La peur du changement : principale résistance au bonheur
Qui, spontanément réfléchit au bien fondé et au pourquoi de ses actes quand tout va bien ? Spontanément ? Pas grand monde. Quand la vie est un long fleuve tranquille où tout coule de source (ou presque !), les interrogations existentielles ne semblent pas être le propre de l’homme.
Et même quand çà va moins bien, il est démontré qu’on possède des capacités énormes à vivre avec nos conflits, nos incohérences et même une bonne dose de mal-être. Parmi les moyens les plus répandus qui contribuent à nous faire accepter ces contraintes, deux semblent exceller :
-le premier constitue en une rationalisation après coup de nos actions même les plus involontaires, automatiques, néfastes ou incohérentes auxquelles on va trouver une excellente raison logique tendant à prouver que c’était la seule solution possible. Une telle attitude venant d’une autre personne nous semblerait le comble de la mauvaise foi, de nous, ça paraît logique !
-le second est de projeter sur l’extérieur la cause de nos problèmes : l’autre quel qu’il soit, conjoint, enfant, parent, supérieur…ou de manière plus large, la malchance, la fatalité, le destin. Autre croyance profondément enracinée : celle du caractère. On est malchanceux, timide, nerveux, timoré, etc, etc… de la même manière qu’on a le nez aquilin ou les yeux marrons, une fois pour toutes. C’est comme une caractéristique figée de notre être qui nous détermine à vie dans une certaine catégorie d’individus.
Et ce n’est le plus souvent que quand la souffrance ou le handicap deviennent trop difficiles à supporter et qu’on a l’impression que le temps nous vole une vie dont on a été incapable de profiter, qu’on commence à ressentir le besoin de faire cesser cet état de choses. Encore que dans un premier temps c’est vers l’extérieur qu’on se tourne, attendant la recette ou l’intervention magique, la solution toute faite (et si possible rapide) à nos problèmes.
Et si on a la chance de ne pas se prendre au piège des marchands d’illusion en tout genre et de leurs produits miracles, peut-être en viendra-t-on à considérer que c’est sur soi-même qu’on devra réfléchir et agir pour essayer de changer les choses. C’est ce que propose une démarche thérapeutique.
Responsabilité personnelle ou destin
Pour entrer dans une telle démarche, il faut éprouver une souffrance ou un handicap suffisamment fort pour dépasser notre inertie habituelle, mais également et surtout avoir au moins l’intuition que nous ne sommes pas pour rien dans cette souffrance, que çà vient en grande partie de nous et non entièrement de l’extérieur.
En grande partie ne veut pas forcément dire entièrement : votre conjoint ou partenaire peut être effectivement un ignoble individu, et il n’est pas question de le blanchir, toutefois quand en analyse on découvre les raisons de notre choix, on n’ose plus vraiment impliquer la malchance !
Ce n’est pas forcément lui qui a changé, mais le temps qui révèle peu à peu ce qui était là dès le début mais qu’un aveuglement total de notre part nous masquait afin de nous permettre de mieux tomber dans le piège dont justement on se plaint aujourd’hui.
A croire que nos inconscients communiquent mieux que nous et signent des pactes à notre insu, nous laissant le soin de régler les factures ! Ce début de sentiment de responsabilité dans la situation que l’on vit est la condition sine qua non sans laquelle rien n’est possible.
Par exemple, suite à une série d’échecs sentimentaux, deux solutions se présentent : la première est de dire qu’on n’a décidément pas de chance et que le destin semble s’acharner à nous faire rencontrer exclusivement des personnes qui ne nous correspondent pas.
On a alors toutes chances de finir dans une solitude aigrie ou se résigner à se contenter d’une vie insatisfaisante en renonçant à un bonheur qui ne semble pas être pour nous. La deuxième est de réfléchir au fait que c’est bien nous et personne d’autre qui avons été attiré par ces partenaires (et non par d’autres tout aussi possibles).
On verra également que toutes ces personnes sous des apparences parfois très différentes ont beaucoup de points communs et que les relations engagées sont quasiment similaires, en tout cas répétitives comme si les leçons des échecs précédents n’avaient pas servi.
Peut-être même détectera-t-on certains comportements répétitifs de notre part qui entraînent inéluctablement les mêmes conséquences. Alors de victime, on deviendra acteur et responsable de la situation dans laquelle on se trouve, de passif, on pourra redevenir actif, chercher à comprendre le pourquoi de ces comportements et envisager d’abandonner ces attitudes nocives pour en choisir de plus appropriées.
