Le non-attachement
Le non-attachement à soi, la dévotion.
Un maître réalisé a la puissance nécessaire pour nous transmettre directement l’éveil. L’éveil est la réalisation de notre être intérieur totalement pur, débarrassé des voiles, des perturbations, des émotions, des négativités, du karma, des tendances qui le recouvrent habituellement. Cet état originel de notre être, appelé aussi nature de bouddha, est absolument exempt de toute souffrance.
Il est caractérisé par les qualités de félicité, bonheur total, amour et compassion immenses envers tous les êtres, ainsi que par les qualités de sagesse, équanimité, joie. Ces qualités sont inhérentes à notre esprit, elles nous appartiennent depuis les temps sans commencement. C’est notre nature profonde, qui n’est pas une nature de souffrance, mais une nature de bonheur.
Cependant, nous n’avons pas encore réalisé cette nature de bonheur et expérimentons encore dans nos vies quelques souffrances. Nous sommes perturbés par les émotions, par les ennuis quotidiens, les obstacles, les pensées, les élucubrations mentales. Il nous faut retrouver l’essence de cette nature inhérente à notre esprit. Pour cela, un petit travail de dépoussiérage, de nettoyage est indispensable. Notre esprit est souvent comparé à une gemme, un diamant. Pour l’instant, ce diamant n’est pas éclatant, mais encore entouré de sa gangue de scories. Notre esprit est semblable : à l’intérieur se trouve un joyau, mais celui-ci est totalement recouvert par les tendances négatives, les perturbations, les voiles. On n’a même pas l’idée que l’on puisse avoir cette nature parfaitement pure en nous.
Pour la percevoir, il suffirait de nettoyer ces voiles. Evidemment, il y a un gros travail à faire ! Il existe une voie directe, immédiate pour y parvenir. Un maître spirituel ayant déjà réalisé sa nature parfaitement purifiée peut la transmettre d’esprit à esprit. On dit que cela fonctionne un peu comme un miroir : le maître étant pur renvoie en nous la pureté que nous possédons déjà en essence. Cela pourrait se produire instantanément lors de la rencontre avec un maître réalisé, tel Guendune Rinpoché. Les personnes qui l’ont rencontré ont sûrement senti une bénédiction spirituelle, une grâce, parce qu’il exprimait toutes ces qualités d’amour, de compassion, de sagesse, d’équanimité, de joie et qu'elles étaient immédiatement visibles.
Ceci est la façon la plus rapide d'obtenir l’éveil, mais il faut qu'il y ait de notre part une ouverture. Cette ouverture est difficile à développer, en particulier pour nous, Occidentaux. On la nomme la dévotion ; on peut aussi l’appeler le respect ou la confiance, confiance totale, abandon, lâcher prise, non-attachement. Non-attachement à ce petit moi, cette entité à laquelle on tient tant et que l’on estime à un degré extrêmement élevé. On se considère soi-même comme étant la perle rare de l’univers. A cause de cette arrogance, on peut ne pas comprendre qu'il soit possible de demander à quelqu’un d’autre de nous apporter quoi que ce soit. On ne voit pas comment on pourrait obtenir quelque chose de plus puisque l’on est déjà parfait. On est attaché à son moi, à son être, comme étant quelque chose d’extrêmement parfait. En croyant cela, on réduit notre esprit à un moi transitoire. On ne voit pas les perturbations qui le recouvrent.
Ainsi, le premier stade pour recevoir l’éveil est de pouvoir comprendre que, peut-être, l’on n’est pas si parfait que cela, que, peut-être, l’on pourrait évoluer. L’humilité est extrêmement difficile. Pour obtenir cette grâce de l’être éveillé, cette bénédiction, il faut cultiver une ouverture d’esprit. Si l’on n’y arrive pas, alors on continue, avec la prière de refuge que l’on dit trois fois et dans laquelle il y a moins besoin d’avoir cette dévotion. On s’appuie sur soi-même, sur sa propre nature éveillée, ce qui, peut-être, est plus facile. On dit : " Je prends refuge en le bouddha, le dharma et la sangha afin d’atteindre l’éveil – moi-même – et une fois que j’aurai atteint l’éveil, je fais le souhait d’aider tous les êtres qui emplissent l’univers à l'atteindre à leur tour. "
Là, il y a deux aspects : le premier qui est se libérer soi-même de la souffrance correspond à ce que l’on nomme dans le bouddhisme, le petit véhicule, le hinayana ; c’est la motivation pour soi. Ce n'est pas négatif, ni considéré comme étant à supprimer, au contraire ; on a droit au bonheur. Malgré tout, on peut estimer que l’on est " un " parmi les milliards d’êtres de l’univers et que peut être les autres aussi ont droit au bonheur. On étend alors cette motivation, cette intention de bonheur, à tous les êtres. On fait le souhait qu’une fois éveillé soi-même, on pourra œuvrer pour le bien des êtres. C’est la motivation du mahayana, du grand véhicule. " Grand " dans le sens où l’état d’esprit qui englobe tous les êtres est plus grand que l’état d’esprit qui ne considère que soi, qu’un être à aider, à libérer de la souffrance. On continue ensuite par cette merveilleuse prière " des quatre pensées illimitées " décrivant les qualités des êtres éveillées qui ont complètement libéré leur esprit de la souffrance.
Le non-attachement à l’autre, l’amour
Ces quatre pensées sont : la pensée d’amour, la pensée de compassion, la pensée de joie, et la pensée d’équanimité. La première pensée dit : " Puissent les êtres obtenir le bonheur et les causes du bonheur. " C’est l’amour illimité. On voit bien que ce n’est pas ce que l’on appelle amour dans la vie de tous les jours. Ce n'est pas " mon chéri, je t’aime ", avec l’idée : " j’espère que tu m’aimes ! ". C’est plutôt quelque chose de vaste, d’illimité. Cela s’adresse à tous les êtres sans exception. Et puis le sentiment lui-même n’est pas un sentiment de possessivité ou d’amour pour soi-même. C’est un sentiment totalement détaché, où l’attachement n’intervient pas. Voilà le deuxième aspect du non-attachement. C’est un amour qui désire le bonheur de l’autre et non pas le sien propre. Voilà ce que l’on appelle amour illimité. La compassion est le souhait complémentaire à l’amour : " Puissent tous les êtres être libérés de la souffrance et des causes de la souffrance ". Ce n’est pas ce que l’on appelle compassion dans notre quotidien, qui est assimilée à de la pitié, de la condescendance, de la commisération. Avec ce que nous appelons compassion, on est content, il y a une espèce de sentiment de supériorité par rapport à l’autre. " Moi, je ne suis pas comme cela, c’est malheureux pour lui ! ". Ce n’est pas du tout la compassion considérée comme une qualité dans le bouddhisme vajrayana. La compassion d’un être éveillé est le sentiment insupportable de la souffrance des êtres et le désir vraiment intense de les libérer tous de cette souffrance. Il y a vraiment une énergie dans cette compassion assez puissante pour qu’on l’appelle même une énergie courroucée, c’est-à-dire une énergie qui va employer tous les moyens pour sortir les êtres de la souffrance.
