Bernie Glassman, moine zen : sa compassion est dans la rue
Les sans-ego descendent dans la rue de New-York mais aussi des garndes villes du monde pour aider les sans-abri, les sans espoir. De cette rencontre est né une formidable aventure où le bouddhisme social exprime sa véritable dimension.
Par Jean-Pierre Chambraud
Tout le monde l’appelle Bernie. Une familiarité qui passe bien auprès de ses amis de toujours, ces « renonçants » malgré eux, ces rejetés de la société, qui ne possèdent rien et qui dor-ment sous un carton, dans les rues de New-York.
Bernard Glassman, 60 ans, juif américain d’origine polonaise, a été dans sa jeu-nesse ingénieur chez McDonnell-Douglas. A l’âge de trente ans, il devient moine bouddhiste, et, depuis plus d’une vingtaine d’année, il enseigne le Zen qu’il a étudié auprès de grands maîtres japonais. Au milieu des années 80, il s ‘engage dans diverses actions sociales dans l’État de New—York : relogement de familles déshéritées, accompagnement des malades du sida, création d’une boulan-gerie destinée à fournir du travail aux SDF, etc.
Au contact de la détresse humaine, sa compassion le pousse, non pas à réagir, mais plutôt à agir.
Vivre pour les autres
A sa manière, Bernie Glassman est un peu une sorte d’Abbé Pierre du Zen. En janvier 1994, alors qu’il dirige une « retraite de rue » à Washington, Glassman déci-de de fonder un ordre de pratiquants du Zen consacré à la paix : l’Ordre Zen du Peacemaker (artisans de paix) où il défend l’idée d’un « bouddhisme engagé », dans lequel la conscience issue de la pratique de la méditation s’investit dans des actions quotidiennes au service des autres et de la justice. Ces bouddhistes d’un type nouveau prononcent des voeux spécifiques qui les engagent à porter témoignage des joies et des souffrances du monde. Dans cet esprit, ils organisent aux États-Unis, en Allemagne (et l’an prochain en France) des retraites dans la rue, visant à faire eux-mêmes l’expérience de la plus extrême précarité, à rencontrer ceux qui la vivent tous les jours, à les aider spirituellement et matériellement. « Dans l’Ordre des Peacemakers, explique Bernie, notre pratique est de lâcher prise. Nous lâchons non pas les choses que nous connaissons mais notre attachement à celle-ci. La distinction est importante. Dans la mesure où nous souhaitons faire la paix dans tous les domaines de la vie, nous avons besoin d’utiliser tous les outils à notre disposition, la moindre parcelle de savoir et la moindre avancée technologique. Ce que nous voulons est le sac de Hotei. Hotei est un personnage bouddhiste zen qui est représenté dans une série célèbre de dessins ayant pour sujet la route vers l’illumination. La quête est longue et ardue. Le dessin final montre Hotei de retour sur la place publique portant un sac sur son épaule. Il est prêt à travailler avec tout le monde et avec tout ce qui surgit. Son sac contient tout ce dont il pourrait avoir besoin : s’il rencontre un mendiant, il met la main dans son sac et en extrait des pièces de monnaie, s’il trouve un enfant malade allongé sur la route, il plonge la main dans son sac et en sort un bandage, s’il croise un jardin rempli de mauvaises herbes, il en extrait un râteau et une binette. Nous autres Peacemakers, nous voulons aussi nous munir d’un sac de Hotei dans tous nos déplacements, et nous souhaitons, qu’il contienne tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Ainsi, si nous croisons une personne ayant le sida, nous lui donnerons des médicaments, si nous rencontrons une famille sans endroit où aller, nous lui trouverons un logement. Nous demandons à avoir autant de connaissances et de ressources possibles, mais à moins d’appréhender une situation à partir d’un état où nous abandonnons nos idées préconçues, nous ne saurons pas ce qu’il faut aller quérir. Si nous rencontrons un héroïnomane, nous pourrions l’emmener dans un centre de désintoxication ou lui donner des seringues afin de lui éviter une infection par HIV. Si nous apercevons sur Times Square une prostituée raccolant par un soir de neige, nous pourrons lui dire de s ’ arrêter, lui offrir une tasse de café pour la réchauffer ou lui donner un préservatif afin quelle continue à se protéger. Le sac d’ Hotei contient toutes ces choses. Ce que nous allons puiser dans le sac va dépendre de nos préjugés et de nos jugements, et par conséquent moins nous avons d’idées sur ce qui est juste ou injuste, sur ce qui est bien ou mal, plus nos réponses seront naturelles et spontanées. »
