Suivre le Dharma et éviter la souffrance
Tsenshab Serkong Rinpotché
New Delhi, Inde, le 7 décembre 1979
Reconnaître la souffrance
Le terme sanskrit Dharma, chö (chos) en tibétain, signifie tenir, retenir, détenir ou maintenir. Qu’est-ce qui est tenu, retenu, détenu ou maintenu ? C’est l’élimination de la souffrance et l’atteinte du bonheur. Le Dharma ne fait pas cela uniquement pour nous, mais pour tous les êtres aussi.
Les souffrances que nous éprouvons sont de deux sortes : celles qui sont immédiatement visibles pour nous, les êtres humains, et celles que nous ne pouvons pas voir sans posséder de pouvoirs extra sensoriels. Les premières comprennent les douleurs qui accompagnent le processus de la naissance, le désagrément de tomber malade à l’occasion, la misère expérimentée lors du processus de vieillissement et dans la vieillesse, et la terreur de la mort.
Les souffrances qui arrivent après la mort ne sont pas visibles à une personne ordinaire. Nous pouvons penser qu’après notre mort, nous renaîtrons probablement comme êtres humains. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le cas. Il n’y a aucune raison logique qui nous laisse supposer une telle évolution. Il n’y en a pas non plus pour nous donner à penser qu’après notre mort, nous ne prendrons pas de renaissance du tout.
Quant au genre de renaissance que nous prendrons en particulier, c’est quelque chose qu’il est très difficile de savoir, cela ne fait pas partie de notre sphère de connaissance actuelle. Si nous générons du karma positif dans cette vie, il s’ensuivra naturellement que nous prendrons une forme de renaissance heureuse dans le futur. Inversement, si nous créons surtout du karma négatif, nous ne prendrons pas une forme de renaissance heureuse, mais nous vivrons de grandes difficultés dans des états inférieurs d’existence. C’est sûr et certain. C’est ainsi que fonctionne la renaissance. Si l’on plante un grain de blé, c’est une plante de blé qui poussera. Si l’on plante un grain de riz, une plante de riz sera produite. De façon identique, si l’on crée du karma négatif, on plante des graines de renaissance dans l’un des trois états inférieurs : comme créature infernale, comme fantôme affamé, ou comme animal.
Il y a quatre états, ou royaumes des enfers (mondes sans joie), différents : les enfers de la chaleur, les enfers du froid, les enfers avoisinants, et les enfers occasionnels. Pour les subdiviser davantage, on distingue huit différents enfers de la chaleur. Le premier d’entre eux est connu comme L’Enfer de la ranimation. C’est là l’une des moindres souffrances, pour parler de façon toute relative. Si l’on veut saisir toute la mesure de la douleur qui y est vécue, il faut imaginer que le supplice d’une personne prise dans un grand feu est très minime par rapport à celui qu’éprouvent les êtres qui se trouvent dans le premier enfer de la chaleur. Ensuite, chaque enfer qui se trouve au-dessous de L’Enfer de la ranimation présente un degré de supplice plus intense.
Bien que les souffrances des êtres de l’enfer et des fantômes affamés ne soient pas visibles pour nous, celles des animaux peuvent être vues de nos yeux. Au cas où nous nous demandons ce qui se passerait si nous devions prendre renaissance comme animal, il nous suffit de regarder autour de nous les animaux des rues et les bêtes de somme, ici, en Inde, et d’imaginer ce que ce serait, d’avoir les mêmes conditions. Le Dharma est ce qui nous retient et nous garde de la souffrance de ces renaissances inférieures.
La roue de la renaissance dans son entièreté, la totalité de l’existence à la récurrence incontrôlable (samsara), est de la nature de la souffrance. Le Dharma est le garde-fou de toute la souffrance samsarique. De plus, le Dharma du Mahayana (les enseignements du Grand Véhicule) apporte une protection, non seulement pour nous, mais aussi pour tous les êtres limités (êtres doués de sensibilité).
Prendre la direction sûre du refuge
Dans le bouddhisme, on entend beaucoup parler des Trois Joyaux du Refuge : le Bouddha, le Dharma et le Sangha. Le premier des trois comprend tous les êtres pleinement illuminés qui enseignent le Dharma. Bouddha Shakyamouni, qui a d’abord fait tourner la roue du Dharma à Varanasi en enseignant les quatre nobles vérités, est de la plus grande importance pour nous. La dernière de ces quatre vérités – celle des vraies voies – est le Dharma qu’il faut pratiquer pour atteindre la libération. C’est l’objet-refuge de la direction sûre qui s’appelle la Gemme du Dharma.
La pratique du Dharma consiste en deux choses : reconnaître la racine de la souffrance samsarique, et éradiquer cette racine. Quelle est la racine de l’existence récurrente ? C’est la saisie envers un soi qui existe vraiment et envers une existence véritable des phénomènes. Nous avons besoin de développer une répulsion envers cette saisie qui nous apporte toutes nos souffrances. Nous avons besoin de développer une compréhension de ce qu’est l’antidote à la saisie d’une véritable existence. La sagesse (sagesse discriminante) de l’absence de soi ou de l’absence d’identité en est l’antidote. C’est cette compréhension de l’absence de soi qui va nous amener la libération de la souffrance.
Les souffrances dont nous faisons l’expérience dans le samsara n’arrivent pas sans cause. Elles sont provoquées par les émotions et les attitudes mentales perturbatrices (les illusions), et par le karma qu’elles créent. La racine de l’ensemble des émotions et des attitudes perturbatrices, ainsi que du karma, est la saisie envers un soi. Pourquoi n’avons-nous pas encore développé l’antidote dans notre continuum mental ? Pourquoi ne comprenons-nous pas l’absence de soi ? L’une des raisons est que nous ne sommes pas assez conscients de la mort et de l’impermanence.
La mort et l’impermanence
La mort est le seul résultat possible de la naissance. La mort est inévitable. Il n’existe pas un seul être vivant dont la vie ne se termine pas par la mort. Les gens essaient beaucoup de méthodes pour empêcher la mort d’arriver, mais c’est impossible. Aucun médicament ne peut nous guérir de la mort.
