Le zen comme religion et liberté
P. Murat
Les Latins n'avaient pas de mot pour désigner ce que nous nommons "religion" mais une expression, "dei et sacra", qui juxtaposait les dieux (avec leurs histoires qui forment la mythologie) et les rites, cent à lire les pratiques cultuelles, prières et sacrifices. Sans doute conviendrait il pour définir le Zen d'employer une expression du type "auctores et sacrai" : les Maîtres et les formes de pratique.
"Auctores", ce sont ceux qui font autorité parce qu'ils nous augmentent du patrimoine qui leur a été légué et qu'ils nous délivrent Autorité, Martre, transmission, autant de mots qui ont mauvaise presse en une époque qui, croyant devoir narre de la dernière pluie, cultivant ses plantes "hors sol" et vivant en apesanteur historique, jette aux oubliettes, au nom de l'actuel et de son indépendance, ces corps médiateurs qui assurent le lien avec le passé et forment tradition cohérente : l'état, l'école, l'église... La diffusion horizontale des signes de la communication évacue les idées de filiation et de gratitude propres au monde de la transmission qui se vit, lui, sur le mode vertical. Or le Zen n'existe que transmis. "Maître de la transmission" y est un pléonasme. Il est affaire de lignée qui remonte sans solution de continuité, par delà le japon et la Chine jusqu'au Bouddha, premier à léguer à qui était digne de transmettre à son tour.
Transmission de l'esprit et non sclérose de la lettre. De Maître en Maître, le Zen vit ainsi, intact et neuf, ou renouvelé à chaque fois. Fidèle à sa mission de perpétuation et faisant Couvre de vie, le Maître joue avec les circonstances, innove, adapte pour maintenir et ancrer: La transmission est reconnaissance d'égalité, d'une égale liberté atteinte par le Maître et le disciple, l'élève, à qui il a permis de s'élever.
Dans l'instant d'un sourire ou l'espace d'un rite, ce n'est plus la communication médiatique mais la communion immédiate qui s'opère. Reconnaissance réciproque d'une éducation accomplie et qui s'accomplit par la tâche à assumer d'éduquer à son touret de transmettre.
Toujours le même et toujours différent. Comme le sont les rites, pourvu qu'on s'y implique exactement Car il s'agit de bouddhisme, c’est à dire de religion. L'individualisme contemporain avec son "matérialisme spirituel" qui aime en ce domaine le bricolage et le libre service, grappillant de façon post moderne ou "new age'' dans les différentes traditions selon ses besoins, tend à réduire le zen à une technique qui rend performant, "cool" et "zen". Un zazen, s'il irradie dans toute activité et d'abord au sein d'une communauté où les activités sont disciplinées pour être libératrices et obéissent à une règle, permet de comprendre justement que toute activité, dans le temple au fil de la vie qui s'y déroule, instant après instant, dans les gestes et conduites qu'on y apprend est une forme de zazen, c’est à dire de libération.
Cérémonies, modes de méditation, façons de prendre le repas, autant d'actes, de gestes et de paroles formalisées, apparemment astreignants et répétitifs, autant d'activités réglées et régulières où l'on redoute le machinal et le routinier. Pourtant, intériorisée, la discipline émancipe, tout comme le Maître libère, exactement comme la rigueur initie à la délicatesse.
Dans le rituel se découvre et oeuvre une libre énergie, dans ces "symboles opératoires" (comme R. Abellio définissait les rites), le vide se fait forme, le sens acte, le corps vu avec l'esprit.
Tout y casse ces habitudes qu'on prenait pour son identité et dans lesquelles on s'enfermait. Le Zen est encore par là éducation. A l'espace libre du dedans, harmonisation enfin avec soi, avec les autres, mise au diapason du monde, jeu avec son mouvement
Car c'est dans la vie en commun discipline du temple, échanges avec le Maître que se réalise cette liberté qui est acceptation joyeuse de l'interdépendance universelle, une conscience dont notre époque, éprise et épuisée d indépendance illusoire, a tant besoin.
Donner recevoir, c’est la transmission: "Tout ce quia été reçu a été à nouveau donné". Participer de l'échange universel, les pratiques réglées par le rite, cérémonies, zazen, repas formels, le donnent à éprouver. Telle est la substance de la religion, telles les retrouvailles avec le lien: la re ligio.
Et ce n'est pas un hasard si, traditionnellement, l'office de cuisinier est considéré comme une tâche essentielle, dévolue à qui y éprouvera sa maturité, y intensifiera sa conscience en acte. A la cuisine, il s'agit de tout tenir ensemble, ses déplacements, les impératifs horaires, les ustensiles à ranger à leur place, les mets à préparer: anticiper, surveiller, agir en même
temps, c'est à dire veiller, être vivant à plein temps. Plus le temps de penser, de ratiociner, de s'alarmer ou de fantasmer, seulement être là faisant que les choses se fassent à point nommé, au sein des enchaînements qui mènent de la terre et des producteurs à cette table de travail puis aux bols et à la méditation, conscience en acte que tout se tient et que tout fient aussi à son activité en train de se faire. De se faire purement et gratuitement Comme une offrande simple, comme traversée par une énergie qui n'est pas la sienne propre. Une conscience vécue, inconsciente d'elle même, simplement opérative, faite de l'énergie de la situation.