Pour les vivants et les morts
La personnalité de Bernard Glassman a eu un impact important dans le bouddhisme américain et dans la société new-yorkaise, et il est connu pour avoir opéré des « conversions » spectaculaires (un vétéran du Vietnam, un dealer important, etc.). Il est aussi engagé dans le dialogue interreligieux avec des rabbins et des chrétiens. Enfin et surtout, depuis cinq ans, il organise des retraites inter-confessionnelles à Auschwitz, avec méditation en silence dans le camp, récitation des noms des victimes pendant plusieurs jours, prières juives et témoignages. Ces sessions, qui ont lieu tous les ans au mois de novembre sur ce site, sont parmi les actes de mémoire les plus intenses et les plus troublants. Mais Bernie Glassman souhaite étende son action à tous les lieux de conflits historiques, de massacres et de génocides. C’est notamment aux Etats Unis où les Indiens furent massacrés par les colons européens, en Chine avec le massacre de Nankin, en Irlande du Nord et ses attentats meurtriers. La sélection peut sembler arbitraire à certains, mais les actions se multiplient un peu partout dans le monde, élargissant du même coup la liste des lieux tristement célèbres. Bernie est un personnage atypique et ses actions de mémoire ne s’arrêtent pas aux grandes dates de l’histoire. Il envisage également de réhabiliter, dans le devoir de mémoire, les guérisseuses qui, dans les siècles passés, étaient considérées comme des sorcières, traquée, dénoncées, torturées et brûlées vives par les inquisiteurs de l’Eglise catholique romaine. Ce feu destructeur et « purificateur » ne laisse pas insensible Bernie Glassman qui voit là une analogie certaine avec l’holocauste des camps nazis.
Selon les enseignements du Bouddha, tant que la roue du samsara tournera, la souffrance affectera tous les êtres sensibles (visibles et invisibles) des différents mondes. Aider les êtres qui souffrent serait donc une tâche sans fin. . . Un peu démoralisant ? « Vous savez, dit Bernie Glassman, le bodhisattva considère que ce travail est sans fin et incompréhensible. Quand je regarde ce qu’il faudrait faire, c’est incroyable et c’est accablant... Mais, si je considère mon propre corps et l’activité qui s’y déroule en permanence, combien de cellules tombent malades et ce que doit faire ce corps pour se soigner, les microbes, les toxines dans la nourriture, les toxines dans l’air que l’on respire, c’est tout aussi accablant. Mais je ne me sens pas attristé pour autant. C’est la vie. »
Paradoxe de l’évolution technologique, et d’une vision sociale essentiellement orientée sur l’acquisition des biens matériels, nos sociétés modernes fabriquent de plus en plus d’indigents baignés dans des univers de violence physique et morale. Avec l’aide des milliers de bénévoles, répartis dans le monde entier, le fondateur de l’Ordre de Pacemakers entend bien mener une véritable croisade auprès des plus démunis et de reconstituer avec eux le lien affectif, moral et spirituel qui leur manque pour retrouver leur place au sein de la société.
« S’ouvrir à l’inconnu, abandonner ainsi toute opinion figée de nous-même et du monde. Porter témoignage de la joie et de la souffrance du monde. Nous guérir nous-même et guérir autrui. » Tels sont les trois principes prônés par Bernie Glassman (1) et qui constituent le fondement du travail de la communauté de l’Ordre des Peacemakers. La recette a, semble-t-il, du succès puisqu’en France des antennes se sont constituées pour tendre la main à ceux qui en ont besoin.
(1) Bernie Glassman vient de publier " l’ Art de la paix, un maître zen engagé dans le monde d’aujourd’hui ", paru chez Albin-Michel
Article mis en ligne avec l’autorisation grâcieuse de Jean-Pierre Chambraud, de Bouddhisme Actualités.
Voir aussi :
Notes de lecture du livre de Bernie Glassman : Le message de Bernie Glassman, maître zen : porter témoignage de l’intégralité de la vie.