Penser simplement que « je vais mourir un jour » n’est pas vraiment la manière correcte de contempler la mort. Bien sûr que tout le monde va mourir un jour, mais le simple fait d’y penser n’est pas très puissant ! Ce n’est pas la méthode qui convient. De même, penser simplement que nous allons tous nous désintégrer et dégénérer – que notre corps va se décomposer – n’est pas suffisant. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons prévenir notre chute.
Si nous pensons à la peur qui survient au moment de la mort et comment faire pour éliminer cette peur, alors notre méditation sur la mort sera efficace. Les gens qui ont accumulé une grande quantité de karma négatif au cours de leur vie sont épouvantés au moment de leur mort. Ils sanglotent, des larmes leur coulent sur les joues, ils ont la bouche qui dégouline, ils défèquent dans leurs vêtements et sont complètement dépassés. Ces signes de souffrance qui se manifestent au moment de la mort témoignent clairement d’une peur causée par des actes négatifs qu’a commis la personne au cours de sa vie.
Comme alternative, si, au cours de notre vie, nous nous réfrénons de commettre des actes négatifs, le moment de la mort devient pour nous très facile à confronter. Cette expérience est celle de la joie, comme celle d’un enfant qui rentre à la maison chez ses parents. Si nous nous sommes purifiés, nous pouvons mourir heureux. En nous réfrénant des dix manières négatives et en cultivant leurs opposés que sont les dix actes constructifs, notre mort sera facile et nous obtiendrons pour résultat de ne pas devoir faire l’expérience d’une renaissance dans une condition de souffrance. Nous pouvons être assurés d’une renaissance dans un état plus favorisé. En plantant les graines de plantes médicinales, nous obtenons des arbres aux pouvoirs médicaux ; en plantant les graines d’arbres toxiques, nous ne produisons que des fruits nocifs. Si nous plantons les graines d’actes constructifs dans notre conscience, nous ferons l’expérience du bonheur dans des vies futures. Nous serons dans des situations favorisées, tant sur le plan mental que physique. Cet enseignement élémentaire du Dharma – éviter les actes destructeurs et cultiver les actes constructifs – ne se trouve pas seulement dans le bouddhisme, mais aussi dans beaucoup d’autres religions, y compris la religion chrétienne.
Comment contempler la mort et l’impermanence ? Comme je l’ai déjà indiqué, penser simplement que « je vais mourir un jour » n’est pas très bénéfique. Nous devons penser : « Si j’ai commis l’un des dix actes destructeurs, je devrai faire face à une grande épouvante et à une grande souffrance au moment de ma mort et, en résultat, je passerai à une renaissance intensément douloureuse. D’un autre côté, si, au cours de ma vie, j’ai créé une force positive (mérite), je n’éprouverai ni peur ni souffrance à ma mort et je renaîtrai dans un état plus plaisant. » Voilà la façon correcte de contempler la mort.
Ce n’est pas la peine de faire de cette méditation une réflexion lugubre, pessimiste, comme « je vais mourir un jour et ne peux rien y faire ». Nous devrions plutôt penser en termes de ce qui se passera à notre mort. « Où vais-je aller après ma mort ? Quelle sorte de causes ai-je créée ? Puis-je faire de ma mort un évènement heureux ? Comment ? Puis-je faire de mes futures renaissances, des renaissances heureuses ? Comment ? »
Lorsque l’on contemple les vies futures, il faut se rappeler que dans le samsara, il n’y a pas de lieu qui soit fiable. Quel que soit le corps que nous prenons, il finira par mourir. Dans les livres d’histoire du bouddhisme, il est rapporté que les gens vivaient une centaine, ou même un millier d’années. Pourtant, aussi fantastiques que ces récits puissent paraître, il n’y a pas un seul cas de quelqu’un qui ne serait jamais mort. N’importe quel type de corps samsarique que nous obtenons est assujetti à la mort.
Il n’y a pas non plus de lieu où nous pouvons nous rendre pour échapper à la mort. Où que nous soyons, quand c’est le moment, nous mourons. Alors, aucune quantité de médicaments, ni de mantras, aucune pratique qui nous soit d’aucun secours. Les opérations chirurgicales peuvent guérir certains types de maladies dans notre corps, mais il n’en existe aucune pour empêcher la mort d’arriver.
Peu importe le type de renaissance que nous obtiendrons, elle sera assujettie à la mort. C’est un processus qui se déroule en continu. La contemplation sur les effets à long terme de nos actes et sur l’ininterruption du processus de naissance, vie, mort et renaissance nous aide à générer beaucoup de karma positif.
Même si nous faisons parfois le projet de pratiquer le Dharma, en général, nous le remettons au lendemain ou au surlendemain. Cependant, personne d’entre nous ne peut dire quand la mort viendra. Si nous avions la garantie absolue de vivre encore une centaine d’années, nous aurions de l’espace libre pour y mettre notre pratique. Mais il n’y a pas la moindre certitude quant au moment de notre mort. C’est folie de repousser notre pratique. Il y a des êtres humains qui meurent dans la matrice, avant même d’être nés ; d’autres meurent alors qu’ils sont encore bébés, avant d’apprendre à marcher. Rien ne permet de dire que nous allons avoir une longue vie.
Notre corps est très fragile. S’il était de pierre ou de fer, peut-être pourrait-il donner un sentiment de stabilité. Mais si nous examinons ce qu’il en est, nous verrons que le corps humain est très faible. Il est très facilement affecté. Il est délicat, comme une montre au poignet qui est composée d’innombrables pièces minuscules et fragiles. Ce n’est pas quelque chose dans quoi nous pouvons mettre notre confiance. Il y a beaucoup de circonstances qui peuvent causer notre mort : une intoxication alimentaire, la morsure d’un tout petit insecte, et même la piqûre d’une épine vénéneuse. Des conditions aussi banales peuvent nous tuer. La nourriture et les liquides dont nous nous servons pour prolonger notre vie peuvent devenir les circonstances qui y mettent fin. Il n’y a absolument aucune certitude quant au moment de notre mort, ni aux circonstances qui en seront la cause.