Ce ne sera alors plus exclusivement la faute de l’autre ou du manque de chance mais de comportements erronés de notre part, entraînant des conséquences forcément insatisfaisantes mais toutefois logiques et prévisibles.
Se sentir responsable de sa situation, c’est reprendre la maîtrise de sa vie, c’est surtout reprendre espoir dans l’avenir puisqu’on sait maintenant qu’il ne dépend que de nous (ou du moins en très grande partie) et qu’il suffit le plus souvent de changer d’attitude pour changer de destin. En effet si on l’a créé, il devient possible de le modifier.
Et la maladie ?
Jusque là on n’a parlé que de situations d’échec ou de malaise existentiel.
Qu’en est-il lorsque le malaise n’est pas ressenti à l’état pur mais se masque derrière un symptôme ou une série de symptômes ?
Fatigue, douleurs, troubles fonctionnels tels que colites, migraines, etc… ne sont le plus souvent que des témoins d’un état de stress entretenu par de mauvaises conditions de vie, mais surtout par notre manière de réagir à ces conditions, par exemple en les subissant passivement au lieu de les changer ou en se mettant « comme par hasard » dans des situations impossibles ou des relations toxiques.
Alors le conflit engendré dont on n’est pas forcément conscient ou dont on n’ose parler se manifeste au travers du symptôme, celui ci étant une manière pratique d’évacuer nos problèmes sans faire le lien avec leur cause, donc sans éprouver la nécessité de changer quoi que ce soit.
Il est plus dur de nier l’origine personnelle du ou des troubles quand leur origine psychique est plus manifeste comme par exemple dans des crises d’angoisses, une anxiété généralisée, un TOC, une dépression avérée, etc.. Encore qu’avant d’en identifier la source réelle il faudra parcourir un long chemin.
La forme la plus insidieuse reste la vraie somatisation, celle qui dépasse le trouble fonctionnel pour passer dans le domaine de la lésion organique. Le type de personnes ayant recours à ce mode d’évacuation extrême de leurs problématiques psychiques semble en effet souffrir d’une « défaillance » dans l’élaboration psychique de leurs conflits et de leurs émotions qui rendent extrêmement difficile toute remise en question (mais pas impossible). Le corps par la maladie se charge alors de parler de ce qui ne peut ou ne sait se dire autrement.
Il est évident que rien ne peut se substituer à une consultation médicale, toutefois prendre en compte le facteur psychique de la maladie, en rechercher la cause dans une insatisfaction chronique, un stress subi juste avant son apparition et en suivre l’évolution par rapport aux évènements de vie peut apporter bien des réponses et ouvrir une autre voie de traitement possible même si elle n’est que complémentaire.
De la difficulté de changer
Tenons pour acquis que la responsabilité personnelle de nos problèmes a été admise et que des deux solutions qui se présentent supporter l’inconfort ou décider d’y mettre un terme c’est la seconde qui a été choisie. Il faut comprendre à quel point il est difficile d’être objectif avec soi-même et cesser de voir la réalité au travers d’un prisme déformant.
La première action sera donc de choisir quelqu’un pour nous aider dans cette démarche de compréhension des causes réelles de nos difficultés. Et admettre qu’il faudra peut-être du temps car on ne peut défaire en un jour ce qui depuis des années constitue en quelque sorte pour nous une seconde nature.
Admettons encore une fois que ceci est compris et admis, la personne volontaire et motivée, suffisamment adaptable, mentalement ouverte à d’autres possibles et décidée à agir pour faire bouger les choses (le patient idéal en quelque sorte).
Et bien même une telle personne ne fera pas l’économie de la difficulté à changer les choses, même s’il est largement démontré que c’est de loin notre intérêt de le faire. On peut même dire que le succès et la durée d’une thérapie sont directement liés à notre capacité à négocier avec ce refus du changement.
Le refus du changement c’est tout d’abord la peur de l’inconnu. Un « tiens » vaut mieux que deux « tu l’auras » nous dit La Fontaine. Ce précepte de sagesse populaire semble être fortement ancré dans les esprits. Mais peut-on vraiment parler encore de sagesse quand tenir à une souffrance semble valoir mieux que d’espérer deux bonheurs ?