L’attachement à l'ego, racine de notre souffrance
Il y a différents types de non-attachement. Le premier non-attachement est le non-attachement le plus fondamental, le plus ultime, le plus difficile : abandonner l’attachement et la saisie que l’on a de soi-même comme étant l’être le plus important au monde. C’est vraiment l’attachement qui crée la souffrance, qui est la cause de la souffrance, qui fait qu’on réduit l’espace à soi. On ne voit plus que soi-même. C’est la définition même de la souffrance. Lorsqu’on est refermé sur soi-même, incapable de voir les autres autour de soi, l’univers devient intenable. Cela peut prendre différentes formes. Tout le monde connaît la dépression. L’état dépressif est vraiment l’état où l'on est centré sur soi : on ne pense qu’à soi, on est incapable d’avoir une ouverture sur le monde extérieur.
Les souffrances mentales graves, comme la paranoïa par exemple, sont des états où l'être est uniquement centré sur soi. Nous-mêmes n’en sommes peut-être pas à ce point là, cependant, notre esprit a tendance à se centrer sur lui-même. C’est une tendance fondamentale. Cela s’accentue par moment lorsque nous avons des problèmes dans nos vies. C'est ce qu’on appelle la souffrance : l’attachement à l’ego. En tibétain, il y a un mot pour exprimer cela " naguien ", qui veut dire : " moi roi ". On se considère soi-même comme le roi de l’univers, le centre du monde. Evidemment, comme tout le monde pense la même chose, c’est ce qui crée les petits problèmes de notre existence. On appelle un être réalisé " le vainqueur de l’ennemi " : cela ne veut pas dire qu’il a vaincu quelqu’un, un ennemi extérieur, mais qu’il a vaincu l’ennemi intérieur qu'est cet ego, cette croyance dans un moi supérieur et différent des autres.
C’est de cela dont il faut se débarrasser, l’emprise de l’ego sur notre esprit. Cela ne veut pas dire que l’on va se débarrasser de notre personnalité. Il n’est pas question de devenir un légume, un bout de bois. Vaincre l’ego ne veut pas dire tuer la personnalité. Au contraire d’ailleurs, si vous avez rencontré des êtres éveillés, vous aurez remarqué qu’ils ont tous une personnalité très forte. Ils ont tous quelque chose de très puissant et sont tous différents les uns des autres. Par exemple, Guendune Rinpoché était très différent de Lama Jigmé Rinpoché. Tous les deux sont des êtres éveillés mais chacun avec sa personnalité. Il n’est donc pas question de supprimer la personnalité, mais de détendre la crispation mentale de l’esprit sur " moi ", ce qui est différent. C’est cela qu’on appelle le non-attachement au niveau ultime. Ensuite, il y a ce qu’on appelle le non-attachement au niveau relatif qui consiste à s’entraîner à voir à quel point, du fait de cet attachement fondamental, on est, dans la vie, attaché à des milliers de choses, d’êtres et à quel point cela crée des perturbations et des souffrances.
L’attachement aux autres, les émotions conflictuelles
Du fait de l’attachement à moi comme étant supérieur aux autres, on considère les autres comme étant des gens à attirer à soi, ceux qu’on aime avec l’amour occidental (le problème est que l’on n’a pas deux mots différents pour différencier l’amour altruiste, et l’amour égoïste). C’est ainsi que se crée la première émotion conflictuelle : le désir attachement.
Ce désir attachement consiste à vouloir pour soi ce qui nous plaît. Cela parait légitime, cela peut l’être, mais souvent, on ne considère, du fait de notre attachement à nous-mêmes, que notre propre point de vue, notre propre bien, sans considérer le bien de l’autre, ce qui fait que l’autre se sent complètement " lésé ", complètement noyé, et qu’il nous le fait savoir : " lâche-moi ", " laisse-moi respirer, tu m’étouffes, je veux de l’air ". Cet attachement-là est très étouffant. A un moment donné, il va y avoir la fuite de l’être aimé, ou des mots désagréables. Tout simplement parce que nous avons confondu amour et attachement. C’est une deuxième cause de souffrance. Du fait de l’attachement à soi, l’amour que l’on pourrait avoir pour les autres se transforme en souffrance.
La première émotion conflictuelle, le désir attachement, peut se transformer en amour véritable si l’on opère une transformation, une transmutation, si l’on travaille cette émotion dans son essence, et si l’on arrive à trier ce qui est dans cet amour la part fondamentalement pure, altruiste, que l’on va garder et la part fondamentalement égoïste, qui crée la souffrance. C’est extrêmement difficile à trier car les deux sont mélangées, imbriquées l’une dans l’autre. Même l’amour d’une mère pour son enfant, considéré dans le bouddhisme comme étant le summum de l’amour véritablement altruiste, même cet amour là est entaché d’attachement. Une mère aime son enfant et serait capable de donner sa vie pour lui, c’est vrai. Mais le problème est qu’elle aime son enfant, et pas l’autre. Et puis, elle l’aime à condition que... il y a des conditions, cela se voit surtout lorsque l’enfant grandit. On désire quelque chose de l’enfant, on désire qu’il fasse tel métier, telle chose particulière que nous n’avons pas faite nous-mêmes, tout un aspect psychologique personnel entre en conflit avec la personnalité de l’autre. Il est très difficile d’y voir clair.
Il y a quelque chose à purifier au niveau de la possessivité, de la possession. C’est ce qui est exprimé par ce magnifique poème : " Nos enfants ne sont pas nos enfants, ils sont les enfants de la terre et du ciel… ". Nos enfants ne nous appartiennent pas. C’est très difficile pour une mère d’accepter ce fait. Il y a tout un travail à faire sur ce sentiment même. Ensuite il y a un travail à faire sur l’être en particulier : pourquoi cet être et pas les autres ? On peut alors étendre cet amour que l’on éprouve pour un seul être à d’autres.
Un être éveillé ayant complètement réalisé la nature de son esprit aime tous les êtres comme une mère aime son enfant unique. Il développe cet amour-là envers les êtres qu’il côtoie. Cela peut paraître extrêmement difficile. C’est ce que l’on appelle l'amour sans attachement. Cela ne veut pas dire : pas d’amour, non-amour. On peut avoir une mauvaise compréhension de ce que veut dire le non-attachement. Par exemple, on rentre à la maison en déclarant : " Ma chérie, je dois te dire quelque chose : il faut que je me détache !". Ce n’est pas de cela dont il s’agit ! Il n’est pas question de se débarrasser de l’autre. L’autre n’est pas la cause de notre souffrance, mais c'est bien plutôt notre façon d’établir des relations avec lui ou elle. Ce qu’il faut transformer est notre relation à l’autre; il s’agit de se débarrasser de notre saisie égoïste. C’est très difficile. Comment y arrive-t-on ? Dans le bouddhisme, il y a deux moyens.