Et même si nous nous sentons sûr(e)s de vivre cent ans, beaucoup d’années se sont déjà écoulées sans que nous ayons accompli grand chose. Nous nous rapprochons de la mort comme un homme endormi dans un wagon de chemin de fer se rapproche incessamment de sa destination sans avoir conscience du processus. Il n’y pas grand chose à faire pour stopper ce processus. Nous ne faisons que nous rapprocher continuellement de la mort.
Peu importe la quantité d’argent, de bijoux, de maisons ou d’habits que nous avons accumulée dans notre vie, cela ne fera aucune différence à l’heure de notre mort. Quand nous mourons, nous partons les mains vides. Nous ne pouvons même pas emporter l’objet le plus minuscule et insignifiant. Il faut même laisser ce corps derrière soi. Le corps et l’esprit se séparent et le flux mental continue par lui-même. Non seulement il nous est impossible d’emporter avec nous un objet de notre possession, mais nous ne pouvons même pas emporter notre corps.
Karma
Qu’est-ce qui accompagne la conscience après la mort ? Si nous devons laisser notre corps, nos amis et toutes nos possessions, y a-t-il une aide, quelqu’un ou quelque chose qui accompagne notre conscience vers une vie future ?
Il y a quelque chose qui suit la conscience après la mort : l’héritage karmique (les graines) que nous avons amassé durant cette vie. Si nous avons commis n’importe lequel des dix actes négatifs, un héritage karmique négatif, ou dette karmique, accompagne notre continuum mental lorsqu’il se dirige vers notre prochaine renaissance. En tuant d’autres êtres, en volant leurs possessions ou en s’adonnant à la méconduite sexuelle, un héritage karmique négatif provenant de ces actes corporels destructeurs est placé sur le flux mental. En tenant des propos mensongers, médisants, fauteurs de troubles, blessants, oiseux, les dettes karmiques négatives de ces actes verbaux négatifs vont voyager avec nous au moment de notre mort. Si nous avons éprouvé beaucoup de convoitise, eu de l’envie envers les possessions d’autrui, si nous avons été méchants, malveillants, ou si nous avons pensé de manière erronée et antagoniste comme « il n’y a pas de vies passées et futures », « il n’y a pas de causes et d’effets », « il n’y a rien qui soit la direction sûre du refuge », ces actes mentaux destructeurs génèrent un héritage karmique négatif qui va voyager avec notre esprit et le diriger vers une vie future.
Le contraire est vrai aussi. Si nous avons fait des actes positifs et que nous nous sommes détournés de la production de négativité, l’héritage karmique de cette énergie positive va voyager sur notre flux mental et produire de meilleures circonstances dans nos vies futures.
Si nous réfléchissons vraiment à la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous prendrons la résolution d’essayer, par tous les moyens, de générer du karma positif et d’éliminer son opposé. Il faut nous appliquer, le plus possible, à nous laver des négativités, ne laissant pas la moindre dette karmique à repayer dans une vie future.
Il faut nous intéresser au genre de réaction qui peut arriver dans le cadre de la loi de cause et effet. On rapporte l’histoire d’un homme qui avait beaucoup de qualités positives, mais qui était dur dans ses propos. Il avait injurié quelqu’un, lui disant : « Tu parles comme un chien ». En résultat, il a eu lui-même cinq cents renaissances comme chien. Un acte apparemment insignifiant peut avoir un très grand résultat.
De façon identique, un tout petit acte positif peut produire un excellent grand résultat. On rapporte l’histoire d’un jeune enfant qui avait fait don d’une offrande modeste au Bouddha et, comme résultat, il a eu une renaissance en tant qu’Ashoka, le grand roi qui a construit des milliers de monuments bouddhiques et qui a eu d’innombrables activités plus sublimes les unes que les autres.
Renoncement et compassion
Contempler dans leur multiplicité les différents types d’actes que nous avons commis, et leurs conséquences, est un moyen très efficace pour nous assurer bien-être et bonheur. En pensant aux souffrances que nous-mêmes devrons expérimenter comme résultat de nos négativités, nous engendrons le très fort souhait de ne pas devoir expérimenter un tel supplice ; ainsi, nous développons ce qui s’appelle le « renoncement ».
Le fait de nous familiariser avec cette sorte de pensée est une forme de méditation en soi. D’abord, nous avons besoin de prendre conscience de notre propre souffrance et, ensuite, d’élargir cette prise de conscience à tous les êtres vivants. Voyez comme tous les êtres souhaitent ne pas avoir la moindre souffrance et comme ils sont pourtant pris dans un engrenage de souffrance ! Cette sorte de pensée nous conduit à la compassion. Si nous ne cultivons pas le souhait d’être libérés de toutes nos propres souffrances, comment pouvons-nous émettre celui que les autres soient libérés des leurs ? Nous avons la possibilité de mettre fin à toutes nos souffrances, mais ce n’est pas d’une ultime utilité. Il faut élargir ce souhait à tous les êtres vivants qui, eux aussi, aspirent au bonheur. Nous pouvons exercer notre esprit à cultiver le souhait que tout le monde soit complètement séparé de sa souffrance. Cette façon de penser est beaucoup plus large et beaucoup plus bénéfique.
Pourquoi nous préoccuper des autres êtres vivants ? Mais parce que nous recevons tellement d’eux ! Par exemple, le lait que nous buvons provient de la bonté des vaches et des buffles ; les étoffes chaudes qui nous protègent de la froidure et du blizzard proviennent de la laine des moutons et du poil des chèvres, et ainsi de suite. Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent la nécessité de trouver une méthode qui soit capable d’éliminer leurs souffrances.
