Dhamma pour les malades
Buddhadasa Bhikkhu
Traduction du thaï à l’anglais par Santikaro Upasaka
Traduction de l’anglais au français par François Guillemette
I. Dhamma pour les malades ordinaires
Un discours donné le 19 juillet 1982.
Le but de cet enseignement est de stimuler l’intelligence des personnes malades.1 Veuillez le lire attentivement et l’étudier en profondeur.2
La maladie est une chose courante et naturelle
Les maladies doivent être considérées comme des événements naturels pour tous les sankhāras physiques (le corps), qu’il s’agisse d’êtres humains ou d’animaux, car les sankhāras subissent des changements3. Chaque fois qu’il y a changement, il y a amélioration ou dégradation. Un changement qui améliore procure une sensation de confort et de santé. Un changement qui dégrade crée la maladie. Lorsque les sankhāras physiques vieillissent successivement, la plupart des changements encourus sont douloureux et difficiles. Il faut voir ce fait tel qu’il est réellement : tous les sankhāras sont comme ça. En bref, la douleur et la maladie sont normales et naturelles pour les sankhāras physiques.
La maladie nous rappelle qu’il faut être intelligent
Examinons la raison pour laquelle cette maladie survient. Nous devons la considérer dans une perspective bénéfique, c’est-à-dire qu’il faut voir cette maladie comme un avertissement. La maladie n’existe pas pour nous faire souffrir ou nous attrister. Il n’y a aucun avantage à souffrir ou à nous attrister en raison de la maladie, et rien en elle ne justifie de telles réactions, car les sankhāras physiques sont comme ça, simplement. En fait, la maladie sert à nous avertir et à nous apprendre à être plus intelligents, plutôt qu’à souffrir. Elle nous invite à nous préparer à éteindre totalement toute forme de dukkha. Si nous tournons encore en rond dans les cycles samsāriques, nous souffrons nécessairement de la naissance, du vieillissement, de la maladie et de la mort. Si vous ne voulez pas que la naissance, le vieillissement, la maladie et la mort se produisent, alors ne tournez pas en rond dans les cycles du samsāra.
Pour aller au-delà de dukkha, il faut éteindre complètement le feu des saṅkhāras.
Aujourd’hui, la maladie et la fièvre sont arrivées pour vous mettre en garde, pour vous montrer comment est la vie. Si vous souhaitez vous libérer de ce genre d’existence – et de la maladie qui lui est inhérente – vous devez vous préparer à éteindre complètement le feu des sankhāras. Cette extinction totale consiste à refroidir les sankhāras afin qui ne reste plus aucun combustible pour une nouvelle naissance. Même si le corps n’est pas prêt à périr, le cœur est prêt à se dissoudre. Ou, pour le dire autrement, nous sommes tout à fait prêts à vivre sans égo dès maintenant. Nous nous libérons volontairement de l’égo dès maintenant. Notre cœur se libère de tout et abandonne tout ce qui concerne les sankhāras. Mettez fin à tout ce qui concerne ces sankhāras afin qu’il ne reste plus aucune pensée entachée de l’égo et du « mien ». Nous savons qu’insister pour errer dans les cycles samsāriques mène à cela (la maladie). Car ce cycle n’a pas de fin. Si vous voulez arrêter d’être malade, alors cessez d’associer les sankhāras à l’égo et au « mien ». Si vous avez le sentiment que plus rien n’est « moi » ou « mien », le feu des sankhāras a été éteint.
Ne prenez pas les saṅkhāras personnellement.
Les sankhāras tombent naturellement malades. Si nous nous accrochons à eux comme s’ils étaient « nos » sankhāras, la douleur et la maladie deviennent « nôtres » aussi. Alors nous souffrons, nous sommes tristes ou déçus. Si nous adoptons fermement une nouvelle intention, avec intelligence et force mentale, nous nous engageons à laisser les sankhāras suivre leur propre cours. Laissez les sankhāras exister selon leur propre nature; ne vous accrochez pas à l’idée qu’ils vous appartiennent. Les sankhāras ne durent pas; telle est leur nature. Ils sont impermanents. Les sankhāras sont dukkha, c’est-à-dire stressants et peu fiables. Les sankhāras sont anattā, c’est-à-dire qu’ils sont impermanents et sans essence immuable. Ce que nous voulons, c’est nous arrêter, nous calmer et nous rafraîchir; tel est le principe du nibbāna.