Le premier est un moyen ultime, absolu, le deuxième est un moyen relatif, dans la vie quotidienne. Le moyen absolu est la méditation, qui est le support nous permettant de réaliser le non-attachement ultime, c’est-à-dire, de voir à quel point l’attachement à l’ego est quelque chose d’inutile, de futile. Le deuxième outil s’appelle la méditation dans l’action. Dans la vie quotidienne nous allons travailler directement sur les émotions, notamment sur le désir attachement. En tant qu’être humain, on est très attaché ; on souffre non seulement d’attachement envers d’autres personnes, mais aussi d’attachement envers les objets qui nous entourent.
Grâce à la méditation sur laquelle on s’appuie, on va essayer d’y voir clair dans la vie de tous les jours. A l’intérieur des émotions, à l’intérieur du désir attachement, on va faire le tri entre ce qui est égoïste et ce qui est altruiste, entre ce qui est la part de souffrance, ce qui crée la souffrance, et ce qui est l’amour ultime qui apporte le bonheur non seulement à soi-même mais à tous les êtres. Cela parait difficile mais se fait tranquillement, à chaque instant. On a beaucoup de chance parce que l’on a toutes les possibilités d’appliquer ce travail mental : nous avons la chance d’être entouré de milliers d’êtres, de rencontrer des centaines d’êtres, et de pouvoir donc appliquer cet amour altruiste à une échelle assez grande puisque tous les jours, nous rencontrons beaucoup d’êtres.
Non-saisie, lâcher prise
Il y a une petite différence entre les émotions et les pensées. Les émotions sont des pensées plus une énergie ; il y a une impulsion qui nous pousse à agir. Alors que la pensée en essence n’est rien qu’une bulle d’air, l’émotion est en plus une impulsion qui nous pousse à agir dans une certaine direction. Elle vient juste après la pensée. Il faut éviter de se laisser attacher, attraper par la pseudo réalité de l’émotion. C’est plus difficile qu’avec la pensée parce qu’il y a cette énergie que l’on peut plus difficilement diluer.
Ce que l’on appelle pensée est un phénomène qui dure une fraction de seconde, mais en une fraction de seconde, il se passe beaucoup de choses. Le phénomène de la pensée est beaucoup plus subtil que ce que l’on perçoit en fin de compte. Lorsqu’on considère un objet, par exemple un verre d’eau, il y a le phénomène premier de la perception pure. Le deuxième stade est celui de la sensation : on voit une couleur (une transparence), on sent (c'est inodore), on touche (c'est liquide), on peut goûter (c'est sans saveur). Troisièmement, on nomme, c’est la dénomination. On pense : " C’est un verre d’eau ". C’est le stade de la reconnaissance, le moment où l'on conceptualise l’objet. A la quatrième étape vient l’émotion. On peut considérer que l’on aime ou que l’on n’aime pas l’objet. Si j’ai soif : " Oh ! Un verre d’eau ", si je n’ai pas soif : " Beurk, de l’eau ! ". L’émotion est totalement aléatoire. Le cinquième stade est ce que l’on appelle la saisie émotionnelle, l’élucubration mentale. Sur cette base d’émotion, je commence à construire une histoire. Par exemple : " Que c’est gentil de m’avoir donné de l’eau " ou " On aurait pu me faire du thé quand même ! " Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel je suis, c’est complètement aléatoire, fortuit, là aussi.
La plupart du temps, on n’a conscience que du dernier stade, c’est-à-dire du discours mental. Parfois, lorsque l’on commence à méditer, c’est uniquement de cela que l’on a conscience : le fil de nos élucubrations mentales. Ce qu’il faut faire alors, c’est ne rien faire. Laisser ce flot des pensées superficielles s'écouler, s’épancher. On regarde cela comme on regarderait un film, sans le prendre au sérieux, sans agir. Méditer veut dire : ne pas se laisser entraîner à agir, ni emporter par l’émotion, voir que c’est simplement du bluff, du vide. C’est un peu comme Ulysse qui était attiré par les sirènes, c’est la même chose. On se méfie, et comme l’on n’est pas assez fort soi-même, on fait comme Ulysse, mais au lieu de s’attacher au bateau avec des chaînes, on s'assoit sur le coussin de méditation, et l’on s’y attache avec des chaînes mentales. En méditation, nous ne cherchons pas à supprimer les pensées, sinon cela voudrait dire que l'on ne ferait pas de travail sur le désir attachement, simplement on serait aveugle et sourd. Il n'est pas question de supprimer toute la structure mentale, mais simplement d'en voir l'essence vide, l'essence non existante. C'est beaucoup plus subtil. Il faut voir l'essence totalement illusoire des émotions qui nous interpellent. Nous sommes toujours un peu tiraillés entre le désir de se lever et d'aller courir vers l'une ou l'autre émotion. Si c'est l'émotion de désir, on veut vite courir acheter vingt verres semblables par exemple, ou si c'est l'émotion de colère, on peut avoir envie d'aller interpeller la personne qui a acheté " cette horreur ". La colère est aussi une émotion qui nous habite et nous pousse à agir. Nous sommes habités par la saisie de l'émotion. Nous sommes prisonniers, esclaves de l'émotion.
Si on se laisse avoir, on a perdu. C'est-à-dire qu'on s'est complètement laissé prendre par l'émotion. On a perdu le contrôle de son esprit. Nous, Occidentaux, qui sommes si fiers de notre autonomie, de notre intelligence, de notre liberté, et bien là, nous nous sommes laissés complètement saisir, avoir par quelque chose de plus fort que nous. Et l'on se rend compte que nous sommes complètement prisonniers de nos tendances, de nos instincts, de nos émotions.
La méditation consiste à ne pas se laisser submerger par cette saisie, cet attachement mais plutôt à laisser passer l'émotion sans s'y attacher. Si l'on ne se laisse pas aller à agir selon l'émotion, celle-ci étant de nature totalement vide, va se libérer d'elle-même, s'évanouir toute seule. Cela peut être très rapide ou très lent. Tout dépend à quel niveau on est attaché à l'émotion. Mais de toute manière, il est sûr qu'elle se libère à un moment donné toute seule. On y arrive en méditant. Cela peut prendre des années, tout dépend de l'intensité que l'on met à pratiquer. C'est un entraînement de l'esprit. Tout dépend de la volonté que l'on applique à cet entraînement ainsi que du résultat que l'on veut obtenir ; tout dépend de la motivation que l'on a. Si l'on veut être totalement libéré des émotions, on travaille dessus avec l'intensité nécessaire. Si l'on a une grande motivation, on pratiquera intensément et le résultat sera rapide. Voilà pourquoi il y a les retraites de trois ans, trois mois, trois jours, dont vous avez sûrement entendu parler. Les personnes se mettent en retraite et pratiquent la méditation de façon intensive pendant tout ce temps. Leur intention est de se libérer définitivement de la souffrance. Donc elles emploient les moyens nécessaires et efficaces pour s'en libérer et cela marche.