Qu’importe le type de pratique que nous suivons – la récitation de mantras, ou n’importe quelle forme de méditation – il faut toujours garder à l’esprit la pensée suivante : « Puisse cet acte être bénéfique à tous les êtres limités ! » Cela va tout naturellement nous être bénéfique à nous aussi. Nous pouvons voir ce qu’il en est à travers les situations ordinaires de la vie. Par exemple, si quelqu’un est très égoïste et ne s’occupe que de ses propres intérêts, il ne sera pas vraiment apprécié des autres. D’un autre côté, quelqu’un qui est gentil et toujours serviable est, en général, aimé de tout le monde.
La pensée qu’il faut développer dans notre continuum mental est la suivante : « Puisse tout le monde être heureux, et que personne ne connaisse la souffrance ! » Nous devons essayer d’incorporer cette pensée à notre propre mentalité en nous la rappelant encore et encore. Cela peut être extrêmement bénéfique. Les êtres qui, dans le passé, ont cultivé cette mentalité, sont maintenant de grands bouddhas, de grands bodhisattvas, ou de grands saints ; tous les vrais grands du monde – hommes et femmes – se sont appuyés sur cette pensée. Comme ce serait merveilleux de pouvoir essayer de la générer en nous-mêmes !
Le karma de faire (du) mal aux autres pour protéger nos bien-aimés
Question : Est-il conseillé de nous défendre si quelqu’un tente de nous faire du mal ?
Rinpotché : Cette question débouche sur un très vaste sujet. Si quelqu’un vous tape sur la tête avec un gourdin ou un bâton, la meilleure réponse est de méditer sur le fait que vous faites cette expérience à cause des actes négatifs que vous avez vous-mêmes commis dans le passé. Pensez que cette personne est en train de permettre à cet héritage karmique particulier de mûrir maintenant plutôt que dans un futur inconnu. Il faut éprouver de la gratitude envers cette personne pour avoir éliminé cette dette karmique de votre continuum mental.
Question : Et si quelqu’un attaque ma femme ou mon enfant qui sont sous ma protection ? Est-ce que je les défends ? Est-ce que ce serait une action négative de le faire ?
Rinpotché : Étant donné qu’il est de votre devoir de protéger votre femme et votre enfant, vous devez essayer de le faire d’une manière aussi habile que possible. Vous devez agir avec ruse. Le mieux est de les protéger sans faire de mal à l’attaquant. Autrement dit : vous devez trouver une méthode qui permette de les protéger sans faire aucun mal à personne.
Question : Il peut faire du mal à mes enfants, mais moi, je ne peux pas lui faire de mal ? N’est-il pas de notre devoir de défendre nos enfants contre des actes barbares et cruels ? Faut-il juste renoncer à notre vie ?
Rinpotché : Il vous faut beaucoup de courage pour gérer habilement cette situation. Il y a l’histoire d’une vie passée du Bouddha où il était navigateur, et où il est allé en haute mer avec un groupe de cinq cents personnes à la recherche d’un trésor caché. Parmi eux se trouvait un homme qui caressait des pensées très avides et qui, pour s’emparer lui-même de tous les joyaux, faisait le complot de tuer les cinq cents autres membres. Le bodhisattva (Bouddha Shakyamouni dans une vie antérieure) en était conscient et était d’avis qu’il serait incorrect de laisser la situation se développer, car un homme allait en tuer cinq cents autres. Par conséquent, il émit la pensée très courageuse de sauver les cinq cents autres en tuant cet homme, acceptant de son plein gré et prenant sur lui la responsabilité de tuer. Si vous êtes d’accord pour accepter de renaître en enfer pour sauver les autres, vous avez une pensée magnifiquement courageuse. Alors vous pouvez vous lancer dans ces actions, tout comme le Bouddha lui-même.
Nagarjuna, dans sa Lettre à un ami, a écrit que si l’on commet une négativité au nom de la protection de ses parents, de ses enfants, du bouddhisme ou des Trois Joyaux du Refuge, il faudra en éprouver les conséquences. Si vous êtes conscient, ou non, des conséquences, et si vous êtes prêt à les prendre sur vous pour protéger votre femme et votre enfant sans penser à vous-même, c’est ce qui fait la différence. Si vous faites du mal à l’ennemi, vous ferez l’expérience d’une renaissance douloureuse. Cependant, vous devez être prêt à affronter la situation en pensant : « Je vais prendre cette souffrance sur moi pour que ma femme et mon enfant ne souffrent pas ».
Question : Alors, d’après le bouddhisme, cela resterait quand même encore un acte négatif` ?
Rinpotché : Protéger votre femme et votre enfant est un acte constructif positif, mais faire du mal à l’ennemi est négatif et destructeur. Vous devez être prêt à accepter les conséquences des deux.
Question : Vous avez dit que si l’on crée du karma négatif, on souffrira dans le futur, mais que si l’on fait du bien, il s’ensuivra du bonheur. Est-il possible que ces bonnes actions conduisent au salut complet, dans le sens où l’on n’aura plus à faire l’expérience de la renaissance ?
Rinpotché : Si vous souhaitez arriver au salut, vous devez suivre les enseignements à la lettre. Par exemple, si vous suivez la voie chrétienne, vous devez parfaitement suivre les enseignements du Christ. Alors, le salut chrétien est possible. Jésus tout seul ne peut pas nous sauver de nos péchés ; il faut faire quelque chose nous-mêmes. Autrement, pourquoi Jésus nous aurait-il enseigné de ne pas pécher ? Si nous suivons nous-mêmes correctement ce que Jésus a dit, je pense que le salut chrétien est possible. Si nous suivons correctement les enseignements du Bouddha, le « salut » bouddhiste – la libération – est possible.
Traduit du tibétain par Alexander Berzin, revu par Nicholas Ribush
Légèrement révisé par Alexander Berzin, 2003.
Traduit de l’américain par Pauline M. Silbermann
Publication originale :
Tsenshab Serkong Rinpotché. "Renunciation."
In Teachings at Tushita,
ed. Glenn Mullin and Nicholas Ribush.