Zen et action sociale : l’ordre des peacemakers, compte-rendu de la journée du 21 octobre
Communauté des Peacemakers
Michel Dubois
22 avenue Pasteur
93100 Montreuil
Tél/fax . 0149889165
site internet : www.peacemakercommunity.com
Novembre 2000
Jean-Pierre Chambraud
Bouddhisme Actualités
270 avenue Pessicart Bt C
06100 Nice France
Tél & Fax : (33) 04 93 84 42 08
http://www.bouddhisme.fr.fm/
http://www.buddhaline.net/Bernie-Glassman-moine-zen-sa
Les sans-ego descendent dans la rue de New-York mais aussi des garndes villes du monde pour aider les sans-abri, les sans espoir. De cette rencontre est né une formidable aventure où le bouddhisme social exprime sa véritable dimension.
Par Jean-Pierre Chambraud
Tout le monde l’appelle Bernie. Une familiarité qui passe bien auprès de ses amis de toujours, ces « renonçants » malgré eux, ces rejetés de la société, qui ne possèdent rien et qui dor-ment sous un carton, dans les rues de New-York.
Bernard Glassman, 60 ans, juif américain d’origine polonaise, a été dans sa jeu-nesse ingénieur chez McDonnell-Douglas. A l’âge de trente ans, il devient moine bouddhiste, et, depuis plus d’une vingtaine d’année, il enseigne le Zen qu’il a étudié auprès de grands maîtres japonais. Au milieu des années 80, il s ‘engage dans diverses actions sociales dans l’État de New—York : relogement de familles déshéritées, accompagnement des malades du sida, création d’une boulan-gerie destinée à fournir du travail aux SDF, etc.
Au contact de la détresse humaine, sa compassion le pousse, non pas à réagir, mais plutôt à agir.
Vivre pour les autres
A sa manière, Bernie Glassman est un peu une sorte d’Abbé Pierre du Zen. En janvier 1994, alors qu’il dirige une « retraite de rue » à Washington, Glassman déci-de de fonder un ordre de pratiquants du Zen consacré à la paix : l’Ordre Zen du Peacemaker (artisans de paix) où il défend l’idée d’un « bouddhisme engagé », dans lequel la conscience issue de la pratique de la méditation s’investit dans des actions quotidiennes au service des autres et de la justice. Ces bouddhistes d’un type nouveau prononcent des voeux spécifiques qui les engagent à porter témoignage des joies et des souffrances du monde. Dans cet esprit, ils organisent aux États-Unis, en Allemagne (et l’an prochain en France) des retraites dans la rue, visant à faire eux-mêmes l’expérience de la plus extrême précarité, à rencontrer ceux qui la vivent tous les jours, à les aider spirituellement et matériellement. « Dans l’Ordre des Peacemakers, explique Bernie, notre pratique est de lâcher prise. Nous lâchons non pas les choses que nous connaissons mais notre attachement à celle-ci. La distinction est importante. Dans la mesure où nous souhaitons faire la paix dans tous les domaines de la vie, nous avons besoin d’utiliser tous les outils à notre disposition, la moindre parcelle de savoir et la moindre avancée technologique. Ce que nous voulons est le sac de Hotei. Hotei est un personnage bouddhiste zen qui est représenté dans une série célèbre de dessins ayant pour sujet la route vers l’illumination. La quête est longue et ardue. Le dessin final montre Hotei de retour sur la place publique portant un sac sur son épaule. Il est prêt à travailler avec tout le monde et avec tout ce qui surgit. Son sac contient tout ce dont il pourrait avoir besoin : s’il rencontre un mendiant, il met la main dans son sac et en extrait des pièces de monnaie, s’il trouve un enfant malade allongé sur la route, il plonge la main dans son sac et en sort un bandage, s’il croise un jardin rempli de mauvaises herbes, il en extrait un râteau et une binette. Nous autres Peacemakers, nous voulons aussi nous munir d’un sac de Hotei dans tous nos déplacements, et nous souhaitons, qu’il contienne tout ce dont nous pourrions avoir besoin. Ainsi, si nous croisons une personne ayant le sida, nous lui donnerons des médicaments, si nous rencontrons une famille sans endroit où aller, nous lui trouverons un logement. Nous demandons à avoir autant de connaissances et de ressources possibles, mais à moins d’appréhender une situation à partir d’un état où nous abandonnons nos idées préconçues, nous ne saurons pas ce qu’il faut aller quérir. Si nous rencontrons un héroïnomane, nous pourrions l’emmener dans un centre de désintoxication ou lui donner des seringues afin de lui éviter une infection par HIV. Si nous apercevons sur Times Square une prostituée raccolant par un soir de neige, nous pourrons lui dire de s ’ arrêter, lui offrir une tasse de café pour la réchauffer ou lui donner un préservatif afin quelle continue à se protéger. Le sac d’ Hotei contient toutes ces choses. Ce que nous allons puiser dans le sac va dépendre de nos préjugés et de nos jugements, et par conséquent moins nous avons d’idées sur ce qui est juste ou injuste, sur ce qui est bien ou mal, plus nos réponses seront naturelles et spontanées. »