Libérer l’esprit.
L’esprit doit chercher à voir de cette façon pour ne pas saisir les choses physiques comme étant « les miens » ou « me concernant ». Laissez les sankhāras physiques tomber malade ou se décomposer naturellement, afin de ne pas vous y accrocher comme étant « ma » douleur, « ma » maladie ou « ma » mort. Ainsi, l’esprit ne sera pas assujetti à la maladie et à la mort. Au contraire, l’esprit sera libéré de la douleur, de la maladie et de la mort. Dans cette liberté, il n’y a pas d’aller-retour dans les cycles du samsāra.
Voilà l’avertissement que nous donne la maladie, afin que nous soyons plus intelligents. La maladie ne survient pas pour nous faire souffrir. Elle n’exige pas que nous souffrions. Elle nous rappelle simplement de nous préparer pleinement à l’extinction absolue du sentiment que l’« égo » et le « mien » existent vraiment. Elle nous met au défi d’éliminer l’égo et le « mien ». Elle ne nous empresse pas de nous suicider : ce serait inutile. Elle nous rappelle plutôt qu’il faut cesser notre attachement au « moi » et à tout ce qui est « mien ». Tel est mon message quand je dis que la maladie nous avise d’éteindre complètement le feu du « moi ». Lorsque le feu de l’attachement au « moi » et au « mien » est éteint, il n’y a personne pour naître, vieillir, se sentir malade et mourir.
(…)
II. Enseignement spécial sur le Dhamma pour les malades
Un discours donné le 21 mai 1981, à Suan Mokkh.
Permettez-moi de stimuler à nouveau l’attention et la réflexion des personnes malades. Je vous expliquerai comment vous pouvez mettre fin aux difficultés et souffrances causées par la maladie grâce à l’essence du bouddhisme. L’essence du bouddhisme nous est particulièrement utile lorsque nous sommes malades. Veuillez écouter attentivement.
J’ai parlé de l’essence du bouddhisme à maintes reprises, alors ce sujet sera familier à bon nombre d’entre vous. Toutefois, certains l’oublient et d’autres s’en souviennent seulement lorsqu’ils sont en santé et que tout va bien. Quand la maladie frappe, nous sommes parfois confus, et nous oublions. Il est donc très utile de revoir cet enseignement, qui peut s’avérer bénéfique lorsque nous tombons malades.
On peut décrire l’essence du bouddhisme de plusieurs manières. Cependant, la façon la plus concise, la plus précise et la plus juste consiste en la courte phrase « toute chose est ainsi » (l’« ainsité »). La douleur n’est que la douleur, le plaisir n’est que le plaisir, un sentiment neutre n’est qu’un sentiment neutre. La maladie est ainsi; ne pas se rétablir est ainsi; la guérison est ainsi. Ne soyez pas heureux ou triste, joyeux ou déprimé, à cause de la maladie. En pāli, « l’ainsité » se nomme tathatā; en chinois, c’est yoo-si (如是) , en thaï, chen-nan-eng, et en anglais, thusness.
Revenons sur ce dont nous avons discuté précédemment. Tathatā signifie « l’ainsité » ou « les choses telles qu’elles sont ». Toutes les choses conditionnées sont ainsi. Toutes les choses non conditionnées sont ainsi. Autrement dit, les sankhāras (les conditions) sont ainsi. Visankhāra (l’inconditionné) est ainsi. Les sankhāras sont ainsi, ils suivent leur cours. Visankhāra est ainsi, il suit son cours. Le nibbāna est ainsi, suivant sa propre nature. En somme, rien au monde ne suit pas le cours de sa propre nature.