New Delhi: Mahayana Publications, 1981.
http://www.berzinarchives.com/web/fr/archives/sutra/level2_lamrim/overview/general/following_dharma_avoiding_suffering.html
Tsenshab Serkong Rinpotché
New Delhi, Inde, le 7 décembre 1979
Reconnaître la souffrance
Le terme sanskrit Dharma, chö (chos) en tibétain, signifie tenir, retenir, détenir ou maintenir. Qu’est-ce qui est tenu, retenu, détenu ou maintenu ? C’est l’élimination de la souffrance et l’atteinte du bonheur. Le Dharma ne fait pas cela uniquement pour nous, mais pour tous les êtres aussi.
Les souffrances que nous éprouvons sont de deux sortes : celles qui sont immédiatement visibles pour nous, les êtres humains, et celles que nous ne pouvons pas voir sans posséder de pouvoirs extra sensoriels. Les premières comprennent les douleurs qui accompagnent le processus de la naissance, le désagrément de tomber malade à l’occasion, la misère expérimentée lors du processus de vieillissement et dans la vieillesse, et la terreur de la mort.
Les souffrances qui arrivent après la mort ne sont pas visibles à une personne ordinaire. Nous pouvons penser qu’après notre mort, nous renaîtrons probablement comme êtres humains. Pourtant, ce n’est pas nécessairement le cas. Il n’y a aucune raison logique qui nous laisse supposer une telle évolution. Il n’y en a pas non plus pour nous donner à penser qu’après notre mort, nous ne prendrons pas de renaissance du tout.
Quant au genre de renaissance que nous prendrons en particulier, c’est quelque chose qu’il est très difficile de savoir, cela ne fait pas partie de notre sphère de connaissance actuelle. Si nous générons du karma positif dans cette vie, il s’ensuivra naturellement que nous prendrons une forme de renaissance heureuse dans le futur. Inversement, si nous créons surtout du karma négatif, nous ne prendrons pas une forme de renaissance heureuse, mais nous vivrons de grandes difficultés dans des états inférieurs d’existence. C’est sûr et certain. C’est ainsi que fonctionne la renaissance. Si l’on plante un grain de blé, c’est une plante de blé qui poussera. Si l’on plante un grain de riz, une plante de riz sera produite. De façon identique, si l’on crée du karma négatif, on plante des graines de renaissance dans l’un des trois états inférieurs : comme créature infernale, comme fantôme affamé, ou comme animal.
Il y a quatre états, ou royaumes des enfers (mondes sans joie), différents : les enfers de la chaleur, les enfers du froid, les enfers avoisinants, et les enfers occasionnels. Pour les subdiviser davantage, on distingue huit différents enfers de la chaleur. Le premier d’entre eux est connu comme L’Enfer de la ranimation. C’est là l’une des moindres souffrances, pour parler de façon toute relative. Si l’on veut saisir toute la mesure de la douleur qui y est vécue, il faut imaginer que le supplice d’une personne prise dans un grand feu est très minime par rapport à celui qu’éprouvent les êtres qui se trouvent dans le premier enfer de la chaleur. Ensuite, chaque enfer qui se trouve au-dessous de L’Enfer de la ranimation présente un degré de supplice plus intense.
Bien que les souffrances des êtres de l’enfer et des fantômes affamés ne soient pas visibles pour nous, celles des animaux peuvent être vues de nos yeux. Au cas où nous nous demandons ce qui se passerait si nous devions prendre renaissance comme animal, il nous suffit de regarder autour de nous les animaux des rues et les bêtes de somme, ici, en Inde, et d’imaginer ce que ce serait, d’avoir les mêmes conditions. Le Dharma est ce qui nous retient et nous garde de la souffrance de ces renaissances inférieures.
La roue de la renaissance dans son entièreté, la totalité de l’existence à la récurrence incontrôlable (samsara), est de la nature de la souffrance. Le Dharma est le garde-fou de toute la souffrance samsarique. De plus, le Dharma du Mahayana (les enseignements du Grand Véhicule) apporte une protection, non seulement pour nous, mais aussi pour tous les êtres limités (êtres doués de sensibilité).
Prendre la direction sûre du refuge
Dans le bouddhisme, on entend beaucoup parler des Trois Joyaux du Refuge : le Bouddha, le Dharma et le Sangha. Le premier des trois comprend tous les êtres pleinement illuminés qui enseignent le Dharma. Bouddha Shakyamouni, qui a d’abord fait tourner la roue du Dharma à Varanasi en enseignant les quatre nobles vérités, est de la plus grande importance pour nous. La dernière de ces quatre vérités – celle des vraies voies – est le Dharma qu’il faut pratiquer pour atteindre la libération. C’est l’objet-refuge de la direction sûre qui s’appelle la Gemme du Dharma.
La pratique du Dharma consiste en deux choses : reconnaître la racine de la souffrance samsarique, et éradiquer cette racine. Quelle est la racine de l’existence récurrente ? C’est la saisie envers un soi qui existe vraiment et envers une existence véritable des phénomènes. Nous avons besoin de développer une répulsion envers cette saisie qui nous apporte toutes nos souffrances. Nous avons besoin de développer une compréhension de ce qu’est l’antidote à la saisie d’une véritable existence. La sagesse (sagesse discriminante) de l’absence de soi ou de l’absence d’identité en est l’antidote. C’est cette compréhension de l’absence de soi qui va nous amener la libération de la souffrance.
Les souffrances dont nous faisons l’expérience dans le samsara n’arrivent pas sans cause. Elles sont provoquées par les émotions et les attitudes mentales perturbatrices (les illusions), et par le karma qu’elles créent. La racine de l’ensemble des émotions et des attitudes perturbatrices, ainsi que du karma, est la saisie envers un soi. Pourquoi n’avons-nous pas encore développé l’antidote dans notre continuum mental ? Pourquoi ne comprenons-nous pas l’absence de soi ? L’une des raisons est que nous ne sommes pas assez conscients de la mort et de l’impermanence.
La mort et l’impermanence
La mort est le seul résultat possible de la naissance. La mort est inévitable. Il n’existe pas un seul être vivant dont la vie ne se termine pas par la mort. Les gens essaient beaucoup de méthodes pour empêcher la mort d’arriver, mais c’est impossible. Aucun médicament ne peut nous guérir de la mort.