Abandonner la peur
Il y a quatre souffrances auxquelles on ne peut échapper : la mort, la vieillesse, la maladie et la renaissance (non choisie). Mort, maladie, vieillesse nous font terriblement peur, à tel point qu'en Occident, nous avons décidé de ne plus en parler. Ces mots sont devenus tabous. On nous a occulté ces vérités fondamentales parce que l'on en a très peur et qu'on essaie de ne pas y penser. On fait comme si cela n'existait pas. En Occident, nous vivons nos vies comme si elles étaient éternelles. C'est dommage car aucun de nous ne pourra éviter la mort, ni la mort des proches, ni notre propre mort. Il nous faut donc cultiver un détachement de plus en plus profond. D'abord il nous faut nous détacher de l'orgueil, de l'égoïsme, puis des émotions conflictuelles et de l'idée que les pensées sont existantes, ensuite de la croyance en nos fantasmes, et en fin de compte de l'idée complètement erronée que la vie est éternelle. C'est l'attachement le plus viscéral, et il est très difficile de se raisonner par rapport à la mort. On s'est tellement caché la peur de la mort qu'on en devient complètement impuissant ; on ne sait pas quoi faire. Au moment de la mort, on doit laisser derrière nous tous les biens dont on n'a pas voulu se détacher pendant la vie, et quitter les êtres qui nous sont chers. Et même l’objet d'attachement le plus important qu'est notre propre corps, il va falloir l'abandonner.
La mort est l'événement au monde qui nous effraie le plus car c'est le symbole même de l'abandon des choses auxquelles on est attaché. Il est très important de savoir ce qui se passe au moment de la mort pour, à ce moment-là, ne pas être emporté par la peur, la terreur, l'angoisse et l'impuissance.
La mort n'est qu'une de ces transformations qui s'opèrent durant toute l'existence. Elle fait partie de la loi du changement que l'on a refusé. En soi, ce n'est pas un gros problème. Le problème est qu'on a toujours refusé cette loi du changement, le fait de se détacher des objets extérieurs. Le problème n'est pas la mort elle-même, mais le fait de refuser de se détacher des choses que l'on a auparavant possédées ou des êtres que l'on a auparavant connus et aimés. Si l'on reste attaché au moment de la mort aux gens que l'on aime, ou aux choses que l'on a possédées auparavant, il y a un grand danger. Après la mort, l'esprit demeure dans un état transitoire que l'on appelle le bardo, l'état intermédiaire ; cela dure très peu de temps, au maximum quarante neuf jours. Pendant ce laps de temps, l'esprit ayant quitté le corps se retrouve dans un état que l'on peut comparer au rêve. Quand on rêve, le corps est immobile mais l'esprit se balade. L'esprit en rêve peut aller voir des gens, vivre des situations illusoires, paraissant néanmoins réelles. Le bardo, c'est pareil : l'esprit voyage dans un rêve pendant quarante neuf jours, et au bout de ce temps, suivant les tendances que l'on a cultivées dans sa vie antérieure et au moment de la mort, il est attiré par l'une ou l'autre forme de renaissance. Il y a six classes de renaissances : enfers, esprits, animaux, humains, titans, dévas ; mais aucune n'est satisfaisante. Il ne faut pas désirer renaître dans aucune de ces classes d'êtres puisque chacune est caractérisée par la souffrance.
Le non-attachement au samsara, le nirvana
Ces six classes d'êtres représentent la roue du samsara, " le cycle ininterrompu des existences caractérisées par la souffrance ", c'est-à-dire un cercle vicieux de renaissances sans fin dans la souffrance. Le plus grand détachement que l'on puisse cultiver est le détachement par rapport au samsara. Ce dont nous parlait toujours Rinpoché : " Il faut se détacher du samsara. Il faut se détacher de l'attachement que l'on a envers l'existence parce que celle-ci est toujours facteur de souffrance ". C'est difficile à imaginer car nous nous disons : si nous n’existons pas physiquement, que sommes nous ? Si l'on n'a plus de support d'existence, qu'est-ce qu'on devient ?
Il existe un autre état d'existence appelé nirvana. C'est le contraire du samsara, c'est l'au-delà de la souffrance, l'au-delà du cycle des existences caractérisées par la souffrance. C'est l'esprit d'un être qui s'est complètement libéré de la compulsion à constamment passer d'une existence à une autre du fait de l'attachement à l'existence et à un moi existant. C'est ce que l'on appelle le détachement suprême, la libération de la souffrance.
Un être qui a trouvé le bonheur ultime en lui-même, qui n'est plus attaché à un ego, une existence personnelle, égoïste, est libre de s'émaner dans toutes les existences à la fois. N'ayant plus besoin de rechercher un bonheur personnel, un être éveillé n'est plus obligé de renaître de façon automatique dans un monde ou l'autre, mais il a la possibilité de choisir librement sa (ou ses) renaissances. Il ne renaît plus d'une manière forcée, inéluctable, mais de façon délibérée afin d'aider les autres à obtenir le bonheur et la libération à leur tour.
C'est ce que l'on appelle le nirvana. Le nirvana est la façon éveillée de considérer le monde : une tournure d'esprit uniquement altruiste, qui ne cherche rien pour soi. Le samsara est la façon névrotique de considérer l'univers : un terrain de jeu pour l'ego. Les deux, samsara et nirvana, d'une façon plus ultime, n'existent pas de façon séparée. Le nirvana est une façon de considérer l'univers basée sur un non-égoïsme fondamental. Il y a des êtres émanés dans le samsara qui sont totalement libérés du samsara. Vous avez entendu parler de ces tulkous, ces êtres réalisés qui renaissent dans notre monde. En Europe, à l'heure actuelle, nous avons des tulkous européens qui sont les émanations d'êtres réalisés ayant obtenu l'éveil dans une vie antérieure. Ils ne traversent pas la mort comme nous. Nous, lorsque nous passons par la mort, nous sommes terrorisés. Notre peur vient d'une saisie égoïste, une saisie du moi qui a peur de disparaître. Il n'y a pas besoin d'avoir peur ; l'esprit ne disparaît jamais et le corps ne fait que se transformer et changer. Dans cette vie même, nous avons changé de corps plusieurs fois. Ou est donc le corps du petit garçon ou de la petite fille que nous étions à l'âge de cinq ans ? La peur, c'est en quelque sorte une idiotie mentale : la peur de la peur qui fait peur. C'est du vide, la crainte d'une disparition ou d'un néant qui n'existe pas. Dans le bouddhisme, lorsqu'on parle de vacuité, ce n'est jamais du néant. L'état d'éveil n'est absolument pas le néant. Il n'y a pas de raison d'avoir peur. La seule chose dont il faille vraiment avoir peur, c'est de la peur elle-même, la peur du changement. La seule chose qu'il faille vaincre, c'est la peur elle-même. Lorsque l'on est libéré de la peur, on dit qu'on est libéré du samsara.
Lama anila Tsultrim
http://www.dhagpo-kagyu.org/france/enseignements/chemin/medit/methodes/tsul-attach-non-attach.htm
Le non-attachement à soi, la dévotion.