Source: http://larbredeleveil.org/lectures.htm
P. Murat
Les Latins n'avaient pas de mot pour désigner ce que nous nommons "religion" mais une expression, "dei et sacra", qui juxtaposait les dieux (avec leurs histoires qui forment la mythologie) et les rites, cent à lire les pratiques cultuelles, prières et sacrifices. Sans doute conviendrait il pour définir le Zen d'employer une expression du type "auctores et sacrai" : les Maîtres et les formes de pratique.
"Auctores", ce sont ceux qui font autorité parce qu'ils nous augmentent du patrimoine qui leur a été légué et qu'ils nous délivrent Autorité, Martre, transmission, autant de mots qui ont mauvaise presse en une époque qui, croyant devoir narre de la dernière pluie, cultivant ses plantes "hors sol" et vivant en apesanteur historique, jette aux oubliettes, au nom de l'actuel et de son indépendance, ces corps médiateurs qui assurent le lien avec le passé et forment tradition cohérente : l'état, l'école, l'église... La diffusion horizontale des signes de la communication évacue les idées de filiation et de gratitude propres au monde de la transmission qui se vit, lui, sur le mode vertical. Or le Zen n'existe que transmis. "Maître de la transmission" y est un pléonasme. Il est affaire de lignée qui remonte sans solution de continuité, par delà le japon et la Chine jusqu'au Bouddha, premier à léguer à qui était digne de transmettre à son tour.
Transmission de l'esprit et non sclérose de la lettre. De Maître en Maître, le Zen vit ainsi, intact et neuf, ou renouvelé à chaque fois. Fidèle à sa mission de perpétuation et faisant Couvre de vie, le Maître joue avec les circonstances, innove, adapte pour maintenir et ancrer: La transmission est reconnaissance d'égalité, d'une égale liberté atteinte par le Maître et le disciple, l'élève, à qui il a permis de s'élever.
Dans l'instant d'un sourire ou l'espace d'un rite, ce n'est plus la communication médiatique mais la communion immédiate qui s'opère. Reconnaissance réciproque d'une éducation accomplie et qui s'accomplit par la tâche à assumer d'éduquer à son touret de transmettre.
Toujours le même et toujours différent. Comme le sont les rites, pourvu qu'on s'y implique exactement Car il s'agit de bouddhisme, c’est à dire de religion. L'individualisme contemporain avec son "matérialisme spirituel" qui aime en ce domaine le bricolage et le libre service, grappillant de façon post moderne ou "new age'' dans les différentes traditions selon ses besoins, tend à réduire le zen à une technique qui rend performant, "cool" et "zen". Un zazen, s'il irradie dans toute activité et d'abord au sein d'une communauté où les activités sont disciplinées pour être libératrices et obéissent à une règle, permet de comprendre justement que toute activité, dans le temple au fil de la vie qui s'y déroule, instant après instant, dans les gestes et conduites qu'on y apprend est une forme de zazen, c’est à dire de libération.
Cérémonies, modes de méditation, façons de prendre le repas, autant d'actes, de gestes et de paroles formalisées, apparemment astreignants et répétitifs, autant d'activités réglées et régulières où l'on redoute le machinal et le routinier. Pourtant, intériorisée, la discipline émancipe, tout comme le Maître libère, exactement comme la rigueur initie à la délicatesse.
Dans le rituel se découvre et oeuvre une libre énergie, dans ces "symboles opératoires" (comme R. Abellio définissait les rites), le vide se fait forme, le sens acte, le corps vu avec l'esprit.
Tout y casse ces habitudes qu'on prenait pour son identité et dans lesquelles on s'enfermait. Le Zen est encore par là éducation. A l'espace libre du dedans, harmonisation enfin avec soi, avec les autres, mise au diapason du monde, jeu avec son mouvement
Car c'est dans la vie en commun discipline du temple, échanges avec le Maître que se réalise cette liberté qui est acceptation joyeuse de l'interdépendance universelle, une conscience dont notre époque, éprise et épuisée d indépendance illusoire, a tant besoin.
Donner recevoir, c’est la transmission: "Tout ce quia été reçu a été à nouveau donné". Participer de l'échange universel, les pratiques réglées par le rite, cérémonies, zazen, repas formels, le donnent à éprouver. Telle est la substance de la religion, telles les retrouvailles avec le lien: la re ligio.
Et ce n'est pas un hasard si, traditionnellement, l'office de cuisinier est considéré comme une tâche essentielle, dévolue à qui y éprouvera sa maturité, y intensifiera sa conscience en acte. A la cuisine, il s'agit de tout tenir ensemble, ses déplacements, les impératifs horaires, les ustensiles à ranger à leur place, les mets à préparer: anticiper, surveiller, agir en même
temps, c'est à dire veiller, être vivant à plein temps. Plus le temps de penser, de ratiociner, de s'alarmer ou de fantasmer, seulement être là faisant que les choses se fassent à point nommé, au sein des enchaînements qui mènent de la terre et des producteurs à cette table de travail puis aux bols et à la méditation, conscience en acte que tout se tient et que tout fient aussi à son activité en train de se faire. De se faire purement et gratuitement Comme une offrande simple, comme traversée par une énergie qui n'est pas la sienne propre. Une conscience vécue, inconsciente d'elle même, simplement opérative, faite de l'énergie de la situation.
Source: http://larbredeleveil.org/lectures.htm
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