Penser simplement que « je vais mourir un jour » n’est pas vraiment la manière correcte de contempler la mort. Bien sûr que tout le monde va mourir un jour, mais le simple fait d’y penser n’est pas très puissant ! Ce n’est pas la méthode qui convient. De même, penser simplement que nous allons tous nous désintégrer et dégénérer – que notre corps va se décomposer – n’est pas suffisant. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons prévenir notre chute.
Si nous pensons à la peur qui survient au moment de la mort et comment faire pour éliminer cette peur, alors notre méditation sur la mort sera efficace. Les gens qui ont accumulé une grande quantité de karma négatif au cours de leur vie sont épouvantés au moment de leur mort. Ils sanglotent, des larmes leur coulent sur les joues, ils ont la bouche qui dégouline, ils défèquent dans leurs vêtements et sont complètement dépassés. Ces signes de souffrance qui se manifestent au moment de la mort témoignent clairement d’une peur causée par des actes négatifs qu’a commis la personne au cours de sa vie.
Comme alternative, si, au cours de notre vie, nous nous réfrénons de commettre des actes négatifs, le moment de la mort devient pour nous très facile à confronter. Cette expérience est celle de la joie, comme celle d’un enfant qui rentre à la maison chez ses parents. Si nous nous sommes purifiés, nous pouvons mourir heureux. En nous réfrénant des dix manières négatives et en cultivant leurs opposés que sont les dix actes constructifs, notre mort sera facile et nous obtiendrons pour résultat de ne pas devoir faire l’expérience d’une renaissance dans une condition de souffrance. Nous pouvons être assurés d’une renaissance dans un état plus favorisé. En plantant les graines de plantes médicinales, nous obtenons des arbres aux pouvoirs médicaux ; en plantant les graines d’arbres toxiques, nous ne produisons que des fruits nocifs. Si nous plantons les graines d’actes constructifs dans notre conscience, nous ferons l’expérience du bonheur dans des vies futures. Nous serons dans des situations favorisées, tant sur le plan mental que physique. Cet enseignement élémentaire du Dharma – éviter les actes destructeurs et cultiver les actes constructifs – ne se trouve pas seulement dans le bouddhisme, mais aussi dans beaucoup d’autres religions, y compris la religion chrétienne.
Comment contempler la mort et l’impermanence ? Comme je l’ai déjà indiqué, penser simplement que « je vais mourir un jour » n’est pas très bénéfique. Nous devons penser : « Si j’ai commis l’un des dix actes destructeurs, je devrai faire face à une grande épouvante et à une grande souffrance au moment de ma mort et, en résultat, je passerai à une renaissance intensément douloureuse. D’un autre côté, si, au cours de ma vie, j’ai créé une force positive (mérite), je n’éprouverai ni peur ni souffrance à ma mort et je renaîtrai dans un état plus plaisant. » Voilà la façon correcte de contempler la mort.
Ce n’est pas la peine de faire de cette méditation une réflexion lugubre, pessimiste, comme « je vais mourir un jour et ne peux rien y faire ». Nous devrions plutôt penser en termes de ce qui se passera à notre mort. « Où vais-je aller après ma mort ? Quelle sorte de causes ai-je créée ? Puis-je faire de ma mort un évènement heureux ? Comment ? Puis-je faire de mes futures renaissances, des renaissances heureuses ? Comment ? »
Lorsque l’on contemple les vies futures, il faut se rappeler que dans le samsara, il n’y a pas de lieu qui soit fiable. Quel que soit le corps que nous prenons, il finira par mourir. Dans les livres d’histoire du bouddhisme, il est rapporté que les gens vivaient une centaine, ou même un millier d’années. Pourtant, aussi fantastiques que ces récits puissent paraître, il n’y a pas un seul cas de quelqu’un qui ne serait jamais mort. N’importe quel type de corps samsarique que nous obtenons est assujetti à la mort.
Il n’y a pas non plus de lieu où nous pouvons nous rendre pour échapper à la mort. Où que nous soyons, quand c’est le moment, nous mourons. Alors, aucune quantité de médicaments, ni de mantras, aucune pratique qui nous soit d’aucun secours. Les opérations chirurgicales peuvent guérir certains types de maladies dans notre corps, mais il n’en existe aucune pour empêcher la mort d’arriver.
Peu importe le type de renaissance que nous obtiendrons, elle sera assujettie à la mort. C’est un processus qui se déroule en continu. La contemplation sur les effets à long terme de nos actes et sur l’ininterruption du processus de naissance, vie, mort et renaissance nous aide à générer beaucoup de karma positif.
Même si nous faisons parfois le projet de pratiquer le Dharma, en général, nous le remettons au lendemain ou au surlendemain. Cependant, personne d’entre nous ne peut dire quand la mort viendra. Si nous avions la garantie absolue de vivre encore une centaine d’années, nous aurions de l’espace libre pour y mettre notre pratique. Mais il n’y a pas la moindre certitude quant au moment de notre mort. C’est folie de repousser notre pratique. Il y a des êtres humains qui meurent dans la matrice, avant même d’être nés ; d’autres meurent alors qu’ils sont encore bébés, avant d’apprendre à marcher. Rien ne permet de dire que nous allons avoir une longue vie.
Notre corps est très fragile. S’il était de pierre ou de fer, peut-être pourrait-il donner un sentiment de stabilité. Mais si nous examinons ce qu’il en est, nous verrons que le corps humain est très faible. Il est très facilement affecté. Il est délicat, comme une montre au poignet qui est composée d’innombrables pièces minuscules et fragiles. Ce n’est pas quelque chose dans quoi nous pouvons mettre notre confiance. Il y a beaucoup de circonstances qui peuvent causer notre mort : une intoxication alimentaire, la morsure d’un tout petit insecte, et même la piqûre d’une épine vénéneuse. Des conditions aussi banales peuvent nous tuer. La nourriture et les liquides dont nous nous servons pour prolonger notre vie peuvent devenir les circonstances qui y mettent fin. Il n’y a absolument aucune certitude quant au moment de notre mort, ni aux circonstances qui en seront la cause.