Pourquoi devrions-nous reconnaître l’ainsité de toute chose? Vous vous souvenez peut-être de mes discours précédents. Résumons ces enseignements. Les choses soumises aux causes et conditions ( sankhāras), apparaissent, existent un certain temps puis disparaissent. Elles apparaissent ainsi, se maintiennent ainsi et disparaissent ainsi, simplement. Par conséquent, la naissance, la vieillesse, la maladie et même la mort ne sont que des phénomènes tout à fait naturels.
Réfléchissez profondément sur cette vérité, jusqu’à ce que vous soyez convaincu que votre bonne santé n’est rien de plus qu’une bonne santé, et que votre maladie n’est rien de plus qu’une maladie. Et si les causes et conditions de cette maladie s’estompent et que vous guérissez, c’est ainsi, simplement. Et si vous mourez, c’est encore en raison de l’ainsité des causes et conditions de la maladie. Toutes les choses sont soumises à leur ainsité et elles nous apparaissent toutes comme normales. Alors mourir est normal, et ne pas mourir est tout aussi normal. L’ainsité est partout. Un esprit ( citta) qui comprend l’ainsité est apaisé, il a lâché prise et n’est pas anxieux, rafraîchi par le nibbāna jusqu’à ce qu’il arrive à terme. Un dernier lâcher-prise, puis tout est fini. Rien ne peut ébranler un tel esprit. Un tel esprit ne souffre plus.
Voilà ce que nous faisons. Nous examinons la réalité et comprenons que la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort sont ainsi, sans plus. En chacun de ces phénomènes, nous voyons seulement l’ainsité. Bien que la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort soient des choses tout à fait naturelles, ne concluez pas qu’il faut baisser les bras. Nous pouvons mettre fin au cycle en cessant de nous attacher à ces phénomènes, de nous identifier à eux ou de nous les approprier. N’en faites pas une affaire personnelle : ensuite, chez qui de telles conditions peuvent-elles apparaître s’il n’y a plus personne pour naître, vieillir, tomber malade et mourir?
C’est la même chose pour le kamma (les actes que nous posons intentionnellement et leurs conséquences). Nous accumulons du kamma depuis si longtemps que maintenant nous sommes lassés de répéter ces mêmes actions et d’en subir les conséquences. Alors que pouvons-nous faire? Écoutez attentivement : pour mettre fin au kamma, cessez de nourrir votre égo. Sans égo pour créer du kamma, son cycle cesse. Nous avons le pouvoir de mettre fin au kamma pour nous débarrasser une fois pour toutes de ses effets néfastes et pernicieux. Tout cela n’est qu’une question d’ainsité. L’ainsité, c’est continuer d’être soumis au pouvoir du kamma. Mais c’est aussi s’en libérer : autrement dit, si vous agissez correctement, en harmonie avec le dhamma suprême, vous pouvez mettre fin au kamma, grâce à la loi naturelle de l’ainsité. Laissez les choses suivre leur cours. Elles sont ainsi, sans plus; n’en faites pas une affaire personnelle, une question d’égo. Laissez les choses suivre leur propre cours. Ne vous identifiez pas à elles, ne vous les appropriez pas.
(...)
1. Ce discours semble avoir été destiné à un large public, soit présent sur place soit qui en écouterait l’enregistrement, dont nombre de personnes âgées. Parmi elles, certaines avaient probablement des croyances bouddhistes traditionnelles sur les vies futures. À la même époque (juillet 1982), la santé de Tan Ajahn était chancelante.
2. Une autre traduction de cet enseignement est également disponible, sur le site Le Dhamma de la forêt.
3. Ici, le contexte suggère d’interpréter le terme sankhāra comme faisant référence au corps physique. Habituellement, Tan Ajahn utilise le terme dans son sens universel (toutes les choses conditionnées) ou dans le sens précis des enseignements sur paṭiccasamuppāda. Ici, il ne précise pas les sankhāras « physiques », mais son public interprétait probablement les sankhāras comme faisant référence à un « corps physique ».
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