Un maître réalisé a la puissance nécessaire pour nous transmettre directement l’éveil. L’éveil est la réalisation de notre être intérieur totalement pur, débarrassé des voiles, des perturbations, des émotions, des négativités, du karma, des tendances qui le recouvrent habituellement. Cet état originel de notre être, appelé aussi nature de bouddha, est absolument exempt de toute souffrance.
Il est caractérisé par les qualités de félicité, bonheur total, amour et compassion immenses envers tous les êtres, ainsi que par les qualités de sagesse, équanimité, joie. Ces qualités sont inhérentes à notre esprit, elles nous appartiennent depuis les temps sans commencement. C’est notre nature profonde, qui n’est pas une nature de souffrance, mais une nature de bonheur.
Cependant, nous n’avons pas encore réalisé cette nature de bonheur et expérimentons encore dans nos vies quelques souffrances. Nous sommes perturbés par les émotions, par les ennuis quotidiens, les obstacles, les pensées, les élucubrations mentales. Il nous faut retrouver l’essence de cette nature inhérente à notre esprit. Pour cela, un petit travail de dépoussiérage, de nettoyage est indispensable. Notre esprit est souvent comparé à une gemme, un diamant. Pour l’instant, ce diamant n’est pas éclatant, mais encore entouré de sa gangue de scories. Notre esprit est semblable : à l’intérieur se trouve un joyau, mais celui-ci est totalement recouvert par les tendances négatives, les perturbations, les voiles. On n’a même pas l’idée que l’on puisse avoir cette nature parfaitement pure en nous.
Pour la percevoir, il suffirait de nettoyer ces voiles. Evidemment, il y a un gros travail à faire ! Il existe une voie directe, immédiate pour y parvenir. Un maître spirituel ayant déjà réalisé sa nature parfaitement purifiée peut la transmettre d’esprit à esprit. On dit que cela fonctionne un peu comme un miroir : le maître étant pur renvoie en nous la pureté que nous possédons déjà en essence. Cela pourrait se produire instantanément lors de la rencontre avec un maître réalisé, tel Guendune Rinpoché. Les personnes qui l’ont rencontré ont sûrement senti une bénédiction spirituelle, une grâce, parce qu’il exprimait toutes ces qualités d’amour, de compassion, de sagesse, d’équanimité, de joie et qu'elles étaient immédiatement visibles.
Ceci est la façon la plus rapide d'obtenir l’éveil, mais il faut qu'il y ait de notre part une ouverture. Cette ouverture est difficile à développer, en particulier pour nous, Occidentaux. On la nomme la dévotion ; on peut aussi l’appeler le respect ou la confiance, confiance totale, abandon, lâcher prise, non-attachement. Non-attachement à ce petit moi, cette entité à laquelle on tient tant et que l’on estime à un degré extrêmement élevé. On se considère soi-même comme étant la perle rare de l’univers. A cause de cette arrogance, on peut ne pas comprendre qu'il soit possible de demander à quelqu’un d’autre de nous apporter quoi que ce soit. On ne voit pas comment on pourrait obtenir quelque chose de plus puisque l’on est déjà parfait. On est attaché à son moi, à son être, comme étant quelque chose d’extrêmement parfait. En croyant cela, on réduit notre esprit à un moi transitoire. On ne voit pas les perturbations qui le recouvrent.
Ainsi, le premier stade pour recevoir l’éveil est de pouvoir comprendre que, peut-être, l’on n’est pas si parfait que cela, que, peut-être, l’on pourrait évoluer. L’humilité est extrêmement difficile. Pour obtenir cette grâce de l’être éveillé, cette bénédiction, il faut cultiver une ouverture d’esprit. Si l’on n’y arrive pas, alors on continue, avec la prière de refuge que l’on dit trois fois et dans laquelle il y a moins besoin d’avoir cette dévotion. On s’appuie sur soi-même, sur sa propre nature éveillée, ce qui, peut-être, est plus facile. On dit : " Je prends refuge en le bouddha, le dharma et la sangha afin d’atteindre l’éveil – moi-même – et une fois que j’aurai atteint l’éveil, je fais le souhait d’aider tous les êtres qui emplissent l’univers à l'atteindre à leur tour. "
Là, il y a deux aspects : le premier qui est se libérer soi-même de la souffrance correspond à ce que l’on nomme dans le bouddhisme, le petit véhicule, le hinayana ; c’est la motivation pour soi. Ce n'est pas négatif, ni considéré comme étant à supprimer, au contraire ; on a droit au bonheur. Malgré tout, on peut estimer que l’on est " un " parmi les milliards d’êtres de l’univers et que peut être les autres aussi ont droit au bonheur. On étend alors cette motivation, cette intention de bonheur, à tous les êtres. On fait le souhait qu’une fois éveillé soi-même, on pourra œuvrer pour le bien des êtres. C’est la motivation du mahayana, du grand véhicule. " Grand " dans le sens où l’état d’esprit qui englobe tous les êtres est plus grand que l’état d’esprit qui ne considère que soi, qu’un être à aider, à libérer de la souffrance. On continue ensuite par cette merveilleuse prière " des quatre pensées illimitées " décrivant les qualités des êtres éveillées qui ont complètement libéré leur esprit de la souffrance.
Le non-attachement à l’autre, l’amour
Ces quatre pensées sont : la pensée d’amour, la pensée de compassion, la pensée de joie, et la pensée d’équanimité. La première pensée dit : " Puissent les êtres obtenir le bonheur et les causes du bonheur. " C’est l’amour illimité. On voit bien que ce n’est pas ce que l’on appelle amour dans la vie de tous les jours. Ce n'est pas " mon chéri, je t’aime ", avec l’idée : " j’espère que tu m’aimes ! ". C’est plutôt quelque chose de vaste, d’illimité. Cela s’adresse à tous les êtres sans exception. Et puis le sentiment lui-même n’est pas un sentiment de possessivité ou d’amour pour soi-même. C’est un sentiment totalement détaché, où l’attachement n’intervient pas. Voilà le deuxième aspect du non-attachement. C’est un amour qui désire le bonheur de l’autre et non pas le sien propre. Voilà ce que l’on appelle amour illimité. La compassion est le souhait complémentaire à l’amour : " Puissent tous les êtres être libérés de la souffrance et des causes de la souffrance ". Ce n’est pas ce que l’on appelle compassion dans notre quotidien, qui est assimilée à de la pitié, de la condescendance, de la commisération. Avec ce que nous appelons compassion, on est content, il y a une espèce de sentiment de supériorité par rapport à l’autre. " Moi, je ne suis pas comme cela, c’est malheureux pour lui ! ". Ce n’est pas du tout la compassion considérée comme une qualité dans le bouddhisme vajrayana. La compassion d’un être éveillé est le sentiment insupportable de la souffrance des êtres et le désir vraiment intense de les libérer tous de cette souffrance. Il y a vraiment une énergie dans cette compassion assez puissante pour qu’on l’appelle même une énergie courroucée, c’est-à-dire une énergie qui va employer tous les moyens pour sortir les êtres de la souffrance.