Et même si nous nous sentons sûr(e)s de vivre cent ans, beaucoup d’années se sont déjà écoulées sans que nous ayons accompli grand chose. Nous nous rapprochons de la mort comme un homme endormi dans un wagon de chemin de fer se rapproche incessamment de sa destination sans avoir conscience du processus. Il n’y pas grand chose à faire pour stopper ce processus. Nous ne faisons que nous rapprocher continuellement de la mort.
Peu importe la quantité d’argent, de bijoux, de maisons ou d’habits que nous avons accumulée dans notre vie, cela ne fera aucune différence à l’heure de notre mort. Quand nous mourons, nous partons les mains vides. Nous ne pouvons même pas emporter l’objet le plus minuscule et insignifiant. Il faut même laisser ce corps derrière soi. Le corps et l’esprit se séparent et le flux mental continue par lui-même. Non seulement il nous est impossible d’emporter avec nous un objet de notre possession, mais nous ne pouvons même pas emporter notre corps.
Karma
Qu’est-ce qui accompagne la conscience après la mort ? Si nous devons laisser notre corps, nos amis et toutes nos possessions, y a-t-il une aide, quelqu’un ou quelque chose qui accompagne notre conscience vers une vie future ?
Il y a quelque chose qui suit la conscience après la mort : l’héritage karmique (les graines) que nous avons amassé durant cette vie. Si nous avons commis n’importe lequel des dix actes négatifs, un héritage karmique négatif, ou dette karmique, accompagne notre continuum mental lorsqu’il se dirige vers notre prochaine renaissance. En tuant d’autres êtres, en volant leurs possessions ou en s’adonnant à la méconduite sexuelle, un héritage karmique négatif provenant de ces actes corporels destructeurs est placé sur le flux mental. En tenant des propos mensongers, médisants, fauteurs de troubles, blessants, oiseux, les dettes karmiques négatives de ces actes verbaux négatifs vont voyager avec nous au moment de notre mort. Si nous avons éprouvé beaucoup de convoitise, eu de l’envie envers les possessions d’autrui, si nous avons été méchants, malveillants, ou si nous avons pensé de manière erronée et antagoniste comme « il n’y a pas de vies passées et futures », « il n’y a pas de causes et d’effets », « il n’y a rien qui soit la direction sûre du refuge », ces actes mentaux destructeurs génèrent un héritage karmique négatif qui va voyager avec notre esprit et le diriger vers une vie future.
Le contraire est vrai aussi. Si nous avons fait des actes positifs et que nous nous sommes détournés de la production de négativité, l’héritage karmique de cette énergie positive va voyager sur notre flux mental et produire de meilleures circonstances dans nos vies futures.
Si nous réfléchissons vraiment à la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous prendrons la résolution d’essayer, par tous les moyens, de générer du karma positif et d’éliminer son opposé. Il faut nous appliquer, le plus possible, à nous laver des négativités, ne laissant pas la moindre dette karmique à repayer dans une vie future.
Il faut nous intéresser au genre de réaction qui peut arriver dans le cadre de la loi de cause et effet. On rapporte l’histoire d’un homme qui avait beaucoup de qualités positives, mais qui était dur dans ses propos. Il avait injurié quelqu’un, lui disant : « Tu parles comme un chien ». En résultat, il a eu lui-même cinq cents renaissances comme chien. Un acte apparemment insignifiant peut avoir un très grand résultat.
De façon identique, un tout petit acte positif peut produire un excellent grand résultat. On rapporte l’histoire d’un jeune enfant qui avait fait don d’une offrande modeste au Bouddha et, comme résultat, il a eu une renaissance en tant qu’Ashoka, le grand roi qui a construit des milliers de monuments bouddhiques et qui a eu d’innombrables activités plus sublimes les unes que les autres.
Renoncement et compassion
Contempler dans leur multiplicité les différents types d’actes que nous avons commis, et leurs conséquences, est un moyen très efficace pour nous assurer bien-être et bonheur. En pensant aux souffrances que nous-mêmes devrons expérimenter comme résultat de nos négativités, nous engendrons le très fort souhait de ne pas devoir expérimenter un tel supplice ; ainsi, nous développons ce qui s’appelle le « renoncement ».
Le fait de nous familiariser avec cette sorte de pensée est une forme de méditation en soi. D’abord, nous avons besoin de prendre conscience de notre propre souffrance et, ensuite, d’élargir cette prise de conscience à tous les êtres vivants. Voyez comme tous les êtres souhaitent ne pas avoir la moindre souffrance et comme ils sont pourtant pris dans un engrenage de souffrance ! Cette sorte de pensée nous conduit à la compassion. Si nous ne cultivons pas le souhait d’être libérés de toutes nos propres souffrances, comment pouvons-nous émettre celui que les autres soient libérés des leurs ? Nous avons la possibilité de mettre fin à toutes nos souffrances, mais ce n’est pas d’une ultime utilité. Il faut élargir ce souhait à tous les êtres vivants qui, eux aussi, aspirent au bonheur. Nous pouvons exercer notre esprit à cultiver le souhait que tout le monde soit complètement séparé de sa souffrance. Cette façon de penser est beaucoup plus large et beaucoup plus bénéfique.
Pourquoi nous préoccuper des autres êtres vivants ? Mais parce que nous recevons tellement d’eux ! Par exemple, le lait que nous buvons provient de la bonté des vaches et des buffles ; les étoffes chaudes qui nous protègent de la froidure et du blizzard proviennent de la laine des moutons et du poil des chèvres, et ainsi de suite. Ce ne sont là que quelques exemples qui illustrent la nécessité de trouver une méthode qui soit capable d’éliminer leurs souffrances.
