par Charles Genoud
Ce texte constitue la deuxième partie d'une enseignement donné par Charles Genoud au Forum 104 en Juin 2003. Evelyne Boutron a assuré la transcription du texte, Gilbert Gauché la traduit dans sa forme actuelle et Florence Milles a assuré le travail de dactylographie. Merci infiniment à tous les trois pour ce travail considérable.
L'entrée dans la recherche spirituelle
Ce matin, j'ai parlé du " manque ", cause fondamentale de notre engagement dans une recherche, une quête spirituelle. S'il n'y avait aucun manque, si nous expérimentions une constante plénitude, le mouvement qui nous pousse à cette quête n'existerait certainement pas.
De manière générale, cette quête peut être initiée par une expérience, un évènement qui nous semble anormal, qui nous fait nous questionner, car il sort de l'ordre habituel des choses. Il peut s'agir d'une expérience d'ordre affectif, social ou philosophique qui nous interpelle tout à coup et nous fait essayer de répondre à cette interpellation. Nous nous engageons alors dans une recherche, un questionnement, dans un approfondissement de notre connaissance de la réalité, de la réalité quotidienne.
De telles expériences qui, pour nous, relèvent du désordre, peuvent créer le besoin de découvrir plus profondément la réalité du monde dans lequel nous vivons. Il peut s'agir, par exemple, de la mort d'une personne. Si nous imaginons la mort d'un proche, nous pouvons en ressentir l'impact affectif. Mais plus généralement, même dans le cas où il s'agirait de quelqu'un que nous connaissons peu, loin de nous, un impact d'ordre philosophique existe. C'est ce que Bataille exprimait en disant : " la mort trahit l'imposture de la réalité ". Cela veut dire que si la mort est possible, la réalité n'est pas telle que nous la percevons. Il y a incompatibilité entre le monde tel que nous le percevons et la mort d'une personne qui existerait réellement. Il n'est donc pas nécessaire qu'il s'agisse d'un proche donnant une dimension affective à l'évènement. Un choc d'ordre philosophique peut nous amener à questionner notre vision du monde, à nous dire qu'il y a peut-être quelque chose de faux dans la manière dont nous le percevons.
Il y a deux ans, j'étais en Californie pour conduire une retraite. En me promenant à la périphérie de San Francisco, je suis entré dans une librairie. Je cherche souvent des livres d'auteurs français que j'aime bien, traduits en anglais, pour faire des citations. Les phrases sont parfois si précises que je ne veux pas faire la traduction moi-même.
A ce moment là, je cherchais un livre de Maurice Blanchot. En le feuilletant, je suis tombé sur une phrase qui disait : " Le passé n'a jamais existé ". C'est une phrase extrêmement déroutante, qui n'est cependant pas celle d'un rêveur ou d'un poète, mais qui traduit une réflexion profonde, concluant que le passé n'a jamais existé. Si ce que dit Blanchot est juste, il est clair que notre vision ordinaire du monde doit être questionnée et changée. Si le passé n'a jamais existé, il est clair que la manière dont je vis, la façon dont je conçois le monde où je vis, ne sont pas en accord avec cette réalité. Tomber sur une telle phrase, sur une telle affirmation, peut être le facteur déclenchant qui nous fasse entrer en recherche, pour trouver un ordre plus profond permettant d'inclure cette réalité, d'établir un rapport au monde intégrant la non-existence du passé.
Un destin inhabituel
Joseph Kimpel, un professeur américain qui a beaucoup étudié les mythologies, a décrit le cheminement du héros, du chaman, du mystique, et a recherché des faits similaires dans les récits de leurs vies. Il en a trouvé plusieurs. Le premier est, qu'en général, ce futur chaman, saint ou sainte, mystique ou prophète, naît d'une manière inhabituelle, miraculeuse.
Dès sa naissance, il est voué à un destin inhabituel. Il y a une rupture dans l'ordre établi. Puis, ce destin paraît oublié. L'enfant vit de manière tout à fait ordinaire, découvrant et partageant les valeurs ordinaires du monde : les valeurs sociales, la vision du monde qui prévaut à son époque. Jusqu'au jour où un évènement vient lui rappeler son destin. Tout à coup, quelque chose lui montre que l'ordre établi n'est pas juste, que quelque chose est faux dans la vision ordinaire du monde. Dès ce moment, il ne connaîtra plus de repos jusqu'à ce qu'il soit parvenu à une vision plus profonde, beaucoup plus vaste, lui permettant d'intégrer ce qu'il avait éprouvé comme un désordre. Ce besoin va le pousser à sortir du modèle établi, à le quitter, pour ne pas être complètement prisonnier des valeurs sociales, philosophiques, ayant cours, et à entrer d'une certaine manière en solitude, afin de trouver un ordre plus profond.