Car ce besoin de sécurité extrême en arrive à nous faire effectivement tenir à nos souffrances parce qu’elles sont connues donc quelque part sécurisantes. Choquant n’est-ce pas ? Et pourtant. Tous les psychothérapeutes quel que soit leur orientation qui assistent au quotidien au spectacle de patients qui semblent s’accrocher à leurs symptômes comme à une bouée de sauvetage plutôt que d’opérer une petite remise en question (et surtout les actions qui en découlent) en sont témoin.
Parce qu’entreprendre une démarche de changement c’est affronter l’inconnu à nouveau, prendre le risque de perdre ses sécurités, de contrarier son entourage, de modifier ses conditions de vie et bien sur d’échouer dans cette démarche. Autant de chose qui font reculer avant même de faire un point objectif sur les avantages et les inconvénients de cette tentative qui nous diraient qu’au pire l’échec nous renverra dans notre situation initiale, au mieux, on risque d’être plus heureux.
Témoin de ce type de mouvement une patiente fortement dépressive qui en tout début de thérapie se demandait si son époux l’aimerait encore si elle guérissait. Drôle de préoccupation mais qui indiquait de manière certaine ce qui s’est confirmé par la suite, qu’elle pressentait intuitivement qu’inconsciemment il la préférait dépressive ce qui était pour lui un excellent moyen de donner libre cours à son tempérament tyrannique sans qu’elle n’ait la force de s’y opposer.
Ces peurs à elles seules suffisent pour que le patient se mette en situation d’échec par rapport à sa thérapie qui va alors s’éterniser, à moins qu’il ne décide sous un prétexte quelconque d’y mettre brutalement un terme.
Une peur d’un autre âge
Alors comme ça l’être humain serait condamné à vie par une peur injustifiée de changer, une insécurité fondamentale qui lui interdirait de sortir des sentiers battus comme un programme génétique inhérent à la race et qui la marquerait d’une tache indélébile qui constituerait à faire elle -même son propre malheur ? Ou encore une fois faut-il aller chercher plus loin les raisons d’une telle aberration ?
Quelle est cette force d’inertie qui va à l’encontre de notre propre bonheur contre toute logique ? Et bien c’est une certaine forme de fidélité à une autorité intérieure qui nous ordonne de ne pas désobéir à certaines opinions, comportements ordres et interdits qui même totalement dépassés et inadaptés règnent en maîtres absolus sur nos décisions, opinions et actions.
Ces « programmes » sont ceux que nous avons intériorisés à partir des messages directs ou indirects que nous ont transmis nos parents et auxquels notre inconscient continue de se soumettre automatiquement et contre toute logique alors même que notre conscient hurle leur inutilité et leur côté néfaste.
Parce que pour un tout petit enfant dépendant pour sa survie de ses parents, ceux ci prennent valeur de Toute Puissance qui peut autant préserver la vie que la détruire. Et que perdre l’approbation dont l’appui de personnages aussi puissants n’est ni plus ni moins que prendre le risque de mourir.
Donc cet appui doit être préservé à tout prix, même si pour ça on doit faire le sacrifice de notre individualité juste pour leur plaire et ainsi conserver leur amour et par conséquent leur protection. Et alors même que l’on est devenu adulte, qu’on les a quittés, que peut-être même on s’est fâché, voire même qu’ils sont morts, on continue à se conformer à leurs désirs pour ne pas perdre leur appui (imaginaire bien sûr), appui qui un jour nous a été vital.
Et on continue à se sentir terrorisé à la simple idée de le perdre comme si on était encore un tout petit enfant démuni qui n’a d’autre ressource qu’eux pour survivre. Tout ceci reste vous l’aurez compris totalement inconscient autant qu’irréel puisqu’il y a en réalité bien longtemps qu’on se passe d’eux. Mais vu à travers ce miroir déformant, désobéir, risquer de déplaire, de transgresser leurs ordres prend valeur de risque mortel et on renonce à vivre pour obéir à des ordres qui depuis longtemps ne nous concernent plus.
Conclusion
Il semble être grand temps de séparer présent et passé, adulte et enfant, parents imaginaires tout puissants et parents réels et surtout parents et figures parentales réactualisées et projetées sur notre entourage, pour revenir à quelque chose de beaucoup plus simple qui serait le vrai contact avec la réalité et ses problèmes qui bien souvent n’ont besoin pour se résoudre qu’un minimum de bon sens.
Martine Massacrier, psychothérapeute, sophrologue
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