Pour les vivants et les morts
La personnalité de Bernard Glassman a eu un impact important dans le bouddhisme américain et dans la société new-yorkaise, et il est connu pour avoir opéré des « conversions » spectaculaires (un vétéran du Vietnam, un dealer important, etc.). Il est aussi engagé dans le dialogue interreligieux avec des rabbins et des chrétiens. Enfin et surtout, depuis cinq ans, il organise des retraites inter-confessionnelles à Auschwitz, avec méditation en silence dans le camp, récitation des noms des victimes pendant plusieurs jours, prières juives et témoignages. Ces sessions, qui ont lieu tous les ans au mois de novembre sur ce site, sont parmi les actes de mémoire les plus intenses et les plus troublants. Mais Bernie Glassman souhaite étende son action à tous les lieux de conflits historiques, de massacres et de génocides. C’est notamment aux Etats Unis où les Indiens furent massacrés par les colons européens, en Chine avec le massacre de Nankin, en Irlande du Nord et ses attentats meurtriers. La sélection peut sembler arbitraire à certains, mais les actions se multiplient un peu partout dans le monde, élargissant du même coup la liste des lieux tristement célèbres. Bernie est un personnage atypique et ses actions de mémoire ne s’arrêtent pas aux grandes dates de l’histoire. Il envisage également de réhabiliter, dans le devoir de mémoire, les guérisseuses qui, dans les siècles passés, étaient considérées comme des sorcières, traquée, dénoncées, torturées et brûlées vives par les inquisiteurs de l’Eglise catholique romaine. Ce feu destructeur et « purificateur » ne laisse pas insensible Bernie Glassman qui voit là une analogie certaine avec l’holocauste des camps nazis.
Selon les enseignements du Bouddha, tant que la roue du samsara tournera, la souffrance affectera tous les êtres sensibles (visibles et invisibles) des différents mondes. Aider les êtres qui souffrent serait donc une tâche sans fin. . . Un peu démoralisant ? « Vous savez, dit Bernie Glassman, le bodhisattva considère que ce travail est sans fin et incompréhensible. Quand je regarde ce qu’il faudrait faire, c’est incroyable et c’est accablant... Mais, si je considère mon propre corps et l’activité qui s’y déroule en permanence, combien de cellules tombent malades et ce que doit faire ce corps pour se soigner, les microbes, les toxines dans la nourriture, les toxines dans l’air que l’on respire, c’est tout aussi accablant. Mais je ne me sens pas attristé pour autant. C’est la vie. »
Paradoxe de l’évolution technologique, et d’une vision sociale essentiellement orientée sur l’acquisition des biens matériels, nos sociétés modernes fabriquent de plus en plus d’indigents baignés dans des univers de violence physique et morale. Avec l’aide des milliers de bénévoles, répartis dans le monde entier, le fondateur de l’Ordre de Pacemakers entend bien mener une véritable croisade auprès des plus démunis et de reconstituer avec eux le lien affectif, moral et spirituel qui leur manque pour retrouver leur place au sein de la société.
« S’ouvrir à l’inconnu, abandonner ainsi toute opinion figée de nous-même et du monde. Porter témoignage de la joie et de la souffrance du monde. Nous guérir nous-même et guérir autrui. » Tels sont les trois principes prônés par Bernie Glassman (1) et qui constituent le fondement du travail de la communauté de l’Ordre des Peacemakers. La recette a, semble-t-il, du succès puisqu’en France des antennes se sont constituées pour tendre la main à ceux qui en ont besoin.
(1) Bernie Glassman vient de publier " l’ Art de la paix, un maître zen engagé dans le monde d’aujourd’hui ", paru chez Albin-Michel
Article mis en ligne avec l’autorisation grâcieuse de Jean-Pierre Chambraud, de Bouddhisme Actualités.
Voir aussi :
Notes de lecture du livre de Bernie Glassman : Le message de Bernie Glassman, maître zen : porter témoignage de l’intégralité de la vie.
Zen et action sociale : l’ordre des peacemakers, compte-rendu de la journée du 21 octobre
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