et le bonheur. Là, on reconnaît vraiment un bodhisattva, on le voit dans sa façon de penser et d'agir.
Si vous habitez une grande ville, vous avez beaucoup d'occasions de pratiquer ce que je viens d'enseigner, de développer l'esprit d'éveil et de nombreux amis vous aideront à le faire ; tous ceux qui vous agressent et vous ennuient sont autant d'amis sur cette voie, à condition d'avoir la patience, car sans patience, vous n'arriverez à rien. Ceux que l'on juge nos ennemis en temps ordinaire dynamisent notre pratique; ils sont en fait des amis spirituels qui enseignent comment développer cette patience, l'esprit d'Eveil. Ils sont très précieux. Dans toutes les grandes villes, nous pouvons souffrir, mais surtout être en contact avec la souffrance des autres. Face à elle, il faut se dire : tous ont été soit mon père, soit ma mère dans une de mes nombreuses existences précédentes et tous veulent le bonheur. Il faut trouver en soi les moyens de les aider, faire que nos pensées ne soient plus égoïstes et tournées vers nous-mêmes, mais au contraire tournées vers leur bienfait, que notre action soit en accord avec le dharma qui enseigne comment libérer les êtres de la souffrance et leur apporter le bonheur et ses causes. L'existence peut nous apporter des conditions de pratique idéales : sur le terrain face à la souffrance des gens, face à notre souffrance, face à l'agression que l'on peut rencontrer. Tout cela doit devenir support de pratique.
- Nous vous remercions Rinpoché de ces enseignements qui feront l'objet d'une réflexion et remettront de nombreuses choses à leur place.
- C'est une bonne chose de mettre cela dans un journal, mais j'espère que chacun le mettra dans sa pratique aussi. Si l'on fait une scission entre ce qui est dit dans le journal et ce que l'on prend pour soi-même, cela présage une pratique erronée! (rires.)
- Au contraire, c'est une très belle occasion de rassembler les choses, de travailler avec tout.
- Et ensuite, il faut le redonner aux êtres ! (rires) Cette vie est très courte. Depuis que je suis né, les choses vont en empirant physiquement. J'ai été très jeune, maintenant j'ai les cheveux blancs, je suis vieux, ma vie arrive presque à son terme; mais j'ai toujours été conscient de la brièveté de cette existence humaine, de son côté éphémère et dé l'importance d'utiliser au maximum la potentialité que contiennent les enseignements. On peut penser que l'on vit très longtemps, mais il y a peu de temps en fait pour faire ce qu'il y a à faire. Il est important d'oeuvrer dans le sens de la pratique, d'arrêter de penser de façon égoïste, car au moment de la mort, on se rendra compte de l'inutilité de toutes les activités mondaines. A cet instant, les seules choses utiles seront le bien accompli, ce que l'on aura appris, la manière dont on aura trouvé un refuge auprès d'un lama, des enseignements, des Trois Joyaux. Même si l'on s'en rend compte au moment de la mort, il ne sera plus temps de le pratiquer. Il faut profiter de cette existence humaine, de chaque instant, pour mettre le dharma à profit. Dans votre pays, on a la chance de rencontrer le dharma, de pouvoir l'étudier et le comprendre. A partir du moment où l'on a un très bon bagage intellectuel, il ne faut pas se borner à cela mais l'expérimenter en soi-même. C'est à cette condition qu'il deviendra utile, sinon cela restera une forme de curiosité intellectuelle, d'érudition qui n'apportera pas les fruits que font mûrir la pratique et la méditation. Il y a une citation qui dit : "Si l'on veut savoir quelles ont été nos actions dans les vies antérieures, regardons notre condition présente, Si l'on veut savoir les conditions de notre vie future, bonheur ou souffrance, observons nos actes maintenant. Ils présagent notre vie future".
http://www.dhagpo-kagyu.org/france/enseignements/chemin/nature_mind/amour-compass-guen.htm
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