Qu’importe le type de pratique que nous suivons – la récitation de mantras, ou n’importe quelle forme de méditation – il faut toujours garder à l’esprit la pensée suivante : « Puisse cet acte être bénéfique à tous les êtres limités ! » Cela va tout naturellement nous être bénéfique à nous aussi. Nous pouvons voir ce qu’il en est à travers les situations ordinaires de la vie. Par exemple, si quelqu’un est très égoïste et ne s’occupe que de ses propres intérêts, il ne sera pas vraiment apprécié des autres. D’un autre côté, quelqu’un qui est gentil et toujours serviable est, en général, aimé de tout le monde.
La pensée qu’il faut développer dans notre continuum mental est la suivante : « Puisse tout le monde être heureux, et que personne ne connaisse la souffrance ! » Nous devons essayer d’incorporer cette pensée à notre propre mentalité en nous la rappelant encore et encore. Cela peut être extrêmement bénéfique. Les êtres qui, dans le passé, ont cultivé cette mentalité, sont maintenant de grands bouddhas, de grands bodhisattvas, ou de grands saints ; tous les vrais grands du monde – hommes et femmes – se sont appuyés sur cette pensée. Comme ce serait merveilleux de pouvoir essayer de la générer en nous-mêmes !
Le karma de faire (du) mal aux autres pour protéger nos bien-aimés
Question : Est-il conseillé de nous défendre si quelqu’un tente de nous faire du mal ?
Rinpotché : Cette question débouche sur un très vaste sujet. Si quelqu’un vous tape sur la tête avec un gourdin ou un bâton, la meilleure réponse est de méditer sur le fait que vous faites cette expérience à cause des actes négatifs que vous avez vous-mêmes commis dans le passé. Pensez que cette personne est en train de permettre à cet héritage karmique particulier de mûrir maintenant plutôt que dans un futur inconnu. Il faut éprouver de la gratitude envers cette personne pour avoir éliminé cette dette karmique de votre continuum mental.
Question : Et si quelqu’un attaque ma femme ou mon enfant qui sont sous ma protection ? Est-ce que je les défends ? Est-ce que ce serait une action négative de le faire ?
Rinpotché : Étant donné qu’il est de votre devoir de protéger votre femme et votre enfant, vous devez essayer de le faire d’une manière aussi habile que possible. Vous devez agir avec ruse. Le mieux est de les protéger sans faire de mal à l’attaquant. Autrement dit : vous devez trouver une méthode qui permette de les protéger sans faire aucun mal à personne.
Question : Il peut faire du mal à mes enfants, mais moi, je ne peux pas lui faire de mal ? N’est-il pas de notre devoir de défendre nos enfants contre des actes barbares et cruels ? Faut-il juste renoncer à notre vie ?
Rinpotché : Il vous faut beaucoup de courage pour gérer habilement cette situation. Il y a l’histoire d’une vie passée du Bouddha où il était navigateur, et où il est allé en haute mer avec un groupe de cinq cents personnes à la recherche d’un trésor caché. Parmi eux se trouvait un homme qui caressait des pensées très avides et qui, pour s’emparer lui-même de tous les joyaux, faisait le complot de tuer les cinq cents autres membres. Le bodhisattva (Bouddha Shakyamouni dans une vie antérieure) en était conscient et était d’avis qu’il serait incorrect de laisser la situation se développer, car un homme allait en tuer cinq cents autres. Par conséquent, il émit la pensée très courageuse de sauver les cinq cents autres en tuant cet homme, acceptant de son plein gré et prenant sur lui la responsabilité de tuer. Si vous êtes d’accord pour accepter de renaître en enfer pour sauver les autres, vous avez une pensée magnifiquement courageuse. Alors vous pouvez vous lancer dans ces actions, tout comme le Bouddha lui-même.
Nagarjuna, dans sa Lettre à un ami, a écrit que si l’on commet une négativité au nom de la protection de ses parents, de ses enfants, du bouddhisme ou des Trois Joyaux du Refuge, il faudra en éprouver les conséquences. Si vous êtes conscient, ou non, des conséquences, et si vous êtes prêt à les prendre sur vous pour protéger votre femme et votre enfant sans penser à vous-même, c’est ce qui fait la différence. Si vous faites du mal à l’ennemi, vous ferez l’expérience d’une renaissance douloureuse. Cependant, vous devez être prêt à affronter la situation en pensant : « Je vais prendre cette souffrance sur moi pour que ma femme et mon enfant ne souffrent pas ».
Question : Alors, d’après le bouddhisme, cela resterait quand même encore un acte négatif` ?
Rinpotché : Protéger votre femme et votre enfant est un acte constructif positif, mais faire du mal à l’ennemi est négatif et destructeur. Vous devez être prêt à accepter les conséquences des deux.
Question : Vous avez dit que si l’on crée du karma négatif, on souffrira dans le futur, mais que si l’on fait du bien, il s’ensuivra du bonheur. Est-il possible que ces bonnes actions conduisent au salut complet, dans le sens où l’on n’aura plus à faire l’expérience de la renaissance ?
Rinpotché : Si vous souhaitez arriver au salut, vous devez suivre les enseignements à la lettre. Par exemple, si vous suivez la voie chrétienne, vous devez parfaitement suivre les enseignements du Christ. Alors, le salut chrétien est possible. Jésus tout seul ne peut pas nous sauver de nos péchés ; il faut faire quelque chose nous-mêmes. Autrement, pourquoi Jésus nous aurait-il enseigné de ne pas pécher ? Si nous suivons nous-mêmes correctement ce que Jésus a dit, je pense que le salut chrétien est possible. Si nous suivons correctement les enseignements du Bouddha, le « salut » bouddhiste – la libération – est possible.
Traduit du tibétain par Alexander Berzin, revu par Nicholas Ribush
Légèrement révisé par Alexander Berzin, 2003.
Traduit de l’américain par Pauline M. Silbermann
Publication originale :
Tsenshab Serkong Rinpotché. "Renunciation."
In Teachings at Tushita,
ed. Glenn Mullin and Nicholas Ribush.
New Delhi: Mahayana Publications, 1981.
http://www.berzinarchives.com/web/fr/archives/sutra/level2_lamrim/overview/general/following_dharma_avoiding_suffering.html
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