Dans la vie du Bouddha, ce schéma apparaît de manière vraiment typique. Le Bouddha est conçu miraculeusement, alors que sa mère rêve qu'un éléphant blanc entre en elle. Il naît d'une façon étonnante qui, pour le moins, rompt avec l'ordre établi, puisqu'il sort de sa mère par le côté, alors qu'elle se tient à une branche. Et, lorsqu'elle présente le jeune enfant à un astrologue, celui-ci prédit qu'il deviendra soit un monarque universel, soit un être profondément éveillé. Tous les signes du destin sont ainsi réunis. La période d'oubli vient ensuite : le garçon reçoit l'éducation d'un jeune prince, il étudie les védas, les arts martiaux, complètement oublieux de ce qui était prédit à sa naissance, jusqu'à ce que certains évènements viennent le rappeler à son destin. Dans le récit de la vie du Bouddha, ces évènements sont présentés de manière extrêmement caricaturale : il rencontre la vieillesse, la maladie et la mort, ainsi qu'un religieux. Dans la légende, leur description est assez naïve. On a l'impression que c'est la première fois qu'il voit un vieillard, la première fois qu'il voit un malade, tout comme un cadavre. Mais, on peut imaginer que c'est effectivement la première fois qu'il en prend vraiment conscience. Alors qu'il sort du palais paternel, il comprend que la vieillesse, la maladie et la mort le concernent lui aussi et pas seulement les autres. Quand cette réalisation se produit, le futur bouddha n'a plus envie de rester au palais, de vivre dans une agréable insouciance, entouré de musiciens et de musiciennes, comme un jeune prince, cinq siècles avant J.C. Il n'a plus aucun repos. Tous les plaisirs deviennent insipides. Il n'a plus qu'un vœu, qu'un désir : quitter le palais pour s'engager dans une quête spirituelle.
Son père refuse de le laisser partir. Il est donc obligé de s'enfuir pour devenir un ascète mendiant. Cela traduit combien l'ordre établi, que le jeune prince est en train de questionner, ne peut accepter son questionnement : le père s'oppose à ce qu'il sorte du palais. Dans la légende, le futur bouddha, profitant que tout le monde est endormi par un charme mystérieux, quitte le palais de nuit pour s'engager dans sa quête. C'est le prototype même du chemin du mystique, avec toutes ses étapes bien marquées.
Chez certains chamans, saints ou saintes, il arrive parfois qu'une maladie soit le facteur qui leur fasse quitter l'ordre établi. Souvent, chez les chamans, il s'agit d'une maladie que les médecins ne peuvent soigner, car ils ne la connaissent pas. Ce n'est que lorsque le chaman rencontrera un autre chaman qu'il sera possible de la soigner, car elle n'est pas somatique mais d'ordre spirituel : c'est un déséquilibre spirituel. Il sera guéri par le maître chaman qui initiera ensuite l'ancien malade au chemin spirituel.
Des phénomènes marquants se produisent de même dans la vie de certains saints ou saintes. Rappelons-nous de Sainte Thérèse d'Avila. Entrée extrêmement jeune au couvent, elle y tombe malade. Ramenée à la maison, on la croit morte. Selon la coutume, on fait couler de la cire sur ses yeux, mais son père qui adore tellement sa fille, refuse qu'on l'enterre et, le quatrième jour, alors qu'elle est encore dans le même état, elle ouvre les yeux. Ensuite, elle demande à retourner au couvent. Mais, pendant plus d'une année, elle ne peut marcher. D'abord, elle ne marche pas du tout. Ensuite, elle se traîne à quatre pattes… Constamment dans sa vie spirituelle, elle se réfèrera à cette expérience de mort symbolique qui rompt l'ordre établi.
Les évènements ne sont pas toujours aussi marquants. Quelque chose de très simple, semblant ne pas correspondre à l'ordre du monde, peut suffire pour que surgisse la nécessité d'une compréhension plus profonde. On peut imaginer des scientifiques étudiant des équations, se rendant compte que quelque chose ne " marche pas ", essayant de trouver une manière de comprendre plus profonde. On peut même penser qu'un simple objet puisse suffire: une table placée à l'envers, une porte d'habitude fermée soudain ouverte qui, dans l'esprit d'une personne, fasse qu'elle questionne tout à coup l'ordre établi, prenne conscience qu'il ne fonctionne pas, et s'engage dans la recherche d'une vérité plus profonde.
Nous partageons notre vision du monde. Chaque fois qu'il s'agit de la changer, des difficultés apparaissent. D'abord, il faut le courage de lâcher la façon courante de voir : lorsque Copernic enseigna que la terre n'était pas le centre de l'univers, mais le soleil, combien d'oppositions apparurent ! Des oppositions, non pas scientifiques, mais affectives, de l'ordre de la crainte.
Tout à coup, apparaît une impossibilité de quitter la vision habituelle pour se rendre disponible à une vision différente, nouvelle. Pour la découvrir, il faut donc chaque fois pouvoir questionner celle qui prévaut, la lâcher, et s'ouvrir à la nouvelle.
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