L’attachement à l'ego, racine de notre souffrance
Il y a différents types de non-attachement. Le premier non-attachement est le non-attachement le plus fondamental, le plus ultime, le plus difficile : abandonner l’attachement et la saisie que l’on a de soi-même comme étant l’être le plus important au monde. C’est vraiment l’attachement qui crée la souffrance, qui est la cause de la souffrance, qui fait qu’on réduit l’espace à soi. On ne voit plus que soi-même. C’est la définition même de la souffrance. Lorsqu’on est refermé sur soi-même, incapable de voir les autres autour de soi, l’univers devient intenable. Cela peut prendre différentes formes. Tout le monde connaît la dépression. L’état dépressif est vraiment l’état où l'on est centré sur soi : on ne pense qu’à soi, on est incapable d’avoir une ouverture sur le monde extérieur.
Les souffrances mentales graves, comme la paranoïa par exemple, sont des états où l'être est uniquement centré sur soi. Nous-mêmes n’en sommes peut-être pas à ce point là, cependant, notre esprit a tendance à se centrer sur lui-même. C’est une tendance fondamentale. Cela s’accentue par moment lorsque nous avons des problèmes dans nos vies. C'est ce qu’on appelle la souffrance : l’attachement à l’ego. En tibétain, il y a un mot pour exprimer cela " naguien ", qui veut dire : " moi roi ". On se considère soi-même comme le roi de l’univers, le centre du monde. Evidemment, comme tout le monde pense la même chose, c’est ce qui crée les petits problèmes de notre existence. On appelle un être réalisé " le vainqueur de l’ennemi " : cela ne veut pas dire qu’il a vaincu quelqu’un, un ennemi extérieur, mais qu’il a vaincu l’ennemi intérieur qu'est cet ego, cette croyance dans un moi supérieur et différent des autres.
C’est de cela dont il faut se débarrasser, l’emprise de l’ego sur notre esprit. Cela ne veut pas dire que l’on va se débarrasser de notre personnalité. Il n’est pas question de devenir un légume, un bout de bois. Vaincre l’ego ne veut pas dire tuer la personnalité. Au contraire d’ailleurs, si vous avez rencontré des êtres éveillés, vous aurez remarqué qu’ils ont tous une personnalité très forte. Ils ont tous quelque chose de très puissant et sont tous différents les uns des autres. Par exemple, Guendune Rinpoché était très différent de Lama Jigmé Rinpoché. Tous les deux sont des êtres éveillés mais chacun avec sa personnalité. Il n’est donc pas question de supprimer la personnalité, mais de détendre la crispation mentale de l’esprit sur " moi ", ce qui est différent. C’est cela qu’on appelle le non-attachement au niveau ultime. Ensuite, il y a ce qu’on appelle le non-attachement au niveau relatif qui consiste à s’entraîner à voir à quel point, du fait de cet attachement fondamental, on est, dans la vie, attaché à des milliers de choses, d’êtres et à quel point cela crée des perturbations et des souffrances.
L’attachement aux autres, les émotions conflictuelles
Du fait de l’attachement à moi comme étant supérieur aux autres, on considère les autres comme étant des gens à attirer à soi, ceux qu’on aime avec l’amour occidental (le problème est que l’on n’a pas deux mots différents pour différencier l’amour altruiste, et l’amour égoïste). C’est ainsi que se crée la première émotion conflictuelle : le désir attachement.
Ce désir attachement consiste à vouloir pour soi ce qui nous plaît. Cela parait légitime, cela peut l’être, mais souvent, on ne considère, du fait de notre attachement à nous-mêmes, que notre propre point de vue, notre propre bien, sans considérer le bien de l’autre, ce qui fait que l’autre se sent complètement " lésé ", complètement noyé, et qu’il nous le fait savoir : " lâche-moi ", " laisse-moi respirer, tu m’étouffes, je veux de l’air ". Cet attachement-là est très étouffant. A un moment donné, il va y avoir la fuite de l’être aimé, ou des mots désagréables. Tout simplement parce que nous avons confondu amour et attachement. C’est une deuxième cause de souffrance. Du fait de l’attachement à soi, l’amour que l’on pourrait avoir pour les autres se transforme en souffrance.
La première émotion conflictuelle, le désir attachement, peut se transformer en amour véritable si l’on opère une transformation, une transmutation, si l’on travaille cette émotion dans son essence, et si l’on arrive à trier ce qui est dans cet amour la part fondamentalement pure, altruiste, que l’on va garder et la part fondamentalement égoïste, qui crée la souffrance. C’est extrêmement difficile à trier car les deux sont mélangées, imbriquées l’une dans l’autre. Même l’amour d’une mère pour son enfant, considéré dans le bouddhisme comme étant le summum de l’amour véritablement altruiste, même cet amour là est entaché d’attachement. Une mère aime son enfant et serait capable de donner sa vie pour lui, c’est vrai. Mais le problème est qu’elle aime son enfant, et pas l’autre. Et puis, elle l’aime à condition que... il y a des conditions, cela se voit surtout lorsque l’enfant grandit. On désire quelque chose de l’enfant, on désire qu’il fasse tel métier, telle chose particulière que nous n’avons pas faite nous-mêmes, tout un aspect psychologique personnel entre en conflit avec la personnalité de l’autre. Il est très difficile d’y voir clair.
Il y a quelque chose à purifier au niveau de la possessivité, de la possession. C’est ce qui est exprimé par ce magnifique poème : " Nos enfants ne sont pas nos enfants, ils sont les enfants de la terre et du ciel… ". Nos enfants ne nous appartiennent pas. C’est très difficile pour une mère d’accepter ce fait. Il y a tout un travail à faire sur ce sentiment même. Ensuite il y a un travail à faire sur l’être en particulier : pourquoi cet être et pas les autres ? On peut alors étendre cet amour que l’on éprouve pour un seul être à d’autres.
Un être éveillé ayant complètement réalisé la nature de son esprit aime tous les êtres comme une mère aime son enfant unique. Il développe cet amour-là envers les êtres qu’il côtoie. Cela peut paraître extrêmement difficile. C’est ce que l’on appelle l'amour sans attachement. Cela ne veut pas dire : pas d’amour, non-amour. On peut avoir une mauvaise compréhension de ce que veut dire le non-attachement. Par exemple, on rentre à la maison en déclarant : " Ma chérie, je dois te dire quelque chose : il faut que je me détache !". Ce n’est pas de cela dont il s’agit ! Il n’est pas question de se débarrasser de l’autre. L’autre n’est pas la cause de notre souffrance, mais c'est bien plutôt notre façon d’établir des relations avec lui ou elle. Ce qu’il faut transformer est notre relation à l’autre; il s’agit de se débarrasser de notre saisie égoïste. C’est très difficile. Comment y arrive-t-on ? Dans le bouddhisme, il y a deux moyens.
Le premier est un moyen ultime, absolu, le deuxième est un moyen relatif, dans la vie quotidienne. Le moyen absolu est la méditation, qui est le support nous permettant de réaliser le non-attachement ultime, c’est-à-dire, de voir à quel point l’attachement à l’ego est quelque chose d’inutile, de futile. Le deuxième outil s’appelle la méditation dans l’action. Dans la vie quotidienne nous allons travailler directement sur les émotions, notamment sur le désir attachement. En tant qu’être humain, on est très attaché ; on souffre non seulement d’attachement envers d’autres personnes, mais aussi d’attachement envers les objets qui nous entourent.
Grâce à la méditation sur laquelle on s’appuie, on va essayer d’y voir clair dans la vie de tous les jours. A l’intérieur des émotions, à l’intérieur du désir attachement, on va faire le tri entre ce qui est égoïste et ce qui est altruiste, entre ce qui est la part de souffrance, ce qui crée la souffrance, et ce qui est l’amour ultime qui apporte le bonheur non seulement à soi-même mais à tous les êtres. Cela parait difficile mais se fait tranquillement, à chaque instant. On a beaucoup de chance parce que l’on a toutes les possibilités d’appliquer ce travail mental : nous avons la chance d’être entouré de milliers d’êtres, de rencontrer des centaines d’êtres, et de pouvoir donc appliquer cet amour altruiste à une échelle assez grande puisque tous les jours, nous rencontrons beaucoup d’êtres.
Non-saisie, lâcher prise
Il y a une petite différence entre les émotions et les pensées. Les émotions sont des pensées plus une énergie ; il y a une impulsion qui nous pousse à agir. Alors que la pensée en essence n’est rien qu’une bulle d’air, l’émotion est en plus une impulsion qui nous pousse à agir dans une certaine direction. Elle vient juste après la pensée. Il faut éviter de se laisser attacher, attraper par la pseudo réalité de l’émotion. C’est plus difficile qu’avec la pensée parce qu’il y a cette énergie que l’on peut plus difficilement diluer.
Ce que l’on appelle pensée est un phénomène qui dure une fraction de seconde, mais en une fraction de seconde, il se passe beaucoup de choses. Le phénomène de la pensée est beaucoup plus subtil que ce que l’on perçoit en fin de compte. Lorsqu’on considère un objet, par exemple un verre d’eau, il y a le phénomène premier de la perception pure. Le deuxième stade est celui de la sensation : on voit une couleur (une transparence), on sent (c'est inodore), on touche (c'est liquide), on peut goûter (c'est sans saveur). Troisièmement, on nomme, c’est la dénomination. On pense : " C’est un verre d’eau ". C’est le stade de la reconnaissance, le moment où l'on conceptualise l’objet. A la quatrième étape vient l’émotion. On peut considérer que l’on aime ou que l’on n’aime pas l’objet. Si j’ai soif : " Oh ! Un verre d’eau ", si je n’ai pas soif : " Beurk, de l’eau ! ". L’émotion est totalement aléatoire. Le cinquième stade est ce que l’on appelle la saisie émotionnelle, l’élucubration mentale. Sur cette base d’émotion, je commence à construire une histoire. Par exemple : " Que c’est gentil de m’avoir donné de l’eau " ou " On aurait pu me faire du thé quand même ! " Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel je suis, c’est complètement aléatoire, fortuit, là aussi.
La plupart du temps, on n’a conscience que du dernier stade, c’est-à-dire du discours mental. Parfois, lorsque l’on commence à méditer, c’est uniquement de cela que l’on a conscience : le fil de nos élucubrations mentales. Ce qu’il faut faire alors, c’est ne rien faire. Laisser ce flot des pensées superficielles s'écouler, s’épancher. On regarde cela comme on regarderait un film, sans le prendre au sérieux, sans agir. Méditer veut dire : ne pas se laisser entraîner à agir, ni emporter par l’émotion, voir que c’est simplement du bluff, du vide. C’est un peu comme Ulysse qui était attiré par les sirènes, c’est la même chose. On se méfie, et comme l’on n’est pas assez fort soi-même, on fait comme Ulysse, mais au lieu de s’attacher au bateau avec des chaînes, on s'assoit sur le coussin de méditation, et l’on s’y attache avec des chaînes mentales. En méditation, nous ne cherchons pas à supprimer les pensées, sinon cela voudrait dire que l'on ne ferait pas de travail sur le désir attachement, simplement on serait aveugle et sourd. Il n'est pas question de supprimer toute la structure mentale, mais simplement d'en voir l'essence vide, l'essence non existante. C'est beaucoup plus subtil. Il faut voir l'essence totalement illusoire des émotions qui nous interpellent. Nous sommes toujours un peu tiraillés entre le désir de se lever et d'aller courir vers l'une ou l'autre émotion. Si c'est l'émotion de désir, on veut vite courir acheter vingt verres semblables par exemple, ou si c'est l'émotion de colère, on peut avoir envie d'aller interpeller la personne qui a acheté " cette horreur ". La colère est aussi une émotion qui nous habite et nous pousse à agir. Nous sommes habités par la saisie de l'émotion. Nous sommes prisonniers, esclaves de l'émotion.
Si on se laisse avoir, on a perdu. C'est-à-dire qu'on s'est complètement laissé prendre par l'émotion. On a perdu le contrôle de son esprit. Nous, Occidentaux, qui sommes si fiers de notre autonomie, de notre intelligence, de notre liberté, et bien là, nous nous sommes laissés complètement saisir, avoir par quelque chose de plus fort que nous. Et l'on se rend compte que nous sommes complètement prisonniers de nos tendances, de nos instincts, de nos émotions.
La méditation consiste à ne pas se laisser submerger par cette saisie, cet attachement mais plutôt à laisser passer l'émotion sans s'y attacher. Si l'on ne se laisse pas aller à agir selon l'émotion, celle-ci étant de nature totalement vide, va se libérer d'elle-même, s'évanouir toute seule. Cela peut être très rapide ou très lent. Tout dépend à quel niveau on est attaché à l'émotion. Mais de toute manière, il est sûr qu'elle se libère à un moment donné toute seule. On y arrive en méditant. Cela peut prendre des années, tout dépend de l'intensité que l'on met à pratiquer. C'est un entraînement de l'esprit. Tout dépend de la volonté que l'on applique à cet entraînement ainsi que du résultat que l'on veut obtenir ; tout dépend de la motivation que l'on a. Si l'on veut être totalement libéré des émotions, on travaille dessus avec l'intensité nécessaire. Si l'on a une grande motivation, on pratiquera intensément et le résultat sera rapide. Voilà pourquoi il y a les retraites de trois ans, trois mois, trois jours, dont vous avez sûrement entendu parler. Les personnes se mettent en retraite et pratiquent la méditation de façon intensive pendant tout ce temps. Leur intention est de se libérer définitivement de la souffrance. Donc elles emploient les moyens nécessaires et efficaces pour s'en libérer et cela marche.
Abandonner la peur
Il y a quatre souffrances auxquelles on ne peut échapper : la mort, la vieillesse, la maladie et la renaissance (non choisie). Mort, maladie, vieillesse nous font terriblement peur, à tel point qu'en Occident, nous avons décidé de ne plus en parler. Ces mots sont devenus tabous. On nous a occulté ces vérités fondamentales parce que l'on en a très peur et qu'on essaie de ne pas y penser. On fait comme si cela n'existait pas. En Occident, nous vivons nos vies comme si elles étaient éternelles. C'est dommage car aucun de nous ne pourra éviter la mort, ni la mort des proches, ni notre propre mort. Il nous faut donc cultiver un détachement de plus en plus profond. D'abord il nous faut nous détacher de l'orgueil, de l'égoïsme, puis des émotions conflictuelles et de l'idée que les pensées sont existantes, ensuite de la croyance en nos fantasmes, et en fin de compte de l'idée complètement erronée que la vie est éternelle. C'est l'attachement le plus viscéral, et il est très difficile de se raisonner par rapport à la mort. On s'est tellement caché la peur de la mort qu'on en devient complètement impuissant ; on ne sait pas quoi faire. Au moment de la mort, on doit laisser derrière nous tous les biens dont on n'a pas voulu se détacher pendant la vie, et quitter les êtres qui nous sont chers. Et même l’objet d'attachement le plus important qu'est notre propre corps, il va falloir l'abandonner.
La mort est l'événement au monde qui nous effraie le plus car c'est le symbole même de l'abandon des choses auxquelles on est attaché. Il est très important de savoir ce qui se passe au moment de la mort pour, à ce moment-là, ne pas être emporté par la peur, la terreur, l'angoisse et l'impuissance.
La mort n'est qu'une de ces transformations qui s'opèrent durant toute l'existence. Elle fait partie de la loi du changement que l'on a refusé. En soi, ce n'est pas un gros problème. Le problème est qu'on a toujours refusé cette loi du changement, le fait de se détacher des objets extérieurs. Le problème n'est pas la mort elle-même, mais le fait de refuser de se détacher des choses que l'on a auparavant possédées ou des êtres que l'on a auparavant connus et aimés. Si l'on reste attaché au moment de la mort aux gens que l'on aime, ou aux choses que l'on a possédées auparavant, il y a un grand danger. Après la mort, l'esprit demeure dans un état transitoire que l'on appelle le bardo, l'état intermédiaire ; cela dure très peu de temps, au maximum quarante neuf jours. Pendant ce laps de temps, l'esprit ayant quitté le corps se retrouve dans un état que l'on peut comparer au rêve. Quand on rêve, le corps est immobile mais l'esprit se balade. L'esprit en rêve peut aller voir des gens, vivre des situations illusoires, paraissant néanmoins réelles. Le bardo, c'est pareil : l'esprit voyage dans un rêve pendant quarante neuf jours, et au bout de ce temps, suivant les tendances que l'on a cultivées dans sa vie antérieure et au moment de la mort, il est attiré par l'une ou l'autre forme de renaissance. Il y a six classes de renaissances : enfers, esprits, animaux, humains, titans, dévas ; mais aucune n'est satisfaisante. Il ne faut pas désirer renaître dans aucune de ces classes d'êtres puisque chacune est caractérisée par la souffrance.
Le non-attachement au samsara, le nirvana
Ces six classes d'êtres représentent la roue du samsara, " le cycle ininterrompu des existences caractérisées par la souffrance ", c'est-à-dire un cercle vicieux de renaissances sans fin dans la souffrance. Le plus grand détachement que l'on puisse cultiver est le détachement par rapport au samsara. Ce dont nous parlait toujours Rinpoché : " Il faut se détacher du samsara. Il faut se détacher de l'attachement que l'on a envers l'existence parce que celle-ci est toujours facteur de souffrance ". C'est difficile à imaginer car nous nous disons : si nous n’existons pas physiquement, que sommes nous ? Si l'on n'a plus de support d'existence, qu'est-ce qu'on devient ?
Il existe un autre état d'existence appelé nirvana. C'est le contraire du samsara, c'est l'au-delà de la souffrance, l'au-delà du cycle des existences caractérisées par la souffrance. C'est l'esprit d'un être qui s'est complètement libéré de la compulsion à constamment passer d'une existence à une autre du fait de l'attachement à l'existence et à un moi existant. C'est ce que l'on appelle le détachement suprême, la libération de la souffrance.
Un être qui a trouvé le bonheur ultime en lui-même, qui n'est plus attaché à un ego, une existence personnelle, égoïste, est libre de s'émaner dans toutes les existences à la fois. N'ayant plus besoin de rechercher un bonheur personnel, un être éveillé n'est plus obligé de renaître de façon automatique dans un monde ou l'autre, mais il a la possibilité de choisir librement sa (ou ses) renaissances. Il ne renaît plus d'une manière forcée, inéluctable, mais de façon délibérée afin d'aider les autres à obtenir le bonheur et la libération à leur tour.
C'est ce que l'on appelle le nirvana. Le nirvana est la façon éveillée de considérer le monde : une tournure d'esprit uniquement altruiste, qui ne cherche rien pour soi. Le samsara est la façon névrotique de considérer l'univers : un terrain de jeu pour l'ego. Les deux, samsara et nirvana, d'une façon plus ultime, n'existent pas de façon séparée. Le nirvana est une façon de considérer l'univers basée sur un non-égoïsme fondamental. Il y a des êtres émanés dans le samsara qui sont totalement libérés du samsara. Vous avez entendu parler de ces tulkous, ces êtres réalisés qui renaissent dans notre monde. En Europe, à l'heure actuelle, nous avons des tulkous européens qui sont les émanations d'êtres réalisés ayant obtenu l'éveil dans une vie antérieure. Ils ne traversent pas la mort comme nous. Nous, lorsque nous passons par la mort, nous sommes terrorisés. Notre peur vient d'une saisie égoïste, une saisie du moi qui a peur de disparaître. Il n'y a pas besoin d'avoir peur ; l'esprit ne disparaît jamais et le corps ne fait que se transformer et changer. Dans cette vie même, nous avons changé de corps plusieurs fois. Ou est donc le corps du petit garçon ou de la petite fille que nous étions à l'âge de cinq ans ? La peur, c'est en quelque sorte une idiotie mentale : la peur de la peur qui fait peur. C'est du vide, la crainte d'une disparition ou d'un néant qui n'existe pas. Dans le bouddhisme, lorsqu'on parle de vacuité, ce n'est jamais du néant. L'état d'éveil n'est absolument pas le néant. Il n'y a pas de raison d'avoir peur. La seule chose dont il faille vraiment avoir peur, c'est de la peur elle-même, la peur du changement. La seule chose qu'il faille vaincre, c'est la peur elle-même. Lorsque l'on est libéré de la peur, on dit qu'on est libéré du samsara.
Lama anila Tsultrim
http://www.dhagpo-kagyu.org/france/enseignements/chemin/medit/methodes/tsul-attach-non-attach.htm
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